June roula des yeux devant la mauvaise humeur de Kleman mais ne releva pas. Elle n’avait pas besoin d’ouvrir une enquête pour savoir que Kleman n’était ni ravi d’être là, d’être ravie qu’elle soit ici. Elle allait répliquer qu’elle pouvait partir s’il était si ravi de sa présence mais l’homme-nu revint dans la discussion et June suivit des yeux l’analyse de Thea avec une grimace avant que cette dernière ne préfère commenter leurs déguisements.

« Je ne suis pas déguisée en sorcière. Je suis une sorcière, avait-elle envie d’ajouter mais elle n’était définitivement pas assez proche de Thea pour ça. J’ai juste une robe noire. »

J'étais profondément reconnaissant des efforts que faisait Théa pour décrire ce que je ne pouvais plus voir, mais surtout pour rendre ça presque normal, anodin. Mais il n'était pas nécessaire de me voir pour savoir que j'étais devenu rouge comme une tomate. Théa avait toujours eu un franc parlé qui m'impressionnait et dont je n'étais pas capable de faire preuve. Mais j'en avais perdu l'habitude et l'entendre parler du machin de je-sais-pas-qui avait de quoi me faire virer cramoisi. Heureusement pour moi, la description n'était pas allé trop loin.

« June est déguisée en sorcière. Et moi en superhéroïne. »

Je ne pouvais pas m'empêcher de penser "Elle est pas déguisée en sorcière, c'est une sorcière".  Mais rien ne servait de la corriger comme cela. Au moins, j'étais quelque peu rassuré de ne pas être le seul à n'avoir pas fait d'efforts sur le costume.
« Je ne suis pas déguisée en sorcière. J’ai juste une robe noire. »

Est-ce qu'elle avait ? Naaan, les sorcières peuvent pas. Elles peuvent ? Nan, ça serait trop la merde.

《 Ça vous ressemble bien, c'est cool. J'aurais peut-être dû en choisir un aussi. 》

Je ne savais pas trop quoi dire, pour être parfaitement honnête. Je n'avais plus de raisons apparentes de rentrer dans mon bungalow et, même si la fête était loin de me plaire, je devais dire que je n'étais pas spécialement mécontent de passer du temps avec elles deux. Bien que de les savoir dans le même mètre carré était... étrange. Comme une faille spatio-temporelle qui n'aurait jamais dû exister.

《 J'imagine qu'ils ont mis un buffet, non ? Ça vous va ? Y a des fêtes comme ça au ... au ... 》 J'avais tourné la tête vers là où je pensais que Théa se trouvait tout en priant que ma théorie sur les sorcières soit juste et que June me vienne en aide. 《 Là le.. enfin, là où tu vis, Théa ? 》

L’empreinte de ses doigts hanté sa mâchoire tandis que Clayton risquait un coup d’œil, hochant doucement la tête en trouvant la description dans la foule. Pourris-lui sa soirée. Sa mine surprise se planta sur Ava.

Ils étaient plongés dans cette bulle de confort qu’il ne voulait pas percer avec des mots. Proche, plus proche que nécessaire. Clayton l’admira une poignée de secondes supplémentaires, pensif. Qu’Ava lui fasse cette requête, lui demande de l’aide - spécialement pour sa mère - gonfler sa poitrine de considération. Ça lui faisait plaisir qu’elle lui accorde cette confiance.

“D’accord.” Un grand sourire envahit son visage, ses yeux pétillant. La mission était pile dans ses cordes après tout. Clayton fit demi-tour sans plus de fioriture, sa cape suivant dramatiquement le mouvement. Il ne s’éloigna que de quelques pas avant de pivoter pour pointer Ava du doigt. “Je te dirais mon prix en revenant”.

Après un crochet au buffet pour attraper une coupe de champagne, il se rapprocha de sa cible tel un prédateur chassant une proie.

« D’accord. »

Ava n’arrivait pas à détacher son regard des yeux pétillants de Clayton. Une part d’elle aurait aimé qu’il ne s’éloigne pas d’elle juste pour qu’elle ait de noter chacun des détails de ces iris. En réalisant l’absurdité de sa pensée, Ava se força à détourner le regard mais Clayton était déjà parti. Elle le regarda s’éloigner, puis se rapprocher à nouveau en la pointant du doigt.

« Je te dirais mon prix en revenant. »

Ava leva les yeux au ciel mais un sourire amusé s’étira tout le long son visage sans qu’elle ne puisse le contrôler. Elle l’effaça bien rapidement avant de retourner se dissimuler à l’ombre d’un arbre. De là, elle pouvait tout voir et tout juger. C’était un endroit absolument parfait.

« Ça vous ressemble bien, c'est cool. J'aurais peut-être dû en choisir un aussi. »

June plissa légèrement le nez. Ça vous ressemble bien avait-il dit comme s’il validait l’idée qu’elle avait un déguisement. Puis elle essaya d’imaginer quel genre de costume le sang-mêlé aurait pu choisir. Le connaissant, ça aurait été quelque chose « regardez, un type normal » ou « olalala, je suis un pensionnaire ». Non, définitivement, il n’aurait jamais mis de costume même s’il en avait eu l’occasion.

« J'imagine qu'ils ont mis un buffet, non ? Ça vous va ? Y a des fêtes comme ça au ... au ... Là le.. enfin, là où tu vis, Théa ? »

Un sourire amusé s’étira sur les lèvres de June. Elle regarda Kleman bégayer et Thea le fixer avec un peu d’amusement et beaucoup de confusion.

« La Nouvelle-Rome, tu veux dire ? »

« Ça vous ressemble bien, c'est cool. J'aurais peut-être dû en choisir un aussi. »

Kleman n’était pas du genre à se déguiser mais Thea se plaisait à l’imaginer en superhéros aussi. Pas quelque chose d’aussi claquant que Superman ou Spiderman – même si celui-ci lui irait à ravir – mais plus du genre de Batman.

« J'imagine qu'ils ont mis un buffet, non ? Ça vous va ? Y a des fêtes comme ça au ... au ... Là le.. enfin, là où tu vis, Théa ? »

Thea ne comprit pas tout de suite où Kleman voulait en venir. Est-ce qu’il parlait du Camp Jupiter ? Est-ce qu’il parlait de San Francisco ? De sa maison ? Finalement, June développa et Thea fut amusé de la réaction de Kleman.

« Pas vraiment non. Parfois pour des grandes occasions comme le Nouvel An, Halloween ou Noël, mais c’est tout. Thea fit une pause avant d’ajouter : On va au buffet du coup ? Tu veux… ? »

Thea tendit son bras timidement. Peut-être préférait-il June, étant plus habituée à elle mais la Chasseresse ne fit aucun mouvement pour venir en aide à Kleman. Peut-être voudrait-il marcher tout seul ? Ou prendre leurs deux bras ? Non, ce serait bizarre.

Putain, June lisait vraiment dans les pensées ! Est-ce que ça voulait dire qu'elle m'avait déjà espionné par le passé ? Est-ce que c'était comme ça qu'elle avait entendu le prénom de Théa la première fois lorsqu'on était à son camp ? Il faudra qu'on ait une petite discussion à ce sujet lorsque nous serons à nouveau seuls parce que sans juger ses capacités, j'étais moyennement chaud à l'idée qu'elle puisse avoir un full accès à mon cerveau comme ça.

Mais au moins, je ne passais pas trop pour un abruti auprès de Théa. La Nouvelle-Rome. Il s'agirait que je m'en souvienne si je ne voulais pas que Théa pense que je ne m'intéressais pas à elle. Après, peut-être était-il envisageable de visiter cette fameuse ville ? Quoi que... Si les Grecs n'étaient pas trop regardants sur les bords, les Romains avaient l'air de filer droit dans tous les sens du terme. Il serait sûrement autrement plus complexe de m'y introduire comparé à la Colonie. Même si Théa pouvait me servir de garante, je doutais que cette fausse histoire de "fils de Tyché" passe dans ce camp-là. Et je me sentais moyennement chaud de forcer le passage dans un endroit inconnu sans voir à qui j'allais avoir à faire. Mais chaque chose en son temps. Si ça se trouvait, Théa n'avait même pas la moindre envie de me faire visiter ou me ramener dans sa vie. Après tant de temps et de changements, je ne pouvais pas lui en vouloir. Hm, si, je pouvais, mais je n'en avais pas envie.

« On va au buffet du coup ? Tu veux… ? »

J'avais hoché la tête pour marquer mon approbation. Rester plantés à l'entrée de la clairière finirait par être suspect et ramener des curieux croyant bien faire.
Au Camp des Chasseresses, June et moi avions pris l'habitude qu'elle me tende son bras juste devant moi pour se déplacer. Ça avait été plus que gênant au début, mais nécessaire à moins d'apprécier particulièrement se prendre des arbres dans la tronche et des pierres sur les petits doigts de pieds. Mais j'avais été assez clair avant de revenir ici. Je ne voulais pas en parler aux autres, je ne voulais pas que ça se sache et, si déjà passer du temps avec la sorcière faisait jaser, alors lui tenir le bras pour marcher était l'équivalent de donner une interview au Satyre Déchaîné pour tout déballer. Je comptais plutôt sur ma débrouille, repérer les voix et essayer de marcher le plus prudemment et le moins en zigzag possible. Mais je n'avais pas eu le temps de briefer Théa à ce sujet. Déjà qu'elle et cet empoté de Clément étaient au courant, je comptais sur leur discrétion et tout particulièrement celle du triple idiot.
Tentant d'être le plus naturel possible, je lui indiquais de prendre la tête du cortège.

《 Vas-y vas-y, je t'en prie. Ici, il y en a tous les soirs. Les enfants d'Apollon sont incapables de passer une seule soirée sans chanter ou déclamer des poèmes à deux balles jusqu'à une heure du matin. Mais heureusement, on est pas obligés d'y assister, sinon tu imagines bien que j'aurais déjà fui depuis longtemps haha. Si c'est comme la Rome de l'antiquité, vous avez des arènes avec des gladiateurs tout ça tout ça ? 》

J'étais décidément pas doué pour faire la conversation, j'imaginais bien June pouffer de rire mentalement devant mes pathétiques tentatives. Si tu m'écoutes, aide-moi au lieu de te foutre de ma gueule hein !

Clayton admira le regard meurtrier de la grande dame - c’était donc un truc de famille. Grande dame au costard noir d’une grande élégance désormais recouvert de terre et d’herbe. L’épaule de Clayton venait malencontreusement de la percuter de plein fouet. Un tragique accident.

“Mince, je suis vraiment désolé”. Clayton avait parlé assez fort pour être entendu depuis la plage. Son ton était penaud. Même son visage ne pouvait le trahir, ayant reflété une neutralité digne d’Ava. Seuls ses yeux ne pouvaient mentir, tout deux luisant d’amusement.

“Laissez-moi vous aider.” Le jeune homme tendit sa main libre d’un geste chevaleresque. Un véritable gentleman en cape de renard. La blonde hésita un instant, les yeux plissés de suspicion, avant de glisser ses doigts fins contre sa paume.

Alors Clayton tira fermement, ramenant la mère d’Ava sur la terre ferme tandis que sa coupe de champagne se vidait entièrement dans son décolleté. Décidément. Quelle maladresse. Le visage de l'inconnue se tordit de fureur et Clayton dut se faire violence pour ne pas s’effondrer de rire au milieu de la clairière.

Ava se délecta de toutes les fraques qu’enchaînaient Clayton. Elle connaissait sa mère par cœur. Elle lisait son visage comme un livre ouvert. Elle frissonnait malgré elle en voyant ses sourcils se froissés, sa bouche se pincer. Ava chassa du mieux qu’elle pouvait les images de son enfance pour se concentrer sur le plaisir de voir la tenue d’Aurore tâchée, ses cheveux décoiffés et sa mine enragée-mais-on-fait-semblant-en-public-quand-même.

Ava n’entendait pas ce que Clayton lui disait mais plusieurs regards se tournaient vers eux. Il y avait des visages indifférents, juste intrigués par le bruit. Des visages effarés qui fixaient Aurore avec mépris. Des visages compatissants qui fixaient Clayton. Certains firent même un pas vers l’enfant dans une vaine tentative de venir en aide au malotru qui se faisait malmener par Aurore Crimson.

Ava ne s’en rendit compte qu’une fois que Clayton s’éloigna de sa mère mais tout son corps était tendu. De sa mâchoire jusqu’à ses orteils, en passant par ce pauvre gobelet entre ses mains qui laissait maintenant fuiter son contenu sur le sol tant Ava l’avait serré. Et si Aurore avait utilisé son enjôlement ? Et si Clayton l’avait trahie ? Et si Aurore savait que Clayton la connaissait ? Tant de questions qu’Ava essayait de chasser en voyant Clayton faire un grand détour pour la rejoindre. Quant à Aurore, elle quitta la soirée sans un regard pour personne, prétextant une urgence quelconque.

Elle qui adorait les soirées.
Dommage.

Kleman ne prit pas son bras ce qui fit lever les yeux au ciel de Thea. Elle n’avait toujours pas compris pourquoi il s’obstinait à cacher son handicap, pourquoi il voulait absolument faire semblant que tout allait bien quand ce n’était pas le cas. Elle avait envie de le secouer dans tous les sens pour lui expliquer que sa valeur ne dépendait pas de sa capacité à être valide mais Kleman était Kleman. Sa fierté était généralement égale à sa stupidité.

« Vas-y vas-y, je t'en prie. Ici, il y en a tous les soirs. Les enfants d'Apollon sont incapables de passer une seule soirée sans chanter ou déclamer des poèmes à deux balles jusqu'à une heure du matin. Mais heureusement, on est pas obligés d'y assister, sinon tu imagines bien que j'aurais déjà fui depuis longtemps haha. Si c'est comme la Rome de l'antiquité, vous avez des arènes avec des gladiateurs tout ça tout ça ? »

Le trio avançait doucement, simulant de flâner jusqu’au buffet comme si tout était tout à fait normal, comme s’il n’y avait aucune tension entre eux, comme s’ils étaient les meilleurs amis du monde depuis longtemps. La sorcière, la fausse-romaine et l’aveugle.

« Oui, on a un colisée où il y a différents spectacles des anciens comme des modernes. Je trouve que les combats de gladiateur ressemblent un peu trop au catch : tout est faux, on le sait. Sinon ce serait bizarre, aujourd’hui. »

Thea ne savait pas si Kleman s’intéressait vraiment à la Nouvelle-Rome ou s’il cherchait juste un prétexte pour pouvoir suivre sa voix et avoir l’air normal quand il marchait en direction du buffet. Dans le doute, partie sur sa lancée, elle enchaîna :

« Les courses de char sont beaucoup plus impressionnantes et beaucoup plus réelles. C’est beaucoup plus intéressant ! Il y a tout type de courses mais mes préférées sont celles où les pouvoirs sont autorisés, ça fout toujours un bordel fou, c’est incroyable. »