Avant tout ça

Robert Hopper, chef d’équipe de nuit des usines Hopper, a épousé Linda Lowel, jeune avocate prometteuse. C’était le coup de foudre à une soirée de gala organisé par Gregory Parks, le boss de Papa. Puis le compte de fée a continué, ils vécurent heureux et eurent… des jumeaux : [REDACTED] et Olliver Hopper. La famille était comblée. Papa était bizarre.

Je ne me souviens plus exactement de ma petite enfance… cela dit, si je devais parier, je dirais que ça tournait autour d’Olliver. Tout tourne autour d’Olliver. En tout cas, à l’école primaire, c’est vite devenue le cas. J’ai été diagnostiqué.e de dyslexie, pas lui. J’avais les pires notes de ma classe, il était le meilleur. Je me serais débrouillée en sport, sauf que j’étais dispensée de toute activité extérieure : Papa nous a refilé son allergie au soleil.
Le choc

L’école primaire aurait dû être un havre de paix. Pour Olliver, c’était le paradis. Il avait de bonnes notes, des amis, un club, … j’avais Chad Barrington. C’était le seul élève qui s’intéressait à moi, et il ne faisait que me brutaliser. Mon orthophoniste me disait de me concentrer sur mes leçons, maman me disait de me faire des amis et papa… papa voulait que je lui casse le nez. Sauf que j’avais assez de problèmes comme ça, et je voulais pas casser le nez de Chad.

Chad a arrêté d’être mon problème un jour très ensoleillé de mai. J’avais 8 ans, à l’époque. Je devais rester à l’intérieur pendant la récréation, les volets fermés. Je triturais mon pot de crème solaire, boudeuse. Olliver aussi était à l’intérieur, dans sa classe. Mais ses amis restaient là… je ne suis pas Olliver.

Chad a demandé à Madame Frost s’il pouvait rester avec moi, pour pas que je sois seule. Madame Frost croyait pas que Chad était méchant. « Les garçons sont comme ça. Il t’aime bien. », qu’elle disait. Elle était toute contente. J’étais terrifiée.

Comme prévu, Chad a essayé de m’embêter. Je ne savais pas quoi faire. Je me suis éloignée de lui. Les larmes brûlaient dans mes yeux. Chad, à l’époque, ça faisait vraiment peur.

Il a poussé un cri perçant. Son pantalon s’est détrempé. Mes yeux se sont grand ouverts. Mon cœur battait à tout rompe. Chad s’est rué vers la porte. Il essayait de la pousser pour l’ouvrir, alors qu’il fallait tirer. Il la martelait en appelant à l’aide.

Dans la journée, toute l’école savait. C’est ça qui a fait basculer ma vie, et pas seulement parce que je suis devenu la star de l’école primaire.

Madame Frost n’était pas contente, pour Chad. J’avais beau dire que je n’y étais pour rien, elle ne me croyait pas. Je ne savais pas quoi faire, à part répéter la même chose en boucle. Maman est venue me chercher. Papa l’a rejoint à la maison. Ils faisaient les cent pas. Je m’en souviens comme si c’était hier. J’avais l’impression d’avoir détruit leur univers tout entier.

Finalement, papa et maman ont pris rendez-vous avec un pédo-psychiatre, et la vie a repris son cours.

La révélation

J’ai vu mon orthophoniste dans la semaine. Le sujet a été abordé et il m’a écouté, le front plissé, avec son habituelle mine inquiète. A l’époque, je croyais que c’était un vétéran, à cause de ses cicatrices. La vérité m’a frappé beaucoup plus tard…

J’ai cru que le rendez-vous était habituel, sauf qu’il a appelé mes parents, il faut croire. Le lendemain, maman nous a cherché à l’école, furieuse. Ça aussi, je m’en souviens très bien.

« [REDACTED], il faut qu’on parle avec ton père. » Elle m’a jeté un regard noir.

En fait, Linda Hopper, l’épouse de mon père, n’était pas ma mère. Mon père me l’a raconté ce soir-là. Il m’a dit qu’il me l’a caché pour me protéger. « Le savoir les attire ». C’est mon orthophoniste qui l’a encouragé à se taire. Quelque chose entre nous n’était plus pareil, quand je l’ai su. C’était comme s’il avait retenu en otage une partie de moi.

Finalement, j’ai appris que papa a rencontré maman a un groupe de soutient. C’était un truc pour les gens malade. Elle l’a abordé en disant un truc du genre « Le soleil craint grave. Il est trop prétentieux. », je crois. En tout cas, elle et papa ont une aventure… et voilà.

Il a été décidé que je finirais l’année scolaire avant toute chose. L’éducation, selon papa, c’est le plus important. Olliver a dit que, au vu de ce que j’apprenais, ça ne servait à rien. Il a été privé de sa console pendant trois jours.

La colonie

Quelque chose, dans mon ventre, me disait que ça allait être nul, là-bas. Je m’attendais à que ce soit comme d’habitude, à ne pas me faire d’ami. C’est papa qui m’a déposé, avec mon orthophoniste, au crépuscule.

« Tu verras. » M’a dit mon orthophoniste. « C’est un original, mais il y a pas mieux. »

Je ne l’ai pas cru, mais j’avais tort. Tout le monde m’a accueilli à bras ouverts. J’étais leur protégé, un des leur, quelqu’un qui compte. Et surtout, ma mère m’a reconnue de suite. [REDACTED] Hopper, enfant de Nyx. Toutes les pièces de ma vie se sont emboîtées d’un coup, comme par magie. Ils avaient tort et j’avais raison. Ce que je ressentais, au fond de moi, tout était vrai.

J’ai passé mon neuvième anniversaire là-bas, à la fin du mois de juillet. Je me suis aussi fait plein d’amis. On m’a présenté à la cabine d’Athéna, pour mes devoirs. Les enfants d’Ephaistos ont adoré l’idée de travailler sur mon parasol. Il y a même un enfant d’Hypnos qui n’arrêtait pas de m’appeler « Tatie Hopper ». Je me sentais chez moi.

La fin de ce premier été a été l’évènement le plus déchirant de ma vie. En tout cas, c’est que je pensais à l’époque, parce que depuis…

Heureusement, j’y suis retourné l’été suivant. Maman, enfin Linda, a décidé de passer les étés « avec son fils ». Je sais que ça paraît méchant, comme ça, mais elle me traitait comme son enfant tout le reste du temps. Et puis, je sais pas comment je l’aurais pris, à sa place.

Le tortionnaire

Je pensais avoir atteint une certaine routine dans ma vie. Mes notes s’amélioraient grâce aux conseils des enfants d’Athéna et j’attendais l’été avec de plus en plus d’impatience. J’ai reçu mon parasol modifié de mon meilleur ami de camp, Landry Ewing, enfant d’Ephaistos. Je m’améliorais aux entraînements, aussi.

J’avais dix ans quand le labyrinthe a fait des siennes. J’étais terrifiée, et sans doute à raison. Avec mon neveu de chez Hypnos, on a passé notre temps blottis l’un avec l’autre, à essayer de se rassurer. Parfois, il fallait se battre. Parfois, Landry devait réparer mon parasol. Parfois, un ami tombait des mains de l’ennemi. C’était horrible.

C’est pendant cette période que j’ai appris ma non-binarité. Ce contact avec Rome, avec les autres, ça a forcé un questionnement. Tous les dieux sont deux. Je suis deux. Mais je suis un. J’ai arrêté de me faire appeler [REDACTED]. Je suis devenu Drew. Mon neveu m’appelait « maon tancle » très naturellement. Cette découverte, et l’amour qui l’a accompagné, a été ma bouée dans ces temps difficiles.

Quand tout s’est fini, j’étais reconnaissante envers l’univers d’être en vie, que mon neveu et Landry le soient, que les autres le soient. J’avais quatorze ans. Mon espoir a failli s’éteindre mais, comme chaque fois, je l’ai rallumé. Pour vivre la nuit, on doit être sa propre lumière.

La quête

Se relever a pris du temps. A quoi servir, quand on ne peut que faire peur ? J’ai appris à faire de l’ombre. Il paraît que ça a aidé mes camarades. Pendant longtemps, je n’y croyais pas. Je sais que je leur faisais peur, pour beaucoup… mais je voulais croire. J’ai toujours voulu croire. Il suffit se suivre, de s’écouter, de s’aimer, d’aimer.

Landry a reçu cette quête. Il m’a choisi. Tout mon bungallow était ravi. Ils m’ont offert ma petite rave party en cadeau. « Elle te ressemble », c’est ça qu’ils ont dit. J’avais 15 ans. Je devais m’être relevée. Je m’étais relevée. On allait mieux. Tout allait mieux. Tout irait bien. Je voulais y croire, je devais y croire. Comment j’aurais pu savoir ? Ce n’est pas ma faute. Ce n’est pas moi. On était plusieurs. Ça aurait pu…

Mon neveu est parti avec Landry et moi. Une autre équipe est partie en même temps que nous, pour une quête à côté. Un de mes profs préférés du bungallow d’Athéna était là. Elle avait décidé que j’étais saon petit.e adelphe. Je l’adorais. C’était ma grande sœur, bien plus de ma famille qu’Olliver ne le serait jamais. On était deux dream team, nous contre le monde, et le monde n’avait qu’à bien se tenir. Comment ne pas y croire ?

Quand nos groupes se sont séparés, tout allait bien. J’avais confiance, ils croyaient en nous. Les étapes se suivaient et, malgré les difficultés, on s’en sortait à merveille.

Landry a disparu.

La quête s’est effondrée sous nos pieds. L’autre équipe nous a rejoint, à la fin de leur quête. J’étais brûlée de partout, par le soleil. Je n’avais plus de crème. Mon neveu d’Hypnos a été blessé… le genre de blessures qui ne guérissent pas. C’était comme mettre les pieds aux enfers, enfin j’imagine.

Quand on a enfin fini, j’ai été enfermée à l’infirmerie jusqu’à la fin de l’été. Mon neveu m’a rendu visite. Je me souviens m’être excusée, pour sa condition. Il a secoué la tête. « J’étais avec lui, Drew. J’étais avec Colin, avec Kade, avec Merry. » Il a pleuré, moi aussi. J’ai serré mon ombrelle contre moi. Jamais plus sans elle… je pensais jamais plus l’un sans l’autre, aussi.

Présent


Papa m’a serré contre lui. Maman l’a écartée et m’a écrasée dans ses bras. « Je t’interdis de mourir, tu m’entends ? » Elle m’a embrassé le front et a pleuré dans mes bras. Après ça, on s’est expliqué sur mon premier été. Elle s’est excusée des millions de fois. Elle a dit qu’on lui avait arraché une partie d’elle, quand on lui a dit que quelque chose s’était passé à la quête. Je me suis accrochée à ça. Elle m’a proposé de manquer une année pour remettre, j’ai refusé. « Les études, c’est important. ». J’aurais dû veiller sur mes amis, voir ce qu’ils en pensaient… On ne peut pas réécrire l’histoire.

Olliver était insupportable mais, cette fois, personne ne le laissait faire. Maman a raconté qu’un ami de colonie était mort. C’était sans doute vrai. Elle m’a offert un petit projecteur, une veilleuse qui envoie les photos de mes amis de la colonie, de tous ceux qui ne seront plus jamais avec nous. Je l’ai toujours avec moi. Papa a arrêté de me comparer à qui que ce soit.

Le temps guérit toutes les blessures. Parfois, la seule lumière dans les ténèbres, c’est la nôtre. Parfois, c’est l’étreinte d’une femme pour qui ont est de sa famille, sans être de son sang. Parfois, c’est un peu de tout. Je me suis remise sur pied. J’étais prête pour un autre été. Ma positivité était rechargée et j’étais prête à donner mon soleil nocturne à tout le monde. Un autre été allait commencer.