J'avais sursauté comme un diable en sentant une présence tout proche de mon bras. Heureusement, ou malheureusement selon les points de vue, c'était la voix de Théa qui accompagnait cette minie frayeur. Je ne l'avais pas entendue s'approcher avec les bruits des pensionnaires tout autour.

《 Je sais même pas à quoi il ressemble, j'ai pris au pif dans le panier. Est-ce que les gens sont au moins déguisés ? 》 Je n'avais pas, en plus de tout le reste, envie de passer pour un idiot en arborant un masque au milieu des autres grecs parfaitement bien habillés. Ce n'était pas la honte qui allait me tuer, mais disons qu'elle avait des arguments de taille pour me donner envie de quitter le plan terrestre asta pronto (ou quelque chose du genre).

La réponse ne s'était pas faite attendre accompagnée d'un long, très long, frisson dans mon dos. Je m'étais légèrement écarté. Quelques années plus tôt et des yeux, je n'aurais pas eu le moindre problème à ce qu'elle me parle si proche de mon oreille. Mais là, c'était juste... bizarre.
Ajouté à cela, l'image qu'elle venait d'implanter dans ma tête et le combo avait de quoi donner envie de reprendre mon plan initial de me casser d'ici, vite fait bien fait. Mais Théa était venue, elle était là et elle me parlait. C'était amplement suffisant pour qu'une part de moi se révolte et saisisse cette chance pour ne pas plomber l'ambiance.

《 Déjà, t'as pas vu le mien alors tu peux pas juger et, me fait pas croire que tu n'as pas choisi exactement le même costume, hein ? 》

Meh. Je devais être un peu rouillé en matière de communication "non-violente et agréable".

Erwin manqua de s'étouffer avec son verre quand Alexis affirma qu'elle ne savait sans doute plus tenir une épée. Heureusement, ils se trouvaient dans une forêt. Le fils de Poseidon n'eut aucun mal à trouver un bout de bois au sol, à moitié caché par la table (aussi bien caché que les poussières qu'on tente de dissimuler sous le tapis quand on balaie). Il s'en saisit et le lança sans sommation vers Alexis.

"Réflexe ?"

La demi-déesse attrapa le bâton au vol, sa main se positionnant dessus comme sur le manche d'une arme, la pointe de bois tendue en avant comme prête à se battre. Erwin arqua un sourcil et recommença à siroter sa boisson d'un air satisfait.

"Je me disais aussi que le maniement de l'épée devait être inscrit quelque part dans tes gênes. Une intuition, je sais pas, j'ai déjà vu des enfants d'Arès faire un duel pour savoir s'ils pouvaient rentrer dans leur bungalow, c'est peut-être pour ça."

Alexis joua le jeu. Sans doute était-elle en train de sourire sous son masque porcin. Elle se rua vers le fils de Poseidon, bâton armé, en imitant un gris de guerre digne d'un viking. Erwin esquiva le coup d'un mouvement de ventre surpris (un de ces mouvements qu'on ne se sait pas capable d'effectuer jusqu'à ce que le cerveau reptilien prenne le dessus, vous voyez).

Chpoc.

L'aileron en carton-mousse ramassa une pile de quiches miniatures sur son passage avant de les envoyer au sol. Erwin n'osa plus bouger en regardant les pauvres victimes collatérales de leur jeu enfantin.

"Et merde."

Ava-May Crimson, que me vaut le plaisir ? Il y avait des inflexions dans la voix de Clayton qu’Ava ne lui connaissait pas. Il y avait dans leur façon de se tenir et de s’exprimer quelque chose hors du temps, quelque chose de féerique. Ava se délectait de cette dynamique entre eux, savourant chacun de leurs mouvements, aussi infimes soient-ils : Clayton qui se penchait vers elle, le léger sourire aux coins des lèvres d’Ava, leurs regards qui se cherchaient mutuellement.

Ava se pencha un peu plus avant jusqu’à que ses lèvres effleurent les cheveux de Clayton. Avait-il changé de shampooing ? L’odeur chatouilla délicieusement les narines d’Ava qui dû se faire violence pour se rappeler la raison de sa venue.

« La femme près de la scène. Blonde, grande, un masque en dentelle et un costard noir. Ava attrapa le menton de Clayton avant qu’il ne regarde trop brusquement dans cette direction. Sois discret, Haynes. Ava relâcha Clayton et radoucit sa voix : Il s’agit de ma mère. Pourris-lui sa soirée. »

« Déjà, t'as pas vu le mien alors tu peux pas juger et, me fait pas croire que tu n'as pas choisi exactement le même costume, hein ? »

Thea leva les yeux au ciel. Le lien entre eux était tenu mais tenait bon, pour l’instant. Leurs échanges étaient presque naturels. Une image frappa Thea à cet instant : celle de l’art japonais qui consistait à réparer les vases cassés en mettant en avant leurs fêlures. Il y avait de ça, dans leur relation, aujourd’hui. Ce n’était ni tout à fait comme avant, ni tout à fait quelque chose de différent.

«  Tu m’as eu. Je suis effectivement complètement nue, comme tout le monde ici. On t’a pas dit que costumé ici, ça veut dire naturiste ? Dépêche-toi d’enlever tes vêtements, tout le monde nous regarde, c’est un peu la honte. »

Thea ne tenta pas une nouvelle fois de se rapprocher de Kleman pour lui faire une tape amicale ou un quelconque geste dans sa direction. Elle avait bien compris qu’il désirait maintenir une certaine distance. Thea tenta de tout son coeur de ne pas s’en formaliser.

Réflexe ? Le mot avait à peine eu le temps de sortir de la bouche d’Erwin qu’Alexis tenait déjà un bâton dans ses mains comme s’il s’agissait de la plus meurtrière des armes. Trahie par son propre corps, songea-t-elle, à la fois dépitée mais fascinée par ses réflexes.

« Je me disais aussi que le maniement de l'épée devait être inscrit quelque part dans tes gênes. Une intuition, je sais pas, j'ai déjà vu des enfants d'Arès faire un duel pour savoir s'ils pouvaient rentrer dans leur bungalow, c'est peut-être pour ça. »

Alexis fronça le nez en faisant une grimace agacée - qu’hélas, personne ne pouvait remarquer finalement. Puisqu’elle n’était qu’une guerrière brutale incapable de faire taire ses instincts primitifs, Alexis chargea Erwin. N’était-elle pas un sanglier, de toute façon, ce soir ?

Son coup ne fit pas mouche mais cela n’empêcha pas à Erwin de faire ce qu’on appelle dans le milieu une Erwin. C’est-à-dire quelque chose d’à la fois impressionnant dans la forme mais terrible dans le fond : une esquive d’une agilité incroyable suivie par la chute terrible de petites quiches.

Et merde. Alexis et Erwin restèrent un instant interdit devant cette terrible vision : de la nourriture, à même le sol. Quelques regards convergèrent sur eux alors Alexis saisit la main d’Erwin et l’attira pour partir discrètement (ou pas) loin de cette scène de crime. Une fois à l’abri sous des arbres, la fille d’Arès pencha sa tête porcine sur le côté.

« Le maniement des armes est à moi ce que les catastrophes sont à toi, Erwin Stamber. »

Alexis disait cela avec l’audace d’un sanglier ignorant tout des fois où c’était non pas Erwin qui enchaînait les maladresses, mais bien elle. Alexis porta sa paille à son groin et aspira bruyamment le reste de son cocktail tout en jugeant Erwin de ses petits yeux perçants.

"Le maniement des armes est à moi ce que les catastrophes sont à toi, Erwin Stamber."

Le fils de Poseidon ne put s'empêcher de sourire bêtement en se laissant entraîner plus loin par Alexis. S'ils étaient restés là, nul doute que les regards indignés se seraient tournés vers eux et le résultat de ce crime odieux : les quiches écrasées au sol. Mais une fois à l'écart du buffet, les sang-mêlé présents au bal ne semblèrent plus les remarquer. Pourtant, ce n'était pas le boucan que faisait la fille d'Arès en aspirant le fond de son verre comme une enfant qui les rendait très discrets.

"Si tu me rendais pas fou amoureux, je suis pas sûr que je te qualifierais de particulièrement sexy, là tout de suite."

Sous le masque de sanglier, Erwin devina un air indigné en train de se peindre sur le visage d'Alexis. Il attrapa la demi-déesse dans ses bras et parvint à glisser son nez à travers la fourrure qu'elle portait sur ses épaules pour atteindre son cou et y déposer ses lèvres.

"Mais bon, comme je te connais, impossible de résister à ton charme, mon petit marcassin."

La fille d'Arès fit mine de protester et, au bout de quelques minutes de chamaillerie et une nouvelle catastrophe évitée de justesse, Erwin se sentit désoeuvré au milieu de ce bal masqué.

"Est-ce que mon sanglier préféré accepterait de faire une balade sur la plage avec moi ? On peut faire une razzia au buffet avant, si tu veux."

Pour quelqu’un qui n’avait nullement l’intention de venir au Club Mydh, June s’y retrouvait pour la troisième fois. La première fois, c’était par curiosité. La seconde, par accident. Mais la troisième ? Ah, pour la troisième, June n’avait aucune excuse. Thea était une jeune femme intrigante qui savait mener son monde à la baguette. La Chasseresse n’avait croisé la sang-mêlé que trois fois depuis le début de l’été et elle était déjà prête à combattre les dieux si quoique ce soit arrivait à l’adolescente. C’était un sentiment absolument répugnant.

June fit juste assez d’effort pour qu’on ne la reconnaisse pas à la fête – elle avait une réputation après tout – en quittant sa tenue de Chasseresse au profit d’une robe longue noire que les jeunes d’aujourd’hui pourraient qualifier de witchy, mais sans donner trop le change non plus car elle avait choisi un loup à l’entrée de la clairière – elle n’avait clairement pas la patience de ceux qui venaient déguisés. Le masque choisi était noir et dissimulait de ses sourcils jusqu’à ses joues.

June n’eut aucun mal à retrouver Kleman et Thea puisque ces derniers avaient des déguisements qui hurlaient leurs personnalités. Thea était une sorte de superhéroïne et Kleman était une sorte de super-Kleman-forcé-d’être-là. Un sourire amusé s’étira sur les lèvres de June avant de s’évanouir sous l’impassibilité lorsque Thea la remarqua. June s’approcha d’eux mais se fit couper la route par un… un homme nu ? Elle partagea un regard entendu avec Thea avant de franchir les quelques pas qui les séparaient.

« Je rêve ou il y a un homme nu ? Puis en se tournant vers Kleman, elle ajouta : En voilà qui a l’air absolument ravi d’être ici. »

« Est-ce que mon sanglier préféré accepterait de faire une balade sur la plage avec moi ? On peut faire une razzia au buffet avant, si tu veux. »

Alexis hocha la tête vivement puis se dirigea joyeusement vers le buffet. Ce bal ne correspondait pas vraiment aux idéaux d’Alexis – il y avait du monde et elle commençait à avoir chaud sous son masque. Elle décida donc de glisser tout un tas de friandises dans ses poches et leva son masque pour « prendre un casse-croute » (il n’était pas prévu pour manger, seulement pour boire). Puis, elle retrouva Erwin deux-trois minutes plus tard et ils s’éclipsèrent discrètement du bal. Alexis remonta son masque sur le haut de sa tête et alterna entre mini-quiches, tomates cerises et, de temps en temps, des petits baisers pour Erwin. Bientôt, le calme étouffa les bruits et Alexis savoura l’air frais qui glissait sur sa peau.

Je remerciais intérieurement Théa de ne pas me laisser nager tout seul dans mon embarras et de m'y rejoindre sans faire de commentaire. Il n'était pas difficile de sentir les légères frictions dans l'air, les ajustements entre nous deux à la fois volontaires, hésitants et emplis d'espoirs. Nous marchions tout deux sur des œufs sans vraiment connaître les répercussions d'une potentielle omelette. Je crois que la savoir à la fois juste à côté de moi et si loin de celle dont je me souvenais, après avoir mis tant d'énergie à la retrouver, la possibilité de la faire fuir avec un mot de travers me hantait.

« Je rêve ou il y a un homme nu ? En voilà qui a l’air absolument ravi d’être ici. »

Cette voix n'était pas celle de Théa et encore une fois, je sursautais de ne pas avoir entendu la Chasseresse s'approcher. Par contre, était-ce moi ou était-il légitime de se poser la question de savoir ce qu'elle pouvait bien ficher ici celle-là ? L'idée que June s'approche de Théa, la connaisse ou lui adresse la parole me mettait indéniablement mal à l'aise. Et cela signifiait qu'elle s'était costumée ?

《 J'aurais été ravi si je pouvais voir ton super costume. 》 Ma voix avait été un peu plus sèche que je ne l'aurais voulu. 《 Le tien aussi Théa. 》 avais-je rajouté pour dissiper la gêne, n'en créant que d'avantage 《 Et c'est qui ce type qui se balade à poil ? C'est pas genre interdit ici ? 》

« J'aurais été ravi si je pouvais voir ton super costume. Le tien aussi Théa. »

Kleman qui n’était déjà pas à l’aise avant l’était en moins maintenant que June les avait rejoint. Thea avait l’impression d’avoir face à elle un adolescent boudeur qui avait été forcé d’être là sous peine de voir sa console confisquée. C’était à la fois amusant et un peu triste. Elle aimait voir son meilleur ami grognon mais elle n’aimait pas quand c’était dirigé en partie vers elle.

« Et c'est qui ce type qui se balade à poil ? C'est pas genre interdit ici ? »

Thea haussa les épaules puis détourna son attention de Kleman et June afin de scruter autour d’elle. Elle retrouva bien rapidement la trace de l’homme-nu puisqu’il était toujours au niveau du buffet. Elle analysa à voix haute ce qu’elle voyait :

« Alors, je crois pas qu’il soit nu. Je vois des feuilles au niveau de… de sa bite, quoi. Et de ses yeux. Il est déguisé en… en Adam ? »

Plus elle observait cet homme, plus le dégoût se peignait sur le visage de Thea. Elle arrêta d’observer le bougre et reporta son attention sur Kleman et June.

« June est déguisée en sorcière. Et moi en superhéroïne. »