Iris Stamber était une jeune femme passionnée. Elle avait étudié l’Histoire et s’était spécialisée dans l’Antiquité. Son métier de guide touristique dans la ville paradisiaque de Fira, où elle avait la chance d’avoir hérité d’une petite maison, lui offrait chaque jour de nouvelles occasions de partager son savoir et de nombreuses anecdotes mythologiques qui rencontraient toujours un franc succès. Le public n’était jamais rassasié quand il s’agissait de parler des dieux grecs.

Le goût d’Iris pour les histoires allait dans les deux sens : elle aimait en raconter mais aussi et surtout en écouter. C’était, sans aucun doute, ce qui avait dû la charmer chez cet homme rencontré un soir sur la plage. Personne, à la connaissance d’Iris, ne parlait aussi bien de mythologie. Quand il parlait d’Hadès, d’Aphrodite ou encore d’Hephaïstos, c’était comme s’il les connaissait. Iris aimait croire que les divinités grecques n’étaient pas que les personnages de vieilles légendes, mais avec cet homme, les histoires prenaient vie. Elles emportèrent Iris jusqu’au bout de la nuit. Le lendemain, alors qu’elle aidait Cyrilla, une vieille vendeuse, dans la boutique de souvenirs où elle comblait ses fins de journée, le jeune conteur réapparut et proposa à Iris une nouvelle soirée qu’elle ne put qu’accepter.

Ce soir-là, Iris s’endormit dans les bras de cet homme comme un enfant s’endort dans les bras de sa mère qui lui conte une énième histoire. Elle se réveilla seule.

…

Depuis sa naissance, Erwin n’avait jamais eu le sentiment de manquer d’un père. Iris était attentive aux moindres besoins de son fils et s’occupait de lui sans montrer une quelconque trace de fatigue. On ne pouvait pourtant pas dire que sa progéniture était un petit garçon calme et discret… Erwin avait hérité de sa mère une énergie débordante et une bonne humeur à toute épreuve.

« Erwin ! C’est l’heure du bain ! »

Alors que d’autres enfants auraient probablement dépensé leur énergie à courir tout nu dans les couloirs pour éviter cette heure fatidique, il ne fallait rien de plus à Erwin que la voix de sa mère pour plonger presque immédiatement dans la baignoire. Si Iris ne le sortait pas elle-même de son bain, son fils aurait pu y passer des semaines. Peu importe la température de l’eau. Erwin adorait barboter… et déclencher des tsunamis. En avant, en arrière, en avant, les vagues se formaient en quelques secondes et le Capitaine Stamber prenait le contrôle tantôt d’un impressionnant vaisseau de la flotte grecque, tantôt d’une barque de fortune à deux doigts de chavirer. Son imagination – sûrement héritée de son père, aurait dit Iris – l’emportait tous les soirs à travers les sept mers. A neuf ans, le jeune garçon était assez grand pour comprendre qu’il devrait lui-même passer la serpillère après avoir fait des bêtises. Pourtant, ce soir n’échappait pas à la règle. Erwin se mit à faire des vagues, de plus en plus grandes. Elles s’éloignaient de lui puis revenaient le heurter en une pluie d’éclaboussures tièdes avant de s’en aller de nouveau, prendre leur élan, revenir de plus belle et
Elles se figèrent.

Comme s’il s’agissait d’une mer d’acier liquide et qu’Erwin avait été un énorme aimant, l’eau restait collée contre le petit garçon qui se mit à hurler de surprise. Iris ne mit pas plus d’une seconde à dégonder la porte de la salle de bain. Elle eut tout juste le temps de voir ce qui arrivait à son fils que l’eau retomba comme une flaque dans la baignoire. Tandis qu’Erwin n’avait pas la moindre idée du pouvoir qu’il venait de découvrir, sa mère commença à retourner le passé dans sa tête.

…

Après l’école, le jeune garçon se rendait à pied jusqu’à la boutique de la vieille Cyrilla, qui avait de plus en plus de mal à lire les prix sur les étiquettes de ses propres marchandises. Erwin attendait sagement sa mère en aidant la vendeuse à moitié aveugle. Ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était avoir la permission de jouer dans la réserve de la boutique, quand Iris rentrait vraiment tard. Cyrilla fermait le magasin et confiait à Erwin la petite clé qui ouvrait la porte dissimulée derrière le comptoir. « Je te fais confiance, tu me la rends dans une heure même si maman n’est pas là. » Et Erwin hochait la tête à chaque fois, conscient d’avoir dans les mains un trésor inestimable. Ce trésor était-il la clé qui menait à une montagne de bibelots ou la confiance de Cyrilla, il était le seul à le savoir…

Du haut de ses dix ans, Erwin était toujours plus fasciné par les antiquités – majoritairement fausses, mais on n’était pas à l’abri de belles surprises – que renfermait la réserve de Cyrilla. Quand la vieille femme avait commencé à occuper son petit protégé en fouillant dans les cartons, elle ne l’avait évidemment pas laissé seul. Elle avait pris soin de lui interdire tout ce qu’il fallait interdire et il avait pris soin de respecter tout ce qu’elle lui demandait de respecter. A présent, il était suffisamment grand pour qu’elle le laisse jouer seul à l’aventurier dans son bric-à-brac pendant qu’elle allait boire une tasse de thé dans un fauteuil de l’autre côté de la boutique. Erwin était donc seul lorsqu’il fit la plus merveilleuse trouvaille de sa vie d’aventurier : une dague proprement rangée dans un fourreau qui semblait avoir bien vécu, mais qui restait joliment décoré. Il arrivait qu’il trouve des articles isolés, comme celui-ci. Parfois, c’était un reste de marchandise que Cyrilla avait oublié. Parfois, c’était simplement des effets personnels dont la vendeuse n’avait plus l’utilité et qu’elle abandonnait alors au milieu des cartons, sa réserve faisant visiblement office également de grenier. Elle avait certifié à Erwin que, dans ces cas-là, il pouvait repartir avec sa découverte.

…

« - Je veux pas partir ! Pourquoi tu veux pas qu’on reste ? Je veux rester à la maison !
- Erwin, mon chaton, je te l’ai déjà dit. On ne peut pas rester dans notre maison à cause du volcan, elle est trop exposée, et on m’a proposé un nouveau boulot, meilleur, à New York. On va en profiter pour voir ton arrière-grand-père. Et puis l’école est mieux là-bas, tu verras !
- Non ! Je veux pas ! »

Iris avait beau batailler, Erwin n’en démordait pas. Elle avait pourtant accumulé les arguments pour rendre le déménagement plus facile pour lui. Des arguments parmi lesquels aucun n’était la vraie raison de sa décision. Cela faisait déjà plusieurs années qu’Iris ressentait de temps à autre quelque chose d’étrange, comme si elle était observée. Cette sensation s’était faite de plus en plus forte au fil des derniers mois écoulés. Elle s’était attardée dessus afin de comprendre, et elle avait dû admettre que son impression oppressante cessait presque à chaque fois qu’elle n’était pas avec son fils. Elle n’avait cessé de s’informer pour identifier ce malaise, ces images qu’elle croyait percevoir lorsqu’elle était dans une foule, lorsqu’elle était le long de la route, lorsqu’elle tournait le dos… Elle avait fini par conclure que l’idée qui se formait lentement dans son esprit depuis des années n’était peut-être pas si improbable. Et si elle avait raison, il fallait déménager, loin. Très loin.

Alors Iris avait cherché, elle s’était renseignée, avait pensé à New York car son grand-père y vivait encore et elle s’était mise à postuler à distance dans différentes boutiques, dans différents musées… Elle avait enfin reçu une réponse positive à l’un de ses nombreux mails et n’avait pas attendu plus longtemps pour annoncer la nouvelle à Erwin. Elle savait que quitter leur maison semi-troglodyte au bout de Fira serait un déchirement pour son fils. Mais Iris n’avait pas le choix. Elle lui avait expliqué, comme au grand garçon qu’il devenait, qu’on lui avait proposé un nouveau travail, avec de meilleures conditions. Une opportunité qui ne se refusait pas. Puis elle avait tenté de le convaincre en jouant sur l’affect : il allait enfin faire la rencontre de son arrière-grand-père, Anthon Stamber ! Comme Erwin ne voulait rien entendre, elle avait essayé de l’effrayer en lui racontant que le volcan de Santorin était devenu dangereusement actif et que leur maison était bien trop exposée. Finalement, elle avait fait marche arrière en affirmant à Erwin que, pour son propre bien, New York serait bénéfique, qu’il aurait une meilleure scolarité et se ferait de meilleurs amis.

Rien n’y faisait, Erwin ne pouvait se résoudre à voir le panneau « A vendre » accroché à la fenêtre de sa maison. Même si elle ne pouvait pas annuler son déménagement, Iris avait changé ses plans. Elle n’allait pas vendre sa maison, mais la louer. Pour Erwin, cela revenait au même, mais dans le fond, Iris savait qu’il comprendrait, plus tard, qu’elle avait fait ça pour lui.

…

Depuis le hublot de l’avion, Erwin vit s’éloigner la ville. Peu à peu, les maisons devinrent des petits dés, puis de simples points. Les nuages envahirent le ciel, et la Grèce, où Erwin venait de passer ses onze premières années, disparut dans ce brouillard.

…

Erwin conservait un peu de bonheur en regardant sa mère épanouie dans son nouveau travail. Après avoir piétiné quelques semaines entre un job de guide touristique et celui de vendeuse dans un supermarché, « le temps de faire des paperasses », elle avait enfin obtenu son contrat de guide au musée Guggenheim de New York. En parallèle, Iris se nourrissait de documentaires et de livres sur la mythologie. Erwin était persuadé qu’elle planifiait de reprendre des études une fois réellement installée dans la ville. Ou bien elle projetait peut-être d’écrire une thèse, comme elle lui en avait déjà parlé… Il ne savait pas exactement à quoi servaient toutes ces recherches mais, même si cela lui faisait mal de constamment repenser à la Grèce, Erwin ne pouvait nier que voir sa mère rentrer tous les soirs avec le sourire était une petite bouffée d’air dans son propre quotidien. De son côté, la vie newyorkaise ne lui convenait pas du tout. Cette ville était d’une tristesse ! Tout lui semblait trop gris, trop haut, trop bruyant, trop froid. Il voulait la mer, le soleil, les toits bleus, les fleurs et la musique touristique des restaurants en terrasse.

Le peu d’espoir qu’Iris avait mis dans la scolarité de son fils tomba à l’eau également. Erwin ne parlait que peu et mal l’anglais. Il parvint à se faire quelques amis, des relations dans lesquelles il n’était pas énormément impliqué, mais la langue fut pour lui un obstacle bien plus haut que les autres à surmonter. Au bout des quelques mois qui le séparaient des examens finaux, il dut recommencer son année scolaire. Erwin n’était pas résigné pour autant et mit tout en place pour réussir. Il passait ses soirées à revoir par lui-même la matière du jour tandis que sa mère restait plongée dans un nouveau livre sur un énième dieu grec. Il progressa en anglais malgré la difficulté surprenante qu’il avait à le comprendre. Le grec lui avait toujours semblé si facile ! Pourquoi ne pouvait-il pas en être de même pour les autres langues ?

…

Peu de temps après ses quatorze ans, Erwin s’était perdu dans les rues de New York. Il ne connaissait pas ce quartier et n’avait pas fait attention au chemin qu’il empruntait. Le soir tombait. Dans l’obscurité grandissante, Erwin sentait une présence. Une jeune fille s’approcha de lui, puis une autre et encore une autre. Les trois adolescentes ne dirent presque rien à Erwin, elles se contentèrent de lui tourner autour en regardant l’espace noir des rues environnantes. Et le jeune garçon n’osait rien dire, lui non plus. Le silence se faisait pesant. Erwin se rendit compte que plus personne n’arpentait les rues autour de lui. Soudain, l’une des adolescentes, aux cheveux noirs et au regard sévère, lança une lame au loin. Une épée, une flèche ? C’était allé bien trop vite pour le savoir. Mais, quelques mètres plus loin, on entendit un grondement sourd, un gargouillement et, sortant d’une ruelle avoisinante, un monstre infâme se traina au sol. Le regard empli de haine qu’il lança dans sa direction avant de se volatiliser en un tas de poussière donna des frissons à Erwin. Ce dernier se retourna et ne vit plus les jeunes filles qui l’avaient sauvé. Il les chercha un instant, se demandant qui elles étaient, puis s’enfuit jusque chez lui pour se sentir à l’abri.

Le lendemain matin, Erwin fit la connaissance d’un satyre. Il ne remarqua pas tout de suite la nature de cet homme qui vint l’accoster à une centaine de mètres de sa maison. Des types louches, il avait eu l’occasion d’en voir un bon paquet depuis qu’il avait quitté la Grèce, mais ce type-là n’avait pas l’air méchant. Juste bizarre. Pourtant, Erwin ne tenta pas de l’esquiver. Et, lorsque l’homme lui demanda des détails sur l’incident de la veille, lorsqu’il lui parla des divinités, lorsqu’il lui expliqua qu’un camp était conçu pour les enfants comme lui, Erwin le prit au sérieux.

Quand, en rentrant, Erwin fit part de ce qu’il savait à sa mère, celle-ci s’assit calmement. Son regard indiquait qu’elle était troublée, mais pas surprise. Elle lui expliqua que les éléments du puzzle s’étaient mis en place peu à peu depuis plusieurs années. Ave toute la documentation qu’elle avait pu collecter, que ce soit dans les histoires de vieille vendeuse en Grèce, dans les livres des bibliothèques ou dans les archives des musées, Iris avait compris qu’elle avait certainement raison de croire en l’existence des dieux et déesses. Et ce qu’elle voyait, de temps à autre, comme des images fugaces d’une réalité parallèle, ne faisait que la convaincre davantage.

« Ça fait longtemps que je me dis que tu es spécial, mon petit poisson. »

…

Tant qu’il allait encore à l’école, Iris avait accepté qu’Erwin loge à la Colonie durant les périodes de vacances. Elle était consciente des risques qu’elle prenait pour elle et son fils en ne le plaçant pas au camp à temps plein, mais elle ne pouvait se résoudre à se séparer de son unique enfant. Et puis, l’éducation passait avant tout ! Toutefois, la fin de la scolarité fut accueillie avec soulagement tant par Erwin que par sa mère. Au cours des derniers mois de l’année, les monstres s’étaient dévoilés, plusieurs d’entre eux, même s’ils étaient – d’après ce qu’Erwin entendait au camp Half Blood – pour la plupart peu impressionnants, avaient manqué de peu leur attaque. Iris ne tarda pas à accepter qu’Erwin vive à la Colonie pour de bon, lui promettant de faire attention à elle et de lui envoyer des lettres toutes plus gênantes les unes que les autres, comme elle en avait le secret.

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[résumé de l’évolution rp]

Depuis son intégration à la Colonie à temps plein, Erwin a eu l’occasion de vivre beaucoup de choses, en bon vieillard qu’il est. Pas très amateur d’entraînement martial, le demi-dieu s’est d’abord « spécialisé » (car spécialisé est un bien grand mot) en lancer de dague. S’il est devenu si doué, c’est qu’il avait pour motivation de devoir bouger le moins possible et de pouvoir prendre congé dès qu’il le souhaite. C’est seulement depuis sa rencontre avec Alexis qu’il a pris goût à l’effort en matière de combat (ce qui lui a peut-être sauvé la vie plus d’une fois).

Avec la découverte de la Nouvelle-Rome, Erwin s’est empressé de partir à la rencontre des sang-mêlé romains. C’est qu’il reste encore une petite part d’aventurier en lui, il ne faut pas le nier. Le mode de vie à la romaine n’a pas déplu au fils de Poseidon. Avoir un lac presque pour soi tout seul juste parce que la population méprise le dieu de l’eau, ça a de quoi plaire.

C’est durant son séjour au Camp Jupiter, et au bord de « son » lac, qu’Erwin s’est fait endormir et enlever par le Tortionnaire. Le demi-dieu se fit alors enfermer dans une cellule, à l’instar d’autres pauvres âmes telles que lui, pour subir les expérimentations – entendez par là « tortures » - du psychopathe mythologique qui commençait alors son règne de terreur. Heureusement pour le fils de Poseidon, l’équipe de sauvetage arriva relativement tôt, ce qui lui évita de finir complètement cinglé, amnésique ou mutilé, ou même de mourir dans sa cellule. Il en garda tout de même une marque profonde qui, encore aujourd’hui, n’est pas tout à fait guérie.

Avec l’entraînement et la découverte de nouveaux pouvoirs, Erwin devint plus fort. Pas plus doué, cela dit, il y a une nuance. Le Tortionnaire revint bouleverser sa vie à de nombreuses reprises, comme une majorité de sang-mêlé, et lui fit perdre plusieurs connaissances, dont sa meilleure amie.

Après plusieurs allers-retours entre camps grec et romain, ainsi qu’un début de questions existentielles sur son avenir en tant que « vieux » demi-dieu grec, Erwin vit s’achever la construction du quartier Kolonaki et ne tarda pas à s’y installer