Des heures. Des heures passées à marcher dans le noir, les pieds traînant dans la poussière, les mains s'agrippant aux armes pour se rassurer. Samael se tenait sur le qui-vive, prêt à réagir au moindre mouvement. Un peu trop prêt d'ailleurs. Quelques instants plus tôt, il avait failli assommer Erwin en croyant voir une gigantesque araignée qui lui grimpait sur le dos. Une maudite illusion, une de plus. Ses yeux fatigués papillonnaient dans toutes les directions, incapables de se fixer sur un point précis.

Derrière lui, le fils d'Hadès ne disait rien. Devant lui, l'enfant de la mer s'appliquait à marcher droit, sans faire de trop grandes enjambés. Encore devant, la tête blonde de cette foutue chasseresse oscillait. Si elle était inquiète, elle n'en montrait rien, la pseudo-invincible. Et en tête de cortège, Alexis. Ils ne s'étaient pas échangés un mot de plus depuis cet entraînement, quelques mois auparavant. Est-ce qu'il le regrettait ? Pas le moins du monde. Mais était-ce pour autant que ses émotions obéissaient à son paradoxal besoin de solitude ? Non, pas du tout.

Un étrange mélange entre remords et regrets, voilà ce qu'il ressentait vis-à-vis de la cheffe de groupe. Erwin, devant lui, ralentit brutalement. Samael pencha la tête sur le côté pour mieux observer pourquoi ils s'arrêtaient. Janus était intervenu, et leur offrait plusieurs portes. Malheureusement, une seule menait au Tortionnaire, et seule Alexis avait le pouvoir de les mener à bon port. Il renifla en guise de réponse face à l'impatience de la chasseresse, sans pour autant dire quoique ce soit. Si lui aussi perdait ses moyens face à l'attente, il se gardait bien de prononcer un mot quelconque. Les individus réunis étaient tous des loups solitaires, sauf peut-être le fils de Poséidon. L'entente était mince, et leur tolérance respective était faible. Autant économiser leur salive pour parler de ce qui était réellement important.

Alexis fronça les sourcils. Les Sandales qu'elle portait aux pieds, en plus d'être inconfortables, lui donnait l'impression de décider sans elle de la marche à suivre - littéralement. Parfois, ses pieds avançaient d'eux-mêmes et, parfois, comme maintenant, ils se stoppaient net. Alexis scruta l'obscurité remarqua les nombreuses salles qui s'étaient dessinés sous ses yeux.

« Alors ? C'est par où ? »

Alexis porta son attention sur Billie, la jeune Chasseresse qui la talonnait, puis sur ses chaussures. Un courant d'air glacial lui parcourut l'échine et la fit frémir, alors qu'une voix lui indiquait la première porte. Ses chaussures, quant à elle, ne semblaient pas emballer à cette idée sans pour autant la négliger. Le rapport qu'Alexis entretenaient avec ces maudites sandales était loin d'être affectueux.

« Partout et nulle part. C'est comme si toutes les portes étaient les bonnes sans l'être. »

Le Labyrinthe proposait parfois des illusions et de tours que même les Sandales ne pouvaient éviter. Alexis continua de scruter les portes, incapable de prendre une décision toute seule face à un tel piège.

Erwin se sentait étrangement à sa place au milieu du Labyrinthe. Il n’était plus revenu dans le piège de Dédale depuis bien longtemps et il n’aurait demandé pour rien au monde à y retourner. Jusqu’à ce que le Tortionnaire soit identifié. Que sa défaite soit quasiment assurée.

La place d’Erwin était là, dans cette équipe envoyée pour retrouver celui qui était devenu son pire cauchemar tant de mois auparavant. Sa place était avec Alexis. Sa place était là où Artemisia avait peut-être approché la victoire avant de disparaître.

Au milieu de cet enfer de noirceur, de danger et d’illusions, Erwin n’était rempli que de colère et de détermination. Le Tortionnaire lui avait arraché des pans bien trop importants de sa vie. Il méritait de mourir.

L’équipe avait été amputée de certains membres, les murs du Labyrinthe se jouaient des sang-mêlé, les monstres et les illusions apparaissaient à tout instant… Mais tout cela n’avait finalement que la saveur d’une routine lassante – un soupçon de frisson en plus. La chose la plus surprenante dans cette quête avait finalement été la jarre dont on avait encombré les bras du fils de Poseidon. Une jarre dont il ignorait l’utilité, à l’instar du reste de l’équipe, et qu’il s’était empressé de ranger dans le placard qu’ouvrait sa clé de Janus, rattachée à sa poche par une petite chaîne pour ne pas l’égarer dans le Labyrinthe. Comme surprise, Erwin avait déjà vu pire…

Les portes étaient, elles aussi, une apparition somme toute prévisible. Le problème était de savoir laquelle emprunter, mais il n’y avait finalement rien d’étonnant à ce qu’un tel choix s’impose aux demi-dieux.

"C'est comme si toutes les portes étaient les bonnes sans l'être."

Si même Alexis avec ses sandales ne savait pas quel chemin suivre, les choses devenaient soudain plus compliquées. Et plus risquées. Erwin sentait des vibrations derrière chaque porte. Il se pencha sur le côté pour ne pas parler au dos de Billie.

"Si toutes les voies sont pareilles, autant ne pas se prendre la tête, non ? Qui vote pour celle du milieu ?"

Léo était d'une présence aussi insignifiante que s'il n'était pas là. Il ne disait rien, et rien ne trahissant ses pensées ou ses craintes. En revanche, Samael se sentait auréolé par la présence de la mort qui imprégnait les murs. La réponse d'Alexis ne faisait que l'exaspérer, mais il comprenait le sens de ses paroles, ce n'était juste pas la réponse qu'il aurait préféré avoir. Erwin lança la proposition idéale : la porte du milieu. Billie approuva, et sans s'être concertée avec qui que ce soit comme à son habitude de vénérable égoïste, s'approcha de la porte, poignard en main.

Le danger ne l'enserra dans son étau que plus encore, et il leva la main, il aurait voulu lui crier d'attendre, de ne surtout pas ouvrir la porte, avec une violence qui lui retourna l'estomac. Mais c'était déjà trop tard, la poignée s'était déjà baissée sous la pression de la main de la chasseresse. Sa main retomba le long de son corps. Alors ils s'avancèrent d'un commun accord, résignés à entrer dans une nouvelle pièce où la mort l'imbibait par sa présence. Samael leva la tête pour regarder autour de lui. De la roche, partout, mais surtout de l'eau. De l'eau, aussi sombre que le restant de la pièce. Samael frissonna de malaise, et se tourna vers Erwin en chuchotant :

"Tu l'avais senti, toi, l'eau ?"

Il déploya son bouclier et dégaina son javelot avant de faire un pas en direction de la surface de l'eau. Les sens en alertes, il s'immobilisa et fronça les sourcils en scrutant l'eau. Une ondulation troubla son immobilisme et il n'eut pas le temps de s'éloigner assez pour esquiver la tentacule qui en sortit pour s'enrouler autour de sa jambe. Il s'écroula et lâcha son bouclier, avant de changer son javelot en gladius. La respiration saccadée, Samael avait peur. Et cette peur ne l'immobilisait pas. Il taillada la tentacule à plusieurs reprises, mais elle l'attirait inexorablement vers l'eau.