Seraphina se rendait utile comme elle le pouvait. En ne se focalisant pas sur un seul monstre, elle s’assurait qu’un plus grand nombre de personnes arriveraient à s’occuper des leurs. Elle commandait aux vents avec plus d’ardeur que d’habitude, à moitié enivrée par la sensation de retrouver le contrôle, et à moitié énervée par toute cette situation. C’était vraiment la merde.

Soudainement, un chien des enfers particulièrement vif la prit par surprise, et lui entailla le dos. Elle avait senti l’attaque au dernier moment, mais n’avait pas réussi à l’esquiver entièrement, et la douleur montait petit à petit. En se retournant pour faire face au monstre, Sera eu droit à un rappel de son traumatisme d’enfance. Bons dieux, elle détestait les chiens des enfers.

Un regain de rage la fit bouger avant même qu’elle ne puisse réfléchir à un plan d’action, et elle s’élança dans les airs pour atterrir sur le crâne de la bête, le traversant de part en part à l’aide de sa lance. Elle s’imaginait qu’il s’agissait de celui de son enfance, et qu’elle pouvait enfin prendre sa revanche sur lui. C’était satisfaisant.

Elle ne perdit pas de temps, et reprit sa route, avant de tomber sur Margot.. La vision de Margot transperçant sa seconde était terrifiante. Caela avait dû être trop agressive. Margot était une personne sensée, elle n’aurait pas fait ça avec plaisir. S’approchant doucement, Seraphina posa une main sur l’épaule de Margot.

“Je pense qu’il faut que tu parte, Margot. Tu t’es bien battue.”

Sa voix était douce, et se voulait aussi rassurante que possible. Ce serait égoïste de demander à Margot de continuer à se battre, et Sera était prête à la raccompagner au portail si elle l’acceptait. Parce que c’était ce que Kida aurait voulu, certainement.

Une étincelle fugace s’alluma dans le regard d’Erwin, comme pour montrer à Alexis qu’elle prenait la bonne décision. La fille d’Arès ne pouvait néanmoins empêcher son cœur de se tordre de culpabilité. Fuir alors que tant d’autres se battaient encore ! Elle avait l’impression d’être une incapable. Au fond d’elle-même, elle était persuadée qu’elle pouvait encore être utile, malgré sa jambe douloureuse, malgré ses côtes cassées, malgré son bras inutile.

Alexis se mordit la langue, alternant son regard entre les combats autour d’elle et la Grande Maison, au loin, qui se détachait difficilement de l’horizon. Puis, finalement, elle posa ses yeux sur Erwin. Elle enroula ses doigts aux siens, presque instinctivement. Elle avait pris sa décision. Elle l’avait choisi, lui.

Après avoir échangé un regard entendu avec Cal, celui-ci reprit la tête du groupe, bouclier levé. Plusieurs monstres croisèrent leur chemin, rendant la traversée plus difficile qu’elle ne l’était déjà. De temps en temps, Alexis croisant des combattants, utilisait son pouvoir pour déséquilibrer les monstres, mais plus les minutes s’étiraient et plus cela l’épuisait.

Soudain, un romain apparut dans leur champ de vision. Si on vous couvre, vous y allez direct sans faire une mission suicide ? Alexis mit quelques secondes avant de remettre un nom sur ce visage. Samael. Alexis hocha la tête, déterminée à sortir de ce cauchemar. Visiblement satisfait par cette réponse, Samael se joignit à leur groupe pour les faire avancer plus vite.

Pour une raison inconnue, Alexis tourna la tête d’un coup. Son corps entier lui hurlait de faire demi-tour. Alexis fronça les sourcils, cherchant la cause de tout ça, puis vit Elliot au loin. En danger.

Le combat entre la jeune fille et Elliot sembla durer une éternité. Le grec était dans le même état d’esprit que l’autre, se contentant de parer et de la repousser. La jeune fille enrageait. Pourquoi se cachait-il derrière son bouclier ? Pourquoi ne lui faisait-il pas face ? Pourquoi tous les sang-mêlés n’étaient-ils que des lâches ?! Pas étonnant que le Tortionnaire voulût les éradiquer. Ce n’était pas une grande perte, tout au plus une tâche ingrate pour repartir sur une bonne base.

La jeune fille enchaîna quelques coups avec force mais comprit qu’elle ne pourrait pas percer cette forteresse. Alors, sans attendre une seconde de plus, elle décida de faire diversion. Elle attrapa au passage une lance qui se trouvait par terre puis grimpa dans un arbre, plus rapide que jamais. Elliot, visiblement surpris, baissa sa garde. Juste quelques instants. Juste assez pour que la jeune fille bondisse de son perchoir et lui retombe dessus.

La lance, telle une extension du bras de la jeune fille, s’enfonça avec brutalité dans le corps du grec. Il lâcha son bouclier alors que l’arme lui transperçait le corps, la pointe s’enfonçant dans l’arbre derrière lui. La jeune fille fit un pas de plus vers lui, un sourire mauvais aux lèvres. Elliot avait tendu ses bras devant lui – comme si cela le protègerait de quoique ce soit ! Le mal était fait. La jeune fille fit un pas de plus, enfonça davantage l’arme dans le corps faible du demi-dieu.

Les mains d’Elliot la touchèrent. Et Kida se fit ensevelir sous une vague de chaleur étrange, à la fois terrifiante et apaisante. Qu’avait-elle fait ?

Kida avait été plus rapide. Suffisamment en tous cas pour qu’Elliot baisse sa garde un instant de trop, abasourdi. La douleur au creu de son ventre égalait à peine celle de son cœur qui se serrait. Il avait froid. Déjà. C’était mauvais signe. Pourtant, il tendit les mains en direction de Kida.  

Dans un moment comme celui-ci, où son destin était scellé, Elliot aurait voulu jeter un dernier regard à Alexis. Lui dire qu’elle était forte, qu’elle pouvait se débrouiller sans lui, et qu’elle ferait de grande chose. Il aurait aimé jeter un dernier regard à Cal. Lui dire qu’il était l’être le plus surprenant qu’il connaisse, capable de changer la vie de tous les gens autour de lui. Il aurait aimé faire beaucoup de chose. Tant de choses. Voyager, construire, aimer, aider, découvrir...

Mais il n’y avait qu’une seule chose qu’il pouvait réellement faire. Alors il toucha les joues de Kida, et la regarda droit dans les yeux. Il pouvait sentir tout ce qui était brisé en elle. Tout ce qui n’allait pas, tout ce que le Tortionnaire avait changé. Alors il puisa dans ses propres réserves. Dans tout ce qui le rendait vivant, pour le transmettre à Kida. Il ne savait pas si son pouvoir pouvait fonctionner à ce niveau. Mais que pouvait-il faire d’autre ?

De plus en plus, le froid le saisissait. Il pouvait sentir que certaines choses se réparaient chez Kida. Son regard changeait, petit à petit. Et la dernière vision qu’eut Elliot avant de fermer les yeux une dernière fois fut le visage de cette fille, qu’il espérait de tout cœur avoir sauvé.

Dans leur fuite facilitée par l’arrivée d’un Romain qu’Erwin ne chercha pas à reconnaître, le fils de Poseidon sentit les doigts d’Alexis entourer les siens. Ce contact engendra un seul mot dans son esprit. Réalité. Tout était réel, et Alexis n’allait pas mourir.

Cette certitude s’effaça lorsque la fille d’Arès tourna les yeux. Erwin se demanda ce qui avait pu attirer son attention. Il suivit son regard et découvrit, avec la même horreur qu’elle, la scène qui se déroulait un peu plus loin. Elliot. Une lance. Aucun son ne sortit de la bouche du demi-dieu. Lorsqu’il perçut l’élan que prenait Alexis pour se jeter vers son ami, Erwin partit en même temps qu’elle. Ses doigts se resserrèrent autour des siens, puis d’une main, il lui attrapa le bras. Il sentit toute la force de la fille d’Arès malgré ses blessures et sa fatigue. Alors il l’entoura entièrement de ses bras et la retint aussi fort qu’il put contre lui.

Ses cris étaient déchirants. La retenir l’était d’autant plus. Mais elle ne pouvait plus rien faire, Erwin ne pouvait pas la laisser se jeter vers la mort. Pas après avoir autant espéré la garder en vie.

"C’est trop tard, Alexis. On ne peut plus rien faire, c’est dangereux."

La garder en vie. La protéger.

Le monde sembla s’arrêter de tourner pendant quelques minutes, Margot, le regard vide, s’avança lentement vers le cadavre de son amie, Caela. Des larmes coulaient à flot, son corps parcouru de frissons voulut se tordre plusieurs fois pour la prendre dans ses bras. Elle se sentait faible, elle se sentait seule, elle ne se sentait plus du tout elle-même. Alors, c’est quand une main se posa sur son épaule que Margot rouvrit les yeux et se tourna vers cette voix si douce qui lui était familière. Sera.

« Je pense qu’il faut que tu partes, Margot. Tu t’es bien battue. »

Bien battue, la centurion ne savait pas quoi lui répondre. Elle aurait aimé simplement acquiescer, ne pas faire d’histoire et l’écouter, mais son cœur lui disait autre chose. Bien battue, elle venait d’abattre une personne qui comptait énormément pour elle, elle avait commis le pire crime de toute son existence. Un crime qu’elle ne pourrait jamais oublier.

D’un coup de tête, Margot refusa de partir, le combat n’était pas terminé, il restait encore des monstres à éliminer et des gens à sauver. Et Kida. Margot regarda partout autour d’elle dans l’espoir de la retrouver, et quand elle la vit enfin, elle se figea.

« Non… Impossible… E-Elliot... »

Aucun mot ne pouvait décrire la peine qu’elle ressentit en voyant ce demi-dieu grec se faire embrocher par sa meilleure amie. Ce même demi-dieu qui, quelques heures plus tôt, était à ses côtés dans le labyrinthe et la soigna avant d’en sortir. Margot n’en pouvait plus, elle se releva et marcha en direction de Kida, titubant. Elle tomba alors à mi-chemin, recouverte du sang de Caela.

Tout s’effaça. Plus rien n’existait. Il n’y avait plus de monstre. Plus d’Erwin. Plus de Cal. Plus de Samael. Plus de forêt. Plus rien que le déchirement de son cœur qui résonnait dans tout son corps. Plus rien d’autre qu’Elliot se faisant transpercer d’un bout à l’autre par une lance. Son corps réagit avant son esprit et elle s’élança vers son ami. Elliot, avait-elle envie de hurler. Elliot, hurla-t-elle sûrement. Toutes ses souffrances physiques n’existaient plus. La douleur qui comprimait sa poitrine avait tout remplacé.

Une main. Un bras. Un corps. Alexis continuait de hurler, de se débattre. Pourquoi est-ce qu’on la retenait ? Elliot avait besoin d’elle ! Alexis ne sentait même pas les larmes couler sur ses joues, elle n’entendait même pas les bruits autour d’elle. Il n’y avait que son sang battant dans ses tempes, son cœur prêt à s’arracher de sa poitrine, l’écrasant chagrin qui l’étouffait. Elliot… Elliot ! Alexis voulait s’approcher, voulait le tenir dans ses bras. Pourquoi est-ce qu’il ne réagissait pas ? Pourquoi ? Pourquoi ?

C’est trop tard, Alexis. On ne peut plus rien, c’est dangereux. La voix d’Erwin n’était qu’un murmure étouffé dans le silence de sa souffrance, mais il la ramena un peu la réalité. Le corps d’Elliot s’affaissait. Elle ne pouvait rien faire. Absolument rien. Alexis s’effondra par terre, emportée par des sanglots interminables. Pourquoi tout était si douloureux ? Elle enfonça ses ongles dans la paume de ses mains, comme si tout ceci n’était qu’un rêve… il fallait qu’elle se réveille… qu’elle se réveille… Elliot…

Samael avançait a pas pressés, protégé par son bouclier, son glaive dans l'autre main. Autour de lui, le vacarme de la bataille ne diminuait qu'à peine. Il pouvait voir un nombre de corps qui dépassait l'entendement. Il était temps qu'ils sortent d'ici, tous, qu'ils se mettent à l'abri.

Alors il fit un pas de plus, sans réellement voir ce qui clochait. Au loin, il pouvait apercevoir Elliot, aux mains avec... Kida ? Son soulagement de la voir en vie n'égalait qu'à peine la terreur qui l'envahit lorsqu'il se rendit compte de la lueur de sauvagerie qui brillait dans ses yeux. Sa Centurion semblait avoir perdu toute son humanité.

Il ne put retenir un hurlement en la voyant se jeter sur son ami et l'empaler d'un seul coup. Non... Pas Elliot. Pas Elliot, avec qui il était en train de combattre quelques instants plus tôt. Samael eut envie de les abandonner sur place, aller chercher Elliot pour qui il était déjà peut être trop tard, et Kida qui gisait inconsciente. Il dévisagea Cal un instant, une expression d'horreur figée sur le visage. Le goût de la culpabilité se mêla à celui des larmes. S'il était resté à ses côtés...

Erwin avait raison, il était trop tard et c'était bien trop dangereux. Alexis était effondrée, épaulée par Erwi. Jetant un dernier regard autour de lui, il put apercevoir au loin Chiron et Appolon, puis le silence régna. Les dernieres armes tombèrent, il ne restait plus beaucoup de monstres, qui d'ailleurs ne firent pas long feu face à leur deux nouveaux adversaires. Sans un regard pour les grecs, Samael entraîna Cal avec lui vers Elliot et Kida, ignorant la peur qui lui tordait l'estomac et la douleur qui lui broyait le coeur.