Les flammes crépitent dans l’âtre de la cheminée. Elles serpentent entre les bûches bientôt réduites en cendres. Leur chaleur se reflètent dans l’ensemble du salon, confiant à l’atmosphère un doux confort. Entre l’odeur des canapés en cuir et les massives bibliothèques en chêne croulant de livres, un petit garçon les admirent. Son attention délaisse les jouets de bois, abandonnés sur le tapis. Ses yeux grands ouverts, il observe leurs mouvements, indécis. Maman ne veut pas qu’il s’en approche tout seul. Elle dit que c’est dangereux. C’est bizarre parce que Maman à les mains dans le feu toute la journée. Comme Papa. Et Papi. Ses petits sourcils se froncent, ses yeux toujours accrochés à la cheminée. Maintenant qu’il y pense, tout le monde joue avec le feu. Pourquoi ils peuvent et pas lui ? C’est pas juste.

La grande lumière jaune orangée est sous son nez. La chaleur augmente à chaque pas vers elle. Ses yeux sont frais, c’est rigolo. Est-ce qu’il fait chaud sur sa main ? C’est beau, pense-t-il avec émerveillement. La flamme lèche sa petite main potelée, s’enroule et danse autour. Le spectacle est encore plus joli vu de près. Maman a toujours raison, alors ça doit quand même être dangere-

“Clayton !”

La voix rebondit sur les parois de la pièce, pareille au tonnerre. Surpris, des larmes menacent son visage de poupon. Elles coulent et redoublent quand son petit corps quitte brusquement la terre ferme. Papi apparaît en gros plan, le regard remplis d’inquiétude, inspectant son bras dans tous les sens. Son regard se mut de la peur à l’émerveillement.

Le bras n’a rien. Clayton ne craint pas les flammes.

L’histoire ne dira jamais si, par la suite, un bébé a été jeté volontairement au feu.


Construite dans l’arrière-boutique d’arme, la forge Haynes grouille constamment d’activité. Ses parois en pierre n’arrivent pas à étouffer complètement le bruit. Entre membres de la famille, de la guilde des forgerons, les clients ou juste des curieux, l’endroit n’est pas connu pour son silence. Ni sa fraîcheur. Des dizaines de fours tournent constamment à plein régime. C’est dans cette fournaise que Clayton passe tout son temps. Il ne saurait se rappeler l’exact moment où il a tenu son premier marteau. C’était peut-être même avant qu’il ne sache marcher. Comment aurait été sa vie si ses parents n’étaient pas forgerons ? Une chose est certaine, il n’aurait pas du tout connu ce milieu.

“Non, mais non ! Pas comme ça ! Là, sur le côté, incline le marteau !”

Clayton se tend davantage. Là, tout de suite, sa reconnaissance et sa patience fondent comme neige au soleil.

“J’essaye d’accord !”

Hurler plus haut que le voisin est le seul moyen de se faire entendre dans le capharnaüm ambiant. Plus haut, moins fort, faire doucement, aplatir l’ensemble. Les ordres pleuvent depuis plusieurs heures. Son père enchaîne les entraînements avec la même discipline qu’un caporal de l’armée romaine. Tout le catalogue du bon petit forgeron y passe. Savoir répliquer des armes à la chaîne de la même taille, équilibrer une arme, connaître le vocabulaire, réussir une trempe sans briser la lame, reproduire et manier le plus d’armes possibles - quel Romain se bat au canif sérieusement.

Clayton essaie de bien faire. Parce qu’il y a tellement de choses que le petit garçon ne sait pas. Parce que c’est un domaine qui le passionne et dans lequel il veut devenir doué. Il doit devenir doué. Son nom de famille est irrémédiablement rattaché aux armes depuis plusieurs générations et en tant que tel, il doit s’en montrer digne. Honneur, droiture et perfection. Ses mots s’écoulent de la bouche de ses parents depuis longtemps. Clayton est leur unique descendant, ils ont beaucoup d’espoirs en lui.

Alors il serre les dents. Aujourd’hui, il ne se sauvera pas pour aller jouer dans les rues de la Nouvelle-Rome, construire une cabane dans les bois ou regarder ses feuilles brûlaient.


Un garçon aux portes de l’adolescence descendait l’ancien escalier au bois craquant. D’un pas décidé, il alla s’installer au bout de sa chaise, croqua dans une tartine et fit son annonce.

Ce qui déclencha inévitablement une dispute banale, voire quotidienne de la maison. En fait, c’était un scénario tellement commun que plus personne ne s’en étonnait près de la table. Tel lire le journal ou écouter la radio ; si personne ne le faisait de bon matin, c’était étrange. Cela dit, plus personne ne prenaient de pari. Les dés étaient joués d’avance. Clayton disait non. Ses parents disaient oui. Ils gagnaient.

Et tandis que Clayton enfilé rageusement son vieux t-shirt, celui usés jusqu’aux fils qui ne risquait plus rien, il réfléchit. Chaque jour, c’était pareil. Qu’est-ce que ça pouvait leur faire qu’il prenne un jour de pause sur trois cent soixante-cinq ? Non, il n’avait pas toujours envie de forger. C’était quand même pas la mer à boire ! Il ouvrit brusquement une malle pour en sortir deux boots militaires, qu’il enfila à l’arrache. Jusqu’à preuve du contraire, il avait encore le droit d’avoir d’autres intérêts que fabriquer des armes.

Il était irrité qu’on lui dise toujours ce qui était mieux, ce qu’il devait faire. Énervé, qu’on lui dicte ce qu’il devait forcément aimer. Ses sentiments négatifs gonflés de jour en jour, sans qu’ils sachent quoi en faire. Parler ou se rebeller ne semblaient pas avoir le moindre impact. La rage au ventre à s’étouffer, il retourna au rez-de-chaussée et passe devant le salon. Devant la cheminée, encadrer des fauteuils, canapés et ses bibliothèque croulant de livre.

L’instant d’après il admirait sa maison familiale au cœur d’un incendie.

C’était un coup de tête, une impulsion. Pourtant, son regard ne luisait d’aucun regret. Au contraire, on pouvait lire de la satisfaction mêlée à des restes d’adrénalines. Mais il y avait quelque chose de plus. Une intense fascination. Quand il était dans ce salon, briquet en main, les flammes l’avaient écouté. Une connexion. Sa colère s’était parfaitement décalquée sur le feu, pour créer un brasier d’une intensité alarmante. Bientôt, il ne resterait plus rien.

Et Clayton sourit de plus belle. Aujourd’hui, tout Haynes qu’il soit, il ne se forcerait plus.

L’appel de Lupa arriva juste après cet épisode, le libérant de fournir la moindre explication, pour son plus grand bonheur.


Clayton s’était relativement bien acclimaté à la Colonie.

Avec du recul, la première année de probatio fut la plus compliquée. N’être qu’un apprenti soldat de douze ans à la botte de ses supérieurs lui rappelait un peu trop la maison. Et il n’avait pas brûlé du sol au plafond un univers, afin de s’en échapper, pour retomber dans le même. Les rébellions attisées des pluies de corvées. Cela aurait pu très mal finir. Après tout, l’histoire à la sale manie de se répéter. Pourtant, elle ne le fit pas. Du moins, pas de la façon dont Clayton l’aurait imaginée.

Les Chimères l’on recruté. Le petit pyromane fut une proie de choix. Comme beaucoup, il connaissait les rumeurs, celle évoquant ce mystérieux groupe dont l’on attribué l’existence plus aux contes pour enfant qu’au réel. Clayton n’hésita pas une seule seconde pour accepter. Déjà, parce qu’il est fortement manipulable et crédule, soyons honnête. Leurs arguments étaient également très convaincants. Il pouvait agir comme bon lui semble, en totale liberté. En échange, il devenait leur forgeron attitré. Qui était-il pour refuser une offre si alléchante ?

À la fin de cette première année, Vulcain ne lui fit pas l’honneur d’une intervention. Cela n’empêcha pas son symbole de finir sur son avant-bras. Clayton trouvait ce tatouage ridicule et parfaitement inutile. En refusant les lettres recommandations de ses parents - plus par esprit de contradiction qu’autre chose - il atterrit à la cinquième cohorte. Et il ne lui viendrait pas à l’esprit de s’en plaindre. C’était vraiment l’endroit idéal pour lui.

Le Tortionnaire, le labyrinthe, les Grecs. Les disparitions, le chaos. Le silence. Puis l’agitation, la brume, les recherches multiples pour les disparus. Et encore plus de quêtes, de sanglot, de sang. Des dizaines de combats que l’on voulait être finaux sans qu’ils ne le soient jamais. Les monstres, la vraie quête finale, Celmis. La victoire au goût amer.

Et au milieu de cet intense chaos qui avait duré trois ans, Clayton ne savait pas vraiment comment réagir. Il s’était contenté de regarder de loin, peu intéressait par les événements. Puis son entourage proche a commencé à s'évaporer. Des chimères. Des membres de la cinquième cohorte. Il avait alors participé à quelques missions de recherches, toutes soldées par des échecs. En regardant ses forces et ses faiblesses, il était clair qu'il n'avait rien d'un bon petit soldat. Tout ce qu'il savait faire de ses dix doigts, c'était travailler le métal. Alors il l'avait forgé comme un acharné ce métal, réalisant arme sur arme. Des classiques, des plus poussés. Certaines allants jusqu’à s’allier au maximum avec le pouvoir de leur utilisateur. Trois ans plus tard, il n’avait pas l’impression que ses efforts est servis à grand chose. En-dehors de la quantité monstrueuse d'informations qu'il avait englouti dans son domaine d'expertise. Inconsciemment, cette période lui a permis d’évoluer. Il porte un regard différemment sur ce qui l’entoure, ainsi que sur lui-même. Le brun est devenu plus mature... Dans une certaine mesure.

Aujourd’hui, Clayton célèbre son dix-septième anniversaire et une cinquième année de service décore son bras.