Le coussin qui vola droit dans sa figure provoqua un éclat de rire chez Erwin. Etouffé, certes. Alexis se retourna en bougonnant, le fils de Poseidon ne put que venir se coller à elle. Elle ne faisait rien de spécial, elle râlait sur le réveil, et pourtant elle était juste adorable.

"Je t'aime, espèce que grosse marmotte mal lunée."

Alexis ne sembla releva ni le "je t'aime" ni l'insulte. Elle émit un nouveau grognement, confirmant qu'elle avait plus une attitude d'animal sorti de l'hibernation, à cet instant, que celui d'une grande guerrière grecque. Erwin avait rarement eu l'occasion de se sentir si pleinement heureux d’être auprès d'Alexis dès les premières heures de la journée. Un sourire béat ne quittait plus son visage.

"aucun intérêt à s'réveiller s'y'a pas de p'tit dej, 'win."

La voix de la fille d'Arès parvenait étouffée à Erwin, mâchée par le brouillard du sommeil et ensevelie sous les oreillers. Alexis avait raison, il n'y avait pas de quoi déjeuner dans la cabane. Sauf si elle pouvait se contenter des quatre derniers marshmallows de la veille. Et à entendre l'estomac du fils de Poseidon, il faudrait partager. Il essaya de ne pas y penser et laissa courir ses doigts dans le dos de la sang-mêlé. Peu à peu, il étendit ses caresses à la peau de ses bras, de son cou. Alexis soupira et se retourna, ce qui arracha un sourire de vainqueur à Erwin. Il savait qu'elle n'était pas aussi blasée qu'elle voulait le faire croire. Son regard faussement accusateur fit battre son coeur et, avant qu'elle puisse dire quoi que ce soit, il se pencha pour coller ses lèvres aux siennes. Le baiser ne dura pas. Alexis s'écarta doucement.

"Je rigolais pas Erwin, j'ai faim."

Elle se leva comme pour partir en quête d'une quelconque nourriture à se mettre sous la dent, mais elle se contenta finalement de ramasser ses épées au sol. Erwin la suivit du regard, emmitouflé dans la couverture miteuse. Le drap avait beau être rongé par les parasites et par le temps, le demi-dieu s'y sentait parfaitement bien. Il aurait pu rester là des heures entières ! Comment pouvait-on vouloir quitter un lit si douillet ? Alors qu'il faisait froid dans l'abri, en plus... Il était même tenté de se rendormir.

"Erwiiiiiiiiiiin, sors de làààà."

Le regard d'Alexis suffisait à montrer qu'elle s'impatientait. Erwin s'enfonça un peu plus dans la couverture en protestant silencieusement. La fille d'Arès insistait. Il tiendrait bon, il profiterait de ce moment au chaud dans son lit. Il avait envie de se rendormir ? Pourquoi pas, après tout... Il ferma les yeux et dissimula son sourire au milieu des coussins lorsqu'il entendit Alexis râler
davantage.

"Si tu te lèves pas, je t'abandonne ici."

Erwin ouvrit un oeil amusé. Alexis cachait assez mal son propre amusement. Le demi-dieu la regarda en riant. Comment comptait-elle "l'abandonner ici" ? Il pouvait bien se rendormir pour de vrai pendant encore une heure ou deux. Si Alexis partait maintenant, il arriverait quand même avant elle au camp.

"J'aimerais bien voir ça ! J'ai déjà fait le chemin, aller et retour, plusieurs fois. Contrairement à toi..."

La fille d'Arès garda la tête haute comme si elle maîtrisait parfaitement tout et que les mots d'Erwin n'étaient que futilité. Ça ne l’empêchait pas de savoir qu'il avait totalement raison. Le fils de Poseidon sentit son estomac se tordre en grognant faiblement. Il s'était assez prélassé dans le lit. Il décida de se lever, récupéra le pull qu'Alexis avait laissé sur l'amas de coussins et l'enfila.

"Me voilà, chef."

Il passa à côté d'Alexis et lui embrassa la joue, puis il se dirigea vers le coin cuisine. Il fit couler un mince filet d'eau au robinet. L'eau était glacée, mais c'était tout à fait ce qu'il lui fallait. Il laissa une petite flaque se former dans ses mains avant de s'éclabousser le visage. C'était vraiment glacé. Au moins, avec ça, pas de doute permis, il était réveillé. Il recommença deux fois et coupa l'eau. Se réveiller, oui. Attraper une bronchite, bof. Il épongea son visage frigorifié dans les manches de son pull tandis qu'Alexis s'approchait de lui. Il se retourna vers elle et lui envoya quelques gouttelettes d'eau sur le bout du nez. Elle plissa les yeux et il la trouva encore craquante au possible. S'il n'avait qu'une seule faiblesse, ce serait clairement elle.

Erwin alla ramasser le sac qu'il avait laissé sur le vieux fauteuil. Il était vide, maintenant qu'il n'y avait plus de provisions à transporter. Il parvint à y fourrer trois coussins - heureusement qu'ils étaient incroyablement mous, ces coussins. Il en restait plus du double, mais ça ne passerait pas, inutile d’être un joueur de Tetris confirmé pour le constater. Tant pis, le fils de Poseidon ramènerait les autres oreillers dans la journée. De toute façon, personne n'était dépouillé de confort, dans le baraquement, puisqu'il n'avait prit que les coussins des lits inoccupés. Rien ne pressait.

Rien excepté le déjeuner. Son ventre ainsi que celui d'Alexis grognèrent d'une seule voix. Il était temps de rentrer pour se rendre au mess. Après la marche qui les attendait, ils mériteraient bien leur repas. Erwin aurait pu manger n'importe quoi pour peu que ce soit aussi consistant qu'une douzaine de croissants. Au minimum. Il endossa son sac et ouvrit la porte à Alexis.

"En route, ma belle. C'est l'heure d'aller manger. Et si tu ne peux pas attendre jusqu'au camp, tu pourras toujours chasser en chemin."

Une lumière fulgurante traversa le regard d'Alexis. Erwin lui fit une pichenette sur le front.

"Je rigole. On en a pas pour longtemps, tu survivras sans chasser. C'est fou ce que ton estomac pourrait te faire faire..."

« J’aimerais bien voir ça ! J’ai déjà fait le chemin, aller et retour, plusieurs fois. Contrairement à toi… »

Alexis aurait été tentée de le singer en l’imitant grossièrement mais elle opta plutôt pour une position de force. Elle ne ploya pas, continuant de fixer Erwin avec un air de défi. Puis, enfin, le fils de Poséidon céda. Ça ou l’argument « manger » avait fini par faire grogner son estomac. Alexis ne chercha pas à savoir et soupira de soulagement lorsqu’Erwin daigna enfiler son pull. Elle tenta vainement de garder une expression neutre lorsqu’il se tourna dans sa direction mais une étincelle d’amusement brillait dans son regard.

« Me voilà, chef. »

Alexis se voyait déjà prendre la route, laissant ses instincts – Erwin – la guider jusqu’à un petit-déjeuner complet et plein de vitamines. Malheureusement pour elle, le fils de Poséidon lui embrassa la joue… avant de se diriger vers l’évier. Alexis, une moue d’enfant frustrée sur le visage, dû se faire violence pour ne pas taper du pied par terre. J’ai faim, j’ai faim, j’ai faimmm. Au lieu de trépigner sur place, la fille d’Arès s’approcha d’Erwin qui se retourna et l’éclaboussa avec quelques gouttelettes d’eau. Alexis fronça les sourcils puis se frotta le bout du nez. Erwin, quant à lui, la fixait avec l’air le plus mignon du monde, ce qui empêcha la fille d’Arès de répliquer. Rrrah, quelle plaie.

Erwin commença à ranger ses affaires et enfonça des oreillers dans son sac à dos. Ç’aurait été quand même plus pratique s’il était venu avec un sac plus grand – un sac poubelle ou quelque chose comme ça – mais Alexis ne fit aucun commentaire. Partir maintenant sur un débat sur comment porter des oreillers aurait décaler l’heure du petit-déjeuner et celle-ci l’était déjà beaucoup trop aux yeux d’Alexis.

Enfin, il était temps de partir. Erwin enfila son sac à dos, gonflé de façon ridicule, avant d’ouvrir la porte d’entrée. Alexis vivait cette aventure comme une quête sacrée. Objectif : retourner au Camp Jupiter. Récompense à la clé : cinquante-trois croissants.

« En route, ma belle. C'est l'heure d'aller manger. Et si tu ne peux pas attendre jusqu'au camp, tu pourras toujours chasser en chemin. »

Un éclair intéressé passa dans le regard d’Alexis. La chasse n’avait jamais été sa passion – elle ne l’avait d’ailleurs jamais pratiqué – mais elle ne pouvait pas s’empêcher de saliver à l’idée de manger n’importe quoi. Erwin la ramena bien vite à la réalité en lui faisant une pichenette sur le front. Une moue boudeuse se dessina sur le visage d’Alexis alors qu’elle posait ses mains là où il venait de frapper.

« Je rigole. On en a pas pour longtemps, tu survivras sans chasser. C'est fou ce que ton estomac pourrait te faire faire... »

Cette fois-ci, Alexis ne se retint pas. Elle répéta la phrase d’Erwin avec une voix ridicule avant de reprendre avec une expression qui lui était plus naturelle :

« Gnagna, je vais pas vraiment chasser. Le gibier, si c’est mal cuit, c’est dangereux pour la santé… Alexis fit une pause avant d’ajouter : Par contre, la pêche… »

Alexis esquiva de justesse la pichenette d’Erwin et commença à marcher dans une direction tout à fait aléatoire. Erwin se glissa rapidement à ses côtés, lui prit le bras et… la dirigea vers la direction opposée. Ah. Oops.

Contrairement à l’aller, Erwin ne fit aucun détour pour le retour. Le trajet fut assez court et bientôt le Camp Jupiter se dessina tout naturellement sous les yeux d’Alexis. Son estomac semblait rugir de plus en plus bruyamment, ce qui arrachait des éclats de rire à Erwin qui se prenait, en réponse, de légères tapes sur l’épaule.

Le retour à la réalité était aussi plaisant que déplaisant. Plaisant car cette réalité, à défaut de posséder cinquante-trois croissants, possédait plusieurs autres victuailles tout aussi intéressantes. Déplaisant car la bulle dans laquelle avaient évolué Erwin et Alexis la veille venait d’éclater. Alexis n’aimait pas se montrer en public et retrouva bien vite son attitude habituelle. Elle se laissa guider par Erwin puis, lorsqu’ils arrivèrent au niveau de leurs camarades de chambrées, elle lui lâcha la main pour s’assoir à côté de Poppy. Erwin ne s’en formalisa visiblement pas et en profita pour aller chercher des assiettes avant de s’assoir de l’autre côté d’Alexis. Bacon, omelette, saucisse, tout était parfait. Alexis engloutissait son repas en écoutant distraitement les conversations autour d’elle.

Une fois le petit-déjeuner terminé, le petit groupe de grecs retourna au baraquement afin de prendre connaissance du planning. Alexis avait un cours théorique de littérature, Poppy avait un entraînement au Champ de Mars et Erwin avait le droit à des corvées de nettoyage. Alors que la plupart des grecs, une fois le planning mémorisé, se séparèrent, Alexis resta un peu plus longtemps sur place. Poppy n’eut aucun mal à comprendre pourquoi et s’éclipsa à son tour pour ne laisser qu’Alexis et Erwin seuls. Il eut une seconde ou deux de battement avant qu’Alexis ne se tourne vers le fils de Poséidon. Rapidement, elle se hissa au niveau de sa joue pour y déposer un baiser.

« Merci. Bonne journée ! »

Puis, sans attendre une réponse d’Erwin, elle le salua et sortit du baraquement. Son cœur hurlait un je t’aime que ses lèvres n’avaient pas pu formuler mais un sourire heureux trahissait cette émotion sans difficulté.