Après ce qui ressemblait à une profonde réflexion et un moment de contemplation face au t-shirt qu'elle portait, un sourire béat sur le visage, Alexis marmonna qu'elle n'avait pas vomi sur les affaires d'Erwin. Elle en avait presque l'air fière. Son colocataire, de son côté, ne prenait pas vraiment ça pour une bonne nouvelle, ça voulait surtout dire que l'odeur qui empestait dans sa chambre n'était pas celle d'une quelconque déjection mais bien l'odeur de l'alcool dont Alexis était complètement imbibée.

"Héééé, Sera avait raison, t'es sexy en fait."

Erwin fut surpris mais se contenta de lever les yeux au ciel. On pouvait dire que si sa coloc' n'était pas d'une nature très fun, l'alcool lui réussissait en tout cas. L'étudiant repoussa doucement Alexis qui était en train de tanguer dangereusement vers lui sans même s'en rendre compte. Il écarta la phrase de ses pensées, la rangeant bien au chaud dans un coin de sa mémoire pour la ressortir plus tard, dans une situation gênante.

Après un gloussement des plus ridicules, Alexis redevint soudain sérieuse. Il ne manquait que ses lunettes pour lui faire retrouver sa tête d'étudiante modèle. Elle eut l'air de se concentrer en fixant à nouveau un point imaginaire quelque part sur le mur qui lui faisait face. Erwin se pencha en avant pour voir ce qu'elle regardait et comprit bien vite qu'il n'y avait rien.

" Désolée pour le bordel, j'ai pas fait exprès. Tu sais comment c'est. Tu passes ta vie à essayer de faire des trucs biens puis en fait ton père t'appelle juste pour te rappeler à quel point t'es un échec, que ta sœur est mieux, que tu ferais mieux de te trouver un mari plutôt que d'étudier les cailloux. La routine quoi. Peu importe ce que tu fais, ton père ne sera jamais satisfait. Ni Sera, ni Cal ne seraient assez bien pour lui."

Erwin fut surpris sur le moment d'entendre mentionner Cal, un ami qu'il avait présenté à Alexis en début d'année. Il ne savait qu'ils se fréquentaient depuis. Mais même si c'était une information étrange, elle était loin d'être la plus importante de toutes ces phrases qu'Alexis avait réussi à aligner les unes à la suite des autres. La fête qu'Erwin supposait avoir ravagé l'appartement n'en était en fait pas une. Juste une grosse mine de dépression. Parfait.

"Est-ce que t'es riche ? J'suis sûre que mon père serait hyper ravi que je sorte avec toi. Tout à fait son type. Étudiant, riche, bg, extraverti. Ahahaha. Tu veux pas sortir avec moi ?"

Erwin s'étrangla avec sa salive. Pardon ? La seconde de choc passée, il se retint de rire. Rien n'avait de sens dans ce monologue. Alexis devait avoir sacrément abusé sur la dose d'alcool. L'étudiant secoua la tête.

"Non, Alexis. Je me nourris de pâtes et de boulettes sauce tomate, je crois pas que ce soit un signe de richesse. Je suis désolé que ton père soit si dur avec toi, mais c'est certainement pas en te casant avec moi que tu vas remonter dans son estime. Très mauvaise idée. Tu sais même pas ce que tu racontes."

Il y eut un silence durant lequel Alexis semblait traiter l'information qu'elle venait de recevoir. L'avantage d'être dans cet état seconde, c'est qu'elle ne se rendait sans doute pas vraiment compte qu'elle venait théoriquement de se prendre un râteau. Mais en même temps, Erwin savait bien qu'elle n'aurait jamais débité une ânerie pareille en étant sobre. D'ailleurs, il avait suffisamment de dignité pour ne pas accepter une telle proposition venant d'une fille bourrée.

"Et faudra que tu me rendes mon t-shirt aussi, hein."

Alexis regarda le t-shirt, comme si elle avait à nouveau oublié qu'elle ne portait pas le sien. Erwin se leva un instant pour ouvrir la fenêtre. L'odeur de l'alcool lui plaisait, mais seulement en soirée, pas partout autour de son lit. Lorsqu'il se tourna à nouveau vers Alexis, il faillit s'étouffer.

"MAIS QU'EST-CE QUE TU FAIS ? NON, PAS MAINTENANT !"

Sa colocataire le regarda avec des yeux tous ronds, semblant ne pas comprendre. Son mouvement stoppé en l'air, le t-shirt était tout juste assez relevé pour dévoiler le bas de sa poitrine. Erwin comprit que, en plus de lui avoir piqué ses affaires, Alexis ne portait rien d'autre en-dessous. Il s'empressa de rabaisser le t-shirt le plus bas possible, quitte à couvrir les genoux d'Alexis qui était assise sur le lit sans vraiment savoir quoi faire, de toute évidence.

"Tu me le rendras demain, quand t'auras décuvé. Là il est tard, tu devrais aller te coucher."

Alexis ne bougea pas.

"Dans ton lit."

Alexis ne bougea pas.

"De l'autre côté du couloir."

Alexis ne bougea pas. Erwin soupira. Qu'est-ce qu'il allait faire d'une Alexis saoule dans son lit ? Elle n'avait visiblement pas envie de bouger. Tant pis, il irait dormir dans le fauteuil...

Alexis fut plutôt déçue. Erwin n’était pas riche. Il n’y avait donc plus aucun intérêt à forcer une relation avec lui. Enfin, c’était facile de simuler la richesse… Peut-être qu’avec une chemise et une jolie montre, Erwin pourrait passer pour le gendre idéal et son père arrêterait enfin de lui répéter à quel point il la trouvait médiocre, surtout en comparaison avec sa sœur qui allait se marier avec l’homme idéal. Il n’y avait aucune chance qu’Erwin arrive à la cheville du mari de sa sœur, mais au moins il serait mieux que rien. Alexis hocha la tête distraitement. C’était un plan. Il fallait qu’elle le note. Ou pas. Elle pouvait rester là. Elle y repenserait demain, après une bonne nuit de sommeil.

Faudra que tu me rendes mon t-shirt aussi, hein. Alexis baissa les yeux vers son t-shirt. Il n’y avait donc que ça qui intéressait Erwin ? Elle hocha les épaules. Après tout, c’était à lui. Erwin se leva pour ouvrir la fenêtre pendant qu’Alexis enlevait le t-shirt. Quand il se retourna, il lui hurla dessus et la rhabilla. Alexis fronça les sourcils. Qu’est-ce qui lui prenait ? Tu me le rendras demain, quand t’auras décuvé. Ok. Cet homme changeait d’avis beaucoup trop rapidement, ça devenait compliqué de le suivre. Là il est tard, tu devrais aller te coucher. Quelle brillante idée. Dans ton lit. Vraiment, un très bon enchaînement de mots. De l’autre côté du couloir.

Alexis était si fatiguée. Ses yeux lui piquaient. Elle ne comprenait pas tout ce qu’Erwin voulait lui dire. Quel couloir ? Quel lit ? Il finit par bouger et s’éloigner d’elle. Alors elle fit la seule chose logique qui lui vint à l’esprit, elle lui attrapa le bras. De sa main libre, elle se frotta la joue puis elle lui fit un grand sourire.

« Tu devrais te coucher aussi. »

Elle attira doucement Erwin vers elle. Pour une raison inconnue – la fatigue ? –, le jeune homme ne se débattit pas tellement. Elle l’entendit marmonner un truc, mais elle avait aucune idée de ce qu’il disait. Au moment où il se retrouva dans le même lit qu’elle, Alexis avait déjà une jambe sur lui, la tête sur son torse et elle s’était endormie.

Lundi 17 mai

Alexis sentit un courant d’air frais lui caresser la joue. Avait-elle dormi la fenêtre ouverte ? Petit à petit, ses sens reprirent possession de son corps. Elle sentit une odeur agréable bien que presque inconnue. D’où venait-elle ? Puis, elle sentit que des doigts étaient entrelacés aux siens. Avait-elle dormi avec Cal hier soir ? Elle profita de la chaleur humaine qui lui était procuré pour laisser échapper un petit râlement de plaisir. Le corps contre lequel elle était blottie fit un bruit à son tour. Alors doucement, Alexis ouvrit les yeux. Pourquoi faisait-il si jour dans la chambre ? Pourquoi son mur n’était pas de la bonne couleur. Les yeux d’Alexis glissèrent sur sa main qui en tenait une autre. Ce n’était pas celle de Cal. Qui était-ce ?

Doucement, elle se retourna pour faire face à son amant de la veille. Erwin. Un regard d’effroi se dessina sur son visage quand il ouvrit les yeux à son tour. Il eût un instant de flottement durant lequel aucun de deux n’osa parler. Puis, doucement, le rouge aux joues, Alexis retira sa main de celle d’Erwin et recula.

« Qu’est-ce que… »

Et ce fut à ce moment qu’elle vu l’heure. L’effroi se transforma en terreur.

« Oh mon dieu, je suis en retard. »

Sans plus aucune douceur, Alexis enjamba Erwin, sortit de la chambre en trombe. Elle changea de short dans le couloir, attacha ses cheveux à l’arrache, tout en lâchant des « merde, merde, merde » à répétitions. Elle s’arrêta seulement deux secondes dans le salon pour voir son état. Des souvenirs de la veille voulaient revenir mais Alexis n’avait pas le temps à leur accorder. Elle attrapa un pitch dans le placard et hurla dans toute la maison :

« Je rangerais, touche à rien, salut ! »

Puis, sans plus de cérémonie, elle attrapa ses clés, son sac, et s’en alla de l’appartement. Ce fut qu’une fois dans son amphi, avec une heure de retard, qu’elle remarqua qu’elle n’avait pas retiré le t-shirt d’Erwin. Trop tard.

Erwin se réveilla lentement. Quelqu'un remuait à côté de lui. Il se tourna vers la personne et, en ouvrant les yeux, se souvint de la veille. Ah oui. Alexis. Complètement bourrée, elle avait refusé de regagner sa propre chambre et avait retenu Erwin pour qu'il dorme avec elle. Si l'étudiant n'avait pas compris ce qui lui arrivait, il n'avait pas résisté très longtemps. A quoi bon batailler avec sa coloc' saoule ? Puis tant qu'il ne se passait rien, il n'avait rien à se reprocher.

Alors que lui ne paraissait pas plus étonné que ça de voir Alexis, elle semblait bien plus choquée de comprendre avec qui elle avait passé la nuit. Elle se redressa vivement, commença une phrase, la coupa, jeta un oeil au radio-réveil posé sur la table de nuit d'Erwin et figea son visage dans une expression paniquée.

"Oh mon dieu, je suis en retard."

Sans attendre une seconde, elle s'était lancée hors du lit, ne manquant pas d'écraser Erwin au passage, ce qui arracha un grognement au jeune homme. Quelle délicatesse ! Heureusement qu'il n'avait pas encore mangé, parce que son estomac ne l'aurait pas supporté... Se tournant vers sa table de nuit, Erwin constata que lui aussi était en retard pour son cours. Il avait visiblement oublié de programmer l'alarme de son réveil avant de se coucher la veille. Tant pis.

Emmitouflé dans sa couette, l'étudiant entendit Alexis courir partout dans l'appartement. Il entendit surtout ses jurons à répétition, à vrai dire. Après lui avoir crié de ne toucher à rien, elle s'en alla en claquant la porte derrière elle. Le silence qui suivi fut un délice pour les oreilles d'Erwin. Il regarda à nouveau l'heure. Alexis n'avait pas mis plus de deux minutes pour disparaître. Il soupira et se retourna dans son lit qui sentait encore un peu l'odeur de sa coloc' et de l'alcool malgré la fenêtre restée ouverte toute la nuit.

Après une grasse matinée bien méritée, Erwin se leva, réveillé par le chat venu se frotter à sa main qui dépassait du lit. Alexis n'était toujours pas revenue et, évidemment, elle n'avait pas nourri son animal dans la précipitation. Le jeune homme se contenta d'enfiler des pantoufles pour ne pas garder les pieds collés au sol encore crasseux et se rendit à la cuisine pour mettre une nouvelle fois le contenu d'une boîte de pâtée dans la gamelle de ce chat affamé. Il espérait vraiment que ça ne deviendrait pas une habitude.

Le chat se rua sur sa gamelle sans un regard de reconnaissance pour Erwin et celui-ci décida qu'attendre Alexis pour vivre dans un endroit propre était trop demandé. Il entreprit de ramasser les vidanges dispersées un peu partout. Où Alexis avait-elle trouvé toutes ces bières ? Il y en avait beaucoup trop ! Les bouteilles vides amassées dans un sac à côté de la poubelle, Erwin se mit à laver le sol de la cuisine et du salon. Il fut satisfait de ne plus sentir la semelle de ses pantoufles agripper le parquet collant. Il nettoya aussi la table et rangea un minimum le bordel qui décorait le salon. Après un tel nettoyage, il était temps d'aller prendre une douche.

En sortant de sa douche, Erwin troqua son boxer noir de la veille pour un autre, propre. Propre mais aussi moins sobre. Il ne lui restait que son boxer porte-bonheur, celui que décoraient des dauphins et des poissons sur un fond bleu océan. Hm, il faudrait faire une lessive avant le lendemain. Puisqu'il était seul dans l'appart', l'étudiant ne jugea pas nécessaire d'enfiler d'autres vêtements et remit juste ses pantoufles. Il retourna à la cuisine, voulut prendre un bol, n'en trouva pas, vit que la vaisselle aussi devrait être faite avant le lendemain et prit donc une simple cuillère et la boîte de céréales qui trônait fièrement sur le plan de travail.

Lorsqu'Alexis rentra comme une tornade dans l'appartement, elle passa devant Erwin en boxer-pantoufles dans le fauteuil, mangeant des céréales à même la boîte devant une série aléatoire sur l'écran de télévision.

"Tu pourrais t'habiller un minimum !"

"Mais c'est le minimum."

"T'habiller avec plus de classe alors."

"On est étudiant en biologie marine ou on ne l'est pas, très chère."

Il y eut un silence entre les deux colocataires que seul le bruit d'Alexis farfouillant dans les placards de la cuisine vint troubler. Et le chat qui miaulait pour attirer l'attention de sa maîtresse. Puis les papouilles d'Alexis à son chat. Une vraie mamie à chats... Erwin enfourna une nouvelle cuillère de céréales dans sa bouche. Lorsqu'Alexis revint dans le salon avec un sandwich vite fait, le jeune homme remarqua le regard plein de jugement détaillant son accoutrement.

"T'inquiète, t'as pas dormi contre cette chose-là. J'en avais un noir hier."

Nouveau silence. Le son de la télé. Les céréales dans le paquet. Le chat qui miaule. Finalement, Alexis se dirigea vers la porte d'entrée en lança à Erwin qu'elle devait retrouver Sera et qu'elle ne voulait pas être en retard pour la deuxième fois de sa journée. Elle s'en alla, le sandwich à la main.

La matinée fut une course éreintante pour Alexis. Tout son planning était bousculé, ne lui laissant qu’à peine le temps de respirer. L’épisode de la veille ne lui laissait qu’en souvenir un mal de crâne douloureux. Pourquoi avait-elle tant bu ? Elle savait pertinemment que ça ne résoudrait aucun de ses problèmes. Plutôt agacée par elle-même au début, Alexis fut très vite énervée par le monde entier. Tout le monde parlait trop fort, tout le monde rigolait trop fort. Elle prenait des notes mais ne comprenait rien aux cours. Si Alexis avait pu se dédoubler, elle l’aurait juste pour se mettre une baffe. Ressaisis-toi.

Ce fut après un sprint qu’Alexis déboula dans son appartement, prête à tout ranger en l’absence d’Erwin. Deux choses vinrent contre-carrer ses plans. Dans un premier temps, Erwin n’était pas en cours. Il était visiblement adepte du « mieux vaut ne pas venir que venir en retard ». Ensuite, il était en caleçon. Un immonde caleçon marin. Accompagné de pantoufles de papy. En train de manger des céréales à même la boîte. Alexis ne put s’empêcher d’afficher une mine dégoûtée. Après quelques banalités échangées, Alexis s’empressa de se trouver quoi avaler pour le repas du midi.

Alexis remarqua alors que l’appartement avait été nettoyé. C’était loin d’être parfait, mais vu le bordel dans lequel Alexis l’avait mis, c’était un miracle qu’elle puisse marcher sans perdre sa chaussure. Elle voulu aller remercier Erwin, mais son chat vint attirer son attention alors elle profita de ce moment de répit pour faire une pause. Puis, un sandwich fait à l’arrache plus tard, Alexis repassa devant Erwin qui n’avait pas bougé d’un seul centimètre. T’inquiète, t’as pas dormi contre cette chose-là. J’en avais un noir hier. Est-ce qu’il lisait dans ses pensées ?

Alexis n’avait pas le temps de rester plus longtemps. Elle salua Erwin mollement puis quitta l’appartement. Elle avait l’impression de courir contre le temps. Elle avait rendez-vous avec Sera et n’avait même pas pris la peine de prendre une douche. Une fois arrivée sur le lieu de rendez-vous, Alexis reçut un SMS. Suis malade. Peux pas venir. Salut. Un grognement de frustration plus tard, Alexis se laissa tomber sur la pelouse du campus.

Elle aurait pu retourner à son appartement, prendre une douche, ressembler à quelque chose, manger un repas décent. Mais cela demandait de revoir Erwin dans son accoutrement et Alexis n’avait pas encore l’estomac pour supporter cette vision une deuxième fois, si tôt après la première. Alors, elle profita de cet instant de calme et de beau temps pour travailler. Elle grignota son repas le plus lentement possible pour le faire tenir, tout en lisant les documents de géologie pour son dernier cours de la journée, celui qui débutait une heure plus tard.

Le reste de l’après-midi fut plus calme. Alexis avait moins mal à la tête et pouvait se concentrer davantage sur les élucubrations du prof et de ses camarades. Quelques heures plus tard, Alexis put enfin rentrer chez elle. Elle caressa distraitement son chat en regardant son appartement. Le reste du repas d’Erwin traînait sur la table mais son propriétaire n’était pas dans les parages. Au vu des bruits qui sortaient de sa chambre, il était visiblement en train d’écouter son chant de baleine. Alexis profita de ce répit pour faire la vaisselle et aller prendre une douche.

Après une heure dans la salle de bain, Alexis se sentait enfin bien. Elle avait enfilé une robe légère et laissait ses cheveux détachés sécher à l’air libre. Elle entendit alors Erwin, dans la cuisine, en train de râler dans sa barbe. Poussant un soupir, Alexis sortit de l’appartement.

Une demi-heure après, Alexis revint à l’appartement avec deux boîtes à pizza et une boisson gazeuse. Elle installa tout sur la table basse puis s’en alla nourrir son chat. Enfin, elle toqua à la porte d’Erwin. Quand celui-ci ouvrit, elle lui fit un sourire mi-chaleureux, mi-gêné.

« Si tu as faim, j’ai malencontreusement pris ta pizza préférée en trop pour ma commande. »

Alexis désigna du menton le salon d’où des effluves de pizza provenaient.

« Tout comme tu as malencontreusement rangé l’appartement alors que c’était à moi de le faire. »

Elle haussa les épaules puis regarda de nouveau Erwin.

« J’allais lancer une série, si tu veux manger plus tard, j’peux te mettre ta pizza au frigo. »

Erwin s'était (enfin) habillé et avait passé l'après-midi à travailler, histoire de rattraper sa non-productivité de la matinée. Ses cours lui paraissaient étonnamment simples. Visiblement, faire une pause pendant le weekend lui était bénéfique. Il avait su rester concentré jusqu'au moment fatidique où son ventre se mit à hurler au moins aussi fort que les chants de baleine que diffusait la chaîne hifi. Il avait refermé son livre, rangé son bureau et s'était dirigé vers la cuisine. Mais rien. Pas le moindre paquet de pâtes dans les armoires. Ou du moins, rien qui puisse se mélanger de manière correcte pour faire office de repas comestible. Erwin retourna dans sa chambre en bougonnant.

Il n'avait pas réussi à se relancer dans son étude. Il tournait sans but sur sa chaise de bureau, attendant que la faim le terrasse sans remords. C'était sans compter sur sa colocataire qui vint frapper à sa porte. Erwin se leva et traîna des pieds pour aller lui ouvrir. Peut-être qu'elle allait enfin lui rendre son t-shirt. Il fut étonné de tomber sur une Alexis bien différente du matin, les cheveux tombant en cascade sur ses épaules, une petite robe ravissante remplaçant le fameux t-shirt.

"Si tu as faim, j'ai malencontreusement pris ta pizza préférée en trop pour ma commande. Tout comme tu as malencontreusement rangé l'appartement alors que c'était à moi de le faire."

A cet instant même, une odeur alléchante de pizza vint chatouiller le nez d'Erwin, ce qui lui arracha un sourire. Voilà une surprise qui tombait pile à point !

"J'allais lancer une série, si tu veux manger plus tard, j'peux te mettre ta pizza au frigo."

"C'est quel genre de série ? Histoire de savoir si je vais malencontreusement la regarder avec toi pendant toute la soirée."

Erwin n'écouta même pas la réponse, c'était déjà tout décidé. Il vit un petit sourire éclairer le visage d'Alexis, ce qui le mit d'encore meilleure humeur. Il allait se rendre dans le salon pour dévorer sa pizza, mais il s'arrêta net et fit signe à sa colocataire de l'attendre dans le fauteuil. Lorsqu'il revint, il avait un grand bol de Doritos dans les mains. Il le posa sur la table basse juste devant Alexis.

"Normalement, ils allaient me servir de repas. Mais puisque j'ai une coloc qui pense à me remplir l'estomac, ils serviront plutôt d'apéro !"

Alexis rit et se rua sur le bol de chips. Elle lança sa série. Erwin aimait bien cette nouvelle Alexis.

Jeudi 20 mai

Au cours des jours précédents, Erwin avait suivi des cours passionnants et d'autres ennuyants. Il avait parlé avec Alexis, elle parlait plus qu'avant. Il avait croisé Sera qui traînait dans l'appart' en sous-vêtements, se croyant sans doute seule avec Alexis, et ça avait créé une situation plutôt gênante. Il avait aussi croisé Cal à qui il avait posé plusieurs questions sur sa relation avec sa colocataire. Il avait reçu un appel de sa mère qui s'inquiétait et voulait savoir s'il mangeait suffisamment sainement pour étudier dans de bonnes conditions. Il avait nourri le chat encore une fois. Il avait nourri Bubulle aussi. Bref, un début de semaine palpitant.

Il était passé midi et le soleil tapait fort à la fenêtre de la chambre d'Erwin. L'étudiant était étalé sur son lit, le plus près possible du mur afin d'esquiver les rayons que le soleil projetait dans sa direction. Il aurait vraiment dû ramener un ventilateur de chez lui, la fenêtre ouverte ne suffisait plus. Après quelques minutes à crever de chaud, il décida de se rendre à la cuisine pour se servir un immense verre d'eau rempli de glaçons. Il alla ensuite dans le salon, un peu plus frais que sa chambre, et se posa dans le fauteuil.

Quelque chose vibra alors sur la table du salon. Erwin regarda et remarqua qu'il s'agissait du téléphone d'Alexis. Elle avait dû l'oublier là avant de partir en cours. Heureusement, Erwin l'avait entendue partir seulement deux heures plus tôt, elle reviendrait certainement d'ici peu de temps. Néanmoins, cet écran lumineux affichant trois notifications attirait l'oeil d'Erwin. Après une courte réflexion il se dit que, après tout, Alexis n'en saurait rien. Il saisit le petit objet et tenta de lire ce qui était écrit. Il y avait un message de Sera, un deuxième de Sera et une notification d'une application sans importance.

Le premier message disait "Ce serait cool que tu me dise si Erwin pourrait" avant d'être coupé par le manque de place de l'écran. Le second demandait simplement si le message était bien reçu. Si Erwin pourrait quoi ? L'étudiant savait que ça ne devait pas être très important et que ce n'était pas ses affaires tant que c'était dans le téléphone de sa colocataire, il tenta d'en savoir plus. Alexis avait évidemment verrouillé son téléphone à l'aide d'un code. Erwin fit plusieurs tentatives en commençant par les classiques dates d'anniversaire, mais aucune ne fonctionnait. Après plusieurs échecs, l'engin se verrouilla pour de bon en annonçant qu'il faudrait attendre une minute avant de réessayer.

Erwin entendit alors la porte d'entrée claquer. Alexis arriva en trombe dans le salon et il fit glisser le téléphone sur la table. Sirotant son verre d'eau froide, il regarda par la fenêtre pour se donner l'air innocent.

Étonnamment, à partir du moment où Alexis avait décidé de s’ouvrir un peu à Erwin et d’arrêté de le considérer comme un débile de première, obsédé par la reproduction de baleine, Alexis le trouva être de bonne compagnie. Parfois, quand les journées se faisaient longues, elle trépignait d’impatience à l’idée de passer un moment avec Erwin, même si ce n’était que quelques mots balancés au détour de la soirée. Cette nouvelle routine avait fini par plaire à Alexis – et à Sera qui, à force de venir, avait décidé que la règle « Pas les colocs » n’avait pas réellement de sens.

Après une matinée éreintante de cours, Alexis accueillit avec délice le répit que lui offrait l’après-midi de libre. De plus, avec cette chaleur étouffante, Alexis n’aurait jamais été capable de tenir une journée complète de cours. Les salles ressemblaient davantage à un sauna qu’à un endroit où enseigner. Tout le monde était facilement à cran, surtout quand les amphis dénotaient plus pour leur odeur de transpiration que pour leur confort. Ce fut donc avec un plaisir non-dissimulé qu’Alexis rentra chez elle. L’appartement avait l’intérêt d’être beaucoup plus frais que dehors – même si elle savait que ça n’allait pas durer.

Elle ne remarqua pas tout de suite Erwin qui de toute façon était façonné par l’air extérieur. Après avoir balancé son sac de cours dans sa chambre, Alexis alla se servir un verre d’eau fraîche dans la cuisine. Son téléphone sonna à ce moment-là dans le salon. Qui pouvait bien l’appeler à ce moment-là ? Alexis soupira et salua Erwin, distraite par son téléphone. Quand elle le saisit, ses sourcils se froncèrent et elle soupira bruyamment. Son humeur n’avait peut-être pas été changée par la chaleur mais elle allait définitivement changer après cet appel.

« Super. »

Après avoir levé les yeux au ciel, le téléphone serré dans ses mains, Alexis déposa son verre et répondit avec la voix la plus maussade du monde.

« Allô ? … Oui je sais qui tu es, c’est écrit sur l’écran … Oui je viendrais au mariage de Willa … Oui. Non. Oui. Non. Non je ne serais pas accompagnée. Écoute papa, je pense que même avec tous les efforts du monde, aucun de mes potentiels petits-amis voudrait te rencontrer. Oui je sais, je suis la risée de la famille. Oui, c’est vrai. Oui tu as tout à fait raison, j’irai me flageller ce soir pour faire pardonner cet affront. Passe une bonne soirée aussi, papa. »

Au fur et à mesure de la conversation avec son père, la voix d’Alexis était devenue presque agressive. Finalement, elle raccrocha avec une douceur surprenante comparé à la colère qui faisait trembler sa main. Elle ignora Erwin et but d’une traite son verre d’eau froid. Jugeant qu’il n’y avait pas de raison de s’isoler pour si peu, Alexis se vautra à l’opposé d’Erwin sur le canapé et scruta son téléphone. Deux messages de Sera. Après les avoir lus, Alexis leva les yeux au ciel une nouvelle et posa son regard sur Erwin qui était suspicieusement silencieux.

« Sera veut savoir si tu veux coucher avec elle. Oh elle l’a pas dit comme ça, mais c’est clairement ce que ça veut dire, je la connais. »

Alexis lâchement un grognement avant de continuer, dans un murmure assez clair pour qu’Erwin l’entende :

« De toute façon, la règle ‘pas les colocs’ ne l’intéresse pas – puisqu’elle a décidé de se balader en sous-vêtement dans tout l’appart dès que t’es là. »

Alexis reposa son téléphone sur la table, face cachée. Elle se massa les tempes et ferma les yeux quelques instants.

« Si tu veux son numéro, pas de soucis, j’te le passe. Mais faites rien ici, c’est chiant. »

Heureusement pour Erwin, la minute de verrouillage était passée lorsqu'Alexis saisit son téléphone. Elle venait de recevoir un appel et il était bien content que ça ne soit pas arrivé un peu plus tôt. Il n'aurait pas su quoi faire de ce téléphone en train de vibrer dans ses mains, attendant que quelqu'un décroche. En plus, à entendre la conversation qui suivit, Erwin aurait été encore plus nerveux face à cet appel.

Alexis était restée à proximité du salon pour répondre à son appel. Son père, visiblement. Et il avait l'air peu sympathique, le papa. La voix d'Alexis se faisait de plus en plus vive, de plus en plus sèche. Erwin, dans le coin du fauteuil, sirotait toujours son eau en jetant quelques coups d'oeil vers sa colocataire, essayant de se faire oublier en se recroquevillant sur lui-même. Quand Alexis raccrocha et vint s'effondrer dans le fauteuil, il aurait bien voulu la réconforter, mais aucune mot ne lui venait. Cette relation père-fille semblait bien trop tendue pour lui. Il n'était pas psychologue, qu'est-ce qu'il aurait bien pu dire pour arranger les choses ?

"Sera veut savoir si tu veux coucher avec elle. Oh elle l'a pas dit comme ça, mais c'est clairement ce que ça veut dire, je la connais."

L'eau qu'Erwin était en train de boire fit un détour par son nez. Quoi ? Après réflexion, il aurait préféré ne pas savoir ce que cachait ce message. Quand Sera disait qu'il était sexy, il pensait qu'elle n'était pas sérieuse. Ou en tout cas, que trouver quelqu'un sexy n'engageait à rien. Il ne l'avait pas vue si souvent que ça, à peine trois fois en deux semaines.

"De toute façon, la règle 'pas les colocs' ne l'intéresse pas – puisqu'elle a décidé de se balader en sous-vêtements dans tout l'appart dès que t'es là."

Alors ce n'était pas accidentel ??? Erwin sentit que ses joues brûlaient, et ce n'était pas à cause de la chaleur qu'il faisait dehors. Il avait du mal à imaginer qu'une fille se promène volontairement dévêtue pour... Pour quoi, au juste ? Le séduire ? Pas très subtil, comme technique de séduction. Il aurait préféré la voir dans une tenue tout à fait normale, ça aurait évité la gêne qui avait suivi et alors peut-être qu'éventuellement il aurait commencé à penser que Sera était à son goût. Sauf que ça ne s'était pas passé comme ça.

"Si tu veux son numéro, pas de soucis, j'te le passe. Mais faites rien ici, c'est chiant."

Erwin se gratta l'arrière du crâne. C'était assez malaisant que le plan cul de sa coloc veuille faire de lui son nouveau plan cul. Et qu'Alexis lui propose un échange de numéros comme si c'était la routine n'était pas moins malaisant d'ailleurs. D'un côté, Erwin se dit que ça devait être un des avantages à entretenir plusieurs relations : il restait toujours Cal pour Alexis. Mais cette pensée ne l'aida vraiment pas à se sentir plus à l'aise. D'un mouvement de la main, il fit signe que ce n'était pas la peine.

"Non, non, merci. Tu pourras dire à Sera que je ne suis pas intéressé, tu le diras sûrement avec plus de tact que moi. C'est pas trop mon truc, vos relations purement physiques, tout ça..."

Il espérait vraiment ne pas avoir fait de boulette en disant que la relation entre Alexis et Sera n'était que physique. Il y avait sûrement de l'amitié derrière, une bonne amitié, c'était le minimum. Mais Etant donné qu'il y avait aussi Cal et qu'Alexis n'avait jamais parlé de Sera comme le font beaucoup de filles à propos de leur copain ou de leur copine, Erwin avait déduit qu'il n'y avait rien de plus. Il but une grande gorgée d'eau. On pouvait entendre le chat qui se grattait sur le lit d'Alexis. Les deux étudiants ne parlaient pas. Erwin voulut trouver quelque chose pour briser le silence.

"Et sinon. Hum. Un mariage. C'est... chouette ? Celui de ta soeur, je suppose ?"

Alexis se tordit les doigts et Erwin se mordit l'intérieur de la joue en espérant ne pas avoir fait une potentielle deuxième boulette. Il posa son verre d'eau sur la table basse et s'approcha doucement d'Alexis.

"Ça a pas l'air facile, ton père doit pas être génial. Je sais pas si tu veux en parler..."

Erwin n’avait pas l’air enchanté par la proposition d’Alexis. Si elle n’avait pas été aussi énervée par toute la situation, peut-être qu’Alexis aurait tenté de le charrier. Un Erwin timide et pudique était vraiment quelque chose d’assez surprenant et d’improbable à vrai dire. Également d’assez mignon. Pour peu, Alexis le découvrait sous un autre jour. Mais la colère qu’elle ressentait en repensant à son père suffisait à calmer cet élan de probable affection pour son coloc.

C’est pas trop mon truc, vos relations purement physiques, tout ça… Ça y’est, il n’était plus mignon. Alexis soupira discrètement. Une partie d’elle avait vraiment la flemme de rentrer de nouveau dans le débat. Mais une autre partie d’elle-même avait envie de hurler haut et fort que ce n’était parce qu’on s’attachait à plusieurs personnes qu’on était forcément liés avec que pour le cul. C’est donc comme ça qu’il la voyait ? Comme une meuf avec juste des plan-culs ? Cal et Sera étaient bien plus que des plan-culs – même si actuellement Sera l’exaspérait au plus haut point.

Et sinon. Hum. Un mariage. C’est… chouette ? Celui de ta sœur, je suppose ? Alexis se fit craquer les doigts sans vraiment y faire attention. Erwin n’avait plus rien de mignon. Il enchaînait les sujets qui fâche sans même s’en rendre compte. Alexis leva les yeux au ciel au moment où il posa son verre d’eau sur la table basse pour s’approcher d’Alexis. Ça a pas l’air facile, ton père doit pas être génial. Je sais pas si tu veux en parler… Alexis posa sur Erwin un regard si froid que c’était à se demander s’il faisait réellement chaud dehors.

« C’est pas des relations purement physiques que j’entretiens avec Sera et Cal. Ce sont des vraies relations. Je ne trouve juste pas d’intérêt à m’attacher à une seule personne alors qu’il y a tant de gens différents sur terre. Et ils partagent la même vision. »

La voix d’Alexis n’était pas aussi froide que son regard. Un court silence s’installa entre les deux colocataires durant lequel Alexis but bruyamment une gorgée de son propre verre d’eau. Décidant que le sujet délicat était passé, elle pouvait passer maintenant enchaîner avec le sujet qui fâche. Elle pesa mentalement le pour et le contre, puis jugea qu’elle ne voulait pas spécialement perdre la relation qu’elle avait actuellement avec Erwin. Et puis, elle n’avait rien à perdre, ni à cacher, en mentionnant sa relation chaotique avec sa famille.

« Ma sœur, oui. Imagine-moi mais en mieux sous tous les aspects, c’est ma sœur. Elle va se marier avec l’homme parfait. Il n’y a rien de spécial dire à part que c’est la seule personne de ma famille qui m’apprécie, donc pour elle, je vais aller me faire humilier pendant des heures par des gens que je n’aime pas. Et quand ils auront fini de m’insulter, j’irais tendre l’autre joue en souriant. »

Comme pour joindre le geste à la parole, Alexis afficha son plus beau sourire, le plus hypocrite, le plus doux. Puis, elle retrouva rapidement un visage neutre. Elle rapprocha ses genoux sur sa poitrine et posa son menton dessus. Elle fixa Erwin dans les yeux.

« Les choses qu’on fait par amour, hein. »

Alexis lança un regard si dur à Erwin qu'il sentit presque une lame lui crever les yeux. Ah, il avait donc bien fait une boulette quelque part. Instinctivement, il recula pour se retrouver à nouveau à l'autre bout du fauteuil. Là où il était sur de limiter l'impact d'un potentiel lancer d'objets en tout genre.

"C'est pas des relations purement physiques que j'entretiens avec Sera et Cal. Ce sont des vraies relations. Je ne trouve juste pas d'intérêt à m'attacher à une seule personne alors qu'il y a tant de gens différents sur terre. Et ils partagent la même vision."

Erwin leva les mains comme pour s'excuser de la confusion, mais Alexis n'y fit pas vraiment attention. Il était plus habitué à entendre ses potes parler de coups comme ça ou de copines qu'on aime que pour leurs formes. Tout ça, il ne l'avait jamais vraiment partagé. Des coups d'un soir, ça pouvait arriver, mais se contenter d'une personne pour son physique, ce n'était pas trop son délire. L'explication d'Alexis prenait plus de sens. Erwin n'avait jamais éprouvé d'attachement pour deux personnes à la fois, mais pourquoi pas ? Il regrettait un peu d'avoir jugé sa coloc trop vite.

"Ma sœur, oui. Imagine-moi mais en mieux sous tous les aspects, c'est ma sœur. Elle va se marier avec l'homme parfait. Il n'y a rien de spécial dire à part que c'est la seule personne de ma famille qui m'apprécie, donc pour elle, je vais aller me faire humilier pendant des heures par des gens que je n'aime pas. Et quand ils auront fini de m'insulter, j'irais tendre l'autre joue en souriant."

Le sourire d'Alexis n'aurait trompé personne. Surtout en disparaissant aussi vite qu'il était venu. La jeune fille garda le silence un instant et Erwin ne parla pas non plus. Alexis se recroquevilla sur le fauteuil. Elle paraissait toute petite, comme ça. Le chat vint dans le salon en trottinant et s'assit devant le fauteuil, regardant sa maîtresse qui semblait absorbée dans d'autres pensées. Puis elle croisa le regard d'Erwin.

"Les choses qu'on fait par amour, hein."

Erwin regarda Alexis un moment et elle ne le quitta pas des yeux non plus. Le chat, qui s'impatientait sur le sol, grimpa entre les deux colocataires, mais il ne reçut pas plus d'attention alors il se roula en boule au milieu du fauteuil. Enfin, Erwin détourna son regard. Il ne savait pas quoi dire à Alexis. Pourtant, il avait l'impression qu'elle attendait quelque chose. Il réfléchit un instant, puis il prit la parole.

"Une fois, par amour, j'ai lancé des cailloux à la fenêtre d'une fille. J'avais douze ans. Je voulais faire comme dans les films. Mais j'ai cassé la fenêtre."

Alexis rit doucement. Le chat miaula. Erwin sourit.

Samedi 22 mai

"Alexis, la plus génialissime coloc qui existe sur cette Terre, la plus gentille adopteuse de chat de la fac, mon observatrice de cailloux préféréééééééée !"

Alexis ouvrit la porte de sa chambre, les cheveux tout juste coiffés, les yeux encore un peu fatigués. Elle fixa Erwin d'un air blasé mais interrogateur. Elle voulait savoir ce qu'il avait à demander, et de préférence le plus vite possible histoire d'être tranquille, sans doute. Son colocataire était réveillé depuis une heure mais était déjà prêt à profiter de son premier jour de weekend.

"Je voulais te prévenir que j'ai invité des amis ce soir. Y aura Cal, entre autres, et d'autres que t'as déjà vus. Tu peux inviter des gens aussi si tu veux. Promis, ce sera de la bonne musique, pas des chants de baleine."

En ce début de weekend de mai, Alexis eut la désagréable envie de tuer Erwin. Son coloc était en train de sautiller partout, hurlant dans l’appartement, ce qui l’arracha à sa grasse matinée bien trop tôt à son goût. Je voulais te prévenir que j’ai invité des amis ce soir. Y aura Cal, entre autres, et d’autres que t’as déjà vu. Tu peux inviter des gens aussi si tu veux. Promis, ce sera de la bonne musique, pas de chants de baleine. Erwin avait cette espèce de sourire enfantin qui barrait son visage. Dans une autre situation, Alexis aurait trouvé ça terriblement attachant – après tout, elle avait l’impression de trouver de plus en plus Erwin mignon, ce qui devenait particulièrement relou à gérer – mais pas au réveil. Après avoir marmonné un bref « ok », elle avait refermé la porte et c’était rendormi aussi sec.

Quelques heures plus tard, Alexis traînait en pyjama dans la maison, tel un zombi sans but. Elle avait une tasse de thé à la main, et traînait des pieds par terre. Son chat faisait des allers et retours vers sa maitresse, se demandant sûrement pourquoi elle avait une aura de mort-vivant. Cette mascarade dura encore plusieurs heures où Alexis s’installa à demi-morte sur son canapé, à attendre que quelqu’un l’achève. Si Erwin tentait de l’approcher, Alexis ne le remarqua pas car elle avait vissé son casque sur ses oreilles, priant tous les dieux pour qu’on lui foute la paix.

Quand sonna dix-huit heures, Alexis s’enferma dans la salle de bain pendant un moment. Sans laisser le temps à quiconque de la voir, elle s’enferma ensuite dans sa chambre. Quand les premiers invités sonnèrent, Alexis était toujours enfermée dans sa chambre. Puis, quand Cal arriva, Alexis daigna enfin sortir de sa chambre. Habillée d’un crop top et d’un pantalon souple, Alexis avait changé du tout au tout. Son maquillage était parfaitement maîtrisé. Sa coupe de cheveux avait été dompté pour faire naturel mais pas trop. Elle salua chaleureusement tous les invités dont elle connaissait vaguement le visage, passant le plus clair de son temps près de Doritos – cette invention était GÉNIALE.

La soirée avançait. Après s’être mis d’accord avec Cal pour qu’il reste dormir, ils avaient chacun pris des chemins différents pendant la soirée. De temps en temps, ils s’échangeaient des regards pleins de tendresse, leurs doigts s’effleurant au détour d’une conversation. Mais la plupart du temps, ils essayaient de rester avec d’autres personnes. C’est comme ça qu’Alexis fit la connaissance de Sung. Ce jeune étudiant était un habitué des soirées – c’est d’ailleurs comme ça qu’il avait rencontré Erwin qu’il qualifiait comme son « meilleur ami de beuverie ». Cependant, même si habitué, Sung ne tenait pas réellement l’alcool. Son comportement, parfois trop amical, devint plutôt gênant alors Alexis changea de groupe.

Vers deux heures du matin, il était évident qu’Alexis en avait marre d’avoir autant de monde autour d’elle. Après un regard échangé auprès de Cal, les deux étudiants s’enfermèrent dans sa chambre. Heureusement que les survivants de cette soirée avaient décidé de mettre le son à fond car sinon le reste de la soirée aurait été gênant pour tout le monde.

Dimanche 23 mai

Alexis se réveilla plutôt en forme. Il n’était même pas encore midi quand elle émergea, blottie contre Cal. Après quelques échanges de banalité, Alexis décida d’aller à la douche. Deux-trois personnes comataient dans son salon, mais la plupart avait préféré finir la soirée dehors, ce qui laissait le champ libre. La porte d’Erwin était entrouverte mais aucun son n’en sortit.

Plutôt satisfaite par ce calme apparent, Alexis se glissa sous l’eau chaude de la douche. Elle fut rapidement rejointe par Cal qui, profitant d’être pour une fois dans les parages, n’allait pas laisser Alexis toute seule. Après quelques regards et sourires provocateurs, les deux amoureux décidèrent d’accélérer un peu la cadence. Ce fut sans compter sur le rideau de douche qui s’ouvrit en grand à ce moment. Dans la panique, tout le monde hurla. Alexis. Cal. Erwin qui venait d’ouvrir le rideau de douche. Quelques insultes furent échangées mais rien de bien méchant. Il ne fallut que quelques secondes à Erwin pour sortir trombe de la salle de bain. Autant dire que Cal et Alexis ne finirent jamais ce qu’ils avaient commencé.

***

Vers quatorze heures, quand tous les invités furent partis – y compris Cal – Alexis décida de faire un peu de ménage. Elle n’avait pas vu Erwin depuis l’incident et elle n’était pas sûre d’assumer de le recroiser après cet événement. Elle s’affaira donc à ranger et nettoyer le plus discrètement possible.