Ava s’était fait avoir, évidemment. À force de fuir la compagnie de ses semblables, elle se retrouvait malgré à elle à fuir des informations essentielles qu’il aurait été bon de savoir avant de partir pour la Colonie des sang-mêlé pile poil quand il y avait une réunion importante pour les représentants des différents camps présents à la Colonie. Évidemment, si Ava avait réfléchi à deux fois à cette situation, elle aurait peut-être trouvé étrange d’être la seule Centurion à se rendre à la Colonie en compagnie de Leo Del Re. Le jeune homme ne quittait rarement le Camp à part… pour les réunions importantes.

Stupide Ava, stupide Ava, se répétait-elle silencieusement pendant qu’elle écoutait le long debrief de Chiron alimenté par quelques commentaires ou questions de Del Re et Prentiss. Depuis combien de temps Ava était-elle là à écouter les résumés des dernières quêtes ? La mise à jour des endroits les plus dangereux ? De temps en temps, Ava arrivait à entamer une micro-sieste les yeux ouverts et se réveillait complètement perdue dans les informations. Son compte-rendu allait définitivement être pathétique. Comme le reste de son existence, finalement.

Lorsque le meeting se termina, Ava était de nouveau en micro-sieste. Ce ne fut que lorsque Del Rel claqua son carnet contre la table la plus proche que la Centurion daigna quitter Morphée. Le temps de reprendre ses esprits et de ranger son bloc note, une longue jambe l’empêcha de se relever. Confuse, Ava remonta son regard jusqu’à se trouver face à un paquet de chips. Un paquet de chips avec des jambes ?

« Tu veux une chips ? »

Ah. Ava chassa définitivement Morphée de son esprit pour se concentrer sur la jeune fille aux cheveux blancs qui lui tendait le paquet de chips. Sceptique mais habituée aux situations étranges, Ava se servit dans le paquet et dégusta quelques chips de façon tout à fait bruyante, en fixant la Chasseresse droit dans les yeux sans qu’une émotion ne traverse son visage.

« C’est pas avec des chips que je rejoindrais les Chasseresses, tu sais. »

Ava se lécha les doigts sans aucune classe, le regard toujours braqué sur l’inconnue dont elle ignorait absolument tout des motivations… mais puisqu’elle n’avait rien d’autre à faire à part attendre que le temps passe, autant rester pour voir ce que la fille lui voulait.

La Chasseresse pris son temps pour répondre et Ava eu l’impression d’être une souris face à un serpent. La méchanceté semblait envelopper l’immortelle adolescente comme une seconde peau, faisant briller ses yeux d’une étincelle mesquine. Cette attitude dessinait sur sa tête une couronne faite d’épines et de fer qu’Ava n’avait aucun mal à visualiser.

« Tant mieux, ça en fera plus pour moi ! »

Maintenant qu’Ava était entièrement concentrée sur la Chasseresse, elle pouvait déceler sans mal les notes faussement mielleuses qui se glissaient entre chacune de ses syllabes, enrobant ses mots d’un trop-plein de sucre qui annonçait sans s’en cacher l’acidité qui suivrait.

« Plus sérieusement, je n'ai aucune envie de te recruter. »

Les jambes remontées contre sa poitrine, le menton juvénile posé sur ses genoux, la Chasseresse avait tout du chiot qui allait mordre au moindre mouvement brusque mais qui faisait semblant d’être mignon. Ava n’était pas dupe. Elle connaissait parfaitement ce genre de personne avec lequel elle avait passé toute sa vie.

« En fait, je m’interroge et je pense que tu peux m'apporter ton point de vue. Vois-tu, je me demande quelqu'un d'aussi... comme toi à pu devenir Centurion? Ne le prend pas mal mais pour obtenir ce grade, les légionnaires ne doivent pas faire preuve de bravoure ? »

Le fouet claqua sans qu’aucune émotion ne traverse le visage indifférent d’Ava, habituée à ce genre de questionnement, à ce passif-agressif, à cette méchanceté gratuite qui gonflait d’égo ceux qui l’utilisaient. Ava avait grandi avec une mère qui utilisait parfaitement bien ce mécanisme. La plupart des légionnaires des autres cohortes murmuraient ce genre de question entre eux et certains osaient la dire à voix haute. Ava était habituée alors elle se contenta de hausser légèrement les épaules.

« Si tu poses des questions dont tu es persuadée de connaître déjà la réponse, pourquoi gâches-tu ta salive ? »

Si la Chasseresse lui avait asséné de tels coups quelques mois plus tôt, Ava aurait sûrement perdu le peu de confiance qu’elle avait en elle. Évidemment qu’elle n’avait été le premier choix de personne, même pas de sa propre mère, mais elle était là maintenant et seul l’avis de sa cohorte comptait aujourd’hui. De plus, qui de celle qui préférait fuir sa vie et sa faiblesse en devenant une Chasseresse d’Artémis, et celle qui affrontait chaque jour sa vie de mortelle était la moins brave ?

Ava fixait un point dans le vide, au niveau de l’épaule de la Chasseresse. La partie raisonnable d’elle-même voulait se lever et partir. La réunion n’avait-elle pas déjà été assez chiante comme ça pour qu’Ava s’inflige en plus une conversation passive-agressive avec une inconnue hautaine ?

« Je ne suis pas Athéna, je n'ai pas réponse à tout. »

Ava haussa les sourcils mais ne répondit rien. Elle avait l’intime conviction que chaque mot qu’elle prononcerait serait déformé et utilisé contre elle. De plus, cette Chasseresse n’attendait visiblement pas de réponse en particulier. Elle ne semblait là que dans un but : faire chier son monde. Et elle y arrivait parfaitement car chaque syllabe qu’elle prononçait commençaient sérieusement à emmerder Ava au plus haut point.

« Je cherche à découvrir la vérité, si peux je le formuler de cette manière. Tu sais, il y a beaucoup de piaillements et, parfois, pour être sûre de ce que l'on avance, rien ne vaut mieux que d’interroger la personne concernée. »

Ava plissa très légèrement les sourcils. Elle n’était pas piquée au vif pour ainsi dire, mais sa patience avait ses limites. En quel honneur cette inconnue venait lui demander des comptes sur quoique ce soit ? Se considérait-elle comme une entité supérieure ?

« Tu n'es pas d'accord ? »

Ce petit air altier, cette façon d’accentuer ses mots… Ça y’est, Ava était définitivement soulée. Elle se pencha très légèrement en avant pour rapprocher son visage de celui de la Chasseresse et activa son pouvoir. Elle pu voir une étincelle de changement dans le regard de l’éternelle adolescente.

« Je ne comprends pas, pourquoi es-tu si obsédée par moi ? On se connait ? »

Ava augmenta l’intensité de son pouvoir, insuffla non pas un amour pur mais un amour presque passionnel. Les Chasseresses faisaient vœux de chasteté, non ? Ses émotions n’étaient pas de ceux qu’elle devait avoir l’habitude de ressentir. Son masque de glace se brisa très légèrement lorsqu’Ava continua, d’un ton suave, un murmure destiné uniquement à son interlocutrice.

« Tu veux savoir quoi sur moi ? Mon prénom ? Mes actes de bravoure ? Ou alors… d’autres choses ? »

Ava savait parfaitement jouer avec les inflexions de sa voix pour insuffler encore plus de force à son pouvoir. Elle effleura la main de la Chasseresse en se relevant, de façon anodine, comme s’il s’agissait d’une pure coïncidence. Ava se pencha un peu un plus en avant, prenant l’ascendant sur la Chasseresse qui était assise.

« Je suis navrée que tu ne puisses me connaître qu’à travers des ragots. Peut-être… Non, suis-je bête. Tu es une Chasseresse c’est ça ? Une éternité de solitude… C’est pas facile hein ? »

Ava se redressa, mettant fin à la tension dans leur proximité. Elle croisa les bras sur sa poitrine et retrouva une voix froide et désintéressée.

« Je suppose qu’il faut du courage pour accepter de se cacher derrière cette bénédiction. Je comprends que tu passes tes nerfs sur les autres, ceux qui font ce qui veulent et qui ne dépendent pas vraiment d’une déesse en particulier. »

Ava reculait au fur et à mesure qu’elle parlait jusqu’à se rapprocher de la porte. Son pouvoir était déjà en train de quitter l’esprit de la Chasseresse dont le mécontentement pouvait se discerner sur ses traits.

« Sur ce, je vais te laisser. Continue d’écouter les ragots, ça te rappellera la vie que tu n’as jamais eu. »

Ava ouvrit la porte au moment où la Chasseresse se leva et ferma la porte à la clé avant de s’éclipser en-dehors de la Grande Maison.