Erwin se retint de rire en entendant la remarque de Clayton. Il déposa ses affaires sur le côté du lit encore libre en espérant que ce ne serait pas le fils de Vulcain qui gigotait dans son sommeil, prenant soin de tirer un trait sur l'évocation des ronflements. Ce qui l'embêtait plus, c'était le fait que Clayton se rue sous la douche avant lui.

Fatigué par la route et n'ayant rien à faire, Erwin décida de se poser sur le lit pour tester le matelas, puis ferma les yeux un instant.

Quand il les rouvrit, il faisait noir et Clayton était assis en tailleur sur son côté du lit.

La douche avait fini de couler depuis un moment. Pourtant, Clayton ne se sentait pas de réveiller Erwin. Pas quand le bonhomme dormait aussi profondément, en léger ronflement, tout habillé sur le lit.

Alors il s’installa près de lui. Dans une impulsion, il finit par se pencher. Est-ce que les gouttelettes de ses cheveux humides roulant dans sa barbe le réveillerait ? Perdu dans ses pensées, il regarda les yeux d’Erwin papillonner.

“La douche est libre.”

Clayton le murmura dans un sourire. Dans un bâillement, il se leva et se glissa en caleçon sous les draps dans sa partie du lit.

Erwin mit quelques secondes à émerger. Une fois réveillé, il se rua vers la douche pour profiter d'un moment de détente avant de revenir dormir.

En sortant de la douche, après de longues minutes de relaxation, il trouva Clayton enroulé dans la couverture comme si la température de la chambre était hivernale. Et, surtout, comme s'il était le seul à devoir dormir dans ce lit. Erwin soupira, plus par principe que par réel agacement car il faisait trop chaud pour dormir avec une couverture sur le dos. Il s'allongea et s'endormit dès que sa tête toucha l'oreiller.

Il fut toutefois réveillé par un son aigu. Il n'eut pas le temps de l'identifier, à peine réveillé qu'il était, mais le bruit sembla recommencer, un peu plus loin. Le fils de Poseidon secoua Clayton.

"T'as entendu ?"

Clayton fut réveillé par une secousse. La tête enfouit dans l’oreiller, il se recroquevilla davantage dans le cocon de la couette, ignorant royalement la voix. Sauf qu’Erwin continua de le secouer comme un prunier.

“Jvais t’buter.”

La joue écrasée contre l’oreiller, Clayton regarda d’un œil Erwin. Erwin qui avait une mine inquiète. Pas bon signe. Erwin avait toujours eu un sommeil plus léger que le sien. Peut-être avait-il entendu un monstre. Vraiment pas bon signe. Les cheveux en pétards, Clayton se redressa à contrecœur pour tendre l’oreille.

Le son se répéta. Un frisson dégringola le long de son dos. Cela pourrait être n’importe quoi ; des branches tapant contre la toiture, un monstre griffant un mur, des clients profitant sensuellement de leurs nuits, une dame se faisant découper. Le meilleur moyen de savoir serait d’aller vérifier. Sauf que le petit brun n'en avait ni l'envie, ni le courage. C’était comme ça que l’on meurt dans les films d’horreur.

“Hmm, j’entends rien Erwin.”

Clayton se recroquevilla dans le drap chaud et ignora les vagues d’angoisses irradiant à moins d’un mètre.

Comment Clayton pouvait-il ne pas entendre cette espèce de grattement saccadé ? Que ça ne l'ait pas réveillé, passe encore, mais qu'il ne l'entende pas maintenant qu'il était réveillé ?

"Si, si. Ecoute."

Erwin se tut pour laisser le fils de Vulcain écouter. Mais, à voir sa tête à moitié enfouie dans les draps et ses yeux tournés vers lui dans un regard insistant, le demi-dieu comprit bien vite.

"Bon, ça va, j'ai compris, je vais voir moi-même."

Erwin sortit du lit et enfila les claquettes qu'il avait apportées en guise de pantoufles. Il s'empara d'une lampe de poche dans son sac et ouvrit la porte de la chambre donnant sur le couloir du motel.

Il rentra tout aussi vite et retourna au pas de course s'emmitoufler dans la couette à côté de Clayton.

"Non, t'as raison, j'entends rien finalement. Bonne nuit."

Quand il se réveilla le lendemain matin, Erwin fut soulagé de constater qu'il était toujours en vie et en un seul morceau. A côté de lui, Clayton dormait encore. C'était l'occasion rêvée. Le fils de Poseidon prit une grande inspiration et poussa le cri le plus exagéré qu'il avait en stock.

"AAAAAAAAH CLAYTON AU SECOURS, ON M'A COUPÉ LES JAAAAAAMBES !"

L'effet réveille-matin était efficace.

Clayton regarda d’un œil la silhouette s’éloigner dans la nuit… Avant qu’elle ne regagne le lit à la hâte, comme si Erwin avait le monstre de la nuit aux trousses. Le brun s’endormit en gloussant dans l’oreiller.

AAAAAAAAH- Clayton bondit. Sournoisement enroulée autour de son corps, la couette s’emmêla dans ses mouvements brusques et il s’écrasa au sol en cognant la table de chevet dans une salade jambes-bras. Les yeux écarquillés, le cœur tambourinant, sa tête ébouriffée réapparut. Il était prêt à cramer l’intrus et- Wait. Comment ça des jambes coupées ? Clayton fronça les sourcils, ses yeux ensuqués se posant sur une paire de jambes fonctionnelle et pas du tout détachée du tronc d’un Erwin riant à gorge déployée.

Dans un grognement de défaite, Clayton laissa retomber sa tête sur le matelas. Il ne tarda pas à se joindre au rire, ses épaules tressautant doucement.

“J’vais t’couper les jambes pour de vrai.”

Un marmonnement étouffé par les draps. Les yeux fermés, Clayton était prêt à retourner dans les bras de Morphée.

La chute de Clayton valait le coup. Une vraie chenille effondrée sur le sol. Et une chenille qui, après une menace à la crédibilité relative, refermait déjà les yeux. Erwin s'insurgea intérieurement que son ami puisse déjà vouloir se rendormir.

"Tiens ! Maintenant que t'es réveillé, on ferait bien d'aller manger et de repartir ! On a une bière de cactus à goûter, je te rappelle."

Un grognement lui répondit, mais l'argument du pain au chocolat qui attendait certainement dans une assiette en bas du motel fut suffisamment convaincant. Après un casse-croûte d'avant départ pour bien commencer la journée, les deux sang-mêlé reprirent la route, Erwin toujours au volant pour éviter que Clayton fasse la bêtise de trop.

"Cette fois-ci, tu me guides correctement et sans me cacher le pare-brise, s'il te plaît. On est repartis !"

Un croissant en bouche, des lunettes de soleil de retour au sommet de son crâne, Clayton poussa un cri de joie. Vive les road trip. Et les bières aux cactus. Évidement.

“Hé ! Sale ingrat ! Je te guide toujours correctement, juste avec un peu de fun. Faudrait pas que tu t’endormes au volant. Quelque part, je te sauve la vie.”

Soit une pincée d’imprévisibilité et de danger. Cela dit, Clayton et une carte ? Aucune chance qu’ils se perdent. Le petit brun s’amusa avec la radio - malgré le grondement du barbu - passant de station en station pour esquiver les pubs. Il chanta à tu-tête les titres connus comme inconnus. Erwin huma certains airs, un index tapotant le volant en rythme. Ils passèrent d’embranchements d’autoroute en sortie de ville sans d’avantages de complications. La fabrique ne devrait plus être très loin-

“C’est loooong. J’ai faaaaaim. Erwiiiiin.”

Même s'il faisait mine d'être toujours irréprochable, Clayton semblait avoir compris le message et se tint à carreau pendant tout le trajet, omission faite de son hyperactivité projetée sur la radio de la voiture. Pauvres boutons de commande... Jusqu'à cette plainte digne d'un enfant de quatre ans.

Erwin soupira. Il ouvrit la bouche pour répondre à son ami qu'il n'avait qu'à manger sa main (et garder l'autre pour demain), mais le grondement de son propre estomac lui coupa l'herbe sous le pied. Il soupira une deuxième fois.

"Bon, ok, on va s'arrêter. Mais on est qu'à 10km de la brasserie cactus, hein."

Le regard de Clayton voulait tout dire : manger maintenant. Bien, Erwin gara la voiture dès qu'il en eut l'occasion, devant une sorte de fast-food à l'enseigne inconnue.

"Si tu te tiens bien, t'auras un magic box."

Et il sortit de la voiture.

Il existe des mots magiques permettant d’obtenir ce que l’on souhaite des autres, tel que “s’il-vous-plait”, “fait le ou j’te crame vivant” et “magic box”. Définitivement magic box. Jamais il n’a été aussi sage de sa vie. Clayton ne fait aucune remarque à Erwin quant au temps d’attente, ne coupe la file à personne et ne vole pas la borne de commande des doigts boudinées d’un mioche prenant un millénaire pour cliquer sur un bouton. Au final, Erwin n’a pu qu’accepter face à son regard mi-insistant mi-suppliant, l’index à quelques centimètres de l’icône du Happy Meals.

Les pieds croisés sur la banquette d’en face, glissant à moitié de son siège, Clayton grignote un nugget comme le plus délicieux des présents. Enfin. Son jouet, monté en deux secondes top chrono, trône fièrement en bout de la table. C’est le trophée de leur excursion. Erwin avait ronchonné, mais il ne semblait plus du tout opposé à l’idée d’une pause repas maintenant. Erv, le jury est unanime. Croquant en plein centre de son deuxième hamburger, les yeux d’Erwin croisent les siens. Clayton laisse le silence planer quelques secondes avant de lui révéler la sentence. T’es un ogre. Félicitations. Explication logique face à la montagne de bouffe accumulé sur son plateau. Lui et son appétit de moineau en seraient morts.