Les doigts effleurant délicatement le bois du mur, Alexis avançait presque trop lentement dans ce couloir où le silence étouffait ses bruits de pas. Le contraste avec l’extérieur de la Grande Maison était flagrant. Dehors, des grecs et des romains grouillaient de partout, à la fois pour oublier les terribles événements de la semaine dernière mais aussi pour en effacer les dernières traces. Jamais les deux camps n’auront été aussi proches, soudés par ce sentiment de douleur, de deuil mais aussi par ce besoin immuable de vengeance.

Quant à Alexis… elle n’avait plus la force de se battre, pour l’instant. La colère l’avait animée les premiers jours, avait nourri une hargne nouvelle, brûlante. Malheureusement, bloquée dans un lit à l’infirmerie, elle n’avait rien pu faire d’autres que bouillonner en silence. Puis la flamme avait perdu en intensité. Ou plutôt, les sentiments avaient changé de camp. Plutôt que de nourrir une rancœur insatiable, Alexis avait préféré s’occuper d’autres sentiments.

Dès qu’elle fut capable de fonctionner normalement, Alexis proposa ses services pour aider ceux en convalescence. Mais elle se rendit bien vite compte qu’elle était inutile. Se battre sur un champ de bataille, risquer sa vie, elle savait faire… Aider à réparer celle des autres, c’était une autre affaire. Alors, elle fit autrement, se concentrant sur une seule personne. Timidement, elle avait commencé à rendre visite à Erwin qui s’obstinait à vivre reclus dans cette chambre qu’on lui avait prêté pour sa convalescence. Aucun des deux ne savaient réellement quoi dire, quoi faire. Alors Alexis avait commencé à lui parler. De tout. De rien. Sans attendre de réponse. Elle lui racontait sa journée. Celle des autres. Elle tentait de l’ancrer dans cette réalité de laquelle il semblait avoir dû mal à rester accroché.

Au bout de plusieurs jours, c’était devenu une routine. Alexis, après avoir effectué ses tâches de la soirée, grimpait voir Erwin, s’asseyait par terre et racontait tout ce qui lui passait par la tête. Parfois, elle l’accompagnait pour manger. Souvent, elle repartait sans avoir l’impression d’avoir servi à quelque chose. Puis elle recommençait le lendemain. Aujourd’hui ne fit pas exception. Une fois devant la porte de la chambre, Alexis toqua doucement puis entra. Elle avait toujours l’impression d’être de trop dans cette pièce. Mais après avoir presque perdu Elliot, pouvait-elle réellement se permettre de laisser quelqu’un qu’elle aimait de côté ?

Comparé aux autres jours, Alexis portait dans sa main un petit carnet noir avec un crayon coincé dans les spirales. Après avoir timidement salué Erwin et s’être assuré qu’il allait relativement bien, elle s’installa par terre, le dos au mur, perpendiculaire au lit. Alexis commença à débiter quelques banalités sur les échanges greco-romains et les banalités qui reformaient la vie à la Colonie. La fille d’Arès parla pendant une heure devant un Erwin silencieux. Est-ce qu’il l’écoutait seulement ? Est-ce qu’elle faisait réellement ça pour lui ou aussi pour elle ?

Au bout d’un moment, le silence enveloppa la chambre. Alexis essuya contre son short la moiteur de ses mains et se saisit de son petit carnet. Elle passa plusieurs fois ses doigts dessus, le fixant comme s’il contenait un terrible secret. Quand elle releva les yeux, elle croisa le regard d’Erwin, une étincelle nouvelle dans les yeux. Alexis, armée d’un courage bancal, se racla alors la gorge. Elle se redressa et s’approcha d’Erwin. Maladroitement, elle tourna les pages du carnet pour s’arrêter sur une en particulier et tendit le tout à Erwin.

« Je sais que… que tu dors pas très bien. Et je sais que tu as un tableau au-dessus de ton lit. Celui avec le volcan. Aqua m’a laissée le voir. J’avais peur d’abimer l’original si je le prenais alors j’ai tenté de le refaire… »

Ses yeux restèrent fixés sur le dessin. C’était ridicule. Il était si laid comparé à l’original ! Pour peu, Alexis avait envie de se noyer sous la honte. Pourquoi s’imposait-elle cela ? Pourquoi ne pouvait-elle pas se taire ?

« Bref… je me suis dit que peut-être avec un dessin qui te rappelle chez toi, un peu, tu dormirais peut-être un peu mieux. Tu peux garder le carnet et en refaire un propre aussi. Enfin, peu importe. Ce que tu préfères. C’est pour toi. »

Pourquoi avait-elle l’impression de sentir ses joues virer au rouge ? Est-ce qu’il faisait toujours aussi chaud dans cette chambre ? Alexis déglutit avec difficulté et enfonça ses mains dans ses poches, l’air détaché. Elle n’avait pas du tout l’air détaché. Elle était rouge, elle avait chaud et elle ne se sentait définitivement pas à sa place.

Erwin avait assez peu de souvenirs de l'après-bataille. Il savait qu'il s'était endormi, qu'il s'était réveillé à l'infirmerie, qu'Apollon était venu voir une fois comment il allait. Il avait beaucoup dormi. Son sommeil, tantôt agité, tantôt sans rêve, avait été coupé à plusieurs reprises par des instants de conscience assez vague. Il s'était réveillé lorsqu'il fallait lui administrer un soin ou l'autre, lorsqu'Aquarius était venue le voir également. Le reste du temps, malgré le sommeil, la fatigue était encore présente. Si son corps était au repos, sa tête travaillait sans cesse...

La réalité était encore vacillante entre les mains d'Erwin. Si la bataille lui avait semblé parfaitement réelle, il n'en allait pas de même pour tout ce qui s'était déroulé depuis. Lorsqu'il se réveillait en sursaut après un cauchemar, le fils de Poseidon ne pouvait s'empêcher de douter de ce qui l'entourait. Il s'attendait alors à voir Alexis arriver. Celle du labyrinthe. Celle qu'il avait peur de voir. Mais elle n'était jamais arrivée, alors il reprenait pied et comprenait que tout était bien vrai.

Après avoir guéri de ses blessures, Erwin avait découvert la chambre que Chiron avait mise à sa disposition dans la Grande Maison. Il n'avait rien éprouvé de particulier en la voyant. L'intérieur était assez simple, c'était différent des dortoirs communautaires, il y avait une fenêtre donnant sur le terrain de volley. C'était tout ce qu'Erwin avait pensé. Il se mit à passer ses journées enfermé, cherchant à se débarrasser de ces pensées noires qui l'assaillaient. Il dessinait beaucoup. Des pages et des pages de croquis chiffonnées jonchaient le sol autour d'une corbeille déjà remplie. Les mêmes esquisses noircissaient chaque feuille.

Au bout de quelques jours, Alexis lui rendit visite. Ses blessures avaient mis un peu plus de temps à guérir, il ne l'avait pas beaucoup vue depuis les événements du labyrinthe. Il évitait de penser à tout ce qui tournait autour d'elle, de cette bataille, d'Elliot. Il s'en était d'abord voulu d'avoir retenu Alexis. Puis il avait essayé d'oublier ses cris et ses larmes. Il préférait cloîtrer son esprit dans sa chambre, à son image.

Quand Alexis était venue la première fois, Erwin avait senti son coeur se serrer étrangement. Joie et peur s'étaient mélangées. Il était heureux de voir la fille d'Arès, mais le doute était revenu, bien vite éclipsé par la voix douce de la sang-mêlé. Sans pouvoir s'en empêcher, il était resté distant. Il mourait d'envie de serrer Alexis contre lui, et pourtant aucun de ses membres ne voulait s'approcher d'elle. Le mordant de sa dague dans sa chair lui revenait sans cesse.

Au fil des visites, Erwin s'était habitué à la présence d'Alexis. Si il doutait toujours par moment, il ne sentait plus le même malaise par rapport à elle. Quand elle venait, il se contentait généralement de rester couché sur son lit ou de regarder par la fenêtre, ou encore de dessiner quelques croquis. Elle parlait, il l'écoutait. Il ne se concentrait pas toujours sur les mots, mais sur sa voix. Si les mots rappelaient parfois le labyrinthe, la voix de la fille d'Arès était douce et faisait l'effet d'un baume sur toutes ces plaies. Erwin tentait de sourire quand Alexis le regardait. Il ne savait pas trop si le résultat était convainquant, mais il n'arrivait pas à faire mieux.

Ce jour-là, quand Alexis vint le voir, Erwin était allongé sur son lit, fixant le plafond. La fille d'Arès s'assit non loin, à même le sol. Sa voix berça Erwin un moment. Il ne faisait pas attention à ce qu'elle racontait. Il n'en avait pas besoin. Il n'avait besoin que de sa présence et de sa voix, son attention. C'était ce qui l'aidait à aller mieux, à faire disparaître peu à peu l'obscurité de ses pensées. A un moment, la voix se tut. Erwin se redressa sur son lit pour se tourner vers Alexis. Même si elle réfléchissait parfois en silence à de nouvelles choses à dire, elle ne s'arrêtait pas aussi longtemps d'habitude.

Il la vit alors les yeux baissés vers quelque chose dans ses mains. Un livre. Ou un carnet ? Le demi-dieu se pencha alors vers Alexis, un air curieux sur le visage. Il la regarda tourner les pages sans distinguer ce qui les ornait. Puis elle suspendit son geste et croisa son regard.

"Je sais que… que tu dors pas très bien. Et je sais que tu as un tableau au-dessus de ton lit. Celui avec le volcan. Aqua m'a laissée le voir. J'avais peur d’abîmer l'original si je le prenais alors j'ai tenté de le refaire…"

Il y eut un moment de silence durant lequel Alexis pencha la tête vers le dessin. Erwin ne le voyait toujours pas, il n'avait pas le bon angle de vue pour distinguer autre chose que des traits noirs sur le papier.

"Bref… je me suis dit que peut-être avec un dessin qui te rappelle chez toi, un peu, tu dormirais peut-être un peu mieux. Tu peux garder le carnet et en refaire un propre aussi. Enfin, peu importe. Ce que tu préfères. C'est pour toi."

Les joues rouges et le regard fuyant, Alexis tendit le carnet vers Erwin qui s'en saisit. Le coeur du demi-dieu fit un bond dans sa poitrine pour la première fois depuis longtemps. Le dessin était maladroit, les traits gommés étaient encore un peu visibles sur le papier, il y avait des traces charbonneuses de main par-ci par-là. Mais il reconnaissait le volcan. Le tableau qu'il avait fait avec Alexis la première fois qu'il l'avait rencontrée. Il se dit que, en y ajoutant des couleurs, ce dessin serait presque identique à celui qui ornait le mur de son côté du bungalow. Comme s'il se réveillait d'un long sommeil gris, Erwin sentit une douce chaleur se répandre dans son corps. Il sourit.

Après quelques secondes de contemplation béate, Erwin referma le carnet et le posa sur une petite commode à côté de son lit. Il se leva et s'approcha d'Alexis. Elle leva les yeux vers lui, sans doute étonnée. Le demi-dieu s'accroupit en face d'elle et, sans réfléchir, déposa un bisou sur son front. A peine ce geste accompli, il sentit ses joues brûler. Est-ce que c'était vraiment une bonne idée ?

Erwin s'écarta d'Alexis et se releva presque aussi vite. Il se racla la gorge et alla regarder le paysage derrière la fenêtre pour se donner une contenance. Certes, il avait dit à Alexis qu'il l'aimait. Mais rien ne lui disait que c'était réciproque, rien ne lui disait que ce geste ne la mettrait pas mal à l'aise, rien ne lui disait qu'il avait le droit de faire quoi que ce soit différemment d'avant. Il inspira profondément, puis expira.

"Merci. Je, heu, ça me touche beaucoup."

Erwin fut surpris par sa propre voix. Il parlait si peu depuis qu'il restait enfermé ici qu'il avait la voix enrouée. Il n'avait plus rien à dire, de toute façon. Ou peut-être avait-il, au contraire, trop à dire pour se décider sur les mots à prononcer ? Il lança un regard timide vers Alexis avant de reporter son attention sur la fenêtre. Un match de volley, plus bas. Passionnant.

Alexis essayait d’éviter le plus possible de regarder Erwin. Elle était évidemment rongée par la curiosité, elle voulait savoir ce qu’il en pensait, s’il aimait, s’il était touché. Mais elle baignait aussi dans le doute constant. Et s’il n’aimait pas ? Et s’il en avait marre qu’elle vienne tout le temps lui parler ? Et s’il n’osait pas lui dire gentiment d’aller voir ailleurs ? Et si la seule raison pour laquelle il tolérait sa présence, c’était juste par politesse ? Alors, pour éviter d’avoir des réponses à toutes ces questions, Alexis fixait le sol. Puis le mur. Puis le bout du lit. N’importe où.

Erwin prit le carnet délicatement dans ses mains alors Alexis recula et s’installa de nouveau par terre, en tailleur. Ses yeux fouillèrent la chambre du regard. Il y avait quelques vêtements éparpillés çà et là, mais il y avait surtout des feuilles chiffonnées, des feuilles noircies, des feuilles partout, dans chaque recoin. Alexis pouvait sentir son estomac se tordre douloureusement. Une seule question lui brûlait les lèvres : est-ce qu’un jour ses dessins retrouveraient de la couleur ? Ou est-ce qu’ils seraient toujours tachés par les événements du Labyrinthe ?  

Erwin s’accroupit en face d’elle, ce qui l’arracha de ses pensées sinistres. Levant les yeux vers le fils de Poséidon, Alexis fut surprise d’y voir une étincelle nouvelle dans ses yeux. Pendant une toute petite seconde, c’était comme s’il n’y avait jamais eu le Labyrinthe, comme si tout était normal, comme avant. Puis, Erwin déposa ses lèvres sur le front d’Alexis dans un mouvement aussi rapide que délicieux. Le cœur d’Alexis s’accéléra soudainement alors qu’une chaleur différente l’enveloppa.

Le contact ne dura qu’une fraction de seconde. Alexis n’avait même pas eu le temps de réfléchir à ce qu’il fallait faire qu’Erwin était déjà de nouveau debout, dos à elle, en train de fixer par la fenêtre. Distraitement, Alexis passa une main sur son front. Erwin expira bruyamment. Alexis se redressa, le regard perdu, les joues rouges. Elle voulut se rapprocher d’Erwin mais resta finalement à sa place, tordant ses mains dans tous les sens. Pourquoi devait-elle être si gênante tout le temps ?

Merci. Je, euh, ça me touche beaucoup. Alexis sursauta presque au son de la voix d’Erwin. Elle avait l’impression que cela faisait une éternité qu’il n’avait pas parlé. Un sourire sincère barra le visage de la fille d’Arès. Pendant un court instant, rien au monde ne comptait d’autre que ce moment. Elle s’approcha alors d’Erwin et se plaça à côté de lui, sauf qu’au lieu de regarder par la fenêtre, elle planta ses yeux dans les siens.

« Pas sûre que ce dessin vaille des remerciements, mais de rien. »  

Alexis pouffa discrètement de rire avant de glisser son regard vers la fenêtre. Un match de volleyball était en cours.

« Je devrais prendre des cours si un jour je veux te rattraper. C’est un peu ma façon de te dire que je t-. Alexis s’arrêta en plein milieu de sa phrase, manquant de s’étouffer, que je te remercie de m’avoir sauvé la vie, tout ça. »

Alexis pouvait sentir le rouge venir lui piquer les joues. Elle prit une profonde inspiration. Puis expira lentement. Ce n’était pas le moment de paniquer.

« Enfin, je crois. Très peu de souvenir, à vrai dire. »

Alexis avait lâché ça dans un souffle, concentrant son regard sur le petit point orange qui était en train de réaliser une passe décisive pour son équipe.

Alexis vint rejoindre Erwin près de la fenêtre. Le demi-dieu tenta de paraître aussi absorbé que possible par le match qui se déroulait dehors. Mais la sensation brûlante d'un regard insistant le démangea. Il tourna la tête vers Alexis qui le fixait en souriant. Il profita un court instant de cette expression sur le visage de la demi-déesse. Depuis quand n'avait-elle plus souri ?

"Pas sûre que ce dessin vaille des remerciements, mais de rien."

Alexis rit et regarda le monde derrière la vitre. Erwin lança un regard rapide vers le carnet qui jonchait la commode. Même fermé, il pouvait y voir le dessin d'Alexis. Ses quelques instants de contemplation lui avaient suffi à mémoriser la plupart des traits, à se représenter la feuille de croquis mentalement. Si. Ce dessin méritait des remerciements. Parce qu'il se sentait déjà mieux avec ce carnet près de lui. Parce qu'il lui rappelait son île. Parce que ça venait d'Alexis.

"Je devrais prendre des cours si un jour je veux te rattraper. C'est un peu ma façon de te dire que je t... "

Le coeur d'Erwin se mit à battre plus vite, plus fort. Qu'est-ce qu'elle voulait dire ? Est-ce que les mots qu'il espérait allaient finalement être prononcés ?

"...que je te remercie de m'avoir sauvé la vie, tout ça."

Erwin arrêta de respirer. Ah. C'était simplement ça. Erwin se frotta les mains. Evidemment. Qu'est-ce qu'il attendait ? Même s'il estimait qu'Alexis en avait fait bien plus pour lui que lui pour elle, il ne releva pas cette remarque et se contenta de fixer les demi-dieux qui jouaient au volley.

"Enfin, je crois. Très peu de souvenirs, à vrai dire."

Le regard d'Erwin se tinta de tristesse. Est-ce qu'elle se souvenait, comme lui, de cette étreinte si forte qu'ils avaient échangée après avoir vaincu le minotaure ? Avait-elle vu ce soulagement qu'il avait ressenti lorsqu'elle s'était relevée ? Lorsqu'elle s'était dirigée vers lui ? Est-ce qu'elle avait entendu ses mots lorsqu'il lui avait dit ce qu'il avait sur le coeur depuis qu'il avait disparu ? Ou avait-elle tout oublié ?

Erwin aurait aimé oublier certaines choses. Ses cauchemars, les bruits de corps déchirés, les cris, le minotaure, les blessures. Les coups et les mots d'Alexis. Et pourtant, tout était encore là malgré toutes les tentatives du demi-dieu. Il avait eu beau chiffonner le minotaure encore et encore, tout restait dans sa tête. Pendant ce temps, la fille d'Arès, elle, avait pu effacé des souvenirs. Quelle injustice.

Un léger bruit tira Erwin de ses pensées. Un bruit ténu mais suffisant pour briser le silence. Il se tourna vers Alexis et ne comprit pas tout de suite. Puis il la vit se gratter le bras. Il savait qu'elle pouvait très vite irriter sa peau sans pour autant arrêter son geste. Elle le faisait parfois, dans des situations stressantes, gênantes, incertaines... D'un mouvement doux, il écarta la main d'Alexis de son bras. Il la regarda sans rien dire et relâcha ses doigts après quelques secondes, le temps de s'assurer qu'elle ne recommencerait pas l'instant d'après.

L'échange de regard dura un moment qu'Erwin considéra comme une éternité. Etrangement, il ne ressentait aucune gêne dans ce silence imperturbable. Il revoyait Alexis durant la bataille, Alexis qui lui donnait des conseils, Alexis à qui il confiait ses peurs, Alexis qui lui confiait les siennes, Alexis qui peinait à mettre une toile en couleur. Tant de choses lui passaient en tête. Tant d'images, tant de sensations, tant de bonheur.

Cette rencontre avec elle. Du dessin. Et aujourd'hui. Du dessin. Erwin retourna près de son lit, fouilla le tiroir de la commode, souleva son oreiller, puis trouva finalement ce qu'il cherchait juste en dessous du lit. Sa dague. Ou plutôt, une des dagues en bronze céleste qu'Alexis lui avait données dans le labyrinthe. Ah, oui... Pas de mécanisme caché, sur celle-là. Erwin ouvrit à nouveau le tiroir de sa commode et en sortit un crayon bien entamé. Puis il se tourna vers Alexis et lui montra la dague.

"T'aurais pas retrouvé la mienne, par hasard ?"
"Tu parles de ça ?"

Sans laisser le temps à Erwin de l'interroger davantage, Alexis mit la main dans sa poche et en tira un crayon bleuté, un peu mâchouillé, parfaitement taillé. Le fils de Poseidon le reconnut immédiatement. Il fixa Alexis qui lui répondit par un léger sourire. Elle lui tendit le crayon, Erwin l'attrapa en la remerciant. Qu'est-ce qu'elle faisait avec ça dans sa poche ? Depuis combien de temps ? Le demi-dieu posa la dague en bronze sur la commode et attrapa le carnet.

"On peut commencer maintenant, si tu veux."

Devant le regard perplexe d'Alexis, Erwin s'assit au pied de son lit et lui fit signe de le rejoindre.

"Tu veux apprendre à dessiner ? Autant ne pas perdre de temps."

Une étincelle de malice illumina le regard du demi-dieu. A sa manière, il pourrait peut-être être utile. Alexis vint s'asseoir à côté de lui et il lui donna le carnet ainsi que le crayon qu'il avait sorti de son tiroir. Elle les attrapa et le regarda comme pour demander la suite du programme. Erwin commença par lui montrer quelques traits faciles à faire qu'elle imita ensuite. Il lui indiqua quelques détails qui lui permettraient de faire des formes plus nettes, d'éviter les coups de crayons inutiles, de ne pas s'emmêler dans ses brouillons et les traits à gommer.

Au bout d'un moment, alors qu'elle tentait de dessiner quelques formes "simples", Erwin se rendit compte qu'elle n'aurait pas la patience de continuer beaucoup plus longtemps. Penché sur le côté, il avait regardé ce qu'elle faisait et observait son expression avec attention. Les commentaires qu'il faisait n'avaient pas l'air de la contrarier particulièrement. Ses coups de crayon, en revanche, étaient de plus en plus nerveux. Erwin posa la main sur le crayon d'Alexis.

"Tu te concentres trop sur ta technique. Tu veux qu'elle soit parfaite tout de suite. C'est impossible, tu peux apprendre vite mais pas instantanément. Et tu es déjà moins nulle que tu le penses. Oublie un peu la théorie, laisse-toi emporter par la pratique. Ne pense pas à l'image que tu veux représenter mais... aux sentiments. Les idées, les émotions que tu veux exprimer. Laisse tout ça prendre le dessus pour que ton crayon glisse plus naturellement sur la feuille, le reste suivra."

Alexis sembla intégrer ce qu'il disait avec concentration. Erwin lui laissa un instant de réflexion. Puis il décida de lui donner un dernier conseil avant de la laisser se débrouiller à nouveau.

"Si tu as du mal avec les émotions brutes, tu peux penser à quelque chose de concret. Commence par des émotions agréables pour apprécier ton dessin. Pense à quelque chose que tu aimes, une situation qui te met à l'aise, une scène qui te détend, des mots qui t'apaisent, ce que tu veux."

Immanquablement, les pensées d’Alexis se dirigèrent vers Elliot. La plupart du temps, elle évitait d’y penser en-dehors des moments avec Cal, quand il lui donnait des nouvelles. Elle essayait de ne pas se rappeler son corps transpercé par une lance. Elle essayait de ne pas se souvenir de son corps livide à l’infirmerie, stagnant entre la vie et la mort. Elle essayait de ne pas souvenir de tout ce qu’Elliot représentait pour elle. De son incapacité à le sauver. De cette impression d’avoir perdu un bout d’elle-même ce jour-là. La plupart du temps, elle essayait juste de se dire qu’il allait s’en sortir, qu’il avait juste besoin d’un peu de repos. Mais même ça c’était trop douloureux pour Alexis qui pouvait sentir les larmes venir lui piquer les yeux.

Alexis fut ramenée à la réalité par un simple contact. Erwin. Ses doigts sur sa main. Alexis baissa les yeux pour voir son bras rougi. Avait-elle recommencé à se gratter ? D’un geste rapide, elle essuya les larmes qui menaçaient de couler et regarda le match qui se déroulait sous ses yeux. Erwin finit par lui lâcher la main et la douleur vint comprimer un peu plus le cœur d’Alexis. Mais elle ne pouvait pas être triste devant Erwin, elle ne pouvait pas. Alors elle prit de profondes inspirations pour se calmer, se remémorant mentalement des choses plus positives. Elle détourna les yeux du terrain de volleyball et les posa sur Erwin. Malgré tous les événements, cela suffisait à l’apaiser un peu.

Le fils de Poséidon s’agita soudainement et commença à fouiller dans sa chambre. Alexis le suivit des yeux, s’appuyant contre le mur. C’était la première fois depuis bien longtemps qu’elle ne l’avait pas vu aussi actif et son cœur s’accéléra un peu plus. Une douce chaleur l’enveloppa, lui faisant oublier partiellement le reste. Elle avait terriblement envie de le serrer dans ses bras. Elle tenta néanmoins de cacher ses sentiments quand Erwin se tourna vers elle avec une dague et un crayon dans la main.

T’aurais pas retrouvé la mienne, par hasard ? Alexis fronça les sourcils une demi-seconde puis comprit de quoi il parlait. Alexis sortit de sa poche un petit crayon bleu, à l’apparence plutôt basique. Pour peu, elle aurait eu envie de se taper la tête contre un mur. Pourquoi ne lui avait-elle pas rendu plus tôt ? Elle avait eu tellement de fois l’occasion, mais elle avait toujours oublié. Ça s’oublie si vite les armes qui se transforment en objet du quotidien ! Quelle plaie. Alexis leva les yeux au ciel et se frappa le front discrètement dès qu’Erwin eut le dos tourné. Qu’elle était stupide !

On peut commencer maintenant, si tu veux. Alexis interrogea Erwin du regard. Commencer quoi ? Erwin s’installa aux pieds du lit, comme si tout cela était une évidence et fit signe à Alexis de venir près de lui. Tu veux apprendre à dessiner ? Autant ne pas perdre de temps. Le cœur d’Alexis fit un bond. L’envie de dessiner n’avait rien à voir avec cette réaction.

Erwin commença son cours en donnant quelques astuces, en faisant quelques traits pour qu’Alexis suive le mouvement. À vrai dire, Alexis n’était pas toujours concentrée sur ce qu’Erwin disait. Elle avait l’impression que son corps était déchiré entre l’envie de suivre bêtement ce cours et l’envie de se rapprocher entre plus du fils de Poséidon. Elle pouvait sentir son souffle contre sa joue quand il se penchait trop, elle pouvait sentir sa main sur la sienne de temps en temps. Pourquoi des gestes si simples prenaient une telle ampleur quand c’était Erwin qui les faisait ?

Malgré tout, Alexis réussit à suivre plus ou moins correctement les conseils d’Erwin. La frustration commença à pointer rapidement le bout de son nez, lui montrant à quel point elle allait progresser lentement dans cette matière. Pourquoi est-ce qu’Erwin n’était pas passionné par quelque chose de plus inné ? Comme le tir à l’arc ? Le lancer de hache ? Un frisson parcourut le corps d’Alexis. Non, pas de lancer de hache. Jamais.

La main d’Erwin se posa sur le crayon, interrompant Alexis dans la conception de ses petits traits agacés. Il lui indiqua alors qu’elle se concentrait trop sur la technique, que rien n’allait être parfait instantanément et qu’il fallait qu’elle soit patiente. Quelle idée ! Ne pense pas à l’image que tu veux représenter mais… aux sentiments. Les idées, les émotions que tu veux exprimer. Laisse tout ça prendre le dessus pour que ton crayon glisse plus naturellement sur la feuille, le reste suivra. Alexis fronça les sourcils en passant de la feuille à Erwin. Quoi ?

Si tu as du mal avec les émotions brutes, tu peux penser à quelque chose de concret. Commence par des émotions agréables pour apprécier ton dessin. Pense à quelque chose que tu aimes, une situation qui te met à l'aise, une scène qui te détend, des mots qui t'apaisent, ce que tu veux. Alexis lâcha le crayon et remonta ses genoux. D’une main distraite elle commença à se mordre le pouce. Elle tenta de faire le vide dans son cerveau pour se concentrer sur quelque chose de concret mais il y avait tant de possibilités !

Finalement, Alexis posa ses yeux sur Erwin. Il était concret. Il était là. Elle était bien avec lui. Elle fronça légèrement les sourcils. Elle avait déjà du mal à accepter ses sentiments pour lui, alors en plus il fallait qu’elle les dessine ? Quelle idée. Pourquoi avait-elle décidé de se mettre à dessiner ? Finalement, Alexis secoua la tête et reporta son attention sur la feuille sous ses yeux. Le blanc immaculé était presque terrifiant. Elle était définitivement plus à l’aise avec une arme entre les mains.

« Je peux pas te dessiner. »

Alexis avait lâché ça dans un souffle, comme une pensée prononcée à voix haute. Elle continua à ronger son pouce, comme si cela pouvait l’aider.

« On peut pas dessiner des sentiments. »

Alexis laissa retomber ses genoux renversa sa tête en arrière. Ça ne faisait aucun sens ! Comment pouvait-elle dessiner un entraînement avec Erwin ? Comment pouvait-elle dessiner le soulagement et le bonheur de l’avoir retrouvé ? Comment pouvait-elle dessiner tous les sentiments qui se battaient dans son corps et son cœur quand elle le voyait ? Alexis soupira de frustration. Elle se redressa et reprit son crayon. Elle plissa les yeux, se concentra… et dessina un bonhomme en bâton. Puis elle soupira de nouveau et s’allongea par terre, laissant le crayon rouler sous le lit.

Alexis parut réfléchir. Quoi de plus normal d'ailleurs ? En tournant et retournant les mots dans tous les sens dans sa tête, Erwin se répétait qu'il n'avait vraiment pas dû être très clair. Mais il n'avait pas trouvé mieux que ça, il n'arrivait pas à trouver de meilleures explications. S'il trouvait déjà qu'Alexis allait être une élève assidue, lui serait sûrement un très mauvais prof. Incapable.

Le fils de Poseidon secoua légèrement la tête pour chasser les idées noires qui le menaçaient à nouveau. Alexis marmonna quelque chose, il ne comprit pas. Elle ne lui jeta aucun regard et n'insista pas. Elle n'avait pas posé une question et ce n'était sans doute pas important puisqu'elle ne répétait pas. Erwin regarda la feuille blanche qui trônait devant Alexis.

"On peut pas dessiner des sentiments."

Après un soupir et un air profondément agacé par cette énigme, Alexis gribouilla finalement quelque chose sur le papier. Lorsqu'il vit le résultat, Erwin se retint de rire. Tant de concentration pour un bonhomme-allumettes. Il regarda la fille d'Arès s'affaler sur le sol avec la grâce d'un mollusque et la fixa un instant sans rien dire. Comment lui expliquer ? Comment lui faire comprendre ce qu'il voulait dire ? Après un moment de réflexion, il se pencha au-dessus d'Alexis pur attraper son propre carnet de dessin dans le tiroir de sa table de nuit.

"Tu dois pas dessiner tes sentiments. Tu dois les exprimer."

Alexis leva la tête vers lui, lui offrant un regard interrogateur. Erwin l'aida à se redresser avant de continuer. Il ne savait décidément pas comment s'y prendre. Le dessin lui semblait si évident !

"C'est une nuance compliquée. Elle viendra peut-être avec le temps, c'est que ton premier essai. Disons que... Si tu dessinais tes sentiments, ça voudrait dire que tous ceux qui regardent ton dessin pourraient comprendre ce que tu fais. Si tu exprimes tes sentiments, c'est pas pareil. Tu seras la seule à comprendre ton dessin, c'est comme un secret que tu mets dans tes traits."

Une seconde de silence. Alexis semblait s'imprégner du mieux qu'elle pouvait de ce qu'Erwin lui racontait. Le demi-dieu baissa les yeux vers son carnet et l'ouvrit. Il chercha une page, les dessins cachés au regard d'Alexis. Finalement, il arrêta de tourner les feuilles une par une et posa le carnet sur les genoux de la sang-mêlé. Elle porta son attention sur le dessin. Une femme de profil, une inconnue. Les traits étaient très foncés, vifs aussi, comme nerveux.

"C'est un exemple comme un autre. J'étais énervé quand j'ai dessiné ça. En fait, c'était le lendemain de notre dispute à propos du Satyre..."

Alexis leva les yeux vers lui, toujours silencieuse. Erwin lui fit signe que c'était un détail sans importance.

"Elle a l'air calme pourtant. C'est dans les détails que j'ai mis ce que je ressentais. Tu dois laisser aller ton esprit tout seul quand tu veux poser tes émotions sur le papier. J'étais énervé, j'ai pensé à la colère, ça m'a fait penser à la mer quand elle est déchaînée. C'était ce que je ressentais au fond de moi. C'est pour ça qu'elle a les cheveux ondulés et emmêlés. C'est comme les vagues. Et regarde, elle a aussi des yeux très noirs. C'est la couleur qui m'évoque le négatif, la rancoeur... Tout le dessin est très foncé, j'ai appuyé comme un dingue avec mon crayon, j'ai même failli casser la mine ahah. Ah, dernier secret."

Du bout du doigt, Erwin pointa une boucle qui n'allait pas dans le même sens que les autres, perdue au milieu des cheveux. Alexis ne voyait certainement pas ce qu'il désignait. C'était caché. Il l'avait enfoui là, comme plusieurs autres...

"Un mot. Furie. J'en ai mis plein un peu partout dans les cheveux. Mais je les ai recouverts après, j'ai dessiné par-dessus. Ça fait partie du dessin, mais on le voit pas. Tu peux écrire des mots sur ou autour de ton dessin si ça t'aide. C'est pas pour rien que les tableaux des grands artistes ont un nom."

Le silence s'installa de nouveau. Un sourire timide sur les lèvres, Erwin regarda Alexis qui, elle, détaillait le dessin de cette inconnue pleine de secrets. Le fils de Poseidon sentait quelque chose d'un peu étrange au fond de lui. Il avait l'impression de s'être dévoilé énormément, c'était la première fois depuis longtemps qu'il reparlait à Alexis et il lui avait montré une grande partie cachée de lui. Parler de ses dessins, c'était comme avouer les moindres détails de sa personnalité. D'habitude, il laissait n'importe qui regarder ce qu'il faisait, mais il ne l'expliquait jamais.

"Tu peux, hum, tu peux regarder les autres si tu veux. Je sais pas comment t'expliquer avec des mots, alors tu peux essayer de comprendre avec les yeux. Peut-être que tu verras ce que je veux dire..."

Erwin se pencha soudainement au-dessus d’elle pour récupérer quelque chose dans le tiroir de sa table de nuit. Pendant ce court moment, Alexis perdit complètement le fil de ce qu’il se passait. Il n’y avait plus qu’Erwin, penché au-dessus d’elle… et cette envie irrépressible de lui embrasser le cou. Le rouge aux joues, Alexis tenta vainement détourner le regard lorsqu’il se redressa après avoir attrapé ce dont il avait besoin. Elle feignit une indifférence certaine mais Erwin ne posa qu’à peine son regard sur elle.  

Tu dois pas dessiner tes sentiments. Tu dois les exprimer. Alexis fronça légèrement les sourcils en le fixant. De quoi est-ce qu’il par… Ah oui. Le dessin. Dessiner. Des sentiments. Avec un crayon. Tout ça. Alexis secoua la tête. Il fallait qu’elle se reconcentre. Elle se redressa – avec l’aide d’Erwin, ce qui, finalement, n’aidait pas – et se racla discrètement la gorge. Concentration.

Erwin reprit son explication en nuançant davantage son propos, expliquant qu’il ne fallait pas dessiner ses sentiments à proprement parlé mais les exprimer en dessinant. Alexis comprenait la subtilité mais n’était pas spécialement convaincue de sa capacité à réaliser ce qu’Erwin attendait d’elle. Elle décida néanmoins de s’accrocher. Il mettait tant de cœur à lui expliquer et lui montrer ! Elle ne pouvait décemment pas abandonner tout de suite. Peut-être plus tard. Quand il remarquera à quel point elle n’allait jamais progresser.  

Le silence s’installa discrètement, seulement interrompu par les bruits des pages qu’Erwin tournait. Ce bruit, à sa façon, se trouvait être assez apaisant. Accompagné par la présence d’Erwin et la douce chaleur de début d’été, Alexis pouvait presque sentir ses paupières s’alourdir. Puis Erwin posa son carnet sur les genoux d’Alexis et elle dû se faire violence pour lutter contre envie de s’endormir à même le parquet.

Une femme était dessinée, de profil. Encore une fois, Alexis était complètement fascinée par les traits d’Erwin, même si elle pouvait déceler dans ceux-ci une émotion qui n’était pas celle habituelle d’Erwin. C’est un exemple comme un autre. J’étais énervé quand j’ai dessiné ça. En fait, c’était le lendemain de notre dispute à propos du Satyre… Alexis sentit son estomac se tordre. Elle avait envie d’ajouter quelque chose, mais Erwin la fit taire d’un mouvement de main afin de continuer son explication. Alexis se renfrogna quelques instants mais n’ajouta rien.

Le fils de Poséidon parlait avec passion, faisant courir ses doigts sur le papier pour montrer ce qu’il expliquait. Alexis buvait ses paroles, complètement subjuguée par Erwin. Elle se concentrait sur ce qu’il disait évidement, mais il aurait pu lui parler de n’importe quoi que ç’aurait été pareil. Erwin parlait. Erwin reparlait. Erwin s’exprimait. Alexis pouvait sentir son cœur s’emballer, trahissant le bonheur qui l’enveloppait. Pendant cet instant, ce tout petit moment, tout allait mieux.

Furie. Alexis plissait des yeux, cherchant ce fameux mot entortillé dans les traits. Puis, enfin, elle le remarqua, là, emmêlé entre les lignes. Erwin se tut, comme pour laisser à Alexis le temps de disséquer ses traits avec ces nouvelles informations. La fille d’Arès fit courir à son tour ses doigts sur le dessin, comme pour s’imprégner plus profondément de tout ce qu’il venait de se passer. Elle avait l’impression qu’Erwin lui avait ouvert un bout de son cœur et, en réponse, le sien ne cessait de s’emballer.

Tu peux, hum, tu peux regarder les autres si tu veux. Je sais pas comment t'expliquer avec des mots, alors tu peux essayer de comprendre avec les yeux. Peut-être que tu verras ce que je veux dire... Alexis leva ses yeux du carnet pour regarder Erwin. Elle avait envie de le serrer dans ses bras et ne plus jamais le lâcher. Au lieu de ça, elle hocha la tête et regarda de nouveau le carnet. Ce n’était pas du tout un moment à gâcher avec ses émotions à elle.

Alexis retourna au début du carnet. Elle pouvait voir diverses scènes sous ses yeux, retraçant des éléments qu’elle connaissait déjà mais du point de vue d’Erwin. Elle pouvait voir des volcans – quelle obsession avec ceux-là – un peu partout. Elle pouvait voir des gens, des visages, des silhouettes. Puis, soudainement, les couleurs disparurent. Il n’y avait que cette ombre noire dévorant les pages. C’était comme si le minotaure était là, encore et toujours, habitant l’esprit d’Erwin. Alexis se mordit la lèvre, incapable de gérer toutes ces émotions qui n’étaient pas les siennes. Elle tourna de nouveau les pages, essayant d’échapper au monstre, puis elle tomba sur un autre dessin…

Alexis resta interdite quelques secondes, incapable de détourner la tête. Elle passa un doigt hésitant sur les traits qui avaient noirci le papier, comme pour s’assurer qu’il était réel. Il l’était. Et ce dessin la représentait elle. Avec les mêmes traits, la même force, la même colère que ceux du minotaure. Alexis referma le carnet, la poitrine comprimée. Elle voulait partir, fuir. Au lieu de ça, la bouche sèche, elle se contenta de lâcher un petit :

« Je crois… que j’ai compris. »

Puis elle se redressa et se dirigea vers la fenêtre. Le match de volleyball était terminé. Alexis pouvait sentir son cœur se serrer douloureusement. Une boule s’était formée dans sa gorge. Une multitude de questions lui brûlait la langue. Erwin se redressa à son tour et se plaça à côté d’elle, effleurant imperceptiblement son bras qu’elle avait recommencé à gratter. Une partie d’elle-même se demandait si Erwin la voyait comme un monstre, si elle lui avait fait peur dans le Labyrinthe, si elle devait le laisser tranquille et arrêter de lui parler. Mais une autre partie d’elle-même lui murmurait que Labyrinthe avait laissé de terribles séquelles à ceux qui en avaient été prisonnier. Elle ne pouvait pas tourner ça autour d’elle quand c’était Erwin qui avait souffert.

« Il s’est passé quoi… là-bas ? »

Alexis avait lâché ça dans un murmure. Peut-être avait-elle dit ça trop vite. Peut-être qu’elle avait dit ça trop fort. Peut-être qu’Erwin n’avait pas envie d’en parler. Alors elle se hâta de rajouter, dans une voix qu’elle voulait plus douce et maîtrisée :

« Enfin… si tu veux en parler. Ou pas. Les dessins étaient déjà... parlants. »

Alexis tournait silencieusement les pages, s'attardait sur certains dessins plus que sur d'autres, laissait parfois glisser un doigt sur le papier, le regard curieux. Erwin la laissa parcourir son univers tranquillement, laissant vagabonder son attention d'un point à l'autre de la chambre. Le bruit discret des pages qui se tournaient le berçait. Il laissait dériver ses pensées sans les retenir, attendant simplement qu'Alexis referme le carnet après en avoir fait le tour.

Le son qu'il attendait fut bien plus violent qu'il ne l'aurait cru. D'un mouvement surpris, il se tourna vers Alexis. Elle semblait déroutée. Par quoi ? Son regard croisa celui d'Erwin et elle laissa échapper un souffle bref.

"Je crois… que j'ai compris."

Sur ces mots, la fille d'Arès se leva. D'un geste distrait, elle posa le carnet à dessins sur le lit et se dirigea vers la fenêtre sans plus poser les yeux sur Erwin. Le fils de Poseidon ouvrit vite son carnet vers les dernières pages. Il en tourna trois avant de tomber sur le dessin. Merde, quel idiot !

Parmi tous les essais qu'il avait froissés et jetés au hasard dans sa chambre, Erwin en avait laissés quelques uns dans son carnet. Parce qu'il espérait pouvoir y ajouter encore des mots ou des traits l'aidant à se débarrasser de ces images. Il avait le plus souvent représenté le minotaure, le cauchemar qui revenait sans cesse dès que le sommeil s'imposait peu à peu. Mais cette fois-là, comme quelques autres rares fois, Erwin avait dessiné son autre tourment. Elle.

Pourquoi l'avait-il laissé là ? Pourquoi ce dessin n'était pas déchiré, chiffonné, piétiné comme tous les autres ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? Alexis ne pouvait évidemment pas comprendre Qu'est-ce qu'elle avait pensé ? Erwin se mordit la langue. Il aurait voulu hurler. Elle n'aurait pas dû tomber sur ce dessin, elle n'aurait pas dû savoir qu'elle faisait partie de toutes ces vagues d'ombre à répétition. La gorge sèche, le demi-dieu se leva et rejoignit Alexis près de la fenêtre.

Son regard était vague, comme si elle cherchait à se raccrocher à n'importe quoi au loin sans trouver d'attache. Erwin n'osa rien dire. A nouveau, ce son ténu dérangeant le silence attira son attention. Sans même réfléchir, il laissa ses doigts écarter ceux d'Alexis de son bras qu'elle avait recommencé à gratter. Le silence reprit ses droits. Erwin sentait ses joues brûler, ses yeux commençaient à piquer. Les images défilaient devant lui sans qu'il puisse les arrêter.

"Il s'est passé quoi… là-bas ?"

Erwin sentit quelque chose se briser au fond de lui. L'obscurité l'entourait, le sol froid sous son dos, la douleur dans chacun de ses membres, le sang séché sur sa lèvre, son regard menaçant plein de mépris. Non non non. Il ne devait pas se laisser engloutir dans cette spirale de noirceur. Pas encore.

" Enfin… si tu veux en parler. Ou pas. Les dessins étaient déjà... parlants."

Erwin se tourna vers Alexis au son de sa voix apaisante. Il tenta d'afficher un semblant de sourire, voulant avoir l'air le plus détaché possible. Mais ses yeux brillants ne pouvaient tromper personne. Il déglutit. Alexis méritait de savoir. S'il ne lui expliquait pas, de toute façon, elle imaginerait certainement le pire. Il ne voulait pas perdre du temps en cherchant des mots. C'était déjà suffisamment compliqué de trouver une formulation propre et travaillée dans sa tête.

"J'ai vu... j'ai fait des cauchemars. Dès que je dormais. Le même. Toujours lui, et maman, et Aqua, et..."

Toi. C'était bien trop dur à dire. Erwin regarda à nouveau par la fenêtre, le ciel au loin qui n'avait plus aucune couleur à ses yeux. Il espérait pouvoir dissimuler les larmes qui le menaçaient avec de plus en plus d'insistance. Les mains posées sur le rebord de la fenêtre, le demi-dieu ne sentit pas ses doigts se crisper sur le bois, tremblants.

"Et quand je dormais pas... Quand je dormais pas, c'était toi. Ou pas, je sais pas. C'était toi sans être toi. Je sais que je suis moins bon que toi, que tu dois être patiente aux entraînements, que je serais incapable de me battre seul contre un monstre. Et cette Alexis. Elle me le rappelait. Tout le temps. Tout le temps."

Sa voix vacillait. Mais il devait expliquer à Alexis. Au fond, il sentait ce besoin de se libérer de ce poids, d'une certaine manière. Il voulait expliquer à Alexis pour qu'elle sache qu'elle n'avait rien fait de mal, pas réellement, pour qu'elle n'imagine pas autre chose de pire. Le fils de Poseidon se mordit la lèvre, tenta vainement de se contenir jusqu'à ce qu'une première larme brise cette barrière qu'il imposait. Instinctivement, ses doigts remontèrent le long de son bras et se serrèrent sur sa peau. Il sentait encore la douleur mordante de ses plaies.

"Au début je... j'étais soulagé de te voir. Tu étais mon seul repère, j'étais plus seul. Mais quand je me suis approché. Là. Tu m'as rappelé que tu voulais 'pas de contact physique' et quand tu t'approchais..."

Les doigts se resserrèrent sur le souvenir de cette plaie imaginaire. Erwin évita le regard d'Alexis. Il ne parvenait plus à dire quoi que ce soit. Il sentait une boule dans sa gorge. Les mots se mélangeaient aux images dans sa tête. Alexis et son regard noir. Alexis et ses armes. Alexis et la douleur. Alexis et les larmes.

Alexis ne voulait pas tourner la tête vers Erwin. Elle ne voulait pas voir ce qu’il pensait, elle ne voulait pas savoir l’image qu’il avait d’elle, elle ne voulait pas sentir qu’elle n’avait jamais été la bienvenue ici. Un frisson glacial lui remonta le dos et elle dû se faire violence pour ne pas s’entourer de ses bras. Elle resta alors immobile, fixant un point invisible au loin, tentant de trouver une accroche à l’horizon pour l’aider à effacer les émotions qui submergeaient son corps. Elle ne voulait pas ressentir la tristesse, elle ne voulait pas ressentir la colère, elle ne voulait pas ressentir l’amour.

J'ai vu... j'ai fait des cauchemars. Dès que je dormais. Le même. Toujours lui, et maman, et Aqua, et.. Alexis tourna le regard vers Erwin. Et elle se fit submerger par des émotions qui n’étaient pas les siennes. Elle pouvait voir le regard brillant d’Erwin, elle pouvait voir les légers tremblements dans son corps, elle pouvait voir ses mains se crisper contre les rebords de la fenêtre. Était-ce à cause d’elle qu’il était obligé de revivre ses pires cauchemars ? Était-ce pour ça qu’elle était représentée comme un minotaure ? Alexis se mordit la langue, essayant d’ignorer son estomac qui se tordait dans tous les sens, la boule qui se formait dans sa gorge.

Et quand je dormais pas... Quand je dormais pas, c'était toi. Ou pas, je sais pas. C'était toi sans être toi. Je sais que je suis moins bon que toi, que tu dois être patiente aux entraînements, que je serais incapable de me battre seul contre un monstre. Et cette Alexis. Elle me le rappelait. Tout le temps. Tout le temps. Pendant une seconde, Alexis crut qu’elle allait vomir. Elle dû se faire violence pour ne pas hurler, retourner toute cette chambre, faire exploser des trucs. Qui avait osé se faire passer pour elle ? Qui avait osé dire ça à Erwin ? Elle n’avait jamais pensé un seul de ces mots. Alexis serra les poings si fort qu’elle pouvait sentir ses ongles s’enfoncer doucement dans sa peau.

Puis elle vit une larme couler sur la joue d’Erwin. Puis le vacillement de sa voix la frappa. Puis elle écouta sa respiration qui était saccadée. Alors Alexis ravala toute sa colère et prit une profonde inspiration. Erwin changea de posture, comme s’il avait froid, comme s’il avait besoin de se protéger. Alexis était tiraillée mais garda le silence quelques secondes de plus. Au début je... j'étais soulagé de te voir. Tu étais mon seul repère, j'étais plus seul. Mais quand je me suis approché. Là. Tu m'as rappelé que tu voulais 'pas de contact physique' et quand tu t'approchais... L’envie de vomir vint de nouveau retourner le cœur d’Alexis. Elle déglutit avec difficulté.

Doucement, délicatement, Alexis tendit une main vers les bras d’Erwin. Elle enroula ses doigts aux siens et l’attira vers elle. Il ne la regardait pas, mais se laissait faire. Elle glissa sa main libre dans le dos d’Erwin pour rapprocher son corps du sien puis lâcha sa main pour enrouler ses bras autour de son cou.

« Ça fait longtemps que cette règle n’existe plus pour toi, Erwin. »

Alexis fait dit ça dans un souffle murmuré au creux de l’oreille d’Erwin. Alors, elle sentit les bras d’Erwin lui rendre son étreinte discrètement.

« Je n’ai pas être patiente avec toi, je m’en fiche si tu es moins bon que moi, faut bien que je sois meilleure quelque part. Tant que tu croises pas de monstre, je m’en fiche de savoir si tu peux le battre ou pas. »

Alexis se sentait presque obligée de se justifier par rapport à cette Alexis qui n’était pas elle. Elle avait besoin d’être sûre qu’Erwin ne les confonde pas. Elle avait besoin qu’il sache ce qu’elle pensait réellement de lui. Alors, elle continua sur sa lancée, incapable de se taire.

« Je sais que je peux compter sur toi. Je sais que je peux te faire confiance. Je sais que tu es fiable. Je sais que je n’ai pas à voir peur de toi. Je sais que je n’ai pas besoin d’avoir autant de barrière avec toi. Je sais que, même si ça se voit pas, tu m’aides à être une meilleure personne. Parce que c’est que tu es. Tu es bienveillant, tu es encourageant, tu es patient. Je sais pas ce que t’as dit l’autre, mais elle t’a menti. Et moi, je mens jamais. Surtout pas à toi. »

Le silence laissa à l'obscurité l'opportunité de se faufiler dans l'esprit d'Erwin. Le demi-dieu ferma les yeux. Il ne voulait plus voir tout ça. Mais c'était dans sa tête, les images ne s'en allaient pas. Au fil des secondes, la froideur, les sons, les odeurs lui revinrent. Tout revenait sans qu'il parvienne à y échapper.

Lorsqu'il sentit les doigts d'Alexis sur les siens, Erwin sentit cette vague de méfiance et d'angoisse l'engloutir. Elle était là. Elle voulait encore se battre contre lui. Il ne voulait pas, il ne pouvait plus subir ça. Mais malgré cette douleur, il ne bougea pas. Il ne pouvait pas y échapper, il le savait, il n'avait pas le choix. Il attendit, les yeux fermés, qu'une nouvelle morsure de sa dague décore sa peau.

Mais la douleur ne vint pas. Les doigts d'Alexis restèrent doux, sa prise ne s'accentua pas. Erwin sentit alors une pression délicate dans son dos. Rien à voir avec les coups qu'il attendait. Essayant de retrouver ses repères dans son esprit embrumé, il laissa Alexis le rapprocher d'elle. Ses mains glissèrent jusqu'à son cou où elles s'arrêtèrent pour le retenir.

"Ça fait longtemps que cette règle n'existe plus pour toi, Erwin."

Cette voix si douce, ces mots. Erwin sentit qu'un voile d'ombre se déchirait petit à petit dans ses pensées. Un seul mot s'imprimait dans son esprit. Alexis. Lentement, ses bras enveloppèrent la fille d'Arès. Incertain au début, rassuré ensuite. Erwin enfouit son visage dans les cheveux soyeux de la sang-mêlé.

"Je n'ai pas à être patiente avec toi, je m'en fiche si tu es moins bon que moi, faut bien que je sois meilleure quelque part. Tant que tu croises pas de monstre, je m'en fiche de savoir si tu peux le battre ou pas."

Erwin sentit un sanglot pointer le bout de son nez. Il resserra doucement ses bras autour d'Alexis. Il sentait qu'auprès d'elle, il pourrait se relever petit à petit, effacer tous ces sombres souvenirs.

"Je sais que je peux compter sur toi. Je sais que je peux te faire confiance. Je sais que tu es fiable. Je sais que je n'ai pas à avoir peur de toi. Je sais que je n'ai pas besoin d'avoir autant de barrière avec toi. Je sais que, même si ça se voit pas, tu m'aides à être une meilleure personne. Parce que c'est ce que tu es. Tu es bienveillant, tu es encourageant, tu es patient. Je sais pas ce que t'a dit l'autre, mais elle t'a menti. Et moi, je mens jamais. Surtout pas à toi."

Erwin écoutait ces mots sans rien dire, les goûtait un à un, les imprimait dans sa tête. Chacun d'eux était comme une petite lueur perçant la noirceur qui l'entourait. Le fils de Poseidon sentait en lui une douce chaleur se diffuser. Et son coeur qui battait si fort qu'Alexis aurait pu l'entendre. Rouvrant les yeux, le demi-dieu savoura un instant le silence que la voix d'Alexis laissa derrière elle et la douceur de l'atmosphère. Une douceur d'autant plus grande qu'elle venait remplacer les sensations du Labyrinthe.

"C'est à toi que je me raccroche."

L'avait-il vraiment dit à voix haute ? Erwin avait la gorge si serrée qu'il n'en était pas sûr. Le regard d'Alexis lui indiqua toutefois que oui, il avait dû prononcer ses mots pour de vrai. Le fils de Poseidon appuya son front contre le sien. Il réfléchit un instant, il ne trouvait pas les mots qu'il cherchait.

"Parfois, je mélange tout. J'ai l'impression d'y être encore. Quand je suis seul, quand je me réveille, quand je laisse aller mes pensées. Je confonds la vie avec un cauchemar, je me demande si tout est vrai."

Il s'arrêta quelques secondes. Sa bouche était sèche, les souvenirs du combat contre le minotaure revinrent vaguement. Le doute et la réalité se déguisant l'un en l'autre. Erwin inspira lentement puis expira.

"Mais c'est quand tu fais ça que je sais que c'est réel. Depuis que tu viens me voir et que tu me parles de tout et de rien, ça va mieux. L'autre Alexis, elle a pas ta voix, ton regard ou tes gestes. Elle a ton apparence mais c'est pas toi."

D'un mouvement distrait, la main d'Erwin se glissa dans les cheveux d'Alexis. Inconsciemment, le demi-dieu joua avec les mèches lisses, les caressant et les entortillant autour de ses doigts. C'était doux, c'était apaisant. Les muscles d'Erwin se détendirent, sa respiration était plus calme.

"La vraie Alexis, c'est mon point de repère. Elle empêche le noir d'envahir mes dessins."

Erwin avait toujours son front contre celui d'Alexis, une main dans son dos, l'autre dans ses cheveux. Il ferma à nouveau les yeux. Il était bien, là, près d'elle. Il restait une petite ombre menaçante, quelque part, pas loin. Mais Alexis l'éloignait. Erwin ne voulait plus la perdre. Et pourtant, ça lui faisait mal de se dire qu'elle, son seul point d'ancrage dans la réalité, était aussi la source de tous ses doutes.