Finalement, la colère se dissipa lentement. Même dans un placard, il suffisait qu’elle soit seule avec Erwin pour oublier tout le reste. Évidemment, l’endroit n’était pas idéal. Mais Erwin était quand même là, en train de faire des blagues, et elle pouvait sentir une douce chaleur se répandre en elle. Peu importe les années, elle avait toujours l’impression de retomber amoureuse d’Erwin tous les jours, redécouvrant à chaque fois pourquoi elle l’aimait autant. Un silence s’installa entre les deux amis, mais un silence confortable, agréable. Alexis pouvait deviner Erwin même dans le noir et elle se délectait de sa silhouette. Elle pouvait sentir la chaleur de son corps, elle pouvait sentir sa respiration, elle pouvait presque entendre les battements de son cœur. Et il le ne fallait rien d’autre pour qu’un énorme sourire se dessine sur ses lèvres.

Plus les secondes s’étiraient, plus Alexis pouvait sentir qu’elle avait envie de plus. Tellement plus ! Elle avait envie de laisser courir ses doigts sur la peau d’Erwin, elle avait envie de l’embrasser, de coller son corps contre le sien. Puis, des murmures plus loin lui arrivèrent aux oreilles. Les 7 minutes étaient presque écoulées, donc ce n’était aucunement le moment de tenter une dernière fois de charmer Erwin. Au lieu de ça, une idée brillante la frappa !

« Viens là. »

Maladroitement, Alexis attira la tête d’Erwin vers elle. Elle tenta de se rapprocher de lui mais tout était chaotique. Finalement, leur position ne ressemblait à rien. Alexis passa une main dans les cheveux d’Erwin pour leur donner un côté ébouriffé. Elle lui releva la tête, le regard brillant. Leurs visages n’étaient plus qu’à quelques centimètres d’écart et Alexis dû se faire violence pour ne pas l’embrasser. Elle l’avait forcé une fois, il était hors de question qu’elle recommence.

Erwin commença à poser des questions alors Alexis l’invita à se taire. Ils n’avaient plus beaucoup de temps et il y avait encore pas mal de travail. Alexis sortit de sa poche le rouge à lèvre qu’elle avait amené et écouta distraitement Erwin lui raconter n’importe quoi pendant qu’elle commençât à lui en mettre sur le visage. Visiblement surpris, il recula vivement et se cogna de nouveau la tête contre l’armoire. Fronçant les sourcils, Alexis l’invita à arrêter de bouger sous peine de rater les marques de bisous qu’elle tentait de lui faire. Tu fais des QUOI ?

« Tu préfères que je les fasse avec ma bouche ? »

Alexis espérait qu’il dise oui, mais seul le silence lui répondit, alors elle continua son chef d’œuvre. Après s’être frotté la bouche pour rendre le tout crédible, elle fit de même sur Erwin. Elle prit plus son temps que nécessaire, appréciant beaucoup trop le contact de ses lèvres contre ses doigts.

Alexis se redressa alors du mieux qu’elle put et secoua un peu sa tête dans tous les sens. Pourquoi faisait-elle ça déjà ? Aucune idée. En tout cas, maintenant qu’elle était lancée, personne ne pouvait l’arrêter. Elle tenta de deviner si les 7 minutes étaient maintenant écoulées, mais Erwin n’en savait pas plus qu’elle. Alors, elle fit à l’oreille. Elle entendait des mouvements à l’extérieur, des murmures. Show must go on. Alexis rapprocha ses jambes d’Erwin et tenta de se redresser.

Sans qu’elle s’y attende, les mains d’Erwin vinrent sur sa taille et un frisson de plaisir lui parcourut le corps. Pendant une demi-seconde, le temps fut en suspens. Alexis pouvait voir le visage d’Erwin, ses cheveux décoiffés, son air indécis, et… wow, elle avait vraiment envie de l’embrasser. Elle se mordit l’intérieur de la joue puis entendit des pas se rapprocher de plus en plus de l’armoire. Sans attendre une seconde de plus, elle se saisit de la main d’Erwin pour la glisser sous son t-shirt. Elle s’attendait à ce que ses doigts rencontrent seulement son ventre, mais elle avait visé un poil trop haut. Tant pis, il s’en remettrait. Elle, en revanche, sûrement pas.

« Les sept minutes sont passées ! »

Alexis afficha un grand sourire et une mine surprise. Erwin s’empressa de retirer sa main de sous le t-shirt. Elle pouvait le sentir paniquer d’ici. Pourquoi avait-elle fait ça déjà ? Par pur plaisir de provocation, lui murmura la raison. Par pur plaisir de la chaire, lui murmurèrent ses hormones.

« Oh, déjà ? Vous auriez pu laisser un peu plus de temps ! »

Tant bien que mal, Alexis sortit du placard. Elle s’étira les jambes et se retourna vers un Erwin qui était visiblement gêné. Elle s’en voulut un peu mais c’était trop tard pour faire marche-arrière. Elle lui tendit une main pour l’aider à se relever. Elle se pencha en avant, juste assez pour que sa bouche effleure son oreille.

« On fait ça en vrai quand tu veux. Promis, tu l’oublieras pas cette fois. »

Alexis tira d’un coup sur la main d’Erwin et il fut sur pieds. Elle détourna rapidement le regard, de peur d’y voir encore du rejet. Tout était si drôle, elle ne voulait pas de nouveau avoir le cœur brisé. Elle desserra légèrement la pression qu’elle exerçait sur la main d’Erwin mais il ne la lâcha pas, alors elle fit de même. Une partie d’elle-même, celle de la raison, lui murmurait qu’il jouait tout simplement le jeu. L’autre partie d’elle-même avait envie de sautiller sur place.

Quand ils revinrent dans la pièce, plusieurs paires de yeux les fixaient. Sera avait un air de défi, un demi-sourire sur le visage. Andrew avait un regard fier, comme si tout ça c’était grâce à lui. Elliot était un peu suspicieux, fixant Alexis l’air de dire « Sérieux ? Je te crois pas, meuf. » Jacob semblait juste dég.

« Franchement, Alexis, tu pourrais faire bien mieux que lui… »

Alexis fronça les sourcils. Sans attendre une seconde de plus, alors que son abruti de jumeau allait rajouter quelque chose, Alexis lui répondit d’une voix forte, trahissant une colère à peine dissimulée.

« Il y a personne sur toute cette planète qui lui arrive à la cheville. Et toi, Jacob, tu devrais t’estimer chanceux d’être dans la même pièce que lui vu l’abruti que tu es. »

Alexis tremblait presque tellement elle était énervée. Elliot posa une main sur son épaule, son regard disant mille mots. Alors, après avoir fusillé une dernière fois Jacob des yeux, Alexis retourna s’assoir et le jeu de la bouteille pu reprendre de plus belle.

Alexis s’extirpa du placard en se contorsionnant, le sourire aux lèvres. Erwin attendit qu’elle soit sortie pour avoir suffisamment de place et retrouver l’air libre à son tour. Alexis lui tendit une main pour l’aider à quitter cette prison qu’était l’armoire. Erwin respira un grand coup, non seulement pour profiter d’une odeur autre que celle du renfermé, mais aussi pour tenter de faire décolorer ses joues. Tout ce monde qui le regardait… C’était extrêmement gênant. Il passa en revue tous les visages qui affichaient des expressions allant de la surprise à l’hilarité. Puis Alexis se pencha vers lui.

"On fait ça en vrai quand tu veux. Promis, tu l’oublieras pas cette fois."

Erwin resta sans voix. Il tenta de comprendre ce qu’Alexis voulait dire, si elle voulait faire une blague ou si… La courte discussion de leurs sept minutes dans l’armoire lui revint et quelque chose se mit en place dans sa tête. Alexis n’avait pas de première fois à raconter. Alors que lui pensait qu’elle pouvait en parler pendant des heures, de cette fois comme des suivantes. Il semblait s’être trompé sur toute la ligne à ce sujet.

Elle avait aussi dit qu’elle ne mentait jamais. Oui mais mentir ou rire de quelque chose, est-ce que c’était vraiment pareil ? Probablement pas, on peut faire des blagues sans avoir l’intention de mentir. En revanche, les mots qu’Erwin se rappela alors ne pouvaient tromper personne. Me foutre obstinément des râteaux. Ça fait trois ans que je te répète la même chose. Erwin frissonna à nouveau. Il eut envie de hurler, de se traiter de tous les noms. Quel pauvre con !

Il sortit de ses pensées lorsque la main d’Alexis desserra légèrement la sienne. Depuis quand étaient-ils là, tous les deux, l’un en face de l’autre ? Est-ce qu’Alexis avait vu toutes ces questions passer dans le regard d’Erwin ? Est-ce qu’elle le traitait d’idiot dans sa tête, elle aussi ? Elle en avait toutes les raisons du monde, en tout cas. Erwin adressa un petit sourire à son amie. Ses doigts restèrent accrochés à cette main, la seule qu’il ne voulait jamais lâcher.

Quand ils revirent tous les deux dans la pièce où le jeu avait continué durant leur absence, les regards se fixèrent sur eux. Erwin tenta d’ignorer Andrew qui était revenu à sa place et l’observait toujours comme pour lire plus d’informations sur son visage. Il allait entendre parler de ces sept minutes pendant longtemps… Les autres membres du cercle semblaient tout aussi curieux. Certains affichaient de la surprise, d’autres une étincelle énigmatique dans leurs yeux. Jacob, lui, avait l’air plus que déçu.

"Franchement, Alexis, tu pourrais faire bien mieux que lui…"
"Il n’y a personne sur toute cette planète qui lui arrive à la cheville. Et toi, Jacob, tu devrais t’estimer heureux d’être dans la même pièce que lui vu l’abruti que tu es."

Erwin n’en revenait pas qu’Alexis ait coupé Jacob aussi agressivement. D’accord, c’était un idiot, mais quand même. Voyant le regard noir d’Alexis, Erwin glissa une main rassurante vers elle. Il essayait de se faire tout petit, recroquevillé sur lui-même pour que les autres l’oublient. Ce que disait Alexis était à la fois très agréable à entendre et très gênant…

"Alexis, c’est rien, laisse-le parler…"

La voix d’Erwin était un murmure complètement vide de toute assurance. Il ne savait même pas si Alexis l’avait entendu, d’ailleurs. Mais que ce soit grâce à ses mots ou à son pouce caressant distraitement sa main, la jeune fille sembla se calmer. Elliot changea de sujet en clamant haut et fort que la bouteille venait de désigner Sera. Erwin lui fut immensément reconnaissant pour cette diversion. Tout le monde se tourna vers Sera qui choisit de subir un gage. Elliot, désigné comme bourreau, la regarda avec les yeux pétillants de celui qui a une idée extravagante derrière la tête…

Deux tours passèrent, Alexis s’était remise à rire des gages idiots que Sera et Félix avaient dû faire. Jacob n’avait plus ouvert la bouche, même pour commenter le jeu, ce qui avait l’air de faire du bien à la jeune fille. Erwin fut désigné au tour suivant. Il répondit à une vérité difficilement formulée par Sung, un garçon qui avait déjà vidé son verre à plusieurs reprises. L’alcool ne semblait pas lui donner d’idées particulièrement tordues, aussi Erwin n’eut aucun mal à répondre à sa question. Raconter une histoire avec son animal de compagnie n’avait rien de compliqué, surtout quand l’animal en question n’était qu’un poisson.

Après quelques tours de bouteille, les gages commencèrent à prendre une tournure un peu inattendue : exécuter diverses prouesses à l’aide des pouvoirs. Au début, Erwin se dit que ça ne concernerait qu’une personne, deux au plus, et que l’assemblée se lasserait bien vite de ces idées. Mais non, les gages-pouvoirs s’enchaînaient, un, deux, trois, six. Bientôt, la bouteille risquait de tomber sur lui, et s’il pouvait choisir de répondre à une vérité, il était quasiment sûr que le thème serait le même. Erwin commençait à se sentir mal à l’aise au milieu de toutes ces démonstrations de talent. Il y en avait pour tous les goûts ! Contrôle du vent, de la chaleur, des pensées… Et lui ? Lui, rien du tout, il regardait sans même comprendre comment tout ça fonctionnait.

"Hum, Alexis, je crois que je vais y aller…"

Un nouveau murmure timide. Cette fois, il sut qu’Alexis l’avait entendu car elle se tourna vers lui, une lueur désolée dans le regard. Il savait qu’elle comprenait. Qu’elle comprenait parfaitement ce qu’il ressentait. Sans un mot de plus, il se leva et fit signe à tout le monde en prétextant être un peu fatigué. Les quelques joueurs encore en étant de comprendre ce qu’il disait lui répondirent d’un signe de la main. Les autres continuèrent de rigoler sans se poser de questions.

Même si le jeu reprit, Alexis ne se calma pas immédiatement. Elle pouvait toujours sentir son cœur tambouriner avec hargne dans sa poitrine, elle pouvait toujours entendre son sang battre dans ses tempes. Elle n’avait pas envie de se taire ! Elle avait encore tellement de choses à dire sur Erwin. Pourquoi est-ce qu’il était si mal jugé ? Il avait réussi à rentrer dans l’école la plus sélective du pays en ayant aucun pouvoir ! À quel point c’était badass ?! Alexis enrageait. Ce n’était pas Jacob sans pouvoir qui aurait réussi à faire quoique ce soit de sa carcasse. Combien de gens pourraient se vanter de réussir autant qu’Erwin si on leur retirait leur pouvoir ? Aucun, elle compris.

Peut-être était-ce la main d’Erwin toujours dans la sienne, ou bien le gage de Sera qui était réellement ridicule, mais petit à petit Alexis commença à se détendre. Au tour suivant, elle riait de nouveau en voyant Félix enchaîner des actions peu maitrisées. Quand la bouteille désigna Erwin, elle n’eut aucun mal à tout oublier. Elle fixa son ami qui racontait une histoire de poisson, le dévorant du regard. Il aurait pu raconter n’importe quoi qu’elle aurait continué de le fixer avec autant d’affection. Il avait toujours des marques de rouge à lèvre qui glissaient un peu sur sa joue, ses cheveux en bataille. Elle aurait pu passer des heures à le fixer mais le jeu reprit et elle savait qu’elle allait le mettre mal à l’aise, alors elle détourna le regard.

Lentement, le jeu prit une nouvelle tournure. Les gages étaient passés de simples actions parfois humiliantes à un véritable concours de superpouvoirs. Alexis pouvait sentir Erwin à côté d’elle qui se recroquevillait dans l’ombre, espérant sûrement disparaître. Alexis se retrouva à prier pour que la bouteille tombe sur elle afin qu’elle retourne à des gages plus réalisables mais ça n’arriva pas. La main d’Erwin quitta la sienne, comme pour s’effacer encore plus dans l’invisible. Finalement, Alexis eut envie de se lever pour partir. À quoi bon rester si c’était juste pour faire la même chose qu’en cours ?

Hum, Alexis, je crois que je vais y aller… Erwin avait dit ça dans un souffle, comme s’il était gêné. Alexis avait envie de hurler qu’il n’avait pas besoin d’avoir honte, qu’il n’avait pas besoin de se cacher… mais elle savait très bien ce qu’il pensait de lui-même, que son manque de pouvoir était une source de complexe. Elle pouvait lire tout ça dans ses yeux et ça lui brisait le cœur. Elle le regarda se lever, faire un signe de la main aux autres et partir. Puis la bouteille la désigna alors qu’elle fixait le dos d’Erwin, se faisant avaler par la pénombre. Qu’est-ce qu’elle foutait encore là au juste ? Alexis se leva brusquement.

« Bon, c’était fun mais j’me casse. Bonne nuit ! »

Elle n’entendit qu’à peine les protestations. Elle attrapa son sac qui traînait dans le coin, enfila sa veste n’importe comment, salua la salle et grimpa les escaliers pour être de nouveau dans le salon. À sa grande surprise, il y avait encore pas mal de monde. L’ambiance était lascive, sensuelle. C’était à se demander si le salon ne s’était pas transformé en maison close pendant la nuit. Alexis fit la grimace. C’était gênant plus qu’autre chose alors elle détourna les yeux. Où était passé Erwin ?

Alexis tourna en rond pendant trop longtemps à son goût avant de réaliser qu’il était sûrement parti. Pourquoi Erwin serait resté ici ? C’était déjà un miracle qu’il soit venu à cette soirée, ce n’était pas pour dormir sur place en plus. Alexis sortit comme une flèche de la maison et descendit l’allée principal à toute vitesse. Elle sautilla presque sur place en réfléchissant. De quel côté était-il parti ? À gauche, forcément. Il était à pieds. Il ne devait pas être loin !

Alexis, quelques mètres plus loin, finit par voir son dos. Elle accéléra pour le rattraper, puis ralentit au dernier moment. Elle n’allait pas en plus lui donner l’impression de lui avoir couru après, non ? Elle fit deux enjambées de plus en trottinant et se plaça devant lui, feignant la surprise.

« Vous ici, quelle surprise ! »

Alexis marcha à reculons tout en fixant Erwin avec un grand sourire. Elle pourrait passer des heures à le regarder mais il allait forcément se lasser si elle ne disait pas quelque chose. Réfléchis, Alexis, réfléchis.

« Ça tombe bien que tu sois là parce que je viens de réaliser que tu pourras jamais faire partir ce rouge à lèvre. Il faut un démaquillant spécial et je pense pas que toi ou Andrew en ait dans votre appart. Mais, surprise, moi j’en ai ! »

Alexis fit une pause, tentant tant bien que mal de comprendre l’expression qu’affichait Erwin mais la nuit n’aidait en rien, alors elle continua sur sa lancée :

« Je peux te donner la marque si tu veux ou tu peux passer, comme tu préfères. Enfin, sauf si t’es fatigué. Je peux aller le chercher et te le rapporter. Enfin, ce que tu préfères. Peu importe. »

Erwin traversa la maison sans un regard en arrière. Tout ce qu'il avait cru comprendre durant cette soirée venait de s'évanouir sous ce mal-être qu'il ressentait. Il rumina ses pensées en passant d'une pièce à l'autre. Il rumina ses pensées en franchissant la porte. Il rumina ses pensées en tournant au coin de la rue. Ses pas le portaient automatiquement vers l'appartement où il habitait. La nuit était fraîche, il enfonça ses mains dans ses poches pour réchauffer le bout de ses doigts.

"Vous ici, quelle surprise !"

Erwin sursauta puis un sourire lui échappa. Alexis venait d'apparaître devant lui, comme si le hasard l'avait menée jusqu'à lui. Il savait parfaitement que ce n'était pas le cas, et c'est ce qui illuminait son esprit et son visage. Elle marchait à reculons en suivant son rythme nonchalant. Il la fixait, tous ses tracas envolés. Il ne savait pas trop quoi dire, il ne savait pas pourquoi Alexis l'avait suivi et il se demandait s'il devait s'arrêter, là, au milieu de la rue et en pleine nuit, juste pour discuter ?

"Ça tombe bien que tu sois là parce que je viens de réaliser que tu pourras jamais faire partir ce rouge à lèvres. Il faut un démaquillant spécial et je pense pas que toi ou Andrew en ait dans votre appart. Mais, surprise, moi j'en ai !"

Par réflexe, Erwin passa la main sur sa joue. La marque de rouge à lèvres ! Il l'avait complètement oubliée ! Il regarda Alexis avec une lueur amusée dans le regard. Il n'était pas convaincu par l'excuse qu'elle avait utilisée, mais elle avait raison, il fallait qu'il se débarrasse de cette trace. Il ralentit légèrement, attendant qu'Alexis en dise plus.

"Je peux te donner la marque si tu veux ou tu peux passer, comme tu préfères. Enfin, sauf si t'es fatigué. Je peux aller le chercher et te le rapporter. Enfin, ce que tu préfères. Peu importe."

Erwin laissa échapper un petit rire. Après cette soirée, il ne voyait plus les mots d'Alexis comme de simples blagues, il y décelait quelque chose de nouveau. De nouveau, vraiment ? Il passa sa main dans ses cheveux en guise d'excuse pour détourner le regard.

"C'est vrai que je suis un peu fatigué."

Alexis s'arrêta presque, son visage exprima quelque chose d'indéfinissable. Erwin tourna les yeux vers elle et aperçu cette mine nouvelle qui se présentait devant lui. Il leva les yeux au ciel avec un petit sourire.

"Mais passer chez toi sera plus simple, je suppose."

Le visage d'Alexis s'éclaircit à nouveau. Elle se remit à marcher à un rythme plus vif, sautillant presque. Erwin se demanda même si elle avait bien entendu et si c'était bien le bon chemin. Il ne lui dit rien, trop amusé par cette attitude égayée qu'Alexis affichait. Il se dit que ce sourire et cette mine ravie lui avaient manqué durant la soirée. Cette Alexis ressemblait plus à l'Alexis de tous les jours et c'était celle qu'il préférait. Il était fixé sur elle. Il ne pouvait pas détacher son regard. Jusqu'au moment où quelque chose dans le décor attira son attention, mais trop tard. Alexis se cogna au panneau qui se trouvait juste derrière elle.

"Aïe !"
"Est-ce que ça va ?"

Pour toute réponse, Alexis se frotta le crâne en grimaçant. Erwin posa une main sur le haut de sa tête et sentit un début de bosse. Il attendit qu'Alexis ait l'air d'aller un peu mieux puis lui fit signe de se retourner.

"Marche droit si tu veux qu'on arrive chez toi sans autre accident. En plus, plus vite on y sera, plus vite tu pourras mettre de la glace sur cette double tête qui est en train de pousser."

Alexis sourit et marcha à la hauteur d'Erwin tout le long du chemin. Même s'ils étaient détendus au début, Erwin sentit que quelque chose passait et repassait dans la tête de son amie. Elle regardait au loin, puis reportait son regard sur lui, furtivement. La situation n'était pas aussi agréable que quelques minutes auparavant. Il ralentit à nouveau et attarda son regard sur Alexis.

"Qu'est-ce que tu as ?"
"Je repensais à..."
"A ?"
"Ta vérité de tout à l'heure."
"Ah."

Erwin se mordit la lèvre, il n'avait vraiment pas envie de revenir là-dessus. Mais si Alexis restait tourmentée à cause de ça, ça n'allait pas être plus agréable. Il préférait crever l'abcès tout de suite, au moins pour répondre au minimum de la curiosité. Et puis, Alexis avait décrété ne jamais mentir, il fallait qu'il soit honnête avec elle. Il inspira profondément.

"Qu'est-ce qui te tracasse ?"
"Je comprends pas comment on peut... oublier."
"En ayant beaucoup trop bu."
"Et pourquoi t'avais trop bu ?"

C'était la question piège. Erwin leva la tête, cherchant ses mots. Comment avouer ça à Alexis ? Finalement, il se dit qu'être honnête ne l'empêchait pas de garder un détail pour une autre fois et il décida d'enfouir l'élément problématique dans un coin de sa tête.

"J'étais pas bien. Je veux dire, vraiment. Et du coup, comme Andrew squatte assez souvent ma chambre, j'ai pas pu lui cacher, il m'a emmené 'me détendre' dans un bar. J'ai pas réfléchi, j'ai suivi et je me suis retrouvé complètement bourré. Apparemment j'ai ramené une fille, mais j'ai oublié jusqu'à son visage. Et bien sûr, Andrew était à l'appart le lendemain, il a pas manqué d'en rire..."

Erwin empêchait sa voix de trembler. Il voyait cette histoire comme une honte. Quelle idée nulle d'avoir fait ça. Il ne comprenait même pas. Il espérait vraiment qu'Alexis ne poserait pas d'autres questions, qu'elle ne le jugerait pas encore comme durant le jeu et qu'elle oublierait aussi vite que lui.

C’est vrai que je suis un peu fatigué. Alexis ralentit, essayant de cacher sa déception. Elle se voyait déjà rentrer chez elle, seule et triste. Mais passer chez toi sera plus simple, je suppose. Le cœur d’Alexis s’accéléra en même temps que son visage s’illumina. Fabuleux ! Elle était si heureuse qu’elle oublia de faire attention à son environnement. Alors qu’elle réfléchissait au chemin le plus court pour aller chez elle, elle se prit un panneau dans la tête. Aïe. Alexis se frotta la tête frénétiquement. Aïe. Elle ne s’était pas loupée.

« Est-ce que ça va ? »

Alexis grimaça et hocha mollement la tête. Les doigts d’Erwin vinrent se poser sur son crâne, mais au lieu d’être la douce caresse qu’elle aurait aimé que ce soit, c’était juste douloureux. Pourquoi marchait-elle à reculons déjà ? Pour rien. Bravo Alexis. Marche droit si tu veux qu’on arrive chez toi sans autre accident. Alexis leva les yeux au ciel. Plus vite on y sera, plus vite tu pourras… Le regard d’Alexis s’illumina, un éclair d’intérêt fugace y passa. Mettre de la glace sur cette double tête qui est en train de pousser. Déception.

La marche reprit, silencieusement. Alexis essayait d’ignorer la douleur qui persistait à revenir sur sa tête et tenta de se concentrer sur autre chose. Inlassablement ses pensées revinrent sur cette soirée et sur cette vérité d’Erwin. Elle était tiraillée entre poser d’autres questions et essayer d’ignorer. Mais elle avait tant de questions ! C’était…

« Qu’est-ce que tu as ?
‒ Je repensais à…
‒ À ?
‒ Ta vérité de tout à l’heure »

Ah. Alexis avait envie de se taper la tête contre un mur. Elle aurait dû lui mentir. Il était visiblement déçu qu’elle reparle encore de ça alors qu’il avait mis un point d’honneur à dire qu’il ne voulait justement pas en parler. Alexis soupira en même temps qu’Erwin.

« Qu’est-ce qui te tracasse ?
‒ Je comprends pas comment on peut… oublier, répondit Alexis après une courte hésitation
‒ En ayant trop bu.
‒ Et pourquoi t’avais trop bu ? »

La question était sortie toute seule, légèrement agressive. En tout cas, beaucoup plus agressive qu’Alexis l’aurait voulu. Elle se mordit l’intérieur de la joue en fixant l’horizon. Pourquoi avait-elle cette pointe de douleur dans l’estomac dès qu’elle repensait à cette histoire ? Tant mieux si Erwin avait pu s’amuser une ou quinze fois sans elle ! Non ?

« J'étais pas bien. Je veux dire, vraiment. Et du coup, comme Andrew squatte assez souvent ma chambre, j'ai pas pu lui cacher, il m'a emmené 'me détendre' dans un bar. J'ai pas réfléchi, j'ai suivi et je me suis retrouvé complètement bourré. Apparemment j'ai ramené une fille, mais j'ai oublié jusqu'à son visage. Et bien sûr, Andrew était à l'appart le lendemain, il a pas manqué d'en rire... »

Un silence s’installa dans la nuit, avec seulement l’écho de leurs pas pour les accompagner. Alexis pesait tous les mots de cette histoire, les sourcils légèrement froncés. Elle avait l’impression d’avoir encore plus de questions qu’avant. Pour peu, elle avait même envie d’aller voir Andrew pour demander s’il en savait plus sur cette inconnue. La pointe de douleur dans son ventre grossit encore un peu… mais Alexis secoua la tête et prit une profonde inspiration. Ce n’était pas elle le centre de cette histoire et elle n’avait pas à le devenir.

« Andrew est un con. »

Alexis tourna la tête vers Erwin et fit un sourire timide. Elle aurait aimé en dire bien plus sur Andrew mais elle se retint. Il était aussi l’ami d’Erwin et elle n’était pas là pour le mettre mal à l’aise dans ses relations sociales – elle le faisait bien assez dans d’autres occasions. Timidement, elle glissa sa main vers celle d’Erwin et l’effleura. Elle devait se faire violence pour ne pas la prendre.

« La prochaine fois que tu es triste, tu peux m’en parler tu sais… Je fais pas boire les gens tristes, promis. »

D’un mouvement rapide, elle caressera le dos de la main d’Erwin avant de changer de sujet.

« À droite toute ! »

Brusquement, elle tourna pour se diriger vers son appartement. Dire qu’elle habitait si près de chez Erwin et qu’il n’était jamais venu chez elle ! Pour peu, une pointe de stresse la prit de court. Est-ce que son appartement était présentable ? Est-ce qu’il allait le trouver trop petit ? Trop vide ? Pas assez bien ? Est-ce que finalement un appartement n’était pas le reflet d’une certaine personnalité et Erwin allait immanquablement le trouver gênant ? Alexis secoua la tête une nouvelle fois. Ce n’était pas le moment de penser à ça.

Après quelques minutes de silence confortable, Alexis arriva enfin devant son immeuble. Après deux étages facilement gravit, Alexis ouvrit sa porte et présenta son humble demeure avec un « TADAM » légèrement exagéré. Alexis s’empressa d’allumer une lumière pour qu’Erwin puisse apprécier plus en détails son salon-chambre-bureau-tout-en-1.

« Elle est où ta cuisine ?
‒ Euh, là-bas, désigna-t-elle du doigt. Fais comme chez toi. »

Alexis haussa les épaules et se défit de sa veste, chaussures et sac qu’elle rangea à leur place au moment où Erwin revint vers elle, des glaçons enfermés dans un torchon. Ah oui, la bosse ! Sans attendre une seconde de plus, Erwin vint presque se coller à elle pour déposer sa création sur sa tête. Une chose était sûre, avec une telle proximité, les glaçons allaient fondre bien vite !

« Mon superhéros personnel, quel régal ! »

S’exclama-t-elle joyeusement. Après quelques minutes, Alexis jugea que c’était au tour d’Erwin de recevoir son traitement et elle retourna dans la cuisine pour déposer le torchon dans l’évier – malgré les protestations d’Erwin.

« C’est qu’une bosse roh, va t’assoir sur mon lit. »

Puis, elle se rendit dans sa salle de bain pour chercher le fameux démaquillant. Pourquoi avait-elle foutu un tel bordel avant de partir ? C’était impossible de retrouver quoique ce soit dans cette trousse. Finalement, après quelques minutes de dure recherche, Alexis trouva son bonheur et retourna dans son salon-chambre-bureau-tout-en-1 pour voir Erwin assis sur son lit. Elle prit sa chaise de bureau pour la placer juste en face d’Erwin. Elle s’installa dessus puis étala ses jambes autour des hanches d’Erwin. Délicatement, elle appliqua du démaquillant sur un coton et, rapprocha son visage aussi près d’Erwin que la décence lui permettait, elle commença à enlever les traces de rouge à lèvre.

Pendant quelques instants, le temps semblait en suspens. Alexis laissait volontairement ses doigts glisser de temps en temps sur le visage d’Erwin, profitant de cette proximité. Elle savait quelque part au fond d’elle que ce serait probablement sa dernière soirée avec Erwin. Il allait finir par partir, et ils ne se verraient quasiment plus jusqu’à la mort complète de leur amitié, broyée par l’âge adulte et les responsabilités. Après avoir démaquillé pendant plus d’une minute une peau sans la moindre once de rouge à lèvre, Alexis recula légèrement pour admirer son travail. Oui, Erwin était beau, aucun doute là-dessus.

« Et voilà ! Tout beau tout propre. »

Alexis finit par traiter Andrew de con, ce qui n'affecta pas vraiment Erwin. Il savait bien que la seule personne qu'il considérait comme un ami n'avait pas vraiment sa place dans le coeur de sa meilleure amie. Et dans une situation pareille, lui aussi avait envie de traiter Andrew de con. Mais il se tut. C'était fait, il en avait parlé, il ne voulait plus y penser.

"La prochaine fois que tu es triste, tu peux m'en parler tu sais… Je fais pas boire les gens tristes, promis."

Erwin lança un petit regard à Alexis et lui sourit. Il hocha la tête en signe d'accord. Déjà à l'époque, il savait très bien qu'il pouvait compter sur elle dans ce genre de situation. Mais pas cette fois-là. Pas alors qu'il avait voulu la faire sortir de sa vie pour ne plus se sentir si insignifiant à côté d'elle. La seule chose à laquelle Erwin fit encore attention en marchant fut ce contact furtif sur sa main. Inutile de baisser les yeux pour comprendre que c'était les doigts d'Alexis. Mais ils s'effacèrent aussitôt. Alexis le fit soudain tourner à droite.

Lorsqu'ils arrivèrent devant l'appartement d'Alexis, Erwin se demanda pourquoi il n'était jamais venu. Son amie avait déjà vu plusieurs fois son propre chez-lui, elle avait même passé des soirées entières à parler avec lui dans sa chambre, comme deux enfants ne voulant pas aller dormir et tentant le tout pour retarder la course du soleil.

En entrant, une vague de sérénité enveloppa Erwin. Il n'y avait pas grand chose dans cet appart'. Pas grand chose d'extravagant. Les murs étaient peints d'une couleur assez claire, entre le brun et le mauve. Un peu de linge traînait sur une chaise, tout juste assez pour donner un peu de vie à la pièce sans être noyée sous le désordre. Cet intérieur contrastait étrangement avec l'Alexis dynamique et extravertie qu'il voyait en public. Il posa sa veste sur une chaise et regarda autour de lui.

"Elle est où ta cuisine ?"
"Euh, là-bas. Fais comme chez toi."

Alexis avait l'air étonnée. Est-ce qu'elle avait déjà oublié ce panneau qu'elle avait rencontré dans la rue ? Erwin se dirigea vers la cuisine sans prendre la peine de lui expliquer. Elle comprendrait bien vite. Il vit un congélateur, l'ouvrit et y trouva par chance un moule à glaçons rempli d'eau gelée. Il attrapa la plaquette de glaçons et referma le congélateur. Il remarqua alors un petit bout de papier glacé se balancer à côté de la poignée. Il se pencha et sourit en voyant que c'était une photo d'eux. Alexis et lui. Une photo prise dans un parc, lui en gros plan avec un air surpris, Alexis derrière lui qui rit. Elle l'avait photographié sans prévenir.

Le sourire aux lèvres en repensant à cette journée, il posa les glaçons au bord de l'évier et attrapa un essuie pour mettre la glace dedans. Il fit attention à ne pas faire tomber des morceaux de glaçons partout, il n'avait pas envie d'inonder la cuisine. En traversant la cuisine, il se rendit compte que d'autres photos décoraient la pièce. Certaines montrant Alexis et ses amis, d'autres lui. Il ne s'attarda pas dessus mais découvrit à quel point son amie tenait aux photos. Il la retrouva qui venait de ranger ses chaussures et posa la glace sur son crâne.

"Mon superhéros personnel, quel régal !"

Une douce chaleur envahit le corps d'Erwin. Même si on tenait compte du fait qu'il n'avait pas de pouvoir, un sac de glaçons ne faisait pas partie des plus grandes réussites d'Erwin. Mais il n'avait pas besoin de plus que les mots d'Alexis. Sa voix, son regard, son sourire. Il resserra ses doigts sur l'essuie qu'il sentait glisser peu à peu. Mais Alexis semblait s'impatienter. Elle ne devait avoir l'habitude de rester là, immobile, à se faire soigner. Normalement, c'était elle qui devait aider les gens. Elle se leva malgré les commentaires d'Erwin et lui intima de s'asseoir sur le lit.

Alexis revint de ce qui était très certainement sa salle de bains. Elle avait une petite bouteille et du coton dans les mains. Erwin la regarda s'installer sur sa chaise de bureau et... se rapprocher bien plus près que ce à quoi il s'attendait. Les jambes d'Alexis à côté de lui, ses doigts frôlant son visage, Erwin comprit qu'il ne pouvait tout simplement pas bouger. Il laissa une chaleur différente l'engloutir et glissa son regard vers le visage attentif d'Alexis. Elle frottait la marque de rouge à lèvres avec tant de douceur. Erwin gardait les mains appuyées sur le lit pour ne pas tomber en arrière, mais il avait extrêmement envie de caresser cette peau qui lui faisait face.

"Et voilà ! Tout beau tout propre."

Erwin regrettait presque que ce soit déjà fini. Il remercia Alexis et la regarda sourire. Un sourire nouveau. Du moins, il en avait l'impression. Il se mordit la joue et se leva distraitement.

"Tu m'as dit de faire comme chez moi... Du coup je vais chercher un verre d'eau. J'ai la gorge complètement sèche après cette soirée."

Il pensait demander à Alexis si elle voulait un verre, elle aussi. Il n'en eut même pas le temps. Elle se leva à côté de lui et déclara qu'elle avait soif aussi. Ils se dirigèrent tous les deux vers la cuisine puis se retrouvèrent assis face à face, deux verres d'eau posés sur la table entre eux. Erwin regardait un peu plus attentivement toutes les photos qui décoraient les murs. Il y avait des cadres sobres posés sur les meubles et quelques photos traînant au hasard sur les portes des placards. Certains clichés le firent particulièrement sourire.

"Tu te souviens de celle-là ?"

Alexis attrapa un petit papier scotché au radiateur derrière elle. On y voyait Erwin, visiblement à peine réveillé, un chapeau de paille recouvrant la moitié de son visage. Et en avant-plan, le sourire hilare d'Alexis. Erwin pris la photo entre ses doigts et rit en la détaillant. Il avait complètement oublié qu'elle existait. En revanche, les souvenirs de cet instant lui revinrent immédiatement.

"Evidemment. J'adore les journées sur notre plage. Par contre, c'est pas plus mal quand tu me laisses dormir au soleil !"

D'un geste amical, il fit une pichenette sur le front d'Alexis. La grande majorité des photos qui l'entouraient étaient prises par Alexis, sans avertissement. Quand Erwin protestait d'avoir encore été pris par surprise, elle répondait que les souvenirs n'avaient pas la même saveur quand on prenait la pose. Et elle avait sans doute raison. Alexis rit et attrapa un autre cliché. Erwin le reconnut également et il se mirent à rire tous les deux. Après quatre ou cinq photos, Erwin regarda ailleurs.

"Et celle-là, qu'est-ce que c'est ?"

Il désigna un papier retourné, face contre le meuble, écrasé par une bouteille d'eau.

Erwin se leva aussitôt et le cœur d’Alexis se serra. Est-ce qu’il voulait déjà partir ? Elle n’avait aucune idée de comment le retenir. Son corps entier lui hurlait de le serrer dans ses bras, de lui dire à quel point elle l’aimait, de lui dire combien elle ne voulait pas qu’il parte, qu’elle voulait qu’il reste pour toute la vie avec elle. Mais elle avait déjà tenté toutes ces choses tellement de fois sans réponse de sa part… à quoi bon ruiner cette dernière soirée d’amitié avec des sentiments non réciproques ?

Tu m’as dit de faire comme chez moi… Du coup je vais me chercher un verre d’eau. J’ai la gorge complètement sèche après cette soirée. Les battements du cœur d’Alexis reprirent de plus belle. Il restait ! Fantastique. Alexis s’empressa d’ajouter qu’elle avait également soif et ils s’engouffrèrent à deux dans la cuisine pour se servir des verres. Une fois assis à la table, Alexis pouvait voir qu’Erwin laissait courir son regard partout sur les murs, les meubles, les portes de placard.

Alexis pouvait sentir cette chaleur familière qui l’enveloppait quand elle était seule avec Erwin. Elle ne voulait jamais que ce moment ne cesse. Alors elle prit la première photo qui se trouvait dans le coin pour lui montrer, pour le faire parler, pour le faire rester. La photo choisie par le hasard était une photo d’Erwin prise par surprise, sur la plage, alors qu’il était encore à moitié endormi. Tous les souvenirs remontèrent d’un coup et le cœur d’Alexis se gonfla de bonheur.

Les minutes qui suivirent furent rythmées par diverses photos les entourant. La grande majorité du temps, Erwin avait juste l’air surpris sur les photos. Le reste, il ne regardait même pas l’objectif, conscient que la photo était prise seulement une fois qu’elle l’était. Alexis chérissait chacun de ces moments et plus particulièrement celui qui se déroulait maintenant. Elle riait avec Erwin, ils se rappelaient de bons souvenirs. Alexis n’avait qu’une envie, prendre une photo ! Pour marquer à tout jamais cette soirée dans son esprit. Pour que le temps ne l’emporte pas comme le reste.

Et celle-là, qu’est-ce que c’est ? Le regard d’Alexis glissa vers sur l’endroit qui intriguait tant Erwin. Elle fronça les sourcils avant de comprendre de quoi il parlait, puis ses yeux s’illuminèrent. Elle se leva et prit délicatement le papier entre ses doigts. Erwin ne pouvait pas voir ce que c’était mais Alexis afficha un énorme sourire sur son visage, plein de tendresse. Sa photo préférée ! La seule plastifiée pour ne jamais l’abimer mais quand même légèrement cornée sur les bords.

Alexis détailla la photo. C’était l’une des rares prises par Erwin. Elle se souvenait de cette scène comme si c’était hier. Elle revoyait Erwin en train de piquer son appareil en disant que c’était à son tour de prendre des photos. Alexis s’était immédiatement greffée à lui, les yeux pétillants, face à l’objectif. Alors Erwin avait aussi pris la pause, tout sourire, face à la caméra. Puis, au dernier moment, il avait tourné la tête pour embrasser la joue d’Alexis. Et la photo fut prise. Un frisson parcourut le corps d’Alexis rien qu’à cette pensée.

« C’est ma photo préférée de tout l’univers entier. Si ma maison brûlait, ce serait la seule chose que je sauverai. »

Alexis avait dit ça dans un souffle, les yeux toujours rivés sur le papier entre ses doigts. Puis elle releva la tête et tendit la photo à Erwin.

« Prends-en soin, sinon je te tue. »

Sa voix était sérieuse mais son visage ne l’était pas. Alexis souriait, les yeux brillants. S’il l’abimait, elle la réimprimerait tout simplement. Erwin se saisit de la photo et Alexis détourna le regard. Pour une raison inconnue, elle était soudainement gênée. Est-ce qu’Erwin allait apprécier d’être sur sa photo préférée de tout l’univers ou est-ce qu’il allait encore la trouver too much et gênante ? Le rythme cardiaque d’Alexis s’accéléra de façon presque douloureuse. Puis ses yeux se posèrent sur le micro-onde qui affichait cinq heures du matin. CINQ HEURES ? Il était bien tard. Alexis glissa de nouveau son regard sur Erwin qui fixait la photo, l’air indéchiffrable. Elle se perdit pendant quelques instants dans sa contemplation. Comment allait-elle vivre sans lui à ses côtés tous les jours ? Allait-elle un jour trouver quelqu’un qui la fasse autant vibrer ? Elle avait envie de laisser courir ses doigts dans ses cheveux, de sentir sa peau contre la sienne et de l’embrasser. Oh oui, de l’embrasser. Elle voulait goûter à ses lèvres, et ne jamais s’arrêter.

« Tu devrais pas rentrer. »

Alexis avait prononcé ces mots sans même s’en rendre compte. Erwin releva la tête à ce moment, visiblement intrigué.

« Il est tard, t’habite loin, reste ici. »

Pour toujours. Avec moi. Alexis tenta d’avoir l’air désinvolte, comme si tout ceci l’indifférait. Mais elle pouvait sentir son cœur se resserrer. Il avait très bien remarqué qu’elle n’avait qu’un lit. Il n’y avait pas la place pour beaucoup de chose dans son appartement. Ils avaient déjà dormi ensemble auparavant, à de nombreuses reprises. Alors pourquoi Alexis avait l’impression qu’il y avait quelque chose de nouveau dans l’air ? Pourquoi était-elle soudainement si gênée ? Alexis détourna le regard pour admirer son plafond.

"C'est ma photo préférée de tout l'univers entier. Si ma maison brûlait, ce serait la seule chose que je sauverais."

Erwin se dit que cette photo devait représenter quelque chose d'important. La famille, peut-être ? Ou un animal de compagnie qu'elle aurait eu durant son enfance ? Il le saurait bien vite. Lorsqu'Alexis lui tendit la photo, il lut dans ses yeux une étincelle particulière. Elle avait presque l'air hésitant.

"Prends-en soin, sinon je te tue."

En temps normal, Erwin aurait sans doute ri, mais ce regard le dissuada de répondre quoi que ce soit. Il savait qu'Alexis ne devait pas réellement s'inquiéter à propos de sa photo, elle le connaissait suffisamment pour savoir qu'il était délicat avec les objets qui ne lui appartenaient pas. Et puis, si c'était à elle, il avait encore plus de raisons pour considérer cette photo comme un bien rare et précieux. Il posa son regard sur l'image. Il sourit timidement. Alors elle l'avait gardée ? Cette photo, cet instant où il s'était dit qu'il pouvait avancer, faire un pas vers elle. Il avait longtemps regretté ce geste pourtant anodin et n'avait plus avancé dans leur relation. Pourtant, à la vue de ce cliché, il se dit que c'était sans doute la meilleure idée qu'il ait eue.

"Tu devrais pas rentrer."

Erwin leva les yeux, arraché à ce souvenir par ses mots. Il ne comprenait pas si c'était une question l'invitant  s'en aller ou s'il s'agissait d'une proposition pour rester. Alexis mit fin à l'ambiguïté.

"Il est tard, t'habites loin, reste ici."

Erwin regarda Alexis, l'esprit un peu perdu. Comment ça ? Quelle heure était-il ? Un coup d'oeil sur le côté lui indiqua qu'il était déjà cinq heures. Où était passée la fatigue ? Combien de temps avait-il passé chez Alexis ? Erwin avait l'impression que quelqu'un avait arrêté le temps pour le remettre en marche d'un seul coup, là, maintenant, à cette heure improbable. Alexis le regardait d'un air interrogateur. Elle n'allait pas attendre tout le reste de la nuit pour savoir ce qu'il comptait faire. Il ne réfléchit pas.

"J'espère que ton lit est pas trop petit, sinon je peux dormir sur une chaise."

Sa tête hurlait contre la connerie qu'il venait de dire. Son coeur battait plus fort. Alexis esquissa ce qui ressemblait à un sourire mais elle se détourna très vite vers la chambre. Erwin attendit un peu. Chez lui, Alexis avait l'habitude des affaires qui traînaient parfois, mais peut-être qu'elle ne voulait pas que ce soit pareil chez elle. Finalement, elle lui fit vite signe qu'il pouvait venir. Il la rejoignit et vit qu'un tas de vêtements étaient jeté en boule sur la chaise de bureau. Alexis avait une expression indéchiffrable sur le visage.

"Je passe par la salle de bains. Tu veux avoir ton tour en premier ?"
"Pas besoin. A ce stade, je prendrai une douche pour me réveiller dans quelques heures."

Alexis s'enfuit dans la salle de bains. Erwin fit le tour de la chambre, il n'y avait pas d'autre photo, ou presque pas dans cette pièce. C'était un contraste étrange avec la cuisine. Il s'assit sur le lit et attendit. Il n'en revenait pas. C'était la première fois qu'il voyait l'appart d'Alexis et qu'il y restait pour la nuit, la première fois qu'il voyait toutes ces photos. Et c'était une des dernières soirées qu'il passerait avec elle. Il voulait encore du temps, pour revenir à l'appart d'Alexis, y rester à nouveau pour la nuit, revoir une nouvelle fois ces photos.

"T'as pas bougé ?"

Alexis venait de sortir de la salle de bains, un top trop grand et un short en guise de pyjama. Erwin ne put s'empêcher de se dire qu'elle était carrément canon comme ça, les cheveux légèrement en bataille et les yeux marqués par la fatigue qui se faisait sentir. Puis il revint à la réalité. Non, il n'avait pas bougé, effectivement.

"J'ai pas de pyjama. Pas vraiment envie de tu arrives et que tu découvres un homme presque nu dans ton lit."

Alexis rit. Erwin rit aussi.

"Enlève juste ton jean alors. C'est pas confortable."

Elle avait dit ça à voix basse. Erwin la regarda se glisser sous la couette. Il enleva son pantalon et fit de même. Il se retrouva en face d'Alexis, si proche d'elle que son coeur menaçait de fondre sous l'ardeur de son corps. Il était là, sous la couette, et il ne demandait qu'à se libérer de cette masse étouffante qui lui donnait si chaud. Alexis éteint la petite lampe de chevet qui éclairait encore faiblement la pièce. Dans le noir, Erwin la vit fermer les yeux. Elle s'endormit sûrement très vite. Erwin attendit dans le silence que le sommeil vienne remplacer cette tension qu'il ressentait au fond de lui.

"Je savais que tu avais du mal à dormir hors de chez toi, mais je pensais que tu serais fatigué à cette heure."

Erwin glissa son regard vers Alexis. Elle s'était tournée face à lui et le regardait. Ses yeux brillaient dans le noir. Erwin se mit lui aussi sur le côté, face à son amie. Il tenta de la distinguer dans le noir, de dessiner les contours de son visage, de ses épaules, du reste de son corps. Il la sentit se rapprocher. Pas beaucoup, mais juste assez pour qu'il se sente à la fois apaisé et agité.

Ils ne parlèrent pas. Il se regardèrent sans bouger. Erwin crut deviner un sourire sur les lèvres d'Alexis, mais l'obscurité lui permettait de tout inventer. Durant quelques minutes, son esprit fut rempli d'images d'avant. De tous ces bons moments passés avec Alexis. De toutes les occasions qu'il aurait pu saisir, d'autant d'occasions manquées. Cette nuit, c'était la dernière nuit qu'il partagerait avec Alexis avant qu'elle ne s'en aille et qu'il la regarde sauver le monde à travers les infos. Sans réfléchir, il laissait ses doigts courir sur l'avant-bras de la jeune fille.

"Alexis. Je..."

Une bouffée de chaleur envahit Erwin, un éclat dans les yeux d'Alexis. Il sentit sa main s'avancer vers lui. Elle ne s'écartait pas ? Il inspira lentement. Il fallait qu'il fasse taire ces battements qui résonnaient sûrement dans tout l'appart. Il se força à regarder Alexis dans les yeux. Il se rapprocha un peu d'elle. Dans le lit une personne, ça faisait beaucoup. Son visage était si près de celui d'Alexis...

"Depuis que je te connais, je veux être plus que ton ami."

Une boule se forma dans sa gorge. Il sentait toujours le moindre centimètre carré de sa peau brûler, mais il sentait surtout cette pointe de regret prête à grandir si Alexis prenait mal ce qu'il venait de dire.

Erwin restait. Erwin restait ! Alexis sentait une chaleur apaisante l’envelopper intégralement. Elle aurait eu envie de lui sauter dessus, de l’embrasser, de courir, de sautiller, tout en même temps ! Elle était si heureuse. Puis, doucement, une pointe de tristesse vint piquer sa bulle de chaleur. Elle tenta de ne rien montrer, se contentant de sourire. Sinon je peux dormir sur une chaise. Ahahaha, jamais. Alexis se réfugia dans sa chambre et plaça tout ce qu’elle pouvait sur cette chaise. Même des vêtements propres qui étaient normalement rangés. Elle vivante, Erwin ne dormirait pas sur une chaise. À la rigueur, elle dormirait sur une chaise si besoin.

Erwin resta dans la chambre pendant qu’Alexis s’en alla dans la salle de bain. Elle croisa son regard dans le miroir et prit une grande respiration. Elle tremblait presque tant les émotions étaient diverses en elle. Elle était heureuse, excitée, triste, mélancolique, nerveuse, tout en même temps. Elle prit une nouvelle grande inspiration et commença par se démaquiller. Puis, elle rangea sa trousse à maquillage correctement. Puis elle se glissa sous la douche. Devait-elle se laver les cheveux ? Devait-elle se remaquiller de façon plus discrète ? Alexis secoua la tête. Depuis quand s’inquiétait-elle de tout ça ? Et puis, ce serait du temps perdu avec Erwin. Il l’avait déjà vu dans des situations pires. Et des mieux. Et les râteaux avaient toujours été là, alors quelle importance d’avoir les cheveux propres ce soir.

Quand elle sortit de la salle de bain, Erwin n’avait pas bougé, les fesses sur son lit, le regard vague. Est-ce qu’il regrettait ? Alexis essaya de ne pas y penser et se contenta de lui faire remarquer son immobilité. J’ai pas de pyjama. Pas vraiment envie que tu arrives et découvres un homme presque dans nu dans ton lit. Alexis arqua un sourcil. Si c’était Erwin, elle n’y voyait aucun inconvénient. Néanmoins, elle choisit de prendre ça comme une blague et rit.

« Enlève juste ton jean alors. C’est pas confortable. »

Alexis avait dit juste dans un souffle. Elle ne savait plus sur quel pied danser. Est-ce qu’il allait prendre ça encore comme de la drague gênante ? Est-ce qu’il allait prendre ça comme une remarque quelconque ? Depuis quand Alexis se méfiait autant de ce qu’elle disait ? Elle avait envie de se taper la tête contre un mur. À la place, elle se glissa dans sa couette, se serrant le plus possible contre le mur pendant qu’il enlevait son jean. Par pudeur et par respect pour lui, elle détourna le regard, la tête gonflée de questions.

Erwin vint se glisser sous la couette à son tour. Alexis pouvait sentir son cœur s’affoler, tous ses sens en état d’alerte maximale. Plus que jamais, elle voulait serrer ce corps contre elle, elle voulait goûter ses lèvres, elle voulait tout Erwin. Au lieu de ça, elle ferma les yeux. Elle n’allait pas ruiner leur dernière soirée juste pour des hormones, non ? Le sommeil ne vint pas. Les questions tournaient en boucle. Alexis tenta de méditer. Elle se remémora cette soirée, comme une invitation pour le sommeil. Mais rien n’y faisait. Elle se concentra alors sur son environnement, sur le silence… sur la respiration d’Erwin. Irrégulière. Il ne dormait pas.

« Je savais que tu avais du mal à dormir hors de chez toi, mais je pensais que tu serais fatigué à cette heure. »

Alexis avait murmuré ça tout en se positionnant face à lui. Ses yeux habitués à l’obscurité pouvaient le deviner dans le noir. Il était si beau. Elle avait envie de toucher les courbes de son corps, encore et encore, pour les graver à jamais dans sa mémoire. Imperceptiblement, Alexis se rapprocha. De pas grand-chose. Juste assez pour distinguer plus en détails son visage. Son cou. Son menton. Ses lèvres. Ses yeux. Pourquoi aimer devait-il être à la fois si apaisant et si douloureux ?

Soudain, un contact sur son avant-bras. Épicentre d’une nouvelle chaleur qui envahit le corps d’Alexis. Alexis. Je… Les sens en alerte, Alexis était en apnée. Elle rapprocha sa main d’Erwin sans s’en rendre compte. Il n’y avait plus aucune question. Seulement Erwin. Erwin qui se rapprocha un peu plus. Le cœur d’Alexis battait si fort qu’elle avait l’impression que toute la planète pouvait l’entendre.

Depuis que je te connais, je veux être plus que ton ami. Le cœur d’Alexis explosa – ou en tout cas, en donna l’impression. Ses joues la brûlèrent. Pourquoi tout ce rejet ? fut la première question qui s’inscrivit dans son esprit. Elle la balaya d’un revers de main. Les questions viendraient plus tard. Pour l’instant, il n’y avait rien d’autre Erwin. Alexis glissa lentement sa main le long de la joue d’Erwin, épousant les contours de sa mâchoire. Elle l’attira un plus vers elle, effleurant ses lèvres. Ils restèrent immobiles pendant une très longue seconde. Alexis bougea la tête très légèrement, laissant ses lèvres effleurer celles d’Erwin sans n’y exercer aucune pression.

« Comme par exemple, meilleur ami ? »

Était-ce vraiment le moment de faire une blague ? Un sourire amusé se dessina sur les lèvres d’Alexis en voyant une étincelle fugace passer dans son regard. Elle se redressa légèrement, appuyée sur son coude.

« Je préfère être sûre, tu peux envoyer des signaux… contradictoires.
‒ C’est que, tu sais, je, tu, tout ça... »

Peut-être que c’était une petite vengeance personnelle mais Alexis éprouva une pointe de plaisir en voyant Erwin paniquer de la sorte. Elle laissa retomber sa tête juste en face de celle d’Erwin et se rapprocha un peu plus de lui, effleurant de nouveau ses lèvres avec les siennes.

« Tu es un idiot. Mais ça ne m’a jamais empêché de t’aimer, Erwin. »

Un sourire se dessina sur les lèvres d’Alexis alors qu’elle glissait sa main le long des côtes d’Erwin, puis dans son dos. Dans un mouvement à peine visible, elle rapprocha d’Erwin d’elle et enfin elle put goûter les lèvres qui lui faisaient tant envie.

Erwin retenait son souffle dans la nuit silencieuse. Sa respiration en moins, il avait vraiment l'impression que le monde entier venait d'entendre ses mots. Puis la main d'Alexis vint caresser sa joue et son coeur fit un bond, il frissonna. Et ses lèvres, ses lèvres qui se rapprochaient. Leurs lèvres encore plus proches, si proches !

"Comme par exemple, meilleur ami ?"

Les poumons d'Erwin reprirent soudain leur fonction, il revint sur Terre. Tout en lui se figea. Pourquoi est-ce qu'il avait dit ça ? Quel idiot ! Peut-être qu'Alexis n'avait pas envie d'entendre ça. Peut-être qu'il avait inventé tous les signes qui lui avaient donné confiance. Peut-être que, même meilleur ami, elle ne voulait plus qu'il le soit. Peut-être qu'il s'était trompé, qu'il allait s'enfoncer dans la honte toute la nuit et qu'il allait vouloir disparaître dès le lever du soleil pour ne jamais recroiser le regard de la fille qu'il avait déçue.

"Je préfère être sûre, tu peux envoyer des signaux… contradictoires."
"C'est que, tu sais, je, tu, tout ça... "

Ok, pour dire ça, Erwin préférait se taire. Il ne comprenait pas en quoi il pouvait être si contradictoire, mais il se calma presque instantanément en entendant ces mots. De nouveau, Alexis se retrouva tout près de lui, juste sous ses yeux. Même dans le noir, il pouvait deviner son expression heureuse. Il voulait oublier tout le reste et ne plus voir qu'elle et ce sourire.

"Tu es un idiot. Mais ça ne m'a jamais empêché de t'aimer, Erwin."

Erwin fut étonné de ne pas être aussi surpris qu'il le pensait. Comme si une partie de lui avait toujours compris les messages d'Alexis. Idiot. Oui, le mot parfait. Un pur idiot. Mais le coeur de cet idiot ne cessait toutefois pas de tambouriner dans sa poitrine. Alexis était si proche. Erwin n'osait pas bouger de peur de briser ce moment si précieux. Leurs souffles se mélangeaient. Les mains d'Alexis glissèrent le long de ses côtes, de son dos, une pression l'attira vers elle. Dans un instant qui s'éternisa autant qu'il se précipita, Erwin se retrouva les lèvres collées à celles d'Alexis.

Rien à voir avec le baiser lors du jeu de la bouteille. C'était un nouveau goût, une nouvelle douceur et une nouvelle chaleur qu'Erwin découvrait en même temps que les lèvres d'Alexis. Sa bouche semblait lui souffler un peu plus de bonheur au fil des secondes qui s'écoulaient. Plus rien n'existait autour d'Erwin. Il n'y avait plus que cette passion grandissante au milieu de ce baiser et des caresses un peu plus pressantes d'Alexis. Il la serrait contre lui, un peu plus, encore un peu plus, toujours plus, cherchant à l'avoir auprès de lui pour que ce moment ne finisse jamais. Il n'avait pas assez d'Alexis.

"C'est ton genre de garçon, les idiots ?"

Il avait fallu respirer malgré tout. Et cette phrase fut la seule qui vint à l'esprit d'Erwin pour ne pas retomber dans un silence qui pourrait lui permettre de réfléchir à nouveau et d'émettre de nouveaux doutes. Il se dit que ce n'était pas les mots les plus mignons, ni les plus excitants, ni les plus viriles, ni les plus... pas les meilleurs qu'il avait pu trouver. Mais Alexis se contenta d'un rire doux comme une mélodie avant de se jeter une deuxième fois à l'assaut de ces lèvres qu'elle regardait avec avidité.

Le temps défila lentement. L'effusion de sentiments entre Erwin et Alexis ne retomba pas, mais sa nature sembla changer. Les baisers se faisaient moins rapides, plus intenses encore, toujours un peu plus pressants. Les caresses glissaient, plus sensuelles, le long des courbes de chacun. Les doigts d'Alexis jouaient dans les cheveux d'Erwin pendant que, lui, effleurait d'une douceur brûlante le bas du dos de cette fille dont il rêvait depuis si longtemps. Peu à peu, leurs bouches se séparèrent, cette électricité entre eux toujours présente.

"Je t'aime."

Un murmure échangé. Un murmure mélangé. Tous les deux semblaient avoir ressenti ce même besoin de le dire. Ils se regardèrent en souriant. Une lueur de plaisir illumina leurs visages. Alexis déposa un baiser plein de tendresse sur le bout du nez d'Erwin. Il la regarda en silence. Les questions revenaient maintenant que leurs respirations n'emplissaient plus son esprit.

Tout allait si vite dans le monde de ses pensées. Les souvenirs de leur vie d'avant, quand ils se regardaient encore sans rien se dire, les souvenirs de la soirée écoulée, les souvenirs des instants qui venaient de s'envoler. Alexis à seize ans déboulant dans sa chambre pour lui demander en riant quel thème de mariage il préférait. Alexis à rassurer après ses premiers examens en tant que futur super-héros. Alexis qui riait avec lui. Alexis qui le choisissait sans hésiter pour des gages. Alexis qui lui parlait, enfermée dans une armoire avec lui. Alexis qui lui proposait de rester avec elle.

Et malgré tout ça, une petite tache d'ombre obscurcissait le tableau. Une pointe de doute. Pourquoi ? Pourquoi hésitait-il encore ? Qu'est-ce qu'il lui fallait de plus ? Un idiot, vraiment. Comme si elle avait deviné tout ce qui se tramait dans sa tête, Alexis passa un doigt sur les lèvres d'Erwin.

"Vraiment."
"Vraiment ?"
"Depuis trois ans."
"Depuis trois ans."
"Pourquoi tu me l'as jamais dit avant ?"
"Peur que toutes tes approches soient des vannes."
"Je ne mens jamais, Erwin."

L'incendie qui embrasait toujours le corps d'Erwin doubla d'intensité. Quelques liens se firent dans sa tête. Quelques mots se mélangèrent. Quelques images lui revinrent en désordre. Ses mains glissèrent avec ardeur sur la taille d'Alexis, la peau découverte à cet endroit comme pour lui donner un aperçu de ce qu'il enviait. Cette fois, ce fut lui qui approcha ses lèvres de celles d'Alexis et qui murmura quelques mots dans un souffle.

"Et quand tu parlais de la 'vraie version', tu ne mentais pas non plus ?"

Attendant une réponse en inspirant profondément, Erwin pressa ses mains un peu plus sur Alexis, la rapprocha lentement de lui. Cette idée ne lui faisait plus du tout le même effet que durant leurs sept minutes d'isolement. Cette fois, il sentait l'envie monter peu à peu comme un venin embrasant la moindre parcelle de son corps.