La rencontre avec Alexis et Andrew sur le terrain d'entraînement avait retardé les excuses d'Erwin. Et pas qu'un peu. Après avoir dit à Alexis qu'il ne voulait plus la voir, le fils de Poseidon s'était tenu à carreau pendant plusieurs jours qui avaient duré une éternité. Tous les instants qu'Erwin avait passé seul, il les avait passé à penser à Alexis. Il n'aurait jamais dû lui parler comme il l'avait fait, il s'en voulait terriblement.

Il était désormais temps de s'expliquer pour de bon. Cette aventure au Camp Jupiter avait bien débuté, pourtant. Elle avait mal tourné beaucoup trop rapidement. Erwin voulait que les choses redeviennent comme avant. Qu'il retourne s'entraîner avec Alexis, qu'ils discutent dès le matin, au mess, qu'ils passent certains de leurs temps libres ensemble, qu'ils... Ah non, les bains c'était accidentel.

Etendu sur son lit, le demi-dieu réfléchissait. Il fallait prévoir un plan précis pour éviter de nouveaux dérapages. Arriver près d'Alexis et simplement lui dire "Bonjour, je suis désolé" n'aurait pas suffi selon lui. Alors, pour entamer la conversation avec la fille d'Arès, il avait déjà prévu quelque chose. D'un coup d'oeil vers sa table de nuit, Erwin regarda les deux dagues qui y étaient posées. La sienne. Et celle d'Alexis. Il l'avait ramassée après avoir buté contre le pommeau en voulant quitter le dortoir, juste après leur dispute. Depuis, il n'avait jamais pu la rendre à sa propriétaire, soit parce qu'il ne la croisait tout simplement pas, soit parce qu'il n'avait pas l'arme sur lui. Alexis devait avoir envie de la récupérer, depuis tout ce temps.

Il fixait la dague comme si, une fois dans sa main, le retour en arrière deviendrait impossible. Il voulait voir Alexis, lui parler, et en même temps, c'était ce qu'il redoutait le plus en cet instant. Comment allait-elle réagir ? Est-ce qu'elle voudrait bien l'écouter ? Est-ce qu'ils redeviendraient amis ? Toutes ces questions commençaient à bouillir dans la tête d'Erwin, lui donnant un début de migraine, alors il se saisit de la dague et se leva d'un bond. Plus question de remettre un pied dans le dortoir des garçons tant qu'il n'aurait pas discuté. Le demi-dieu se dirigea ainsi vers le dortoir des filles où, à cette heure du début de soirée, il espérait trouver Alexis.

Comme il entendait plusieurs voix dans le dortoir, Erwin attendit un moment de l'autre côté de la porte. Puis deux Grecques qu'il ne connaissait pas particulièrement sortirent de la pièce, un nécessaire de toilette en main. Si elles allaient prendre leur bain, elles ne reviendraient pas dans la minute. Erwin écouta quelques secondes. Il n'y avait plus de bruit. Soit Alexis était là avec d'autres filles qui, si elles étaient silencieuses, dormaient peut-être, soit Alexis était seule, soit Alexis n'était pas là et alors il faudrait retrouver du courage pour venir plus tard. Par chance, Alexis était là, seule.

"Toc toc."

Alexis, assise sur son lit, se retourna vers Erwin. Le fils de Poseidon se racla la gorge et rentra dans le dortoir. Il s'approcha de la file d'Arès et resta debout, à un mètre d'elle. Elle le regardait depuis son lit, sans rien dire. Elle se demandait certainement ce qu'il venait faire ici, à une heure pareille. Alors il lui tendit sa dague.

"Y avait toujours ça sur ma table de nuit. J'avais pas pensé à te la rendre."

Une bonne chose de faite. Maintenant, il fallait continuer la discussion. Et Erwin commençait à se sentir de plus en plus mal à l'aise.

Alexis était allongée dans son lit, le regard fixé au plafond. Les autres personnes présentes dans le dortoir étaient en pleine discussion sur un sujet qui n’intéressait pas du tout Alexis. Alors, s’enfermant dans sa bulle, elle se contentait d’attendre que le temps passe. Une balle dans la main, elle se contentait de la lancer à l’infini, la rattrapant, puis la relançant. Pour une raison étrange, cette occupation lui vidait l’esprit. Alexis avait trouvé cet objet lors d’une de ses escapades à la Nouvelle-Rome en compagnie d’Athénaïs. Malgré les rumeurs sur son caractère antipathique, Alexis avait trouvé une réelle amie chez la centurion de la première cohorte. En plus d’être une très bonne combattante, elle était aussi quelqu’un de très intéressant. Alexis se sentait réellement à l’aise en sa présence, elle en oubliait souvent le chaos des derniers jours.

Les autres grecques du dortoir décidèrent d’aller se laver et s’en allèrent enfin du dortoir. Alexis rattrapa sa balle une dernière fois et la déposa sur son oreiller. Se redressant doucement, Alexis regarda sa cheville entourée d’une attelle et soupira bruyamment. Quelle erreur de débutant. Lors de son entraînement contre Athénaïs, elle n’avait observé son environnement, se laissant distraire par une romaine capable de soudainement devenir blonde. Ce qui s’avérait être assez drôle sur le moment s’est avéré moins amusant quand Alexis remarqua qu’elle ne pouvait plus s’appuyer sur sa jambe. Après un court examen par un médecin présent sur place, il s’avérait qu’Alexis avait la cheville foulée. Trois fois rien, si ce n’est qu’il lui fallait une attelle et quelques jours de repos – le tout agrémenté d’un peu d’ambroisie.

Alexis remarqua la porte qui s’ouvrait mais n’y fit pas tellement attention. Elle n’était proche d’aucun grec dans ce dortoir et il était plus facile de faire comme si personne existait plutôt que d’entamer des conversations gênantes sur la pluie et le beau temps. Toc toc, résonna une voix masculine. Lentement, Alexis se tourna légèrement sur elle-même pour voir qui venait dans la déranger. Alors qu’elle allait congédier cette personne, elle remarqua qu’il s’agissait d’Erwin qui venait de se glisser dans la pièce. La porte se referma doucement quand le fils de Poséidon s’avança davantage. Erwin s’approcha de nouveau puis tendit une dague à Alexis.

Y avait toujours ça sur ma table de nuit. J’avais pas pensé à te la rendre. La voix d’Erwin emplissait la pièce. Alexis se pencha légèrement en avant et attrapa sa dague. Lorsqu’elle releva la tête, Erwin était toujours là, visiblement mal à l’aise.

« Merci. »

Un silence gênant s’installa entre les deux demi-dieux. Alexis, assise sur son lit fixait Erwin, cherchant à savoir ce qu’il faisait réellement là. Si ce n’était que pour une dague, il aurait pu la poser n’importe quand en son absence. La fille d’Arès ne savait pas trop quoi faire : voulait-il parler ? Voulait-il partir ? Devait-elle dire quelque chose ? Elle se décala légèrement, invitant d’un regard Erwin s’il désirait s’assoir. Elle se décida donc à lui dire ce qu’elle voulait lui dire qu’avant de le voir avec Andrew, quelques jours auparavant.

« J’étais venue te voir la dernière fois pour m’excuser de m’être énervée sur toi au sujet du Satyre Déchaîné. J’avais besoin d’un coupable et tu étais tout désigné. »

Elle fit une pause, s’humidifiant les lèvres. Dire ces mots aussi facilement était presque douloureux. Tout aurait été plus simple si elle avait pu le faire quelques jours avant. Maintenant, cela lui laissait un goût amer dans la bouche. Maintenant, elle savait que ça ne servait plus à rien car elle avait blessé Erwin plus que raison. Alors, elle détourna le regard pour fixer le mur en face d’elle. D’une main distraite, elle se saisit cette étrange balle qu’elle avait posé sur son oreiller quelques minutes avant.

Alexis remercia Erwin. Il aurait dû répondre quelque chose, même un simple "de rien", une banalité. Mais rien ne vint, les mots restaient coincés dans la gorge nouée du demi-dieu. Il ne savait pas par où commencer, il avait tant et si peu à dire à la fois. Il aurait pu dire à Alexis qu'il était désolé d'avoir surenchérit à ses cris au lieu de la calmer. Il aurait pu lui dire qu'il avait eu tort de l'éviter durant plusieurs jours au lieu de la trouver tout de suite pour ne pas laisser grandir le malaise entre eux. Il aurait pu lui dire qu'il n'avait pas voulu la blesser, qu'il n'avait pas choisi Andrew pour la remplacer -quelle idée pourrie ça aurait été aussi- et qu'il n'aurait pas dû la laisser partir avec un poids sur le coeur. Mais il restait là, les lèvres tremblantes prêtes à commencer chaque mot qui ne voulait pas venir. Le seul mouvement qu'il fit fut de s'asseoir d'un air hésitant sur le bord du lit qu'Alexis lui désignait d'un regard.

"J'étais venue te voir la dernière fois pour m'excuser de m'être énervée sur toi au sujet du Satyre Déchaîné. J'avais besoin d'un coupable et tu étais tout désigné."

Après ces mots, Alexis regarda ailleurs, comme si soutenir le regard d'Erwin devenait trop compliqué. Le fils de Poseidon s'en estimait heureux, d'un certain côté, ça lui évitait de devoir, lui, détourner le regard. Il n'aurait pas été capable de fixer la Grecque dans les yeux sans flancher. Il se sentait trop coupable, trop minable à côté d'elle. Il avait l'impression qu'être là ne devrait pas lui être permis. Le silence s'étendit. Alexis s'empara d'une petite balle posée sur son oreiller. Erwin n'avait aucune idée d'où venait cette balle, mais tant pis. Alexis la fit lentement rebondir dans sa main, le regard absorbé par quelque chose d'autre. Comme si cet air déconcentré rassurait Erwin, il décida qu'il était temps de s'excuser à son tour.

"Je venais pour te dire pardon aussi. J'ai mal réagi, j'aurais dû t'expliquer tout ça, j'aurais dû... Je sais pas. Et tout ce que je t'ai dit sur le terrain d'entraînement, j'en pensais pas un mot. J'étais énervé, j'ai pas réfléchi, je voulais que tu partes pour pas te blesser encore plus mais je t'ai blessée pour que tu partes. C'était complètement con."

Le silence reprit sa place. Erwin fixait la balle qu'Alexis faisait toujours rebondir dans sa main. En ce moment, rien n'aurait pu fasciner le fils de Poseidon plus que cette balle. Elle lui donnait un alibi pour fuir les yeux d'Alexis. Elle vidait son esprit en allant de bas en haut et de haut en bas. Puis la balle échappa des mains d'Alexis. Erwin la rattrapa après un rebond sur le sol et la reposa délicatement dans la main de la fille d'Arès. Toujours sans la regarder. Il se racla la gorge.

"Et puis je... J'aimerais qu'on reprenne les entraînements ensemble. Enfin, pas tout de suite, mais..."

Il appuya un regard sur l'attelle qu'Alexis portait au pied. Quand, comment s'était-elle blessée ? Sûrement sur le Champ de Mars. Erwin se demanda si cet accident serait arrivé, avec lui. Et qu'aurait-il fait ? Est-ce qu'Alexis l'aurait tenu comme coupable ? Il désigna la blessure d'un mouvement du menton.

"C'est grave ?"

Alexis faisait rebondir la balle doucement dans sa main. Elle n’allait pas aussi haut que quand elle était toute seule allongée sur son lit, juste quelques centimètres tout au plus, mais ça suffisait à lui occuper assez les mains pour que son esprit reste cohérent. Erwin était assis à côté d’elle, mais elle ne le voyait pas. Elle se contentait de sentir sa présence. Elle ne savait pas réellement si elle devait dire quelque chose de plus ou pas. Pourquoi est-ce qu’il venait la voir ? Que ce soit à cause d’Andrew ou pas, Erwin avait très clair concernant sa relation Alexis. Je veux plus te voir. Je veux que tu me foutes la paix. Andrew, comme Alexis avait pu s’en rendre compte, ne créait pas des sentiments venus de nulle part. Il amplifiait ce qui était déjà là. Alors Alexis fit rebondir une nouvelle fois sa petite balle dans ses mains.

Erwin arracha l’attention d’Alexis de sa balle en parlant. Il s’excusait à son tour, expliquait qu’il avait mal agit et qu’il ne pensait pas à mot de ce qu’il avait dit sur le terrain d’entraînement. Je voulais que tu partes pour pas te blesser encore plus, mais je t’ai blessée pour que tu partes. C’était complément con. Alexis resta silencieuse, superposant mentalement ces mots avec ceux de la dernière fois. Je veux que tu me foutes la paix. Encore un rebondit. Je veux plus te voir. Cette fois, la balle échappa à Alexis et rebondit par terre plutôt que dans les mains d’Alexis. Erwin se pencha alors en avant, et Alexis posa enfin les yeux sur lui. Il lui remit la balle dans les mains, toujours en fixant le sol.

Et puis je… j’aimerais qu’on reprenne les entraînements ensemble. Enfin, pas tout de suite, mais… Alexis ne le lâchait pas des yeux. Jamais elle n’avait eu l’occasion de le regarder aussi longtemps pendant qu’il fixait ailleurs. Elle fit glisser sa main d’une main à l’autre. Reprendre les entraînements ensemble ? Une voix cynique lui murmura un petit Alors comme ça Andrew n’est pas un bon prof mais Alexis la fit taire assez rapidement. Erwin fronça les sourcils puis désigna d’un mouvement de menton la jambe d’Alexis. Machinalement, Alexis quitta des yeux Erwin pour glisser son regard sur sa propre jambe. C’est grave ? Ah oui. L’attelle.

« Non. »

Alexis fit de nouveau glisser la balle dans son autre main. Je veux que tu me foutes la paix. Alexis fixa son attelle. Je t’ai blessé pour que tu partes, c’était complètement con. Alexis chassa ses échos de ses pensées.

« Je me suis mal rattrapée en sautant. J’ai pas fait attention à mon environnement. Dans quelques jours ça ira mieux. »

Alexis avait arrêté de faire glisser sa balle d’une main à l’autre, se contentant de la faire bouger dans une seule main. Elle se mordit la lèvre.

« Andrew ne fait qu’accentuer des sentiments qui existent déjà. Donc tu le pensais forcément. »

La voix d’Alexis était très contrôlée, assez douce. Elle ne voulait pas faire fuir Erwin, elle voulait juste dire ça. Peut-être pour se soulager. Pour justifier pourquoi elle avait préféré se battre n’importe comment ces derniers jours plutôt que de se battre bien. Alexis posa la balle entre elle et Erwin et se saisit de sa dague. Elle glissa alors son regard sur Erwin,

« Tu veux apprendre quoi d’autre aux entraînements ? »

Alexis posa un regard presque machinal sur son pied. Comme si elle avait oublié qu'elle portait une attelle.

"Non. Je me suis mal rattrapée en sautant. J'ai pas fait attention à mon environnement. Dans quelques jours ça ira mieux."

Erwin aurait pu se sentir rassuré, reporter son attention sur autre chose. Mais la réponse d'Alexis ne faisait que retourner des pensées au hasard dans sa tête. Il l'imaginait s'acharner à la tâche pour se vider de tout ce qu'elle avait pu ressentir. Enchaîner les mouvements assassins les uns après les autres sans prendre le temps de se reposer. Y mettre toute sa force et toute sa rage. L'image de l'Alexis-guerrière était une image qui manquait un peu à Erwin, mine de rien. Il voyait l'Alexis-froide depuis trop longtemps.

"Andrew ne fait qu’accentuer des sentiments qui existent déjà. Donc tu le pensais forcément."

Erwin se mordit la lèvre. Oui, il le savait. Mais la toute petite once de colère qu'il avait eu en lui avait suffi à déclencher un ouragan dans son coeur. Il ne l'avait pas voulu, il ne l'avait pas pensé à ce point. Il ne savait pas si Alexis avait réellement besoin d'une réponse. Si elle avait besoin d'entendre de sa bouche qu'il avait effectivement pensé ces mots durant quelques secondes. Si elle voulait savoir pourquoi, si elle voulait savoir depuis quand, si elle voulait savoir ce qu'il en était maintenant... Alors le fils de Poseidon se tut, les yeux piquants de culpabilité.

"Tu veux apprendre quoi d'autre aux entraînements ?"

Erwin savait qu'il ne pourrait pas rester là, éternellement assis à côté d'Alexis sans dire un mot. Soit il choisissait de s'exprimer, soit il s'en allait tout de suite au lieu de faire durer le supplice. La fille d'Arès n'avait certainement pas plus envie que lui de passer un moment interminable dans le silence, sans savoir que faire. Alors Erwin décida de réagir d'abord aux premiers mots d'Alexis. Il fallait se débarrasser de ce dégoût de lui-même au plus vite avant qu'il n'explose. Il éclairerait le reste ensuite.

"Alexis... Je t'ai dit des choses que j'ai pensées, mais seulement pendant quelques secondes. Je me sentais mal, je me sentais coupable, je me suis senti attaqué en te revoyant. A tort, oui, mais voilà. Je me suis mis à t'en vouloir et ça a augmenté. J'étais en colère contre toi, mais aussi contre moi. J'étais nul et je savais pas quoi y faire."

Il y eut un silence. Peut-être qu'Alexis réfléchissait à ce qu'il venait de dire. Peut-être qu'elle n'avait pas écouté. Dans tous les cas, Erwin se sentait libéré d'un poids maintenant qu'il avait extériorisé tout ça. La culpabilité était toujours là, mais il savait désormais qu'il était capable d'en parler. Les choses pourraient peut-être avancer. Face au silence et au regard vague d'Alexis, Erwin ne savait pas quoi ajouter.

"Je suis vraiment désolé. Je voudrais revenir en arrière et effacer tout ça."

Sa voix s'était faite plus faible. Il n'était même pas sûr que la fille d'Arès faisait attention à lui, alors à quoi bon crier ses excuses dans tout le dortoir ? Alexis ne réagissait pas. La gorge d'Erwin était sèche, il avait du mal à déglutir, ne sachant pas ce qui pouvait se passer dans la tête de la demi-déesse. Elle le détestait peut-être plus que jamais, là, à cet instant. Le fils de Poseidon sentait que son coeur se déchirait petit à petit dans l'attente d'un signe quelconque. Il se racla une nouvelle la gorge et parla du second sujet.

"Et pour les entraînements, je veux apprendre tout ce que tu auras la patience de m'apprendre. En fait, ça c'est surtout un prétexte pour retrouver la seule qui m'a fait apprécier le combat depuis... trop longtemps pour que je compte. Mais ça, faut pas le dire, c'est moins crédible."

La main d'Alexis était posée sur le drap du lit, à côté de la petite balle qu'elle avait lâchée. Erwin eut très envie de la frôler du bout des doigts. Mais il ne bougea pas et se contenta d'écouter la respiration d'Alexis.

Alexis... Je t'ai dit des choses que j'ai pensées, mais seulement pendant quelques secondes. Je me sentais mal, je me sentais coupable, je me suis senti attaqué en te revoyant. A tort, oui, mais voilà. Je me suis mis à t'en vouloir et ça a augmenté. J'étais en colère contre toi, mais aussi contre moi. J'étais nul et je savais pas quoi y faire.

Tout en écoutant Erwin, Alexis faisait rouler sa dague dans sa main. Le contact familier de son arme la rassurait, lui permettait d’éviter de dire à Erwin qu’elle ne voulait pas entendre tout ça, qu’elle avait assez imaginé les différentes raisons le poussant à dire ce qu’il avait dit. Je veux que tu me foutes la paix. Cette voix avait résonné dans sa tête pendant des jours, lui rappelant sans cesse qu’elle n’était qu’un volcan prêt à exploser à tout moment et que, malheureusement, une fois que la lave avait brûlé tout sur son sillage, il ne restait que des cendres. Alexis, en explosant de colère contre Erwin, avait ruiné son amitié avec lui. Du moins, c’est ce qu’elle s’était dit ces derniers jours.

Alors pourquoi Erwin était là maintenant, en train de s’excuser et en train de se blâmer lui-même pour des choses qu’Alexis avait provoqué ? La dague continuait de rouler dans sa main alors que son cerveau cogitait, retournant le problème dans tous les sens. Je suis vraiment désolé. Je voudrais revenir en arrière et effacer tout ça. Alexis cessa de manipuler sa dague. Pendant quelques secondes, elle arrêta même de respirer. Tout ça n’avait été qu’un murmure, dit un souffle. C’était à peine si elle avait pu l’entendre. Alexis ouvrit la bouche, comme pour dire quelque chose, mais Erwin l’interrompit pour parler de l’entraînement.

Je veux apprendre tout ce que tu auras la patience de m’apprendre. En fait, ça c’est surtout un prétexte pour retrouver la seule qui m’a fait apprécier le combat depuis… trop longtemps que pour je compte. Mais ça, faut pas le dire, c’est moins crédible. Alexis prit une profonde inspiration. Depuis combien de temps était-elle en apnée ? Elle tourna la tête vers Erwin qui fuyait son regard, fixant ses pieds. Alexis expira lentement, puis se pencha en avant pour poser sa dague sur sa table de nuit. En se rasseyant, elle était un peu plus proche d’Erwin qu’avant. Elle attrapa de nouveau sa balle qu’elle fit rouler dans sa main.

« Il n’y a personne qui veut revenir plus en arrière que moi, Erwin. »

Alexis avait lâché ça dans un souffle, les yeux fixés sur la balle. Puis, se raclant la gorge, elle se redressa légèrement, et parla d’une voix un peu plus forte :

« Malheureusement, il nous faudrait une vie entière pour t’apprendre tout ce qu’il serait possible d’apprendre. Alors tu vas devoir faire un choix. »

C’est une prétexte pour retrouver la seule qui m’a fait apprécier le combat. Alexis avait décidé d’ignorer cette partie de la phrase, mais c’était comme si son cerveau la faisait tourner en boucle. Le rouge aux joues, Alexis rajouta d’une voix faussement assurée :

« Et puis, si tu veux être bon, il faudra quand même changer d’instructeur de temps en temps. »

Alexis déposa de nouveau la balle sur sa couette, les mains soudainement moites. Ce fut à cet instant qu’elle se rappela de ce que le pouvoir d’Andrew avait fait « resurgir » d’elle lors de leur altercation. Alors Alexis reprit la balle dans ses mains.

"Il n'y a personne qui veut revenir plus en arrière que moi, Erwin."

Des mots emportés par le vent. Si légers, si ténus. Si il n'y avait eu ne serait-ce qu'une seule personne de plus dans le dortoir, sa respiration aurait suffi à étouffer les sons qui venaient de s'échapper des lèvres d'Alexis. Mais Erwin et elle étaient seuls, alors le demi-dieu les entendit. Ces mots furent comme un baume sur son coeur, mais ils reflétaient aussi toute la douleur d'Alexis, et ça faisait l'effet inverse. Comme pour faire oublier cette sensation amère et contradictoire, la fille d'Arès se racla la gorge et se redressa.

"Malheureusement, il nous faudrait une vie entière pour t'apprendre tout ce qu'il serait possible d'apprendre. Alors tu vas devoir faire un choix."

Erwin ne répondit pas. Il aurait pu hausser les épaules comme pour signifier que ce n'était pas important, là, maintenant, comme pour signifier que, de toute façon, ce choix, elle le ferait pour lui. Mais le moindre mouvement pouvait être synonyme de s'éloigner d'Alexis, même de quelques millimètres. Et le fils de Poseidon était très bien là où il était. Il regardait la fille d'Arès, très occupée à scruter la balle entre ses mains dans les moindres détails, comme si cet objet était la chose la plus précieuse, la plus intrigante qui puisse exister.

Les yeux d'Erwin la caressèrent. Ses longs cheveux -tiens, n'avait-elle pas dit qu'elle les couperait ?- tombaient le long de son dos, quelques mèches se risquaient sur ses épaules. Ses bras étaient en partie découverts, on pouvait y apercevoir la forme de muscles puissants si on s'y attardait, ce que fit Erwin. Une telle force cachée derrière une allure si renfermée, si délicate. Le regard du demi-dieu glissa vers le visage d'Alexis. Ses joues étaient rouges, ses paupières à demi-closes sur ses yeux fixant la balle, l'air absent. Puis ses lèvres frémirent et Erwin détourna immédiatement son regard en devinant qu'elle allait reprendre la parole.

"Et puis, si tu veux être bon, il faudra quand même changer d'instructeur de temps en temps."

Cette remarque étira un sourire timide sur le visage d'Erwin. Il faudrait, oui. Quand il serait plus fort. En attendant, les raclées que lui mettait la Grecque étaient amplement suffisantes. Pas besoin de quelqu'un d'autre. D'ailleurs, la seule fois où il avait tenté l'expérience, ça s'était plutôt mal fini. Pour être honnête, il n'avait carrément pas pu s'entraîner avec Andrew avant qu'Alexis l'assomme. Alors pour un nouvel adversaire, Erwin attendrait patiemment. Il remua légèrement sur le lit, comme pour se faire une place plus confortable.

"Tu as sûrement raison. Mais pour le moment, c'est toi que je veux retrouver."

La deuxième partie de ses paroles avait échappé à Erwin. Il avait pensé garder ça pour lui, bien au chaud dans sa tête ! Trop tard, c'était dit. Alexis s'était retournée vers lui, il ne cherchait pas à savoir quelle expression était collée sur son visage. Il gardait les yeux baissés vers ses pieds, sentant que ses propres joues commençaient à chauffer. Il se gratta le bras d'un air gêné.

"Et puis... J'ai essayé le combat seul. Mais les mannequins n'arrivent pas à me faire tomber, c'est pas marrant."

La balle roulait dans la main d’Alexis qui essayait de se concentrer sur ce mouvement. Elle tentait d’ignorer les battements de son cœur qui s’étaient accélérés. Andrew accentue ce qui existe déjà. C’étaient ses propres mots qu’elle se répétait en boucle, essayant d’y trouver un autre sens mais il n’y en avait pas. Alexis se mordit l’intérieur de la joue, espérant que cela ferait disparaître tous les doutes qui étaient en train de lui bombarder la tête. Pourquoi ? Elle se répétait cette question en boucle. Pourquoi, après la crise qu’elle avait tapée, elle devait se poser la question maintenant ?

Erwin remua légèrement sur le lit, sortant Alexis de ses pensées. Tu as sûrement raison. Mais pour le moment, c’est toi que je veux retrouver. Instinctivement, Alexis porta son attention entièrement sur Erwin. Venait-il de dire ce qu’elle venait d’entendre ? Elle lâcha la balle qui tomba sur ses cuisses. Son visage devint si rouge qu’elle se demandait comment elle faisait pour ne pas briller. Fort heureusement, Erwin semblait être concentré sur l’observation de ses propres pieds. Alexis détourna le regard, le posant sur la fenêtre quelques mètres plus loin. Si seulement elle était ouverte…

Et puis… J’ai essayé le combat seul. Mais les mannequins n’arrivent pas à me faire tomber, c’est pas marrant. Alexis profita de ce changement de sujet pour se calmer. Elle prit une profonde inspiration puis expira discrètement. Son cœur battait si fort qu’elle se demandait comment Erwin faisait pour ne pas l’entendre. Finalement, elle tourna de nouveau la tête vers Erwin. Elle essaya d’afficher un sourire qui se voulait moqueur.

« Donc, tu es juste masochiste en fait ? »

Alexis pouffa de rire avant de reprendre son sérieux. Parler d’entraînement la calmait alors elle continua sur sa lancée :

« Mais c’est vrai. Leur réactivité n’est pas le meilleur atout de ces mannequins. »

Détournant le regard, Alexis se pencha légèrement en arrière, appuyant ses mains autour d’elle pour éviter de tomber lamentablement – ça ferait deux fois dans la même journée.

« J’ai commencé à apprendre le maniement des lames jumelles avec puisque je n’avais pas… ma dague, expliqua Alexis en désignant du menton sa dague sur sa table de chevet. Mais finalement on apprend jamais mieux avec quelqu’un. »

Alexis ne s’arrêtait plus de parler, comme si tout ce qu’elle n’avait pas pu dire les derniers jours à Erwin ressortait maintenant. Peut-être qu’il faudrait juste plus d’amis ?

« Je me dis que ça pourrait être viable de passer des dagues à des lames jumelles. Il faudrait que je parle à Cal pour savoir s’il peut trouver un mécanisme pour que j’aie les deux sans m’encombrer trop. »

Alexis se redressa légèrement, ne s’appuyant plus que sur une main pendant que l’autre s’était posée sur son menton. Décidément, cette idée ne la quittait plus. Il fallait vraiment qu’elle en parle à Cal.

Lorsqu'Alexis tourna son visage vers Erwin, un sourire moqueur y était affiché. Le coeur du demi-dieu rata un battement. Depuis tout ce temps, il n'avait eu droit qu'à des regards froids, des expressions neutres, des lèvres pincées. Il sentait qu'il commençait à retrouver Alexis comme avant. Le premier pas était fait, le mur qui les séparait serait facile à abattre désormais. En tout cas, il l'espérait.

"Donc, tu es juste masochiste en fait ?"

Erwin sourit. Si Alexis commençait à faire de l'humour, les choses ne pourraient qu'aller de mieux en mieux. Il fit non de la tête, mais ne se préoccupa pas de savoir si la fille d'Arès l'avait vu. Quelle importance ? Si la réponse à sa question avait été affirmative, il n'aurait même pas essayé de lui résister pendant leurs entraînements et se serait tout simplement laissé jeter par terre.

"Mais c'est vrai. Leur réactivité n'est pas le meilleur atout de ces mannequins."

C'était le moins qu'on puisse dire. Erwin en avait décapité un à la dague, ce qui n'aurait jamais eu des chances de se produire si son adversaire avait été vivant. Premièrement, parce qu'Erwin ne voulait tuer personne. Deuxièmement, parce qu'un adversaire vivant lui aurait fait goûter le sol sans difficulté, surtout dans l'état de déconcentration où il se trouvait ces derniers jours. Alexis se redressa sur le lit et se pencha en arrière d'un air pensif. Elle paraissait plus à l'aise, moins tendue. Le demi-dieu se demanda quel poids s'était envolé et à quel moment. Est-ce qu'il avait dit quelque chose qu'elle avait particulièrement envie d'entendre ou était-ce juste sa visite qui commençait à sembler normale ?

"J'ai commencé à apprendre le maniement des lames jumelles avec puisque je n'avais pas… ma dague. Mais finalement on apprend jamais mieux qu'avec quelqu'un."

Erwin lança un regard admiratif vers Alexis. Les lames jumelles ? Pas mal ! La Grecque n'avait pas perdu son temps pendant leur brouille, elle devait en avoir profité pour se concentrer sur ses propres capacités plutôt que sur celles du fils de Poseidon. Il avait hâte de voir ce que donnaient ses entraînements. Lorsque sa cheville irait mieux, il lui demanderait certainement une démonstration. Il sourit à l'idée qu'il retrouvait son amie et qu'elle parlait naturellement, sans se poser de question. Le ton détendu d'Alexis contrastait très agréablement avec les cris et les reproches qu'il avait encore en mémoire.

"Je me dis que ça pourrait être viable de passer des dagues à des lames jumelles. Il faudrait que je parle à Cal pour savoir s'il peut trouver un mécanisme pour que j'aie les deux sans m'encombrer trop."

Ah. Cal. Erwin se crispa et son sourire s'effaça. Il n'avait rien contre le fils d'Hephaïstos, il n'était pas particulièrement ami avec lui non plus. Il le connaissait, il se contentait de ça. Cal ne lui avait rien fait, il ne lui avait jamais paru être quelqu'un d'ennuyeux, méchant ou narcissique. Rien de dérangeant chez lui, a priori. Pourtant, entendre ce nom rappelait à Erwin ce qu'il avait lu. Le Satyre Déchaîné mentionnait une relation entre Alexis et lui. Des rumeurs, certes, mais elles devaient bien trouver un fond de vérité quelque part. Et cette fois, Nova ne pouvait y être pour rien.

A cela s'ajoutait les bribes de conversation qu'Erwin avait surprise une nuit dans le baraquement. Alexis parlait de sentiments, de "crush" et elle en parlait à Caligula. Le fils de Poseidon était retourné se coucher en essayant d'oublier ces mots, mais ça lui revenait violemment, maintenant. Alexis devait être heureuse avec Cal, elle ne s'était jamais plainte de lui, ne lui avait jamais adressé de regards sombres... Alors si elle était heureuse comme ça, pourquoi Erwin sentait son coeur se resserrer ?

"Cal rend service à pratiquement tout le monde."

Erwin fit une pause. Puis, baissant un peu la voix tout en y mettant autant de joie qu'il le pouvait, il ajouta :

"Il a pas de raison de refuser quoi que ce soit à sa copine, ce serait juste bon pour la frustrer."

La gorge d'Erwin était sèche et il sentait son estomac se tordre. Il afficha un sourire et desserra son poing qui s'était crispé sur le drap. Au fond de lui, il sentait une irrépressible envie de hurler.

Machinalement, par envie de partager davantage avec Erwin, Alexis avait tourné la tête dans sa direction. Mais, alors qu’elle allait de nouveau parler, le visage d’Erwin la fit se taire. Son sourire s’était effacé en quelques secondes. Tout son corps était maintenant tendu. Ses poings étaient serrés. Alors Alexis se tut. Elle ne savait pas ce qu’elle avait dit de trop ou de pas assez. Est-ce que les pouvoirs d’Andrew avaient marqué le cerveau d’Erwin au point qu’il pourrait se remettre à la détester comme ça, d’une seconde à l’autre ? Je veux que tu me foutes la paix. Alexis se mordit l’intérieur de la joue. Non, il devait y avoir une autre explication.

Cal rend service à pratique tout le monde. La voix d’Erwin faisait soudainement si distante. Alexis s’enfonça sur son lit, calant son dos contre le mur. D’une main distraite, elle serra si fort la balle posée sur ses cuisses que ses jointures devenaient quasiment blanches. Est-ce que c’était Cal le problème ? Est-ce qu’Erwin le détestait ? Alexis ne pourrait pas vivre dans un monde où deux de ses amis les plus proches ne s’aimaient pas. L’idée même de devoir alterner entre les deux lui compressait la poitrine. Alexis ne pourrait jamais faire un choix entre ses amis et Erwin. Jamais.

Il a pas de raison de refuser quoique ce soit à sa copine, ce serait juste bon pour la frustrer. Alexis ouvrit légèrement la bouche, et tourna lentement sa tête vers Erwin. Qu’est ce qu’il venait de dire ? Alexis ferma les yeux à deux reprises. Il a pas de raison de refuser quoique ce soit à sa copine. Puis fronça les sourcils. Sa copine. Alexis ouvrit la bouche pour parler une fois, puis deux. Aucun son ne sortit. La balle qu’elle tenait si fermement dans sa main quelques secondes auparavant roula le long des jambes d’Alexis et tomba par terre. Alexis secoua la tête, ignorant sa balle et se mit en tailleur, le mur maintenant à sa droite, Erwin face à elle.

« Que… Hein ? »

Le regard qu’Erwin lui lançait était indéchiffrable. Il ouvrit la bouche, comme pour parler, mais Alexis lui coupa la parole sans écouter ce qu’il voulait dire.

« Comment ça ‘sa copine’ ? Qui a dit ça ? »

Alexis se renfrogna. Elle ne laissa toujours pas à Erwin le temps de parler.

« Pourquoi tout le monde semble être au courant de ma vie sentimentale avant moi ? Ça devient vraiment ridicule. »

Cette fois-ci, Alexis n’était pas en colère contre Erwin. Elle était fermement agacée contre le monde. Se rendant compte que la confusion pouvait être facile, elle posa sa main sur celle d’Erwin sans vraiment faire attention et prit une profonde inspiration.

« Je ne suis pas énervée contre toi. Je n’aime juste pas… Alexis prit une nouvelle inspiration, tentant de se calmer. Je n’aime pas les rumeurs. »

Une nouvelle respiration. Alexis ferma les yeux quelques instants, essayant de calmer les battements de son cœur. Elle n’était pas énervée. Elle n’allait pas s’énerver une nouvelle fois contre Erwin. Inspiration. Expiration.