Kieran fixait devant lui, imperturbable, alors qu’une tempête se déchaînait à l’intérieur de son corps, le déchirant de part et d’autre. Le temps ne semblait plus avoir d’empreintes sur lui, le figeant dans cette position comme s’il lui était impossible de bouger. Certains auraient presque pu le croire fait de pierre tant il était immobile pourtant quelques détails indiquaient le contraire. Sa poitrine qui se soulevait discrètement. Son souffle léger. Sa mâchoire qui se crispait de temps en temps, seul indice qu’une quelconque émotion traversait son corps inerte. Et surtout, aucune statue n’aurait pu transmettre autant d’émotions dans le regard, peu importe le talent du sculpteur.

Rage. Tristesse. Inquiétude. Colère. Haine. Souffrance. Douleur. Épuisement.

Tant d’émotions qui ravageaient Kieran, le laissant incapable de faire quoique ce soit d’autre que d’attendre. Attendre que l’une prenne le dessus. N’importe laquelle. Peu importait qu’il éclate en sanglot, qu’il hurle à la lune, qu’il se batte contre un mur, qu’il s’écroule d’épuisement, qu’il agonise dans la souffrance. Peu importait quelle émotion devait battre les autres tant qu’elle le faisait. En attendant, Kieran était pétrifié dans ce maelstrom d’émotions, incapable d’agir en fonction.

Douze jours.
Quatre heures.
Vingt-cinq minutes.

Douze jours, quatre heures et vingt-cinq minutes depuis que Kieran était sorti du Labyrinthe.
Douze jours, quatre heures et vingt-cinq minutes que Kieran attendait Solan.
Vingt-six.
Vingt-sept.

Une éternité.

***

Une silhouette se glissa aux côtés de Kieran. Discrète, fluide, imperceptible. Kieran ne remua pas un sourcil, continuant de fixer droit devant lui, les poings serrés. La silhouette se rapprocha de lui et glissa une main dans la sienne. Une douce chaleur redonna vie à Kieran. Juste assez pour qu’il tourne la tête vers la propriétaire de cette main.

Maxine.

Maxine et ses yeux rougis.
Maxine et sa rage.
Maxine et sa colère sourde.
Maxine et sa tristesse.

Maxine. Tout simplement Maxine. Elle avait embrassé chacune de ces émotions et en faisait sa force. Elle ne se cachait pas. Aucune émotion ne gagnait. Kieran enviait cette force au moins autant qu’il la détestait. Pourquoi ne pouvait-il pas faire comme elle ? Pourquoi était-il incapable de bouger, de prendre une décision, d’agir alors que Maxine continuait de porter le monde pour deux ?

« Allez, boss. On va aller le chercher. »

La voix de Maxine avait percé l’obscurité de la nuit. Un frisson remonta le long de l’échine de Kieran. Enfin, Kieran ressentit quelque chose. Enfin, une émotion gagna parmi les autres. Le combat était terminé. Ou alors, il ne faisait que commencer. Les sourcils froncés, le regard déterminé, Kieran serra la main de Maxine au creux de la sienne. Peut-être un peu trop fort. Peut-être un peu trop longtemps. La fille de Vulcain ne broncha pas et fit demi-tour, entraînant Kieran à sa suite.

Maxine passa devant les légionnaires qui montaient la garde.
Maxine se glissa dans le Tunnel sans une hésitation.
Maxine contourna le Camp Jupiter.
Maxine entra dans l’armurerie.

Kieran se glissa dans la couchette que lui désignait son amie. Il la laissa lui parler de choses qui n’avaient aucune importance à leurs yeux mais qui les maintenaient en vie, tous les deux. Elle lui parla de Solan. De combien il lui manquait.

« Il est en vie, tu sais. »

Maxine s’interrompit alors qu’elle était en train d’aiguiser une lame. Pour la première fois depuis treize jours, Maxine sourit. Un sourire sincère. Brillant. Lumineux.

« Évidemment. Et on va aller le chercher. »

Kieran hocha la tête. Puis s’endormit presque aussitôt, apaisé. Il n’existait aucun univers où Solan lui était arraché. Aucun. Kieran briserait chaque obstacle et chaque adversaire pour récupérer Solan. Personne ne se dressera sur son chemin.

Kieran choisit la rage.
Kieran choisit la colère.
Kieran choisit l’amour.