Deux jours étaient passés mais Alexis continuait à jouer l'ermite au fond de sa grotte. Erwin devait bien avouer qu'il y avait du progrès, sa coloc' semblait vivre un peu à nouveau. Mais il suffisait de peu pour qu'elle retourne se cloîtrer dans la solitude. Ce jour-là, elle était d'ailleurs enfermée dans sa chambre, aucun bruit ne traversait la porte.

Erwin avait décidé de bosser à fond sur son prochain examen, celui du mardi, l'avant-dernier. Il avait traversé l'appartement au moment du petit-déjeuner, avait trouvé son bonheur et était reparti immédiatement dans sa chambre pour travailler. Puis il avait fait un aller-retour dans la salle de bains, s'était remis au travail. Et enfin il était de nouveau apparu pour le repas de midi, mais Alexis n'était pas dans la cuisine ni dans le salon. Ils avaient dû se rater de peu, parce qu'après autant de temps sans manger, Erwin doutait fort qu'Alexis puisse encore résister aux plaintes de son estomac.

Après une après-midi entière à étudier comme jamais, Erwin s'étira sur sa chaise de bureau et rangea ses cours. Il était l'heure. Il sortit de sa chambre et se rendit devant la porte d'Alexis. Il frappa doucement, se disant qu'entendre l'équivalent d'un bombardement à côté d'elle était certainement la dernière chose dont sa coloc' avait envie. Erwin avait cru comprendre qu'il ne restait qu'un seul examen à Alexis, dans presque une semaine, mais il doutait fort qu'elle soit en train d'étudier, avec son humeur actuelle. Et effectivement, la voix qui répondit derrière la porte n'avait rien de celle d'une étudiante en pleines révisions, mais bien de quelqu'un qui sort d'une longue sieste.

"Ouais."

Erwin ouvrit la porte lentement. Il faisait noir dans la chambre. La lumière du couloir se déversait peu à peu sur cette obscurité et finit par dévoiler une Alexis affalée sur son lit. Elle n'avait vraisemblablement pas bougé depuis un moment. Erwin s'approcha de la chaise près du bureau, la souleva sans bruit pour la placer face au lit et s'y assit. Il regarda sa coloc' quelques secondes, un temps qu'il estimait suffisant pour qu'elle émerge de son sommeil. Ses yeux étaient toujours un peu rougis, mais sans doute plus de fatigue que d'avoir pleuré. Ses cheveux étaient emmêlés. Erwin eut un sourire peiné en la voyant dans cet état.

"Viens. Rejoins-moi dans le salon."

Il avait dit ça d'une voix basse avant de sortir de la chambre. Quelques temps après, Alexis apparut à son tour, un peu plus soignée. Erwin lui tendit un sac vide.

"Va chercher tes affaires pour deux jours. Sung viendra s'occuper du chat et de Bubulle."

Samedi 19 juin

Erwin se tenait debout devant la baie vitrée. L'appartement était évidemment beaucoup plus petit que celui dans lequel il logeait avec Alexis, mais il y avait quand même deux chambres, une douche et un petit séjour ouvert sur la cuisine. La fenêtre était ouverte en oscillo-battant, l'odeur d'iode et le cri des mouettes pénétraient dans la pièce. Un croissant dans les mains, l'étudiant regardait les vagues, plus loin. Alexis n'était pas encore réveillée, ce qui n'avait rien d'étonnant vu l'heure à laquelle ils étaient arrivés la veille.

Après avoir fait son sac assez machinalement, sans trop comprendre, Alexis avait enfin demandé à quoi rimait cette histoire. Erwin lui avait répondu avec le sourire qu'ils partaient à la mer pour le weekend, pour lui changer les idées, entre autres. Le temps de vérifier que tout était près et de faire le trajet, la nuit était tombée et les deux colocataires s'étaient chacun effondré sur un lit sans même détailler l'appartement. Maintenant que le soleil s'était levé sur une nouvelle journée, Erwin espérait qu'Alexis retrouverait le sourire.

Alexis avait bien dormi quatre heures avant d’être rattrapé par l’insomnie. Elle fixait le plafond de cet appartement inconnu. À partir de quel moment avait-elle tellement fait pitié à Erwin qu’il l’avait trainé ici ? Si elle avait été dans un état un peu moins végétatif, Alexis l’aurait sûrement envoyé paitre. Mais le temps de comprendre ce qu’il se passait, elle était déjà dans une voiture en direction de la mer. Un clignement de yeux plus tard, elle était dans un appartement au bord de plage. Sans même un merci, Alexis s’était vautrée sur un lit et s’était endormie aussi sec.

Après s’être tournée et retournée dans les sens, Alexis abandonna l’idée de replonger dans les bras de Morphée. C’était déjà un miracle qu’elle ait pu enchaîner autant d’un coup, elle n’allait pas pousser sa chance. En essayant d’être le plus discrète possible, Alexis avait donc quitté sa chambre de fortune pour découvrir où elle se trouvait. L’appartement était petit, avec le strict minimum, donc elle en fit vite le tour. Elle sortit alors pour apprécier la solitude matinale. Il était encore tôt, surtout vu l’heure à laquelle elle s’était endormie, mais Alexis ne ressentait pas la fatigue.

Un vent salé lui chatouillait le nez alors qu’elle s’aventurait dans ce quartier inconnu. Les rayons du soleil, encore bas dans le ciel, caressaient le paysage, le baignant dans une teinte orangée unique. Les pas d’Alexis la guidèrent alors sur une plage où la solitude figeait le temps. Immobile, n’osant pas rompre le charme, Alexis perdit son regard dans l’étendu de la mer, seul élément agité du paysage.

Alexis finit par s’assoir dans le sable, les jambes remontées sur sa poitrine. Elle resta un long moment, seule sur cette plage qui lui semblait être à l’autre bout du monde. Pour la première fois de la semaine, Alexis ne pensa plus ni à Cal, ni à Sera. Elle était seule, apaisée par le bruit des vagues qui emplissaient son univers auditif.

Quand d’autres personnes vinrent rejoindre Alexis sur la plage, elle savait qu’il était l’heure de rentrer. Elle redécouvrit le paysage avec de la vie dedans. Tout avait un goût différent. Les couleurs étaient différentes. Alexis se surprit à sourire toute seule. Elle retrouva rapidement son chemin et s’arrêta dans une boulangerie pour acheter des croissants.

Dans un heureux hasard, Alexis retrouva l’appartement où elle logeait pour le weekend. Elle ouvrit la porte discrètement, tentant de faire le moins de bruit possible, mais elle se retrouva bien vite face à un Erwin réveillé, un croissant dans la bouche. Alexis le jaugea de la tête aux pieds avant de lâcher un :

« Tu pouvais pas attendre 5 minutes. »

Alexis se glissa dans la cuisine ouverte pour y déposer les croissants qu’elle venait d’acheter. Elle n’avait toujours pas faim, alors elle n’en prit aucun, se contentant d’appuyer ses coudes sur le plan de travail, les yeux plantés sur Erwin, l’expression indéchiffrable.

« Tes potes t’ont lâché alors tu as dû te rabattre sur ta misérable coloc pour te tenir compagnie ici ? »

Alexis était réellement curieuse de ce kidnapping soudain, se demandant ce qui était passé dans la tête d’Erwin pour qu’ils se retrouvent là maintenant. Qui avait bien pu lui faire faux bond pour qu’il se rabatte sur un plan B aussi pourri ?

Quand Erwin entendit la porte de l'appartement s'ouvrir, il sursauta. Il se retourna brusquement et vit Alexis. Alors elle ne dormait plus ? Depuis combien de temps ? Si elle avait tenté de s'enfuir d'ici, trop tard, le plan de sauvetage de son coloc' était déjà bien lancé et elle ne pourrait pas y échapper. Il était temps qu'elle pense à autre chose et qu'elle calme son esprit. Rater son année n'était vraiment pas ce dont elle avait besoin pour le moment.

"Tu pouvais pas attendre 5 minutes."

Erwin ne comprit pas ce qu'elle voulait dire. Qu'est-ce que ça pouvait lui faire, qu'il soit réveillé ? Toutefois il était content de voir qu'elle parlait dès le matin, c'était un bon début de journée. Lorsqu'Alexis se rendit près du plan de travail de la cuisine pour y déposer un sachet qu'elle tenait, le jeune homme comprit mieux ce qu'elle voulait dire. Elle était allée chercher un petit-déjeuner. Si elle continuait, il allait finir par s'habituer à ses petites livraisons surprises.

"Tes potes t'ont lâché alors tu as dû te rabattre sur ta misérable coloc' pour te tenir compagnie ici ?"

Erwin fut surpris par cette question. Est-ce qu'Alexis croyait vraiment qu'il l'avait emmenée par dépit ? Si quelqu'un l'avait lâché, il ne serait tout simplement pas parti. Il avait une colocataire à distraire, il ne l'aurait pas laissée comme ça. En y réfléchissant, c'était même plutôt lui qui aurait lâché ses potes en cas de weekend prévu... Il croisa les bras sur sa poitrine et arqua un sourcil.

"De un, aucun pote n'était prévu au programme. De deux, même si c'est vrai que t'es misérable en ce moment, je ne me sers pas de toi comme d'une roue de secours. Et de trois, si j'avais su que tu ramènerais des croissants au matin, je t'aurais emmenée ici bien plus tôt !"

Erwin vit le regard d'Alexis s'illuminer une seconde. Il sourit et se rapprocha du paquet de croissants. Il l'ouvrit et il en prit un alors qu'il venait tout juste de finir le précédent. Il ne se fit pas prier pour s'y attaquer immédiatement. Son sourire en disait long sur le plaisir qu'il avait à manger une viennoiserie encore tiède dès le réveil. Avalant sa première bouchée, il regarda le paquet et vit que ce n'était pas le même que celui qu'il avait lui-même ramené.

"T'es allée où ? A la boulangerie au fond de la rue ?"

Alexis hocha la tête silencieusement, elle ne comprenait peut-être pas l'intérêt de cette question. Erwin mordit dans son croissant et n'attendit pas avant de finir sa phrase.

"Y en a une juste en bas de l'appartement."

Il termina son croissant en quelques bouchées et sortit une bouteille de lait du frigo. Il avait pris une boîte de cacao en poudre avec lui, il n'allait pas manquer de se faire un bon chocolat pour compléter son petit-déjeuner.

"Sinon, bien dormi ?"

« De un, aucun pote n'était prévu au programme. De deux, même si c'est vrai que t'es misérable en ce moment, je ne me sers pas de toi comme d'une roue de secours. Et de trois, si j'avais su que tu ramènerais des croissants au matin, je t'aurais emmenée ici bien plus tôt ! »

Un sourire se dessina sur les lèvres d’Alexis bien avant qu’elle se rende compte de ce qu’elle faisait. L’idée qu’Erwin ait réellement prévu un weekend pour tous les deux, même de pitié, était surprenant… et plaisant, à vrai dire. Alexis avait l’impression de découvrir une nouvelle facette d’Erwin à laquelle elle ne s’attendait pas. Elle l’observa donc d’un nouvel œil quand il s’approcha du paquet de croissant pour en engloutir un. Le sourire qui s’étira sur ses lèvres en mangeant la viennoiserie donnait envie à Alexis d’aller en acheter absolument tous les jours. Il semblait réellement heureux et c’était contagieux. Alexis ne pouvait pas s’empêcher de sourire en le regardant. Pour peu, elle aurait même pu avoir faim.

« T’es allée où ? À la boulangerie au fond de la rue ? Alexis hocha la tête, plissant les yeux. Y’en a une juste en bas de l’appartement. »

Alexis leva les yeux au ciel. Qu’est ce que ça changeait que les croissants viennent d’une autre boulangerie ? Erwin continuait de s’empiffrer des croissants comme si c’était la meilleure nourriture sur terre. Puis, il contourna Alexis pour aller sortir une bouteille de lait du frigo et il commença à se préparer un chocolat chaud. Comment pouvait-il ingurgiter autant d’aliments dès le matin ? Et comment pouvait-il songer à boire quelque chose de chaud alors qu’il faisait déjà si chaud dehors ?

« Sinon, bien dormi ? »

Erwin semblait concentré dans la création de son petit-déjeuner alors Alexis en profita pour le regarder. Elle ne savait pas trop quoi penser de cette escapade surprise, mais une chose était sûre : elle avait peut-être un peu faim. Alexis s’installa sur la table, ignorant les chaises qui étaient pourtant faites pour ça, et commença à manger doucement un croissant.

« Oh, pas trop mal. Si on oublie que le lit est hyper dur, tranquille. »

Erwin quitta des yeux son bol pour regarder Alexis, l’air surpris. Il fronça les sourcils, visiblement incrédule.

« Quoi ? Je ne te crois pas. Ce lit est génial. Je vais de ce pas le tester pour voir. »

Alexis secoua la tête. Elle savait quand même mieux que lui si le lit dans lequel elle avait dormi était confortable ou non ? Erwin plaça son bol dans le micro-onde et lança le minuteur. Visiblement, il avait une minute trente à occuper et ça allait être pour prouver à Alexis qu’elle avait tort. Sans perdre une seconde, il s’engagea dans la chambre d’Alexis et se vautra sur le lit. Alexis le regarda, perplexe, les bras croisés.

« Ce lit est parfait. Tu fais ta difficile. »

Alexis secoua la tête, un sourire amusé sur les lèvres malgré tout.

« J’ai mal au dos juste à te regarder allongé sur ce lit. »

L’expression du visage d’Erwin changea brusquement. Le sourire qu’il avait sur les lèvres n’était plus innocent. Il était clairement en train de prévoir un sale coup. Alexis n’eût pas le temps de comprendre ce qu’il se passait, qu’elle était fauchée par Erwin, tombant à son tour sur le lit.

Erwin explosa de rire, visiblement fier de sa petite blague. Alexis essayait très fort de garder une tête énervée par cette attaque surprise, mais elle ne parvenait tout simplement pas contenir cette expression. Elle explosa de rire à son tour.

Le micro-onde sonna au loin, mais le moment était comme figé dans l’air, les deux colocataires riants tous les deux. Petit à petit, l’ambiance changea. Au début, c’était à peine perceptible. Alexis était appuyée sur son coude en train de regarder Erwin allongé sur le dos qui la fixait. Puis les rires se calmèrent. Puis finalement, le silence les enveloppa. Alexis remarqua alors à quel point ils étaient proches. Elle pouvait carrément se perdre dans ses yeux. Elle laissa son regard se balader sur ses lèvres. Pourquoi avait-elle soudainement envie de l’embrasser ? L’air était soudainement chargé d’électricité alors qu’ils rapprochaient doucement leur tête… Puis le micro-onde sonna de nouveau, implorant son propriétaire de venir déguster son petit-déjeuner plutôt que sa colocataire.

Elle était là, à côté de lui, sur ce lit absolument pas trop dur pour un dos pas excessivement sensible. Mais à cet instant, cette histoire de matelas à tester était complètement sortie de la tête d'Erwin. Alexis le regardait et il la regardait. Et il n'y avait plus rien autour, d'un seul coup, comme si ce regard échangé avait tout effacé. Erwin laissa les yeux glisser sur Alexis, il admira tout ce qu'il pouvait admirer. Sans même qu'il en soit conscient, ses lèvres se rapprochaient inévitablement des siennes.

Puis le micro-ondes bipa aussi fort qu'il le pouvait. Le monde refit surface, Erwin se rendit compte de ce qui se passait. Il s'écarta d'un bon d'Alexis et elle fit visiblement la même chose. Sans rien ajouter, l'étudiant se leva d'un bond et alla chercher sa tasse dans le micro-ondes. Il faisait tout machinalement. Pourquoi il avait fait ça ? Pourquoi son cerveau lui avait hurlé de se rapprocher encore et encore d'Alexis ? Vraiment, quel con, celui-là ! C'était déjà une idée pas terrible à la base, mais alors là ce n'était vraiment pas le moment non plus ! Merde merde merde merde merde...

Après avoir bu son cacao qui semblait beaucoup moins bon que ce qu'il avait espéré, Erwin proposa d'aller sur la plage. Il faisait beau, il faisait chaud, c'était une journée vraiment trop belle pour rester enfermés dans les quelques mètres carrés de l'appartement. Alexis emporta quelque chose qui ressemblait à un livre. Un cours, un carnet, un roman ? Erwin ne chercha pas à le savoir, il avait suffisamment empiété sur la vie de sa coloc ces derniers temps, inutile de jouer les curieux davantage. Arrivés sur la plage, il laissa Alexis lire et il partit à l'aventure le long de la laisse de mer.

"Alexis ! Viens voir !"

La jeune fille leva le nez de son livre et lança un regard interrogateur à Erwin. Comme elle ne bougeait pas, il vint la chercher. Il attrapa sa main et la tira avec lui vers l'endroit où il se trouvait juste un peu plus tôt. Alexis le regarda, elle ne voyait visiblement pas ce que ce coin de sable avait de plus que les autres coins de sable.

"Regarde !"

Erwin indiqua le sol à sa coloc' qui baissa les yeux. Pile à temps ! Un petit amas de sable se mit à remuer étrangement. Les deux étudiants gardaient le silence, Alexis l'air curieux, Erwin enthousiaste comme un gamin. Après ce qui  ressemblait à un véritable combat sous le sable, une petite perle gris-vert fit son apparition. Puis une autre à côté d'elle. Puis encore une. Les petites perles sortirent davantage du sol et prirent forme sous les yeux des deux colocataires. Des bébés tortues ! Alexis émit un petit cri de surprise suivit de différentes exclamations admiratives. Elle leva les yeux vers Erwin, son regard pétillait. Erwin lui fit son plus grand sourire.

Après cette escapade à la plage où ils avaient passé un temps monstrueux à accompagner les petites tortues jusqu'à la mer, Alexis et Erwin passèrent faire des courses au petit magasin du coin puis rentrèrent à l'appartement. Ce soir, c'était Erwin qui cuisinait ! Il avait choisi quelque chose de pas trop compliqué : une poêlée de légumes, des boulettes et des pâtes. Un bon mélange de tout ce qu'il aimait. Et de ce qu'il savait cuisiner, surtout.

Il était en train de remuer les légumes afin qu'ils n'accrochent pas au fond de la poêle lorsqu'Alexis fit son apparition dans la cuisine. Elle venait de prendre une douche et sentait bon le savon. Elle avait une bien meilleure mine que les jours précédents. Elle vint s'asseoir sur une chaise, regardant distraitement son coloc' cuisiner, spectacle qu'elle n'avait que très rarement eu l'occasion de voir durant l'année qui s'achevait.

"J'ai vu qu'y avait un concert en plein air sur la plage, ce soir. L'ambiance sera sûrement un peu... bobo. Mais ça te dirait qu'on y aille ?"

Alexis soupira d'abord, comme si elle était épuisée d'avance par cette soirée, mais elle ne put cacher un petit sourire qui illuminait son visage aux yeux d'Erwin.

Alexis avait envie de se mettre des baffes. Vraiment, de tous les timings de l’univers, c’était celui-ci que son cerveau avait décidé comme idéal ? Heureusement que le micro-onde avait sonné une deuxième fois car Alexis ne se serait jamais pardonnée d’avoir laissé sa tristesse prendre le contrôle de son corps et faire n’importe quoi avec Erwin. Alors qu’il sortait de la chambre en trombe, Alexis resta sur le lit, la tête dans les mains. Qu’est-ce qu’il s’était passé ? N’importe quoi. N’importe quoi. Erwin ne méritait pas d’être utilisé comme un vulgaire exutoire pour les déboires émotionnels de sa coloc.

Après ce fiasco, Erwin proposa d’aller à la plage. Alexis accepta avec plaisir, prenant soin de prendre un livre avec elle. Si elle était occupée, au moins son corps ne tenterait pas un nouveau rapprochement avec Erwin. Entamer une nouvelle relation était bien la dernière chose qu’Alexis désirait. Et Erwin n’était pas branché plan cul, alors la question ne se posait même pas. De plus, être en plan cul avec son coloc était une idée de merde.

Une fois sur place, Alexis se plongea dans son roman, oubliant pendant un court instant tout le chaos de sa vie. Erwin réapparut au bout d’un certain temps et la traîna vers un autre coin de la plage. Même en plissant les yeux, elle ne comprenait pas ce que voulait lui montrer son colocataire. Puis, délicatement, elle aperçu des petites perles vert-gris sortir de sous le sable. Des bébés tortues ! C’était bien plus intéressant que son roman. Les deux colocataires passèrent donc le reste de la matinée à accompagner ces petites créatures jusqu’à la mer, excités comme des gamins.

Le midi arriva bien vite et ils quittèrent la plage. Une supérette de quartier plus tard, Erwin et Alexis étaient de nouveau dans leur petit appartement de week-end. Erwin insista pour cuisiner alors Alexis décida d’aller prendre une douche. Une fois seule dans la salle de bain, une vague de tristesse lui retourna l’estomac. Pour la première fois de la journée, elle repensait réellement à cette double-rupture et elle ne put se retenir de verser quelques larmes. Mais cela ne dura pas éternellement, Alexis décidée à ne pas se laisser abattre. Erwin avait organisé ce weekend et elle n’allait pas ruiner ses plans.

Après avoir enfilée une robe assez légère, Alexis se glissa dans la cuisine où Erwin cuisinait. Sortant son téléphone comme prétexte, Alexis scrollait une application quelconque, perdant son regard de temps en temps sur Erwin quand il était concentré ailleurs. Elle ne l’avait jamais vraiment vu cuisiner avec autant d’application, ce qui lui arracha un sourire qu’elle tenta de dissimuler. De plus, le fait qu’il cuisine aussi elle rajoutait un petit plus. Puis elle se souvint du presque-baiser et elle décida de fixer son regard sur son téléphone.

J’ai vu qu’y avait un concert en plein air sur la plage, ce soir. L’ambiance sera sûrement un peu… bobo. Mais ça te dirait qu’on y aille ? Alexis leva les yeux de son téléphone comme s’il l’interrompait alors qu’elle faisait quelque chose de bien plus sérieux que ça ne l’était réellement. Elle haussa les épaules, comme indifférente à la proposition. Un sourire trahit son indifférence bien trop vite à son goût, mais le regard d’Erwin la convaincu d’acquiescer ce plan à voix haute.

Le repas fut délicieux, ce qu’Alexis souligna plusieurs fois. En plus de réellement le penser, si Erwin en faisait une habitude, ils n’auraient plus jamais à commander de pizza. Doublement gagnant, du coup. Le reste de l’après-midi s’écoula à une vitesse hallucinante. Alexis et Erwin retournèrent se balader sur la plage. Très vite, ils finirent à l’eau en train de chahuter comme des enfants. Pas une seule fois durant ces heures passées à rigoler Alexis ne repensa à Cal ou Sera. Ce weekend était comme une pause dans sa vie et Alexis en étant réellement reconnaissante.

Quand la fin d’après-midi sonna, les deux colocataires retournèrent dans l’appartement pour se préparer au fameux concert bobo sur la plage. Alexis reprit une douche, prenant soin de nettoyer sous ce sel et ce sable qui s’étaient mélangés à ses cheveux. Optant pour une tenir plutôt décontracté, ce fut avec un simple short et un débardeur plutôt ample qu’Alexis laissa sa place à Erwin dans la douche. Après avoir englouti des restes d’à midi, Alexis et Erwin allèrent à ce fameux concert. La musique n’était pas mauvaise, Alexis se retrouva plusieurs fois à danser que ce soit seule ou avec Erwin. Bientôt, le soleil fut couché et plusieurs petits feux de camp furent allumés sur la plage.

Au bout de quelques heures, Alexis et Erwin s’étaient éloignés du concert et étaient posés près d’un feu de camp, un verre d’alcool à la main. Alexis perdit son regard dans les flammes, faisant tourner distraitement sa boisson dans son verre. Elle repensait à toute cette journée en compagnie d’Erwin. Cela faisait combien de temps qu’elle ne s’était pas amusée de la sorte ? Plus rien n’avait été existé pendant ces heures volées à part le moment présent. Le reste de l’été allait paraître bien fade à côté. Surtout si on considérait qu’elle allait travailler tout l’été dans le fast-food du coin. Puis, la rentrée. Le mariage. Le retour des cours. Est-ce qu’elle vivrait toujours avec Erwin ?

Alors qu’elle se perdait dans les méandres de ses propres pensées, Erwin posa sa main sur son épaule, comme pour lui dire « Hey, je connais ce regard, arrête de te faire du mal, j’ai pas préparé ce weekend pour ça, merci ». Alexis afficha un maigre sourire sur ses lèvres pour le rassurer, mais elle ne pouvait pas le tromper. Elle soupira alors. Peut-être était-ce parce que la journée s’était si bien passée, peut-être était-ce parce que cette proximité soudaine avec Erwin était bénéfique, ou peut-être était-ce tout simplement parce qu’elle avait envie, mais Alexis décida de confier. Un petit peu.

« J’ai toujours su que Cal finirait par me larguer. C’était évident. Sera, j’avoue que je m’y attendais moins. Mais elle part. Elle part trop loin pour que je la suive. Qu’est-ce que je ferai dans un van pour regarder les tornades ? »

Alexis perdait son regard dans sa boisson, une partie d’elle espérant qu’en se noyant dans l’alcool, peut-être que tout disparaitrait. Puis, un rire amer s’échappa.

« Le pire, finalement, ça va être à ce putain de mariage. Cal avait finalement accepté de m’accompagner. Maintenant, je vais devoir y aller sans lui. Franchement, pire timing. »

Une grimace sur le visage, Alexis imaginait d’ici les reproches de sa famille, Willa ne pouvant décemment pas la protéger contre tout le monde alors que c’était son jour. Alexis secoua la tête. Elle n’avait définitivement pas hâte que ce weekend s’arrête.

La journée se passa dans la bonne humeur. Erwin tentait de déceler la moindre faiblesse chez Alexis, essayant de prévoir ses moments de tristesse pour les effacer aussi vite. Mais il n'en vit aucun arriver. Et aucun n'arriva. La future géologue semblait réellement heureuse d'être là, laissant les doutes concernant ce weekend derrière elle. Elle profitait, et Erwin sentit un poids s'envoler de ses épaules à l'idée qu'il avait réussi à lui changer les idées.

Après le déjeuner, Alexis et Erwin retournèrent sur la plage. Pas de livre, pas de tortues, mais un soleil suffisamment en forme pour donner envie d'aller se baigner. Les deux colocataires finirent à l'eau. Erwin fut le premier à éclabousser Alexis qui râla quelques secondes, sûrement par principe, avant de s'y mettre à son tour. Jouant comme des gamins, le temps fila sous leurs yeux. Il fut bientôt l'heure de rentrer à l'appartement. Alexis fonça sous la douche, Erwin fit la moue mais ne dit rien. Il avait hâte de se débarrasser de ce sel de mer qui commençait à lui piquer la peau.

Lorsque la douche se libéra, Erwin fonça dedans. Enfin de l'eau douce ! Il profita de ce moment seul pour se remémorer la journée. Tout avait été si lumineux ! Alexis qui souriait, qui parlait de choses banales, qui s'émerveillait devant ces tortues... Quand Erwin sortit de la douche, il avait le sourire. Il se sentait bien dans son t-shirt propre, débarrassé de cette odeur d'iode. Alexis mangeait déjà quelques restes du repas précédent, Erwin ne tarda pas à l'accompagner. Il était content de voir qu'elle avait retrouvé l'appétit.

Il fut l'heure d'aller au concert. De l'appartement, on entendait déjà quelques sons de basses. L'événement n'était certainement pas loin de là. Une fois arrivés sur place, Erwin s'aperçut que, si l'ambiance était effectivement un peu bobo, ce n'était pas le cas de la musique qui était réellement à son goût. Alexis semblait apprécier aussi, elle se déhancha d'abord timidement puis, au fil de la soirée, avec de plus en plus d'enthousiasme, accompagnée d'Erwin.

Plus tard, ils allèrent s'asseoir près d'un feu de camp. L'ambiance plaisait à Erwin. L'air marin qui soufflait le régalait, le ciel était dégagé et les étoiles s'étaient déjà allumées une à une sur ce tableau noir. L'étudiant les regardait, allongé sur le sable. Puis il partit chercher deux verres et en tendit un à Alexis. Ils restèrent assis un moment sans parler. Les rires et la musique autour d'eux suffisait à combler l'air. Alexis semblait pensive, Erwin la ramena à la réalité en posant sa main sur son épaule. Hors de question qu'elle se remette à ruminer ses ruptures.

"J'ai toujours su que Cal finirait par me larguer. C'était évident. Sera, j'avoue que je m'y attendais moins. Mais elle part. Elle part trop loin pour que je la suive. Qu'est-ce que je ferai dans un van pour regarder les tornades ?"

Erwin ne répondit pas. Il savait que la question était purement rhétorique. Il préférait laisser Alexis parler à son rythme, laisser le silence dominer en attendant qu'elle reprenne la parle si elle le voulait. Après tous ces jours de mutisme, elle avait enfin décidé de se confier, et l'étudiant n'allait pas la couper dans son élan. Si elle avait choisi ce moment, c'est qu'elle sentait que c'était le bon.

"Le pire, finalement, ça va être à ce putain de mariage. Cal avait finalement accepté de m'accompagner. Maintenant, je vais devoir y aller sans lui. Franchement, pire timing."

Erwin avait oublié cette histoire de mariage. Décidément, rien ne jouait en la faveur d'Alexis en ce moment. Il n'avait pas eu besoin de beaucoup d'explications pour comprendre la mentalité de son père et il la plaignait sincèrement de devoir le supporter alors qu'elle tenait principalement à faire plaisir à sa soeur, ce qui était une très belle chose. Pris d'un élan de compassion pour sa coloc' qui n'avait vraiment pas de chance, Erwin passa son bras autour de ses épaules et la serra doucement contre lui. Ils restèrent un instant comme ça. Alexis ne fit aucune remarque et Erwin regardait le feu comme la chose la plus fascinante qu'il ait pu voir. Puis il se tourna vers Alexis et la regarda dans les yeux.

"Tu sais quoi ? T'iras pas toute seule à ce mariage. Une fille m'a dit un jour que ton père m'apprécierait..."

Samedi 11 septembre

« Ouch, Alexis.
‒ Oh, arrête de bouger aussi. »

Alexis était assise en tailleur sur un lit, sa sœur lui tournant le dos. Plusieurs épingles en équilibre entre ses lèvres, Alexis faisait du mieux qu’elle pouvait pour rattraper la coiffure de sa sœur. S’il y avait bien un défaut qu’avait Willa, c’était sa maladresse.

« Mais tu me tires les cheveux, gémit Willa.
‒ Tu préfères que je rappelle ta coiffeuse ?
‒ Pitié, non. »

Willa laissa échapper un rire, un sourire angélique étirée sur son visage. Alexis était concentrée pour rendre à cette coiffure sa beauté d’antan, celle avant que Willa s’écrase sur son oreiller sans aucune raison particulière. Après plusieurs minutes de torture pour les deux sœurs, Alexis avait terminé. Elle se mit debout sur le lit, les bras tendus vers la tête de sa sœur.

« TA-DAM. »

Willa se tourna vers sa sœur, un sourire reconnaissant sur les lèvres.

« Qu’est-ce que je ferai sans toi, Alexis ?
‒ Oh la même chose, mais en beaucoup moins drôle.
‒ C’est vrai, conclut Willa après un temps de réflexion. Allez, file t’habiller, tu vas être en retard. »

Alexis leva les yeux au ciel. Willa allait se marier dans deux heures et la seule chose qui l’intéressait, c’était qu’Alexis soit prête à l’heure. Après un baiser déposé sur la joue de sa sœur, Alexis sortit de la chambre d’hôtel pour se rendre dans la sienne. Il était encore tôt mais quand Alexis croisa son reflet dans un miroir, elle se demanda si elle avait vraiment assez de deux heures pour être une demoiselle d’honneur présentable.

L’été était passé à une vitesse hallucinante. Alexis avait l’impression que c’était seulement la veille qu’Erwin avait proposé d’être son +1 pour le mariage de Willa. Et pourtant, entre temps, presque trois mois s’étaient écoulés. Entre temps, ils avaient fini leurs examens, Erwin avait passé son été chez ses parents et Alexis était resté dans l’appartement pour alterner entre un job dans un fast-food et un colocataire de substitution surprenant.

Malgré la distance, Alexis ne s’était jamais sentie aussi proche d’Erwin. Ils avaient passé l’été à s’envoyer des messages, des blagues, des photos ridicules. Alexis s’était trouvé une nouvelle passion comme reporter de vie nulle, faisant des photos improbables dès que l’occasion se présentait. Elle avait également développé ses compétences en poisson-sitter, Erwin lui ayant confié la garde de Bubulle. Et de Sung. Afin d’éviter de payer un appartement dans lequel il n’était pas, Erwin avait sous-loué sa chambre à son ami Sung qui avait un travail de barman la nuit pour l’été. De ce fait, Alexis ne l’avait pas souvent croisé – leurs horaires étaient trop décalés.

Après deux mois à ne parler que virtuellement, quand Alexis avait récupéré Erwin au point de rendez-vous la veille, tout semblait étrange. Une sorte de timidité nouvelle s’était emparée d’elle pendant les premières heures. Elle ne savait pas comment lui parler de vive voix, elle ne savait pas comment l’approcher normalement. Finalement, la présence du père d’Alexis avait détendu Erwin qui avait complètement embrassé son rôle de faux petit-ami. Et puis, passer une nuit ensemble – tout à fait platonique – avait achevé toute timidité incongrue entre les deux colocataires. Ce fut même avec surprise qu’Alexis se réveilla blotti contre lui le lendemain matin, lorsque sa sœur avait toqué à sa porte pour lui demander de l’aide.

Lorsqu’Alexis ouvrit la porte de sa chambre d’hôtel, Erwin était encore en train de se prélasser dans le lit, visiblement peu inquiet par l’heure qui tournait. Après tout, avait-il seulement des efforts à faire pour ressembler à quelque chose ? Alexis leva les yeux au ciel et s’approcha du lit. Elle frotta sa main dans les cheveux d’Erwin, d’abord doucement, puis un peu plus brutalement.

« Hé, la belle aux bois dormants, tu vas pas aller au mariage en caleçon. »

Ne comprenant rien aux marmonnements d’Erwin, Alexis se redressa puis partit à la douche. Elle essaya de prendre le moins de temps possible, jugeant qu’Erwin en aurait sûrement plus besoin qu’elle. Au bout de dix minutes, elle sortit avec seulement une serviette sur elle, le sèche-cheveux dans les mains et ses cheveux dégoulinants sur le sol de l’hôtel. D’un geste de la main indifférent, elle invita à Erwin à aller s’enfermer dans la salle de bain à son tour.

Une heure plus tard, Alexis avait enfilé sa robe de demoiselle d’honneur, avait coiffé ses cheveux et était en train de finaliser son maquillage. Erwin sortit à ce moment de la douche dans un costard des plus canons. Un sourire aux lèvres, elle profita du miroir pour le mater sans qu’il ne s’en rende trop compte. Il était visiblement beaucoup plus réveillé depuis qu’il avait pris une douche. Alexis se retourna pour lui faire face, les yeux rieurs.

« Hé bah dis donc, on peut dire que j’ai le plus beau petit-ami. »

Alexis lui leva les pouces en l’air avant de se retourner face au miroir pour continuer son maquillage. Aurait-elle dû préciser faux petit-ami ? Après quelques minutes, jugeant qu’elle ne pourrait pas faire mieux que ça, elle attrapa son sac et tendit son bras à Erwin.

« On y va ? T’as encore le droit de t’enfuir en courant. »

La veille, Erwin avait fait la rencontre de certains membres de la famille d’Alexis et avait fait une très bonne impression. La réciproque était certainement fausse.

Erwin avait raté un examen. Ou plutôt un travail qui faisait office d'examen. Le début de ses vacances servit donc à refaire ledit travail en tenant compte de ses erreurs dans l'espoir de le réussir. Pour varier les plaisirs, il avait également travaillé durant le mois d'août dans un magasin. Entre deux pauses, il regardait les messages qu'Alexis lui envoyait et les photos qu'il recevait le mettaient de bonne humeur. Bien souvent, Alexis lui rappelait à quel point sa vie pouvait être plus pourrie, comme la sienne, par exemple, lorsqu'elle devait subir la chaleur du fastfood où elle travaillait parce que la hotte était cassée. Ou quand elle renversait la boisson d'un client juste devant lui.

Alexis était restée à l'appartement, Erwin était donc loin d'elle, chez ses parents, mais il n'avait jamais eu l'impression d'être aussi proche. Les messages qu'ils s'échangeaient prenaient de la place dans sa vie. Alexis était toujours dans sa tête, toujours plus présente. Puis il avait fini par la retrouver en chair et en os la veille du mariage de sa soeur. Elle n'avait pas dit grand chose au début, et Erwin n'avait pas tenté de lui tirer plus de mots que nécessaire.

Il avait fait la connaissance du père d'Alexis, de sa mère, d'un cousin perdu dans la masse et surtout de Willa. Il avait été surpris de voir qu'Alexis et elle étaient jumelles. Il s'était toujours figuré une soeur aînée. Il la trouvait jeune pour se marier. Enfin, jeune par rapport à ce qu'il avait l'habitude de voir dans son entourage. Mais elle dégageait une bonne humeur indémontable et ne semblait pas du tout stressée à l'idée de s'engager. Erwin ne la connaissait pas depuis plus de quinze minutes, mais il était content pour elle.

Puis ils étaient arrivés à l'hôtel où la plupart de la famille, du moins proche, avait décidé de séjourner pour l'événement. Evidemment, comme les parents d'Alexis pensaient qu'Erwin était son petit-ami, il n'y avait qu'une chambre pour eux deux, avec un seul lit. Les deux colocataires s'étaient regardés un moment, mais finalement, la nuit avait été tout à fait normal en ce qui concernait Erwin.

"Hé, la belle aux bois dormants, tu vas pas aller au mariage en caleçon."

Erwin se réveilla au son de la voix d'Alexis, qui lui ébouriffait les cheveux. La tête dans l'oreiller, il grommela que, si ça n'avait pas été pour elle, il l'aurait bien fait. Mais arriver en caleçon au mariage d'une fille qu'il ne connaissait pas et au risque de mettre Alexis dans une situation très délicate était sans aucun doute la pire des idées. Alors il se contenta de se réveiller du mieux qu'il put et prit la place d'Alexis dans la salle de bains dès qu'elle en sortit.

Après le passage de sa colocataire, l'air de la salle de bains était moite, la pièce n'était pas bien ventilée. Erwin n'avait pas du tout envie de traîner dans cette atmosphère lourde. Il prit une douche rapide, l'eau à peine tiède le réveilla totalement. Puis il se plaça face au miroir accroché au mur et entreprit de tailler un minimum sa barbe afin de ne pas avoir l'air trop négligé. Il sortit de la salle de bains en boutonnant la veste de son costume par-dessus sa chemise.

"Hé bah dis donc, on peut dire que j'ai le plus beau petit-ami."

Erwin fut surpris d'entendre Alexis faire ce genre de remarque. S'il était habitué à vivre avec elle, ce n'était pas courant de l'entendre commenter ses apparitions. Il leva les yeux vers elle et vit alors la robe qu'elle avait enfilée. C'était une robe mauve qui lui allait à merveille. Il y avait quelques détails cousus adroitement sur les extrémités du tissu, mais Erwin ne les distinguait pas clairement de là où il était. C'était la première fois qu'il trouvait Alexis aussi belle et aussi délicate. Il alla enfiler ses chaussures puis regarda sa coloc' qui finissait son maquillage. Enfin, elle tendit un bras vers lui.

"On y va ? T'as encore le droit de t'enfuir en courant."

La perspective de partir sans demander son reste était tentante, si on tenait compte du caractère peu aimable des quelques membres de la famille qu'Erwin avait déjà rencontrés. Mais si lui ne pensait pas pouvoir les supporter, que devait-il en être d'Alexis ! Hors de question de la laisser tomber, surtout maintenant, après avoir fait croire à tout le monde qu'il était son copain. Erwin attrapa le bras d'Alexis et la regarda en souriant.

"M'enfuir ? Et te laisser au milieu de l'arène toute seule ? C'est mal me connaître, ma p'tite dame.

Alexis lui rendit son sourire et ils avancèrent tous les deux hors de la chambre d'hôtel. Un peu plus loin dans le couloir, il y avait une femme, sans doute la mère d'Alexis dont Erwin n'avait pas bien mémorisé le visage et qu'il n'aurait donc pas pu reconnaître de loin. Les deux étudiants la regardèrent de loin, avançant doucement. Puis Erwin se pencha vers Alexis et lui souffla quelques mots à l'oreille.

"La robe, tu vas la garder quand on reprendra les cours ? Parce que t'es très jolie dedans, ce serait dommage de ne plus jamais la voir."

Ils allèrent à la rencontre de la femme qui était bien la mère d'Alexis et Willa fit bientôt son apparition elle aussi, rayonnante dans sa robe de mariée. Erwin espérait que cette bonne humeur ambiante ne s'effacerait pas au cours de la journée.

M’enfuir ? Et te laisser au milieu de l’arène toute seule ? C’est mal me connaître, ma p’tite dame. Alexis sourit à cette phrase. Pour peu, si ce n’était pas aussi gênant, elle aurait pu abandonner tous ses principes, plaquer Erwin contre le mur et l’embrasser. Cependant, ce n’était pas du tout le moment avec Alexis se contenta du strict minimum et ils sortirent de la chambre. Bras dessus-dessous, Alexis songea presque c’était une bonne journée. Puis sa mère apparu dans son champ de vision, alors elle dû se forcer pour garder le sourire.

La robe, tu vas la garder quand on reprendra les cours ? Parce que t’es très jolie dedans, ce serait dommage de ne plus jamais la voir. Erwin s’était penché sans qu’Alexis ne le remarque et avait murmuré cette phrase si proche de l’oreille d’Alexis qu’un frisson la parcourut intégralement. Elle pouvait sentir le rouge lui monter aux joues, mais la présence d’à peu près trois litres de fond de teint la sauvait du ridicule.

Alexis n’eût pas réellement le temps de réfléchir à une bonne réponse qu’ils avaient déjà atteint sa mère. Puis Willa, plus belle que jamais apparut à son tour. Tous les quatre descendirent de l’hôtel pour entrer dans une limousine qui les attendait, direction l’église. Jamais Alexis n’avait autant baigné dans le luxe. Bien qu’elle ne doutât pas des sentiments de Willa pour son futur mari, il était évident qu’elle avait eu de la chance de tomber sur quelqu’un dont la famille était aussi friquée. Ce n’était pas avec ses propres revenus qu’elle aurait pu se payer un mariage aussi stylé.

Le trajet se passa sans incident, si ce n’était que la main d’Alexis avait été broyée à plusieurs reprises par sa sœur qui était rongée par le stresse mais qui avait interdiction de le montrer. Leur père les rejoignit à l’intérieur de la limousine mais ne fit aucun commentaire jusqu’à l’arrivée à l’église. Une fois arrivés sur place, tout le monde se sépara. Alexis et Erwin sortirent de la voiture : Alexis allait devoir prendre son rôle de demoiselle d’honneur pendant qu’Erwin attendrait patiemment dans le public.

« Pas sûre que tu saches te contenir si je la gardais tous les jours. »

Alexis s’était hissée sur la pointe des pieds et avait effleuré l’oreille d’Erwin avec ses lèvres pour prononcer cette phrase au creux de son oreille. Puis, sans un regard vers lui, elle l’abandonna dans la foule pour prendre son rôle lors de cette cérémonie.

***

La cérémonie avait duré une éternité. Le prêtre avait été d’un ennui morbide. Alexis avait pu admirer sa mère chouiner pendant des heures pendant que son père, toujours droit et fier, ne pouvait retenir un sourire de fierté en regardant celle qu’il aurait aimé être sa fille unique. Une fois le fameux baiser échangé, tout le monde fut dirigé vers la seconde cérémonie, celle où ils allaient maintenant s’assoir pendant des heures et des heures et des heures. Au moins, Alexis pourrait s’assoir.

Willa avait essayé le plus possible d’être avec sa sœur, la protégeant comme elle pouvait des foudres de certains autres membres de leur famille, mais bien vite la mariée dû aller répondre à d’autres obligations. Il n’en fallut pas plus à Erwin pour se glisser à côté d’Alexis et lui prendre la main. Lorsque le repas sonna, tout le monde s’en alla à leur place attribuée. Alexis fut donc très heureuse d’être entre le mur et Erwin, aussi loin que possible de sa sœur qui lui envoyait des petits regards adorables de temps en temps.

Le repas se passa sans encombre, si on oubliait qu’il durait lui aussi une éternité. Quand Alexis fut enfin certaine qu’on arrêterait de lui poser des questions ou d’en poser à Erwin, elle se pencha vers son colocataire, un sourire aux lèvres.

« Je pense que t’as une touche avec la gamine là-bas. »

Alexis lança un regard furtif à une jeune rouquine, sûrement membre de la famille du mari, qui n’arrêtait pas de zieuter allègrement Erwin. Elle leva son verre en direction de la jeune fille qui vira au rouge et détourna le regard.

« T’es pas obligé d’être un petit-ami fidèle. »

Alexis avait dit ça en rigolant, juste assez bas pour qu’Erwin l’entende.