Mardi 11 mai

Erwin revenait d'un de ses cours avec les pieds de plomb. Qui aurait pu lui dire que faire une spécialisation en biologie marine n'était pas un choix judicieux ? En réalité, la matière aurait vraiment pu intéresser le jeune homme si le professeur de "Vie des végétaux aquatiques et influence de la faune" n'avait pas été si soporifique. Heureusement, c'était le seul cours qu'Erwin avait sur sa journée. Et puis, s'il en avait eu d'autres, il aurait très probablement séché...

Lorsqu'il arriva devant l'appartement dans lequel il logeait en colocation, l'étudiant lâcha un soupir de soulagement. En ce jour du mois de mai, le soleil tapait et il commençait à maudire la marche. Pourtant, il ne logeait pas loin des amphis où se tenaient ses cours, il n'avait pas à se plaindre. Il ouvrit son sac à dos pour retrouver les clés de l'entrée. Pas évident dans tout ce bordel. Lorsqu'il finit par trouver la clé et qu'il l'enfonça dans la serrure, il se rendit compte que la porte n'avait pas été fermée. Oups. Il avait encore oublié de verrouiller l'entrée en partant ce matin... Tant pis, il y penserait la prochaine fois.

Erwin traversa le studio au galop, il attrapa un verre posé sur la table de la cuisine et le remplit de jus d'orange. Il le termina en trois gorgées. Il reposa le verre sur la table, il lui servirait peut-être plus tard dans la journée. Il entra dans sa chambre et jeta son sac sur son lit. Il se débarrassa immédiatement de la chemise qu'il portait par-dessus son t-shirt. Même ouverte, elle lui donnait beaucoup plus chaud que prévu. C'était que les nuages du matin n'annonçaient pas tant de soleil.

Le jeune homme sortit son ordinateur de son sac, le posa sur son bureau et l'alluma. En attendant que la machine charge, il alluma la chaîne hifi qu'il avait ramenée de chez lui et monta le son. Puis il sortit de son petit frigo une crème au chocolat et l'engloutit parce que son ventre hurlait... aussi fort que les chants de baleine enregistrés sur son CD. Dans le cadre d'un cours, Erwin devait s'habituer aux sons des animaux marins. Les baleines n'étaient pas ce qu'il préférait, mais puisqu'il fallait travailler à un moment donné...

Erwin venait tout juste d'enlever ses chaussures et de les balancer un peu au hasard dans la chambre lorsqu'il entendit quelques coups frappés à la porte. Avec le volume des baleines, les coups paraissaient ténus. Pourtant, il savait très bien qu'on avait frappé avec énergie, avec rage peut-être même. La cuillère de crème au chocolat toujours en bouche, il ouvrit sa porte et reconnut sa coloc sans surprise.

"Tiens, chalut Alexchis. Cha va ?"

Son casque vissé sur les oreilles, le ventilateur en marche, les volets fermés depuis plusieurs heures, Alexis était en pleine lecture d’une thèse publiées il y a quelques années. C’était seulement sa première année à la fac, mais Alexis était déterminée à être meilleure que les autres mais elle prenait de l’avance sur le programme. Cela faisait maintenant deux ans qu’elle était préparée pour sa première année et elle n’allait pas s’arrêter en si bon chemin, surtout avec les partiels commençant bientôt. Il était hors de question pour elle de se contenter d’une note minimale. Alexis allait écraser tous ses camarades de classe et ressortir avec les meilleures notes de toute la filière.

Alors qu’elle entamait fièrement la moitié de l’ouvrage, un bruit désagréable vint se caler par-dessus sa musique. Alexis fronça les sourcils, tentant d’augmenter le son de sa propre musique. Mais rien n’y faisait, cet ignoble bruit revenait sans cesse. Finalement, lassée, Alexis laissa glisser son casque autour de son cou… puis reconnu bien malgré elle que ce son animalier devait probablement venir de la chambre de son abruti de colocataire. Alexis lâcha un grognement de frustration. Si seulement il n’y avait pas eu autant d’aléas dans sa vie, elle aurait pu vivre seule. Ou avec n’importe qui d’autre. Mais non, elle devait se taper le débile fan de poisson qu’était Erwin Stamber. Après s’était tapée la tête contre son bureau quelques fois de suite, Alexis sortit de sa chambre.

Enragée mais en contrôle, Alexis toqua délicatement sur la porte de son colocataire. C’était sans compter son ignoble CD qui passait en boucle. Elle frappa alors de plus en plus fort, jusqu’au moment où elle songea à éclater la porte à coup de pied. Ce fut précisément à ce moment que son abruti de coloc’ ouvrit la porte. Comme à son habitude, il avait la dégaine la plus épouvantable de l’univers. C’était dur de se dire qu’on pouvait partir sur une base plutôt normale – deux bras, deux jambes, une tête potable – et quand même réussir à être aussi moche.

Tiens, chalut Alexchis. Cha va ? Une cuillère dégoulinant de sa bouche, du chocolat pendouillant sur la commissure de ses lèvres… Yep, Alexis n’avait jamais vu un être humain aussi dégoûtant de sa vie. Elle soupira bruyamment et hurla par-dessus cet ignoble bruit qui avait remplit l’appart.

« Mets un casque. Comme tout le monde. J’essaie de travailler, abruti ! »

Si Alexis avait pu s’arracher la peau sans conséquence, elle l’aurait fait. La douleur physique n’atteindrait jamais la douleur psychologiquement de vivre avec un humain croisé avec un mollusque.

"Mets un casque. Comme tout le monde. J'essaie de travailler, abruti !"

Alexis avait débarqué avec des lunettes sur le nez, et surtout un air furax. En gros, aucun doute sur le fait qu'elle avait été dérangée dans son étude. Erwin s'appuya contre le chambranle de la porte en croisant les bras. Il fixa sa colocataire quelques secondes, sa cuillère de crème toujours en bouche, plus par principe que pour savourer le chocolat qui n'y était plus. Il la mâchonna par habitude, puis se redressa.

"Ch'est pour..." il retira la cuillère de sa bouche. "C'est pour l'immersion. Tu sais, imaginer qu'on est dans le même milieu que les animaux, c'est comme dans la nature."

Pas sûr que cette excuse suffise à calmer cette chère Alexis Nyqvist, élève modèle par excellence. Mais Erwin n'avait pas choisi de vivre en colocation pour rester enfermé dans un mutisme interminable, alors il saisissait la moindre occasion de parler, que ça plaise à sa voisine de palier ou non.

Depuis que cette fille était arrivée dans cet appart', elle ne lui avait parlé que lorsqu'elle ne pouvait pas l'éviter. Ou lorsqu'elle avait besoin de râler. Erwin, lui, ne se prenait pas la tête. Il voulait du contact social et, quand ses amis ne venaient pas le voir pour répondre à ce besoin, il ne se faisait pas prier pour discuter avec Alexis. Ou plutôt monologuer, puisque mademoiselle n'était pas très bavarde. Finalement, du bout de sa cuillère, l'étudiant désigna un aquarium posé à l'ombre dans un coin de sa chambre.

"Puis Bubulle aime bien les chants de baleine."

Le petit poisson qui n'avait rien demandé tournait innocemment dans son aquarium, se laissait ballotter d'un coin à un autre pour fouiller sous les graviers décoratifs dans l'espoir d'y trouver quelque chose d'intéressant. A la mention de son nom, comme s'il savait qu'on parlait de lui, il alla se cacher derrière une des plantes en plastique qui coloraient son intérieur personnel.

"Enfin soit. Je vais laisser tomber les baleines. Je ferai ça ce soir."

Erwin se décala de la porte pour se rapprocher d'une petite armoire, tout juste assez haute pour lui arriver aux épaules. Il prit une petite télécommande posée sur le meuble et coupa le son de la chaîne hifi. Il enleva le CD de l'appareil et chercha après la boîte dans laquelle il devait le ranger. Tout en fouillant dans ses affaires -pas si en bordel que ça, pour une fois- il s'adressa à Alexis.

"Et tu travailles sur quoi, en fait ? Encore des cailloux qui viennent du trottoir de devant ?"

Erwin la fixait avec cet faussement simplet, les bras croisés et sa cuillère dans la bouche. Il la détailla de la tête aux pieds, ce qui força Alexis à retenir un énorme doigt d’honneur. Elle n’était pas là pour qu’il mate mais pour qu’il baisse sa musique de merde. C’est pour l’immersion. Tu sais, imaginer qu’on est dans le même milieu que les animaux, comme dans la nature, expliqua son colocataire après avoir eu la décence de retirer la cuillère de sa bouche. Alexis leva les yeux au ciel. Il pouvait toujours faire ça avec un casque, la raison lui importait vraiment très peu.

Puis Bubulle aime bien les chants de baleine, rajouta-t-il en pointant du doigt un aquarium où un poisson rouge innocent vivant vivait sa vie. Alexis haussa un sourcil dubitatif. Pas sûre qu’un poisson rouge né en captivité apprécie des beuglements d’animaux énormes résonnant contre les parois de sa prison de verre. Mais Alexis n’allait certainement pas apprendre à un étudiant en biologie marine comment s’occuper d’un poisson rouge. Déjà parce que ça demandait beaucoup d’énergie et ensuite parce que ce serait une raison pour lui de venir fouiner son nez dans ses études à elle. Hors de question.

Enfin soit. Je vais laisser tomber les baleines. Je ferai ça ce soir. Alexis lâcha un soupire de soulagement. Pourquoi devait-il autant parler avant d’arriver à la seule conclusion viable de cet échange ? Son colocataire se décala pour aller éteindre sa chaîne hi-fi et ranger le CD dans sa boîte. Par curiosité plus que par intérêt personnel, Alexis jeta un coup d’œil dans la chambre d’Erwin. Elle était moins en bordel que d’habitude, fabuleux. Pour peu, elle lui donnerait une médaille mais elle n’allait pas relancer la conversation alors elle tourna les talons pour partir.

Et tu travailles sur quoi, en fait ? Encore des cailloux qui viennent du trottoir de devant ? Alexis se tourna pour de nouveau faire face à cet Erwin qui fouillait dans ses affaires. Elle le détailla de la tête aux pieds à son tour puis, jaugeant qu’il n’y avait rien à en tirer, elle lui répondit :

« Je travaille sur réussir mes études. Mets un casque ce soir, l’immersion n’en sera que plus réelle. Bonne nuit. »

Sur ce, Alexis tourna les talons, marmonnant dans sa barbe. Quelque chose se frotta contre sa jambe et elle baissa les yeux pour y découvrir un petit chat tout gris qui la fixait en ronronnant. Un sourire sur le visage, Alexis prit l’animal dans ses bras.

« Oh oui, qu’est ce que tu fais là chaton ? C’est l’heure de la pause, c’est ça ? Oh oui c’est l’heure de la pause. D’accord chaton, on va faire une pause. »

Sans un regard pour la chambre d’Erwin, Alexis s’engagea dans le salon, toujours avec son chat dans les bras, un grand sourire. Elle s’installa dans le canapé puis prit un des nombreux jouets qui traînaient dans le coin pour s’amuser un peu. Finalement, la pause était bien venue.

Le désintérêt d'Alexis était palpable. Erwin sentait son regard dédaigneux le brûler jusqu'à l'âme. Il ne manquait plus qu'un soupir et le mépris aurait atteint son apogée. L'étudiante semblait chercher à économiser sa salive. De toute évidence, parler avec son colocataire était la dernière de ses envies.

"Je travaille sur réussir mes études. Mets un casque ce soir, l'immersion n'en sera que plus réelle. Bonne nuit."

Le dos toujours tourné à Alexis, Erwin leva les yeux au ciel. Madame parfaite ne pouvait donc pas s'empêcher de répondre de manière mesquine ? Le jeune homme n'y fit pas plus attention. Il tentait simplement de détendre l'atmosphère dans cet appart', il n'allait pas rentrer dans le jeu d'une gamine un peu trop studieuse. Si elle décidait de se couper du monde et de la sociabilité, c'était son problème à elle, pas le sien.

"Oh oui, qu'est ce que tu fais là chaton ? C'est l’heure de la pause, c'est ça ? Oh oui c'est l’heure de la pause. D'accord chaton, on va faire une pause."

Un miaulement ponctua les mots qu'Alexis avait prononcés d'une voix niaise, telle une grand-mère à chats. Erwin se retourna et se pointa à la porte de sa chambre. Sa colocataire avait déjà migré vers le salon, visiblement. L'étudiant cria donc pour s'adresser à elle.

"Ouai, garde ta bestiole avec toi ! Il est gentil mais je veux plus le surprendre à essayer de bouffer Bubulle !"

A ces mots, Erwin ferma la porte de sa chambre et s'installa à son bureau. Il étala ses deux blocs de feuilles et un livre de cours devant son ordinateur et se mit à travailler sur ce fameux cours de "Vie des végétaux aquatiques et influence de la faune" dans l'espoir de rattraper le cours du jour. Et puis, s'il n'y parvenait pas, il demanderait l'aide d'un de ses amis plus attentif... La soirée s'écoulait petit à petit. Erwin tentait de synthétiser et retenir l'essentiel de son cours après avoir fait entre trois et cinq pauses ayant chacune dérivé en voyage à la cuisine. La concentration n'était plus là, il était inutile de forcer.
Alors Erwin trouva un autre CD et augmenta le volume de sa chaîne hifi pour se détendre avec un peu de musique.

Vendredi 14 mai

La semaine touchait à sa fin, le soleil n'avait pas cessé de taper plus fort que de raison. Il était un peu plus de midi, Erwin n'avait pas encore mangé et se dirigeait vers la cuisine pour régler ce problème. Il ouvrit une armoire et en sortit une casserole qu'il mit sur une plaque de cuisson et remplit d'eau. Une fois l'eau bouillante, il laissa tomber dedans une quantité de pâtes assez hasardeuse. Alors qu'il attendait que son repas cuise, il se rappela qu'il devait demander quelque chose à Alexis. Il alla donc frapper à la porte de sa chambre. Comme on ne répondit pas tout de suite, Erwin se dit que sa coloc n'était peut-être pas là. Elle avait peut-être décidé de manger en ville ?

Finalement, la porte s'ouvrit, dévoilant un visage encadré par des cheveux attachés. Derrière les verres de ses lunettes, Alexis lançait un regard blasé à Erwin.

"Coucou ma colocataire préférée ! T'as l'air d'avoir la pêche, toi !"

Quelqu’un frappait à sa porte de chambre. Enfin, « quelqu’un ». C’était sûrement Erwin. Dire qu’Alexis avait commencé à penser qu’il avait compris qu’elle ne voulait rien échanger avec lui. Visiblement, elle s'était trompée. Elle attendit un petit peu. Avec un peu de chance, il partirait sans demander son reste. Puis, finalement elle soupira en se relevant. Il était évident qu’il allait finir par toquer une seconde fois. Alexis attrapa le premier t-shirt qui passa et l’enfila comme elle pouvait. D’une main distraite, elle attrapa ses lunettes et rattacha ses cheveux. D’un pas lent, elle se dirigea vers sa porte et l’ouvrit juste assez pour qu’Erwin ne voie rien d’autre que son visage.

Coucou ma colocataire préférée ! T’as l’air d’avoir la pêche toi ! Alexis leva un regard des plus las vers lui. Qu’est-ce qu’il lui voulait ? Elle allait soupirer quand un mouvement à l’intérieur de sa chambre attira son attention. La porte qu’Alexis tenait fermement dans sa main vola, déséquilibrant Alexis qui écrasa son nez sur le torse d’Erwin.

« Oh, tu m’avais pas dis que ton coloc était aussi sexy. »

Alexis se redressa, remontant ses lunettes qui avaient glissé et tourna la tête vers la personne qui venait de parler. Une grande blonde, les cheveux en bataille, encore moins vêtue qu’Alexis, qui avait ce regard dégoulinant d’envie. Était-elle en train d’essayer de charmer Erwin ?

« Tout simplement parce qu’il ne l’est pas… »

Alexis leva les yeux et jaugea Erwin d’un nouvel œil. Ou alors l’était-il ? Elle fronça les sourcils, tentant de voir ce qu’on pouvait lui trouver. Certes, il était assez plaisant selon les standards de la société mais de là à le qualifier de sexy … ?

« Je m’appelle Sera, au fait. Je suppose qu’Alexis t’as souvent parlé de moi… »

Alexis se racla la gorge et écrasa sa main sur le visage de Sera, l’invitant de se terrer de nouveau dans sa chambre. Elle se tourna vers elle pour la fixer avec un étonnement presque douloureux.

« On a dit pas les colocs. Est-ce que je saute sur Andrew moi ? Va t’habiller. »

Alexis sortit alors de sa chambre, enfermant Sera qui traînait des pieds en râlant. Puis elle tourna la tête vers Erwin, retrouvant son regard blasé – bien qu’un peu moins qu’avant.

« Désolée pour le dérangement. Tu voulais quelque chose ? »

A la tête que tirait Alexis, Erwin savait qu'il valait mieux ne pas s'éterniser. Il s'apprêtait à lui apprendre ce qu'il attendait d'elle quand la porte s'ouvrit en grand, dévoilant non seulement le fait qu'Alexis, qui venait de s'écraser contre son colocataire, était vêtue d'un simple t-shirt, mais également qu'elle n'était pas seule dans sa chambre. Erwin rit en entendant l'inconnue dire qu'il était sexy, ce qui avait l'air d'énerver Alexis.

"Je m’appelle Sera, au fait. Je suppose qu’Alexis t’as souvent parlé de moi…"

L'étudiant aurait bien voulu répondre que, malheureusement, Alexis ne lui avait pas parlé d'elle, non. En fait, Alexis ne lui parlait tout simplement pas, ce qui expliquait tout. Il se contenta de faire non de la tête avec un sourire presque désolé, mais la légende ne dit pas si Sera vit ce geste. La main d'Alexis plaquée sur son visage l'en aura sans doute empêchée... Après une dernière remontrance, l'étudiante sortit de sa chambre en jetant un oeil sévère vers son lit. Elle ne devait pas avoir envie que Sera sorte encore faire une remarque. Après s'être assurée qu'elle resterait bien sagement à l'intérieur, telle un pauvre animal captif, Alexis leva les yeux vers Erwin, l'air toujours dérangé par sa visite.

"Désolée pour le dérangement. Tu voulais quelque chose ?"

Erwin n'avait pas tout à fait écouté ce qu'elle avait dit.

"Elle est pas mal non plus, ta copine, dis."

Un raclement de gorge et un regard assassin accueillirent ces mots, rappelant au jeune homme pourquoi il était là. Il s'adossa contre le mur qui faisait face à la porte et mit les mains dans ses poches. Alexis avait croisé les bras, il ne manquait plus qu'elle tape du pied pour témoigner de son agacement. Erwin ne fit pas durer le suspense plus longtemps.

"Je passe le weekend à la mer avec des potes. J'aimerais que tu me rendes un service. Faudrait nourrir Bubulle pendant que je suis pas là."

N'attendant pas de réponse, il se redressa et tira d'une de ses poches une clé qu'il tendit à Alexis en souriant.

"La clé de ma chambre. Je peux pas bouger son aquarium dans le salon, il est trop lourd. Et je veux pas que ton chat le mange ! Sa nourriture est juste à côté de lui, tu peux pas la rater, y a un poisson gros comme ma main dessiné dessus."

Erwin s'était préparé à déballer une liste de consignes par pur principe, plus pour taquiner sa colocataire, qui savait très certainement comment nourrir un poisson, que pour réellement éviter tout problème superflu. Alexis saisit la clé, il remit ses mains dans ses poches et ne dit rien de plus. Puis une odeur vint se perdre sous son nez. Une odeur pas très agréable. Une odeur de brûlé. Merde ! Les pâtes ! Erwin comprit que son repas était dans la casserole depuis un peu trop longtemps. Il se tourna vers la cuisine pour y foncer. En partant, il lança quelques derniers mots vers la chambre d'Alexis.

"Merci ! Et content de t'avoir vue, Sera !"

Une voix venue de derrière la porte répondit à son cri par un :

"On se voit quand tu veux !"

Erwin eut tout juste le temps d'entendre une protestation d'Alexis avant de foncer récupérer les pâtes collées dans le fond de sa casseroles. Après avoir décroché cet amas d'amidon fondu, il sortit de l'appartement. Finalement, il mangerait en ville.

Comme à son habitude, Erwin était parti dans un monologue dont lui seul avait le secret – en commençant par complimenter Sera. Alexis lui lança un regard assassin. Pas les colocs ! Si on commençait à tous coucher ensemble dans un même appartement, c’était la porte ouverte à toutes les fenêtres. Rien qu’à cette idée, Alexis avait la nausée. N’importe quoi.

Finalement, Erwin lui avoua qu’il avait besoin qu’elle s’occupe de Bubulle. À vrai dire, Alexis aurait dit oui à tout pour qu’il s’en aille et la laisse tranquille. Il aurait pu même lui demander de travailler sur sa thèse à sa place qu’elle aurait dit ok sans demander d’explication. Ce fut donc sans beaucoup plus de cérémonies qu’elle prit les clés et Erwin s’en alla en courant. Voilà une bonne chose de faite !

Alors que son colocataire était enfin partie, Alexis se disait qu’elle pourrait passer un bon moment avec Sera. Malheureusement cette dernière passa les heures d’après à lui poser des questions sur Erwin, sur ses études, sur ses goûts. Ce fut donc plutôt agacée qu’Alexis se retrouva seule à l’appartement. Pas les colocs.

Dimanche 16 mai

Alexis s’était bien occupé de Bubulle tout le weekend. À vrai dire, elle ne s’était rarement aussi bien occupée d’un animal de toute sa vie. Alexis avait passé son vendredi soir à se renseigner sur les meilleures façons de s’occuper d’un poisson rouge. Après ça, elle avait vérifié tous les niveaux, comparé la bouffe idéale avec celle choisie par Erwin et avait surveillé de près si tout ce qu’il faisait était normal. Elle était même aller lui acheter une nouvelle décoration d’aquarium pour qu’il se sente moins seul. Son rôle de poisson-sitter avait été parfaitement rempli !

Globalement, le weekend d’Alexis avait été plutôt plat. Les moments où elle s’occupait de Bubule avait été les plus funs. Le reste du temps, ça avait été révisions, révisions et révisions. Jusqu’à il y a quelques heures, au moment du repas, où elle avait reçu un appel qu’elle n’attendait pas. Plutôt secouée par cet événement, elle avait décidé de boire une bière. Puis deux. Puis trois. Finalement, elle avait arrêté de compter et elle s’était retrouvée une heure plus tard en train de danser sur la table basse, un t-shirt d’Erwin sur le dos et un short appartenant à une personne inconnue. Même son chat avait préféré voir ailleurs plutôt que de rester supporter la vision de sa maîtresse seule et saoule.

Dans des circonstances un peu floues, Alexis s’était retrouvée allongée dans le lit d’Erwin, en train de comater. Il y avait une playlist aléatoire qui beuglait dans toute la maison mais Alexis n’avait plus tellement la force de bouger. Une partie d’elle se contentait de secouer la tête en répétant des « Pathétique. » pendant que l’autre se disait « On se fait chier quand même, faudrait inviter quelqu’un. » Puis finalement, Alexis s’endormit jusqu’à ce que la musique se stoppe.

Erwin rentrait de son weekend. Il aurait aimé que la pause dans son étude dure un peu plus longtemps, mais il était déjà 21 heures, un dimanche, et les cours du lundi commençaient tôt. Dommage. Avec son sac sur le dos, l'étudiant se dirigeait en sifflotant vers son appart'. Lorsqu'il arriva devant la porte et fouilla ses poches pour trouver la clé de l'entrée, il se rendit compte que la porte n'était pas fermée. Et pas seulement "pas fermée à clé", mais bien "entrouverte". Le chat gris vint le prouver en se glissant dans l'ouverture. Pourquoi était-il dehors ?

Un frisson parcourut le dos d'Erwin. Et si quelqu'un était venu cambrioler l'appartement pendant son absence ? Leurs affaires ! Alexis ! Bubulle ! Erwin rentra et claqua la porte derrière lui. Il accourut dans le salon qu'il trouva dans un état lamentable. Tout ce qui se trouvait autrefois sur la table était à présent éparpillé un peu partout sur le sol, le fauteuil avait été déplacé -pas de beaucoup, mais quand même- et une tache de couleur étrange le décorait. Erwin passa à la cuisine. Quelqu'un avait visiblement commencé à préparer un repas qui n'avait jamais vu à quoi ressemblait l'assiette, des bouteilles vides trônaient à différents endroits de la pièce et de l'appartement tout entier, d'ailleurs. Le sol collait, comme si une ou plusieurs bières avaient été renversées et le sol pas nettoyé.

Un cambriolage, non. Une grosse ginze, oui. Mais avec qui ? Soit il n'y avait plus personne dans cet appart', soit les invités étaient bien cachés. Erwin se sentait dépassé par tout ça. Il ne comprenait pas trop. Il se dit qu'il verrait bien ça le lendemain, lorsqu'Alexis pointerait le bout de son nez. Il sentit quelque chose contre sa jambe et entendit le chat miauler. La petite bête était en train de se frotter au pantalon d'Erwin en faisant de petits allers-retours vers un bol vide. Sa gamelle. Alexis n'avait même pas nourri son chat ? L'étudiant trouva une boîte de pâtée dans une armoire, en versa la contenu dans la gamelle sur laquelle le chat se rua avec appétit, puis se rendit à sa chambre.

Dehors, il faisait encore clair, mais les rideaux de la chambre étaient tirés de manière hasardeuse. Probablement pour éviter à Bubulle de rôtir au soleil pendant la journée, se dit Erwin. Le jeune homme tâtonna donc à l'aveuglette dans la pénombre. Il lança son sac dans un coin de la pièce, enleva ses chaussures et se déshabilla pour se coucher. Ce n'est que lorsqu'il s'étala sur son matelas et que quelque chose entra en contact avec sa cuisse qu'il sursauta et ouvrit les rideaux d'un geste vif. Il retint un cri de surprise. Là, dans son lit, il y avait Alexis. Elle portait un t-shirt qu'Erwin reconnut comme étant le sien, avait les cheveux décoiffés et certainement bien emmêlés, semblait complètement lessivée.

"ALEXIS QU'EST-CE QUE TU FOUS LÀ ?"

Un grommellement répondit à Erwin. L'étudiant entreprit de soulever sa colocataire pour la déménager de son lit. Il ne parvint qu'à la redresser légèrement, elle était un vrai poids mort. Elle semblait toutefois se réveiller lentement, les paupières papillonnant comme au sortir d'un rêve. Alexis baragouina quelque chose de complètement incompréhensible, toujours à mi-chemin entre l'éveil et le sommeil. Erwin la lâcha, elle retomba sur le matelas dans un mouvement mou. Il alla chercher un verre d'eau dans la cuisine et revint pour le tendre à Alexis.

"Dis, t'es complètement pétée ?"

D'une main peu assurée, Alexis prit le verre d'eau et le regarda d'un air brumeux durant quelques secondes avant de comprendre qu'elle devait en boire le contenu. Erwin reprit le verre vide et le posa sur son bureau. Il revint près d'Alexis et s'assit à côté d'elle. Elle fixait toujours un point dans le vide, mais elle paraissait un peu plus réveillée.

"Tu m'expliques pourquoi c'est l'apocalypse dans l'appart' ? Puis aussi ce que tu fous dans mon lit avec mes fringues sur toi. J'suis sûr que t'as vomi dessus en plus."

Alexis fut tirée de son sommeil par Erwin qui venait de lui hurler dessus. Elle ouvrit péniblement les yeux, essayant de comprendre pourquoi il était dans sa chambre en train de crier et de gesticuler dans tous les sens. La bouche d’Alexis était sèche, si sèche, qu’elle ne réussit à qu’à lui répondre un petit grognement. Normalement, elle l’eût aurait gentiment demander de dégager de sa chambre, mais sa tête tournait tellement qu’Erwin ressemblait plus à un sauveteur qu’à un réel danger. Les mains de son colocataire se glissèrent autour d’elle pour tenter de la relever mais elle ne put que se redresser. Pourquoi il était dans sa chambre ? Elle tourna la tête à gauche et aperçut Bubulle qui la fixait. Puis elle rappela qu’elle était très probablement dans la chambre d’Erwin. Ce qui expliquait sa présence plutôt incongrue.

« Faut pas crier devant Bubulle, il aime pas. »

En entendant sa propre voix, Alexis fut plutôt surprise de ne pas comprendre ce qu’elle-même disait. Elle ne savait pas trop si elle avait envie de pleurer ou de rire à ce moment, mais il était certain qu’Erwin n’avait rien compris. Elle tenta d’humidifier sa bouche, mais celle-ci semblait destinée à rester aussi sèche qu’une pierre volcanique. Abandonnant tout espoir, Erwin la relâcha et Alexis s’écrasa mollement de nouveau sur le matelas. L’envie de dormir était si forte qu’elle était vraiment tentée de replonger dans les bras de Morphée. Mais Bubulle la fixait et ça devenait compliqué. Alexis enfonça sa tête dans l’oreiller. Une odeur étrange vint lui chatouiller les narines et Alexis se surprit à s’en délecter.

Erwin revint à ce moment-là, ce qui arracha Alexis à sa contemplation olfactive. Elle se retourna et tenta de se redresser un minimum. Erwin lui avait apporté un verre d’eau. Avait-il toujours été si gentil ou alors il le faisait juste parce qu’il voulait qu’elle se barre de sa chambre ? Le regard brumeux, Alexis se saisit du verre d’eau et but quelques gorgées. Un silence long s’installa entre les deux colocataires pendant qu’Alexis essayait de retrouver un semblant de dignité. Elle était où déjà ?

Assis à côté d’elle, Erwin semblait attendre quelque chose. Mais Alexis était concentrée sur ce verre d’eau, fixant un point invisible. Elle essaya de se rappeler de ce qui l’avait poussé à finir ici mais elle n’entrevit que des brides d’informations. Elle glissa ses pieds par terre, se maintenant en position assise à côté d’Erwin. Il prit sûrement ce mouvement comme une invitation à parler car il enchaîna directement après ça. Tu m’expliques pourquoi c’est l’apocalypse dans l’appart ? Puis aussi, ce que tu fous dans mon lit avec mes fringues sur toi. J’suis sûr que t’as vomi dessus, en plus.

Alexis baissa les yeux sur elle pour remarquer un joli t-shirt. Un sourire amusé se dessina sur ses lèvres. Il était marrant ce t-shirt. Elle comprenait pourquoi elle l’avait piquée. Puis, elle releva les yeux vers Erwin qui continuait de la fixer comme si elle était tarée – ce qu’elle était, pour cause. D’une main tremblante, Alexis posa le verre sur la table de nuit.

« J’ai pas vomi dessus. »

Enfin, sûrement. Alexis tenta de se lever pour partir, mais elle faillit tomber. C’est Erwin qui la retint par la taille pour la faire se rassoir. Elle le jaugea alors de la tête aux pieds, puis un sourire amusé se dessina sur ses lèvres.

« Héééé, Sera avait raison, t’es sexy en fait. »

Alexis gloussa à cette phrase. Puis elle reprit son sérieux, consciente qu’un mal de tête atroce allait poindre à tout moment. Elle plissa les yeux et reporta son regard devant elle.

« Désolée pour le bordel, j’ai pas fait exprès. Tu sais comment c’est. Tu passes ta vie à essayer de faire des trucs biens puis en fait ton père t’appelle juste pour te rappeler à quel point t’es un échec, que ta sœur est mieux, que tu ferais mieux de te trouver un mari plutôt que d’étudier les cailloux. La routine quoi. Peu importe ce que tu fais, ton père ne sera jamais satisfait. Ni Sera, ni Cal ne seraient assez bien pour lui. »

Alexis eut un hoquet à ce moment. Peut-être allait-elle vomir ? Le silence s’installa pendant quelques secondes. Nope, c’est tout bon, pas de vomi en perspective. Alexis tourna la tête vers Erwin.

« Est-ce que t’es riche ? J’suis sûre que mon père serait hyper ravi que je sorte avec toi. Tout à fait son type. Étudiant, riche, bg, extraverti. Ahahaha. Tu veux pas sortir avec moi ? »