Le comportement d’Erwin était de plus en plus étrange. Rien ne semblait avoir d’importance autour de lui, comme si avoir le cul par terre était le cadet de ses soucis. Alexis croisa les bras sur sa poitrine, bien décidée à ne pas l’aider à se relever. S’il était si crevé que ça, il n’avait qu’à dormir sur le sol. Au bout d’un moment, Erwin leva les yeux dans sa direction. Il semblait complètement terrorisé. Alexis fronça les sourcils, légèrement inquiète par la tournure des événements. Erwin baissa le regard pour fixer ses pieds et Alexis en profita pour regarder derrière elle. Il n’y avait aucun danger immédiat alors elle reporta son attention sur le fils de Poséidon.

J’aurais dû rester chez nous, être là pour protéger ma sœur… Alexis fronça les sourcils. Une partie d’elle-même avait envie de s’accroupir face à lui pour comprendre ce qu’il se passait. Une autre partie d’elle-même était en train de se dire qu’elle n’avait rien à faire dans cette histoire et que oui, c’était pas avec un niveau pareil d’entraînement qu’il pourrait protéger qui que ce soit. Néanmoins, Alexis garda le silence et ne fit parler aucune de ces deux parties d’elle-même.

Finalement, Erwin se releva, frottant ses mains contre son t-shirt. Jamais Alexis ne l’avait vu avoir un comportement pareil. Il était complètement livide, semblait désorienté, le regard fuyant. Elle pouvait même voir que ses mains tremblaient légèrement. Alexis fronça légèrement les sourcils devant ce spectacle. Devait-elle faire quelque chose ? Dire quelque chose ? La fille d’Arès se mordit la langue. Elle n’était pas douée avec ses propres émotions, alors celles des autres…

Désolé. Pas ouf. J’espère que t’as apprécié cette technique que j’ai appelée ‘le retour du monstre’. Chacun son truc, on dirait. Pour toi, c’est l’eau. Pour moi… Ce sera peut-être l’herbe. Cette phrase acheva Alexis dont la frustration s’envola immédiatement. Ses épaules se relâchèrent, sa mâchoire se décrispa, ses bras tombèrent le long de son corps. Elle ne savait toujours pas quoi faire ou dire, mais elle n’avait plus cette petite voix qui lui murmurait de partir sur le champ. Erwin avait été là quand elle avait fait une crise de panique dans les thermes. Il avait respecté les limites qu’elle lui avait imposé et avait fait de son mieux pour la réconforter sans dépasser les bornes. Il s’était adapté. Alors peut-être que ce serait à elle de le faire.

Alexis tendit une main timide vers Erwin et lui prit la sienne. Elle fixa ses propres pieds pendant une demi-seconde puis prit une grande inspiration avant de planter son regard dans celui d’Erwin. Elle avait l’impression de rougir légèrement mais ce n’était pas le centre du problème.

« Quelqu’un m’a dit un jour que les peurs ne sont pas stupides. Et je crois qu’il avait raison. Tu n’as pas à t’excuser de ressentir des choses. »

Alexis avait l’impression de ne faire aucun sens. Elle avait une voix assurée alors qu’elle ne l’était pas du tout. Elle se mordit la lèvre pendant une seconde. Elle n’avait rien à rajouter. Alors elle fit quelque chose qu’elle supposa être le truc d’Erwin. D’un mouvement sec, elle l’attira contre lui et, se relevant légèrement sur la pointe des pieds, elle enroula ses bras autour de sa nuque. De cette façon, avec Erwin forcé de se baisser légèrement, elle lui murmura :

« Je connais Aqua, il ne lui arrivera rien. »

Dans ces moments-là, Alexis avait lu, quand une personne a besoin d’une étreinte, il faut attendre que ce soit lui qui rompe le contact. Alors Alexis resta dans cette position aussi longtemps qu’Erwin en aurait besoin.

Erwin frissonna de surprise quand la main d'Alexis toucha la sienne. Ses doigts se refermèrent sur les siens comme s'ils en avaient l'habitude. Il ne serrait pas trop fort. Juste assez pour sentir ce contact rassurant, cette douceur qui remettait des couleurs dans ses pensées. Le demi-dieu regardait toujours le sol, mais il n'y voyait plus la marre de sang qui rougissait l'herbe un instant plus tôt. Ce n'était que de l'herbe, verte, fraîche, dansant au gré du vent. Erwin leva les yeux et Alexis fit de même exactement à cet instant. Leurs regards se croisèrent et ne se détachèrent pas. Alexis prit une voix douce et réconfortante.

"Quelqu'un m'a dit un jour que les peurs ne sont pas stupides. Et je crois qu'il avait raison. Tu n'as pas à t'excuser de ressentir des choses."

Erwin sourit.

"J'aimerais beaucoup rencontrer ce ''quelqu'un', il a l'air plutôt intelligent."

L'humour perçant la voix du fils de Poseidon s'évanouit avec ses mot lorsqu'Alexis enroula ses bras autour de son cou. Erwin resta paralysé par ce geste inattendu. Il était conscient de ce qu'un tel rapprochement devait être pour la fille d'Arès. Durant tout l'entraînement, il l'avait vue comme une guerrière puissante, sage, noble. A présent, il la voyait comme une jeune femme plus petite que lui, plus fragile que lui, plus douce que lui... Etait-ce possible qu'il n'y ait qu'une seule Alexis ?

La tête baissée vers elle, Erwin aurait pu sentir sa peau. Ses lèvres touchaient presque son front. Mais il resta là, sans bouger. Il aurait aimé serrer Alexis tout contre lui, plus fort qu'elle ne le faisait, mais ce contact suffisait certainement à la Grecque. Il se contenta de garder les bras le long du corps pour ne pas s'ajouter à son supplice et profita de tout ce qu'elle lui offrait.

"Je connais Aqua, il ne lui arrivera rien."

Ces mots firent l'effet d'un baume sur le coeur d'Erwin. Ils étaient le pansement couvrant tout ce qu'Alexis avait déjà appliqué sur ses plaies. C'était tout ce que le demi-dieu avait besoin d'entendre, et c'était la personne dont il avait besoin qui le lui avait dit. Discrètement, le fils de Poseidon enfoui le bas de son visage dans les cheveux d'Alexis. Les deux Grecs restèrent sans bouger durant un court moment qui parut pourtant infini à Erwin.

Finalement, Erwin leva la tête, pausa doucement ses mains sur la taille d'Alexis. Celle-ci sembla sursauter ou frissonner, le demi-dieu ne savait pas trop bien. Elle avait peut-être peur d'une distance en moins. Mais Erwin ne fit que l'éloigner de lui doucement, la laissant défaire son étreinte d'elle-même. Il la regarda en souriant.

"Merci."

Pour faire de l'air à la fille d'Arès qui se remettait sans doute d'une épreuve intense, le demi-dieu recula encore de deux pas. Il y eut un silence. Puis Erwin, qui avait retrouvé des pensées normales, fit signe à Alexis qu'ils pouvaient peut-être quitter le terrain d'entraînement.

"C'est tout pour aujourd'hui, je crois. Et si on allait au mess, chef ? Je crois me souvenir que ton estomac fait autant de bruit qu'un volcan quand il est vide. Mieux vaut te donner à manger avant que les Romains aient peur de tes grondements !"

Le demi-dieu n'attendit pas de réponse. Il tourna le dos à son amie et fit quelques pas en direction de la terre battue. Il n'allait pas trop vite, certain qu'Alexis le rattraperait bien vite pour se remettre de cette séance intense devant un bon repas bien mérité.

Erwin aurait pu réagir à cette étreinte en la lui rendant, en la serrant contre elle, en l’étouffant dans son affection. À la place, il resta assez stoïque. Le seul indice donné par son corps indiquant qu’il appréciait un minimum ce qu’il se passait venait sa tête, qu’il blottissait contre les cheveux d’Alexis. Ce n’était pas grand-chose, juste un simple mouvement. Alors pourquoi plus les secondes passaient, plus le cœur d’Alexis s’emballait ? Elle avait presque l’impression d’être plus essoufflée maintenant que durant tout l’entraînement qui venait de se dérouler. Alors elle ferma les yeux, espérant qu’elle pourrait apaiser son corps qui réagissait de façon beaucoup trop surprenante.

L’étreinte sembla durer une éternité. Durant ce moment, Alexis avait l’impression qu’il n’existait rien d’autre qu’Erwin. Elle pouvait sentir son odeur, elle pouvait sentir sa peau qui effleurait ses doigts. Elle pouvait aussi sentir son cœur. Ou alors était-ce le sien ? La respiration d’Erwin avait quelque chose d’apaisant, comme s’il était en complètement maîtrise de son corps. Pendant ce temps, Alexis avait l’impression de ne plus du tout contrôler le sien. Son cœur menaçait de s’arracher de sa poitrine, son estomac se tordait dans tous les sens, sa respiration était irrégulière et ses mains devenaient si moites qu’elle avait l’impression que toute sa transpiration s’était réunie ici.

Alexis avait déjà fait des câlins à d’autres personnes. Ses mères, dans un premier temps. Puis Elliot, aussi. Cal, une fois ou deux quand ça n’allait pas. Alexis ne rebutait pas complètement le contact humain, elle aimait juste être en contrôle concernant son arrivée, sa durée et sa fin. Elle n’aimait pas se faire surprendre par celui-ci. Elle n’aimait pas sentir sa peau toucher quelqu’un d’autre sans son accord. Mais quand elle pouvait choisir quand, comment et avec qui, il n’y avait aucun problème. À cet instant précis, elle avait absolument le contrôle de tout. Elle avait choisi de le faire. Alors pourquoi tout semblait si différent ?

Finalement, Erwin glissa ses mains contre la taille d’Alexis. Un sursaut parcourut le corps de la jeune fille qui ne s’y attendait pas. Il releva la tête et la fille d’Arès prit cet indice comme sonnant la fin de l’étreinte. Alors, sans demander son reste, elle recula. Un merci acheva de la ramener sur la terre ferme. Elle se rappela donc où elle se trouvait, quelle heure il était, qui elle était. Elle croisa le regard d’Erwin, si sincère. Puis elle vit son sourire, si pur. Il y avait tant d’émotions qui la submergeaient qu’Alexis avait presque envie de vomir.

Après un moment, Erwin indiqua qu’il était sûrement l’heure d’aller manger, l’air de rien. Il précisa même que quand elle avait faim, Alexis avait un estomac qui fait autant de bruit qu’un volcan quand il criait famine. La fille d’Arès sentit le rouge lui venir piquer les joues. Comment Erwin pouvait-il agir comme si de rien n’était alors qu’Alexis avait l’impression que son monde entier venait de se faire bousculer ? Mieux vaut te donner à manger avant que les romains aient peur de tes grondements ! Alexis sourit mollement à cette blague juste avant que le fils de Poséidon ne tourne les talons. Dos à elle, il ne pouvait pas la voir porter une main sur son cœur. Calme-toi, murmurait-elle discrètement. Elle prit une grande inspiration et suivit Erwin. Peut-être qu’elle avait juste faim ?