Alexis avait beaucoup trop dormi cette nuit. En ouvrant les yeux, Alexis fut complètement aveuglée par le soleil qui était bien trop haut dans le ciel. D’un bond, la jeune fille se releva. Quelle heure était-il ? Dix heures. Alexis se laissa retomber en arrière. Elle avait définitivement eu besoin de ces heures de sommeil, mais peut-être qu’elle aurait pu répartir mieux ça ? Enfin bon, le mal est fait et le latin avait été séché. Tant pis. Ce n’est pas Alexis qui allait regretter l’absence de latin, c’était pour sûr.

Au bout de cinq minutes, Alexis se décida enfin à regarder son planning. Le reste de la matinée était libre avec entraînement fortement conseillé. Encore une parfaite excuse pour aller sur le terrain d’entraînement au lieu de se prélasser seule avec elle-même. Après s’être étirée, la fille d’Arès avait enfilé des vêtements propres, son plastron et s’en alla presque gaiement en direction du Champs de Mars.

Une fois sur place, Alexis perdit son regard sur la foule déjà présente. Il y avait peu de combattants sur place. La plupart était déjà en paire pour s’entraîner et Alexis désola son réveil tardif. La fille d’Arès n’osait pas aller vers les groupes déjà établis, de peur de s’imposer. Au lieu de ça, elle resta sur place, se balançant d’un pied à l’autre.

Finalement, alors qu’elle songeait à juste partir s’entraîner seule, une main se posa sur son épaule. Un frisson de peur la saisit et un cri s’échappa de sa bouche. Alexis se retourna alors vivement et, par réflexe, attrapa le bras de l’inconnu pour le faire tomber par terre. Ce fut seulement à ce moment, quand elle fut à moitié à cheval sur lui, son bras tordu dans un angle étrange, qu’elle remarqua que c’était Erwin. Elle le relâcha aussitôt et se releva.

« Désolée, j’ai paniqué, s’empressa-t-elle de dire. Puis elle ajouta, un sourire narquois sur les lèvres : Pour ma gouverne, on évite de prendre les gens par surprise lors d’entraînements. »

Alexis fixa Erwin et lui tendit une main polie pour l’aider à se relever. Elle avait l’impression d’oublier un truc, mais elle n’arrivait pas à mettre le doigt dessus…

La nuit avait été agréable, probablement la meilleure depuis l'arrivée des Grecs au camp Jupiter. Erwin n'avait même pas eu de mal à se réveiller, son sommeil avait profité d'un cycle complet, totalement achevé. Que demander de plus ? Tout était parfait en ces premières minutes de la journée. Tout jusqu'à ce que le regard du demi-dieu se pose sur la feuille négligemment posée sur sa table de nuit. Le fameux planning. Le fils de Poseidon n'avait pas encore réussi à apprécier ce programme à sa juste valeur. Un peu de droiture ne lui faisait pas de mal, mais il aurait préféré vivre ce changement plus en douceur. En débarquant chez les Romains, il avait sauté quatre ou cinq étapes...

L'amertume du début était passée. Même si le premier coup d'oeil sur son planning du jour ne réjouissait jamais Erwin, il s'y habituait peu à peu et prenait goût aux activités organisées. Sauf aux cours de latin. S'il pouvait les éviter, le demi-dieu ne s'en privait pas. Mais ce n'était qu'une petite ombre au tableau, le reste lui plaisait de plus en plus. Ce matin-là, le fils de Poseidon avait d'ailleurs une motivation supplémentaire pour se rendre sur le terrain d'entraînement. Il était arrivé à l'heure, ce qui n'était pas toujours le cas, et il avait commencé à s'échauffer dans un coin, à l'écart des autres. Hors de question de se mêler trop vite aux combattants. Il n'avait pas encore le même rythme, il avait besoin de temps pour son échauffement.

Erwin aurait pu s'inquiéter de ne pas voir Alexis tout de suite s'il n'avait pas été plongé avec autant d'intérêt dans sa séance de préparation. Elle n'était pas encore là. Peut-être qu'elle avait autre chose à faire. Ou, plus inquiétant, peut-être qu'elle avait décidé de ne pas venir du tout. Peut-être qu'elle se rappelait encore l'incident de la veille, cette vague qui lui déferlait dessus, et qu'elle avait préféré ne plus s'approcher du demi-dieu. Cette idée aurait suffi pour qu'Erwin se décompose et perde toute sa motivation et sa bonne humeur. Heureusement, il aperçu Alexis à l'écart de la foule avant que de pareilles pensées ne lui traversent l'esprit. Il s'approcha d'elle, souriant, pour aller la saluer.

Lorsqu'il posa sa main sur l'épaule d'Alexis, le sourire du fils de Poseidon s'effaça instantanément. Pourquoi le sol se rapprochait-il aussi vite ? Qu'est-ce que... Son nez s'écrasa au sol. Une douleur inattendue s'élança dans son bras. Les salutations avaient été plus mouvementées que prévues. Est-ce qu'Alexis avait décidé de le tuer par surprise pour se venger du tsunami qu'elle avait subi ? Erwin releva péniblement la tête et se tourna vers la fille d'Arès. Elle était juchée sur lui comme un chasseur l'aurait été sur la dépouille de sa proie.

"Bonjour Alexis. Content de te voir, moi aussi."

Un grommellement, rien de bien distinct. Avec de la terre battue au coin de la bouche, difficile de parler avec une diction parfaite. Alexis relâcha sa prise, Erwin saisit la main qu'elle lui tendait et se releva péniblement. Cette matinée commençait rudement, au final. La fille d'Arès sembla déboussolée puis parut se donner une contenance.

"Désolée, j’ai paniqué. Pour ma gouverne, on évite de prendre les gens par surprise lors d’entraînements."

Erwin, en train de frotter son nez endolori, les yeux piquants, fixa la Grecque et haussa les sourcils. Elle ne manquait pas d'air, quand elle voulait ! Ce petit sourire... Le demi-dieu ne savait pas dire si c'était de la moquerie, de la provocation ou... autre chose. Dans le doute, il ne montra rien de la douleur qu'il ressentait toujours au niveau du bras, bien que plus ténue. Elle passerait vite, mais n'en était pas moins gênante.

"Eh ben ! Heureusement que je t'ai pas attrapée dans mes bras, je serais enterré à 10 mètres sous terre à l'heure actuelle. Dis-moi, Boule de nerfs, on a le droit de s'échauffer avant de se lancer dans l'entraînement ? Tu pourras pas me faire croire que c'est déjà fait : je t'ai vue, tu viens d'arriver. "

Pour ponctuer ses propos, Erwin reprit ses exercices en prenant un peu de distance par rapport à Alexis. Il ne savait pas comment elle s'y prenait pour préparer ses muscles au combat, mais si elle prenait ça autant à coeur qu'un simple bonjour, le demi-dieu préférait ne pas être le premier être vivant à sa portée...

Eh bien, heureusement que je t’ai pas attrapée dans les bras, commença Erwin, tout en se frottant le nez. Alexis arqua un sourcil de surprise. Dans quel monde l’aurait-elle seulement laissé faire ça ? Aucun, évidement. Pour bien montrer le ridicule de sa proposition, elle roula même des yeux de façon dramatique. Dis-moi, boule de nerfs, on a le droit de s’échauffer avant de se lancer dans l’entraînement ? Erwin disait ça comme s’ils avaient prévu de s’entraîner ensemble, ce qui fit froncer les sourcils d’Alexis. Depuis quand ils s’entraînaient ensemble ? Alexis ne l’avait jamais vu sur le terrain d’entraînement.

Alors qu’il s’éloignait d’elle pour faire des étirements, Alexis le dévisagea. Puis elle secoua la tête. Pour finalement continuer de fixer Erwin qui s’échauffait. Nope, elle ne rêvait pas. C’était bien son Erwin devant elle. Enfin « son », façon de parler. C’était le Erwin qu’elle connaissait, en tout cas. De là à en faire un objet de son appartenance, on allait un peu loin. Perdue dans ses pensées douteuses, Alexis secoua de nouveau la tête. Très bien, elle avait donc un partenaire de combat… Alexis détourna enfin son regard d’Erwin pour faire quelques étirements.

Au bout de quelques minutes dans un silence complètement religieux, Alexis tourna de nouveau la tête vers Erwin en ouvrant la bouche. Elle avait besoin de mettre les choses au clair. « T’es sûr que tu veux t’entraîner avec moi ? Tu veux faire quoi comme entraînement ? » furent les premières questions qui lui brûlaient la langue quand elle fut soudainement frappée par sa propre mémoire. Tout lui revint d’un coup en mémoire. Les bains. La demande de s’entraîner au corps à corps. Le petit jeu dans l’eau. Alexis détourna vivement la tête d’Erwin, complètement rouge.

Inspiration, expiration. Comment avait-elle pu oublier ça ? Alexis secoua la tête, encore une fois. Elle allait vraiment finir par se faire mal à force de faire ça. Mais ce n’était pas le problème. Le problème était qu’elle n’avait pas du tout prévu de faire quoique ce soit comme corps-à-corps avec Erwin. Que ce soit sur ce terrain ou ailleurs. Inspiration, expiration. Enfin bon, maintenant qu’elle était là… Non, c’était gênant. Tout était gênant. Non, il n’y avait rien de gênant. Si, c’était gênant. Alexis hocha la tête vers la petite voix qui lui murmurait d’annuler. La fuite était toujours la solution de facilité, mais quelle solution fiable !

Alexis arrêta de s’échauffer et s’approcha d’Erwin. Elle planta son regard dans le sien, ouvrit la bouche pour parler et … :

« Très bien, tu veux commencer par quoi ? »

Alexis ferma les yeux juste une micro-seconde. Pourquoi venait-elle de dire ça ? Elle était partie pour annuler. Pour fuir. Comme elle le faisait toujours. Partir loin. Vivre dans le regret et l’amertume de soi. Et pourtant, quand elle rouvrit ses yeux, elle pouvait voir Erwin. Et son sourire. Et sa tête d’enfant trop content de se faire botter le cul. Et c’était peut-être pour ça qu’elle avait dit oui. Ça allait être longue, très longue séance d’entraînement. Mais il était maintenant trop tard pour reculer.

« Quels sont tes objectifs personnels ? Il est évident que tu ne vas pas faire du 1v1 contre un monstre. Généralement, c’est à éviter. Tout ce qui est poison, force surhumaine, tout ça. Jamais une grande stratégie. »

Alexis avait quitté son rôle d’adolescente fuyarde pour revêtir celui de prof. C’était toujours plus facile de se cacher derrière un masque et celui-là lui allait comme une seconde peau.

Alexis approcha d'Erwin avec un air nouveau. Un air plus fermé, mais pas de la même manière que d'habitude. Un air plus important, qui en imposait un peu. La voix qui accompagna ce visage nouveau confirma l'impression que le demi-dieu ressentait : il allait découvrir l'Alexis-guerrière, celle pour qui le combat n'était pas qu'une histoire d'entretien des muscles mais bien une affaire sérieuse.

"Très bien, tu veux commencer par quoi ? Quels sont tes objectifs personnels ? Il est évident que tu ne vas pas faire du 1v1 contre un monstre. Généralement, c’est à éviter. Tout ce qui est poison, force surhumaine, tout ça. Jamais une grande stratégie. "

Erwin resta muet un instant. Il ne s'attendait pas à ce qu'Alexis lui demande ce qu'il voulait, il pensait qu'elle se lancerait dans le combat directement et qu'il s'adapterait, qu'elle l'aiderait à s'améliorer en fonction des défauts qu'elle repérait durant l'action... Il dut réfléchir un peu. Il ne s'était jamais posé ces questions. Qu'est-ce qu'il voulait apprendre ? Qu'est-ce qu'il attendait ? Pas de combat contre un monstre, ça non, il le savait bien. Tout ce qui avait suivi "objectifs personnels" dans le discours de la fille d'Arès lui semblait bien inutile. Il avait beau ne pas être un grand guerrier, il possédait tout de même une cervelle et savait s'en servir un minimum. Il n'était pas assez fou pour se jeter sur la première lame empoisonnée se présentant à lui ni pour se battre au corps à corps avec un être dix fois plus musclé que lui.

Après un court moment de réflexion, Erwin se rappela qu'Alexis possédait aussi une dague comme arme. C'était déjà une bonne chose, les combats contre des longues lames paraissaient un peu inégaux au demi-dieu. Il se souvint également qu'il avait dit la veille à la fille d'Arès qu'il maîtrisait relativement bien le lancer de dague. Inutile donc de lui demander ce type d'entraînement. Premièrement parce que ça n'en valait pas la peine, deuxièmement parce qu'il aurait l'air complètement idiot de demander à s'améliorer dans la seule discipline qui ne lui posait pas trop de problèmes. Les possibilités n'étaient pas bien nombreuses, une fois qu'on éliminait le lancer.

"Eh ben, j'imaginais quelque chose comme un combat rapproché ? J'ai pas souvent eu l'occasion de m'entraîner contre d'autres détenteurs de dague, je me retrouve toujours contre des armes plus grandes et du coup j'ai aucune idée de quoi faire avec ça quand je me retrouve proche d'un adversaire."

Le fils de Poseidon prononça ces mots d'un air un peu hésitant. Est-ce qu'il n'allait pas paraître complètement idiot devant Alexis en lui affichant ce manque d'expérience ? Lui, le vieux de la colonie, qui ne savait pas comment se débrouiller en combat rapproché... D'une main, il se gratta la nuque, de l'autre, il sortit un crayon de sa poche et joua avec entre ses doigts. Sous cet aspect, l'arme ne payait pas de mine, mais Erwin pouvait l'emporter partout et l'utiliser pour gratter le papier.

"Ou alors on se fait une course de chars. Parce qu'y a des chevaux et que c'est sympa, puis aussi parce que je me retrouverai normalement pas par terre une deuxième fois. Mais ça m'aidera pas énormément avec mon crayon."

Erwin se perdit quelques instants dans sa propre réflexion, ce qui força Alexis à faire de même. Elle passa en revue les différents choix qui s’imposaient à elle durant cette séance. Il était évident qu’Erwin allait sûrement vouloir apprendre à utiliser davantage sa dague, ce qui permettait de maintenir une certaine distance entre eux, même minime. Néanmoins, il fallait d’abord apprendre à gérer son corps avant d’y ajouter une arme, surtout dans le cas d’une dague. Alexis fronça légèrement les sourcils : devait-elle être une mauvaise ou une bonne prof ? Elle secoua la tête. Ce qu’il s’était passé la veille appartenait à la veille. Erwin avait une attitude tout à fait normale avec elle, comme s’il n’y avait jamais rien eu de bizarre entre eux, alors Alexis décida de se calquer sur lui.

Finalement, Erwin se tira de ses pensées et Alexis se concentra sur le présent au lieu de se perdre dans le passé. La fille d’Arès l’écouta donc patiemment, attendant qu’il finisse d’exprimer ce qu’il lui passait par la tête. Il semblait assez hésitant, comme s’il ne savait pas trop de quoi il parlait. Comme pour justifier cette attitude, il leva le bras pour se gratter l’arrière de la nuque. Alexis suivit des yeux le mouvement sans dire mot. Erwin sortit, de l’autre main, un crayon de sa poche. Le regard de la fille d’Arès glissa donc vers l’objet qu’elle se rappelait être la dague d’Erwin.

Ou alors on se fait une course de chars, enchaîna le fils de Poséidon. Alexis ne put s’empêcher de laisser un sourire se dessiner sur son visage. Mais ça m’aidera pas forcément avec mon crayon, conclut-il. Erwin était définitivement mal à l’aise et le sourire d’Alexis changea d’aspect pour être un peu plus moqueur.

« Je rêve ou tu es… nerveux ? »

Elle pouffa légèrement de rire puis s’approcha d’Erwin. Sans vraiment réfléchir, elle posa sa main sur celle d’Erwin, celle qui tenait le crayon, et l’abaissa. Elle reprit un air plus sérieux :

« On va pas sortir la lame tout de suite s’il faut apprendre les bases d’un combat rapproché. Ce serait dommage de se blesser dès le premier jour. »

Elle lâcha la main d’Erwin pour qu’il range son arme puis s’attacha les cheveux en une queue de cheval haute. Elle se râcla alors la gorge et commença les cent pas. Elle avait certes dit oui à Erwin pour l’entraîner, mais elle avait oublié entre-temps et n’avait donc aucun programme de prévu. Elle se mit donc à marmonner dans sa barbe, en train d’établir sa stratégie face à l’élève – très mauvaise technique d’enseignement. Au bout de quelques minutes, elle revint face à Erwin.

« Un combat rapproché, encore plus que les autres, n’est pas un concours d’endurance mais de rapidité. Tu dois en finir le plus vite possible pour être le moins blessé possible. C’est dans ces cas-là que ta dague va te servir, entre-autre. Mais avant d’en arriver là, tu dois réussir à bloquer ton adversaire, donc on va donc se concentrer là-dessus pour l’instant. »

Alexis s’approcha d’Erwin une nouvelle fois, le visage neutre, le regard vissé dans le sien, puis lui mit un coup rapide mais léger dans les jambes ce qui le déséquilibra. Elle l’empêcha de tomber au dernier moment en le retenant par le t-shirt juste assez longtemps pour qu’il retrouve son équilibre.

« Surprendre l’ennemi fonctionne. Regarder ses points faibles. Les jambes par exemple. Regarde ton environnement. Une racine qui dépasse. Un trottoir. Un caillou. Pour avoir le dessus sur quelqu’un, sois le maitre de ton espace. Le déséquilibrer sera toujours la meilleure solution. Foncer bêtement dans le tas ne fonctionnera pas : il y aura toujours quelqu’un qui a le crâne plus dur que toi. »

Alexis commença à tourner autour d’Erwin, l’observa de la tête aux pieds.

« En même temps, protège les parties essentielles de ton corps et ne tourne jamais le dos à ton ennemi. Il ne doit pas atteindre tes côtes, ni ton visage. Sois solide sur tes appuis, si jamais il veut te déséquilibrer. »

Alexis s’approcha d’Erwin et, après un regard entendu, déplaça ses bras pour qu’il soit en position de garde. Ses mains, ouvertes, étaient au niveau de son visage. Ses coudes protégeaient ses côtes. D’un geste rapide du pied, Alexis écarta un peu les plus jambes d’Erwin.

« Dans cette position, tu protèges ton visage et tes côtes. Tu maintiens aussi un centre d’équilibre plus solide, ce qui veut dire… »

Alexis, d’un geste rapide mais tout aussi doux que quelques instants auparavant, mit un coup dans les jambes d’Erwin qui ne bougea pas tellement. Alexis releva la tête pour afficher un sourire plus que satisfait :

« Je peux beaucoup plus difficilement te faire tomber. »

"Je rêve ou tu es… nerveux ?"

Erwin voulut protester devant cet air narquois. C'était de la provocation, il en était sûr. Sinon quoi d'autre ? Il lisait sur le visage d'Alexis que ça lui plaisait d'être dans cette position de force, d'inverser les rôles. La petite Grecque timide, recroquevillée dans sa coquille avait laissé place à la fille d'Arès, la vraie. On lisait dans ses yeux qu'elle avait en réalité déjà commencé l'entraînement. Le fils de Poseidon la voyait à cet instant comme une bête en alerte, un animal prêt à se jeter sur une proie. Quelque chose avait changé. Malgré cela, Erwin ne broncha pas lorsque la main d'Alexis se posa sur la sienne. Si elle avait été une vraie ennemie, elle aurait pu lui casser les doigts, lui couper la main, lui voler sa dague... Tout ce qu'elle voulait. Mais elle ne fit que baisser la lame. Le demi-dieu regretta presque que le contact cesse aussitôt.

"On va pas sortir la lame tout de suite s’il faut apprendre les bases d’un combat rapproché. Ce serait dommage de se blesser dès le premier jour."

Une nouvelle fois, Erwin se sentit un peu frustré. Il passait pour un enfant. Il savait manier son arme, il connaissait les bases pour s'en servir. Il souffla bruyamment et ravala sa fierté (en avait-il déjà eu devant Alexis, de toute façon ?). Après tout, c'était lui qui avait demandé à s'entraîner avec la fille d'Arès, c'était lui qui s'était dirigé vers elle pour commencer la leçon. Il n'avait plus qu'à assumer et faire confiance aux méthodes d'Alexis. De toute façon, si elle voyait qu'il ne s'en sortait pas trop mal, elle passerait certainement à l'étape suivante, elle n'allait pas perdre du temps pour rien. Pour l'avoir vu quelques rares fois à l'arène, Erwin savait que la Grecque était du genre efficace.

L'entraînement commença réellement. Alexis indiqua à Erwin comment se position pour être stable, comment se protéger un minimum, comment prendre le dessus en peu de temps et de mouvements. La légère frustration du début laissa place à une attention toute particulière chez le demi-dieu. La fille d'Arès ne se contentait pas de lui faire répéter des mouvements ou des positions, elle lui donnait aussi des conseils, elle expliquait chaque chose, elle montrait des exemples... Apprendre avec elle était plus intéressant et plus amusant que les autres entraînements auxquels Erwin avait assisté. Bien qu'il soit encore fort en-dessous du niveau d'Alexis et que ses démonstrations le surprenaient parfois, il buvait ses paroles et mettait toute son énergie à accomplir correctement les petits exercices qu'elle lui imposait.

Une bonne demi-heure passa, peut-être un peu plus. Erwin ne faisait plus attention au temps qui passait. Cet entraînement lui plaisait, il avait trouvé quelqu'un qui lui donnait envie de se dépasser et de progresser. Les exercices variaient, Alexis semblait voir en une seconde ce dont Erwin était capable et quelles étaient ses lacunes. Elle s'adaptait, tout en le poussant dans ses retranchements pour le forcer à surmonter ses difficultés. Elle lui enseigna si bien les choses durant ce début d'entraînement que les exercices de bases devinrent assez rapidement un combat plus sérieux. Les mouvements n'étaient plus détachés les uns des autres mais bien suivis, plus fluides, s'enchaînant comme des pas de danse.

Le fils de Poseidon n'avait plus combattu au corps à corps depuis un moment. Cependant, si la rapidité n'était pas son point fort, il pouvait compter sur sa force brute. Il s'attendait à ce qu'Alexis soit un poids plume comparée à lui. L'apparence de la fille d'Arès n'était pas des plus impressionnantes au premier abord. Pourtant, il découvrit vite que sous ces airs fragiles se cachaient des muscles puissants. Il avait toutefois su l'affronter à force égale et n'avait pas dû dépasser ses propres limites pour y parvenir. Il parvint à toucher Alexis à plusieurs reprises jusqu'à ce qu'elle lui attrape le poignet et le tire violemment vers le bas, le poussant ensuite vers l'avant. Le poids du fils de Poseidon l'entraîna naturellement vers le sol. Alexis se pencha vers lui et l'aida à se relever.

"Tu aurais pu éviter facilement de tomber. Regarde."

La fille d'Arès donna son poignet à Erwin pour pouvoir lui montrer la technique défensive à laquelle elle pensait. La première tentative ne fut pas concluante : le fils de Poseidon ne tenait pas son poignet suffisamment fort, ce qui lui faisait lâcher prise bien trop tôt. Il dut resserrer sa prise. Ce fut bien la seule fois où il entendit Alexis lui dire "Serre plus fort". Il avait presque peur de casser ce poignet d'apparence si fin. Il avait l'impression d'exercer une pression incroyable et Alexis semblait pourtant ne rien sentir. Elle lui montra enfin le mouvement qui pouvait libérer son poignet.

"En tournant mon bras comme ça... Tu vois, tu lâches prise automatiquement. Puis il me reste seulement à te repousser."

Une fraction de seconde, elle fut collée à lui, puis leurs corps s'éloignèrent subitement. Alexis avait poussé Erwin d'une pression des deux mains sur son torse. D'un signe de la tête, la fille d'Arès fit comprendre à son élève que c'était à son tour d'essayer. Il lui répondit d'un regard et elle saisit à nouveau son poignet. Le fils de Poseidon effectua l'enchaînement. Lorsqu'il poussa Alexis plus loin, il s'attendait à ce que l'enchaînement se répète encore une fois ou deux. Mais la guerrière lui fonça dessus avec un sourire mesquin et tenta de la faire tomber. L'attaque réussit, il tomba. Mais dans sa chute, il attrapa une grande mèche de cheveux. Le visage d'Alexis s'écrasa à terre à quelques centimètres du sien.

"Merde ! Alexis, ça va ? Je... J'ai attrapé la première chose qui me passait sous la main..."

La Grecque avait une main posée sur sa tête. Très peu de cheveux avaient été arrachés, certainement grâce à l'élastique qui les retenait en queue de cheval. Mais la traction n'était sans doute pas moins douloureuse pour autant. Erwin, gêné, proposa sa main à Alexis pour l'aider à se relever.

"Au moins, t'es pas chauve. Pas de soucis à se faire du côté de ta beauté, chef."

Il ponctua sa phrase d'un rire nerveux. Il avait pitié de lui-même.

L’entraînement dura beaucoup plus longtemps que prévu. À vrai dire, Alexis s’attendait à ce qu’Erwin finisse par en avoir marre et partir mais, à sa grande surprise, il semblait réellement apprécier l’échange qu’il avait avec elle. Alors Alexis se laissa complètement prendre au jeu et se laissa guider par ses instincts pour le reste du cours. Une fois les bases établies, Alexis commença à réellement apprécier ce moment avec Erwin. Elle était déterminée à lui forger un nouvel instinct qui lui permettrait de s’en sortir dans des situations plus difficiles. Et il semblait déterminé à ce qu’elle fasse ce qu’il veut de lui, l’écoutant comme s’il n’y avait qu’elle sur le terrain.

Alexis était habituée à entraîner des débutants, mais avec Erwin c’était assez différent. Déjà, il avançait très rapidement, ce qui prouvait qu’il n’avait juste jamais eu l’envie de pousser plus loin mais qu’il avait déjà travaillé avant. Ensuite, il était beaucoup plus fort et lourd que la plupart des enfants qui débutaient – ce qui était encore une fois plutôt logique. De plus, Alexis était très intéressée par ce nouveau gabarit qu’elle n’avait pas l’habitude d’affronter. Elle était évidement là pour l’aider à s’améliorer, mais elle ne se refusait pas quelques coups imprévisibles pour se forger elle-même.

Après plusieurs échanges plutôt basiques, Erwin avait commencé à prendre la confiance. Ses mouvements étaient beaucoup plus fluides, plus rapides. Toujours prévisibles du point de vue d’Alexis mais en net progrès pour n’importe qui d’autre. Petit à petit, Alexis n’avait plus l’impression d’entraîner un pensionnaire parmi tant d’autres, mais réellement Erwin. Malgré ce changement de perspective, Alexis fut assez satisfaite de voir que tout ce qu’il s’était passé la veille n’était plus que de l’histoire ancienne. Il n’y avait plus toute cette ambiguïté offerte par une pièce sombre, avec peu de vêtements et beaucoup de fatigue. Alexis voyait Erwin pour ce qu’il était réellement : un ami, tout simplement. Ou un camarade. Les détails seront à déterminer avec le temps.

La fille d’Arès décida d’apprendre une nouvelle technique de déséquilibre à Erwin après lui avoir fait une démonstration en force. Erwin fit face à quelques difficultés lors de cette nouvelle technique : il semblait toujours réticent à tenir correctement le poignet d’Alexis. Deux propositions s’offraient alors à Alexis : soit il comptait traiter avec énormément de respect le prochain monstre qui croisait sa route, soit il essayait d’être doux avec la fille qui venait de le pousser par terre. Dans tous les cas, c’était chelou et Alexis lui fit bien comprendre que s’il voulait y arriver, il fallait y mettre plus de force.

Finalement, après plusieurs essais peu fructueux, Erwin comprit enfin le concept même d’un entraînement physique et la démonstration put se faire sans problème. Enfin, sans problème à part le fait que pendant une fraction de seconde Alexis prit un plaisir étrange à sentir son corps aussi proche de celui d’Erwin. Sentiment qui disparut aussi rapidement qu’il était apparu une fois qu’Alexis éjecta Erwin loin d’elle. Comme quoi, rien ne vaut un coup pour effacer tous les maux. Le reste des essais se passèrent sans difficulté et, au bout d’un moment, Alexis jugea qu’Erwin était prêt à effectuer l’enchaînement réellement.

Alexis fit craquer ses doigts et, avec un sourire narquois sur le visage, s’approcha d’Erwin beaucoup plus rapidement qu’avant pour l’attaquer. Elle espérait que ses instincts affutés allaient le faire réagir de la bonne façon mais ce qui s’enchaîna prouva le contraire… plus ou moins. Erwin ne fit en aucun cas l’enchaînement travaillé et tomba lamentablement. Néanmoins, ses instincts lui firent tenter de se rattraper à quelque chose… ce quelque chose étant Alexis… encore une fois. Ce fut donc sans grande joie que la fille d’Arès mangea à son tour de la terre.

Alexis ne savait pas ce qui faisait le plus mal : ses cheveux arrachés par Erwin qui l’avait encore pris pour support antichute ou sa fierté perdue lors de cet échange ? Se redressant sur les coudes, Alexis se caressa le côté du crâne, là où avaient été tragiquement arrachés quelques cheveux qui n’avaient rien demandé à personne. Merde ! Alexis, ça va ? Je… J’ai attrapé la première chose qui me passait sous la main s’exclamait Erwin qui s’était redressé dans la précipitation. Alexis changea de position et s’assit, caressant mollement son crâne. C’était définitivement sa fierté qui avait le plus mal.

Au moins t’es pas chauve. Pas de soucis à se faire du côté de ta beauté, chef. Alexis secoua la tête. Venait-il de dire qu’elle était belle ? Ok. Peu importe. Erwin tendit une main à la fille d’Arès qui se contenta de grogner. Peut-être que les cheveux faisaient plus mal finalement.

« En tant que prof, ça va très bien. Supers instincts, félicitations, s’exprima-t-elle avec un sourire douloureux. Par contre, au niveau de notre amitié, ça va pas du tout. Je vais aller me faire couper les cheveux juste pour être sûre que ça n’arrive plus jamais. »

Alexis continua d’afficher un sourire qui se voulait encourageant et leva ses deux pouces en l’air. Finalement, elle approcha sa main de celle d’Erwin. Pendant une fraction de seconde, elle hésita. Puis, elle lui prit et… l’attira vers elle d’un coup, tout en lui mettant un coup rapide sur les chevilles. Avant qu’il ne s’écrase violemment sur elle, Alexis lui lâcha la main et bougea rapidement. Dans un concours de circonstances tout à fait maitrisé, Alexis se retrouva au-dessus de lui, accroupit au-dessus de son ventre. Elle lui posa son index sur le bout du nez et murmura :

« Ne baisse jamais ta garde devant l’ennemi, Erwin. Peu importe ce que tu penses de leur beauté. »

Peut-être que la mention de la beauté était venue toute seule. Néanmoins, Alexis n’afficha rien de sa surprise à s’entendre dire ça et se contenta d’afficher un sourire moqueur. Sa fierté allait mieux, c’était déjà ça.

Alexis laissa échapper un grognement comme l'aurait certainement fait un ourson affamé. Heureusement que, pour Erwin, cela collait avec le personnage, parce que ce n'était pas vraiment le son le plus séduisant qu'on puisse entendre...

"En tant que prof, ça va très bien. Supers instincts, félicitations. Par contre, au niveau de notre amitié, ça va pas du tout. Je vais aller me faire couper les cheveux juste pour être sûre que ça n’arrive plus jamais."

Le fils de Poseidon se mordit la lèvre. Est-ce qu'Alexis disait ça en riant ou était-elle réellement blessée par sa maladresse ? Parce que, oui, il faut avouer que ses "instincts" n'étaient en fait que de la maladresse... Même si la fille d'Arès l'avait complimenté et que l'image d'elle avec des cheveux courts n'était pas si repoussante, Erwin sentit quelque chose se serrer en lui. Comme si son coeur n'était qu'une petite boule de papier qu'on venait de chiffonner. Alexis avait parlé de leur amitié. Elle n'avait encore jamais prononcé ce mot-, elle n'avait jamais dit ouvertement qu'Erwin était son ami, elle n'avait jamais fait allusion au développement de leur relation depuis ces derniers temps. Le demi-dieu n'y pensait pas, lui non plus, mais maintenant qu'il s'imaginait avoir fait du tort à cette amie, il se sentait mal. Il se rendait compte que...

La main d'Alexis attrapa la sienne. Erwin sortit de ses pensées, mais il était déjà bien trop tard pour réagir. Ses pieds se détachèrent du sol, il se sentit tomber. Il se rapprochait du visage d'Alexis, de son sourire moqueur. Et puis d'un seul coup, il disparut. Le fils de Poseidon se retrouva à nouveau étalé dans la terre battue. Il n'avait pas compris à quel moment il s'était retourné pour finir sur le dos. Il n'avait pas compris comment Alexis s'était téléportée au-dessus de lui. Il ne comprenait toujours pas maintenant qu'elle était penchée sur lui en le narguant d'un simple regard. Il ne chercha pas à comprendre quand un petit doigt trop fin pour être celui d'une telle guerrière se posa sur le bout de son nez. La voix de la fille d'Arès résonna comme un éclat de rire malgré le ton bas qu'elle employa.

"Ne baisse jamais ta garde devant l’ennemi, Erwin. Peu importe ce que tu penses de leur beauté."

Erwin sourit parce qu'Alexis souriait. Ce n'était pas le même sourire, mais c'en était quand même un. Le Grec s'appuya sur ses coudes pour voir la fille d'Arès sous un angle un peu étrange pour lui parler.

"Ok, je retiens. Mais on peut excuser cette fois-ci, non ? T'es pas mon ennemie. Si ?"

Le fils de Poseidon n'attendit pas de réponse. D'une certaine manière, après ce qu'elle lui avait dit, il avait un peu peur qu'Alexis lui réponde que si... Il tenta de se redresser, s'attendant à ce que son adversaire le laisse reprendre une position convenable pour débuter un nouveau combat. Mais Alexis ne bougea pas. Elle ne se contentait d'ailleurs pas de rester immobile, elle pesait carrément sur Erwin pour l'empêcher de se relever. Tandis que le demi-dieu se glissait petit à petit sur le sol pour s'échapper, la fille d'Arès affichait un sourire encore plus provocateur. Elle se délectait de cette position de force, c'était évident. Elle considérait que cette situation faisait toujours partie de l'entraînement. Erwin soupira et saisit Alexis par la taille pour la pousser sur le côté. Ainsi libéré, il se releva et frotta la poussière de ses vêtements.

"Tsss, une vraie enfant parfois..."

Sans demander son reste, le demi-dieu se mit en garde, comme le lui avait montré son professeur particulier du jour en début de séance. Il fit attention à chacun de ses membres, vérifia tout dans sa tête. Mes pieds, ok. Mes bras, ok. Les mains, c'est bon. Stable, attentif... Alexis était de nouveau en position, elle aussi. Son sourire narquois avait laissé place à un visage fermé, concentré. Elle ne bougeait pas. Pour changer, peut-être qu'elle attendait le premier assaut. Erwin ne savait pas trop. Il finit par se décider et tenta un mouvement. Alors qu'il s'attendait à retrouver le contact familier du sol, le demi-dieu s'étonna de voir l'échange de coups durer un moment. Soit Alexis le ménageait, soit il avait vite progressé. Mais la gravité le rattrapa tout de même et, à plusieurs reprises, Erwin se retrouva le nez dans la terre. Au bout d'un moment, les chutes se firent sentirent un peu plus fort. Il fit alors signe à Alexis qu'il prenait quelques secondes pour se poser. La fille d'Arès vint s'asseoir près de lui. Elle lui dit quelques mots, mais Erwin avait la tête ailleurs et n'entendit pas vraiment. Après un petit moment, il finit par pointer du doigt un espace un peu plus loin.

"Par-là, y a de l'herbe. Ce serait pas un peu plus confortable pour se casser la gueule ? Tu veux pas qu'on continue l'entraînement de ce côté-là ?"

Erwin se redressa sur ses coudes, souriant à Alexis. Contrairement à elle, le sien semblait plus innocent, plus doux… presque séduisant. Ok, je retiens. Mais on peut excuser cette fois-ci, non ? T’es pas mon ennemie. Si ? Demanda le fils de Poséidon, avec une voix presque timide. Alexis se contenta de lever les yeux au ciel, sans répondre. Elle avait déjà mentionné avant qu’elle le considérait comme son ami, elle n’allait pas en rajouter une couche – après il allait s’y habituer. N’attendant pas de réponse, Erwin tenta de se relever. Alexis éprouvait un plaisir malsain à le regarder galérer, et ne bougea pas d’un centimètre, en profitant même pour appuyer sur ton torse de temps en temps pour le maintenir au sol. Elle n’allait pas, en plus, lui faciliter la vie ?

Après avoir essayé la technique de ver de terre, Erwin sembla se lasser de ce petit jeu et décala Alexis à la force de ses bras. La fille d’Arès se laissa faire sans broncher, jugeant qu’elle avait déjà joué pour l’instant. Dès qu’Erwin fut sur ses pieds, Alexis le fut aussi. Il frotta ses vêtements pour enlever la poussière et Alexis pencha la tête sur le côté. Pensait-il réellement que ses vêtements resteraient propres durant cet entraînement ? S’il devait se frotter à chaque chute, ils seront encore là demain. Alexis leva de nouveau les yeux au ciel quand elle l’entendit marmonner un petit Tss, une vraie enfant parfois.

L’entraînement dura encore, avec beaucoup moins de mots et beaucoup plus d’action. Alexis augmentait le niveau petit à petit, mais abusait le moins possible sa vitesse. Il fallait avant tout qu’il enregistre les mouvements et le mettre dans une situation impossible ne l’aiderait pas. Alors, elle le laissait prendre l’avantage de temps en temps, puis lui faisait mordre la poussière après. Alexis variait le rythme pour qu’il ne s’y habitue pas et qu’il soit forcé à s’adapter toujours à une position différente. Elle lui indiqua différentes parades qu’il enregistrait à une vitesse acceptable. Encore quelques semaines comme ça, et il aura des réflexes affutés. Elle pourra alors le relâcher dans la nature pour qu’il s’entraîne avec d’autres personnes, d’autres styles de combat, d’autres techniques.

Au bout d’un certain temps, Erwin demanda une pause. Alexis haussa les épaules, signe que ça l’indifférait complètement. Elle rejoignit Erwin sur un banc pendant qu’il fixait son regard au loin. Alexis but une gorgée d’eau et tendit la bouteille à Erwin :

« Tu devrais boire, tes muscles te remercieront. »

Mais Erwin ne répondit rien et ne prit pas la bouteille. Alexis haussa de nouveau les épaules et rangea la bouteille. Très bien, s’il voulait mourir de soif, qu’il meure de soif. Ça l’importait très peu – c’est faux, mais Alexis était légèrement froissée qu’il l’ignore de la sorte.

Alexis se redressa et fit quelques étirements. Elle aurait bien conseiller à Erwin de faire pareil, mais vu qu’il était absorbé par sa propre personne et très peu par le reste, elle choisit de ne rien dire. Au bout d’un moment, Erwin pointa du doigt un endroit un peu plus au loin – un terrain avec davantage d’herbe. Le fils de Poséidon jugea que c’était sûrement un endroit plus confortable pour se casser la gueule et demanda à aller s’entraîner par là-bas. Alexis haussa les épaules, signe d’une indifférence certaine et répondit :

« Ça variera les couleurs sur ton visage. »

Sans un regard pour lui, Alexis se dirigea vers le fameux coin d’herbe. C’est vrai que le sol ici avait été moins foulé que d’autres, néanmoins la chute serait identique. Alexis s’étira les bras une dernière fois puis se mit en position. Elle fit quelques enchaînements, faisant attention de ne pas faire tomber Erwin trop brutalement – ou en tout cas de le retenir au dernier moment – mais plus le combat passait, plus Erwin semblait distrait. Finalement, agacée par ce comportement, elle le fit tomber un peu plus violemment et lâcha, d’une voix plutôt froide :

« Tu sais, si tu veux qu’on arrête, on peut arrêter. T’es fatigué, ça sert à rien de continuer. »

"Ça variera les couleurs sur ton visage."

Sur ces mots, les deux Grecs allèrent continuer leur entraînement dans l'herbe. Pendant les premiers échanges, Erwin se débrouillait assez bien. Il réussit à faire tomber Alexis une ou deux fois, ce qui était certes ridicule comparé au nombre de ses propres chutes, mais tout de même satisfaisant pour lui. Si le sol n'était pas plus mou que le terrain de base, l'herbe écorchait moins les membres du demi-dieu que la terre et les gravillons. Au fil des assauts, les deux demi-dieux s'étaient éloignés davantage du terrain de terre battue. Il n'y avait plus que l'herbe autour d'eux.

Peu à peu, Erwin se sentit mal à l'aise. Le sifflement du vent dans l'herbe se faisait plus fort, il emplissait l'air autour de lui. Les remarques d'Alexis sur ses erreurs de combat s'effaçaient. Le demi-dieu se mit à ressentir une certaine anxiété. Tout en esquivant maladroitement quelques coups, il regarda autour de lui comme s'il devait y trouver quelque chose de suspect. Le malaise était de plus en plus présent. Mais pourquoi ? Un imposant nuage glissa dans le ciel et cacha le soleil durant quelques secondes. L'herbe se fit plus sombre sous les yeux d'Erwin. Et un cri sinistre lui revint.

Plongé dans ces sombres pensées, le demi-dieu ne ressentait plus les coups d'Alexis comme des assauts d'entraînements mais comme les gestes brusques d'un minotaure. Lorsque le fils de Poseidon tomba violemment sur le sol, il crut y percevoir des vibrations puissantes, un pas de course martelant la terre. La voix de la fille d'Arès se perdit dans le souvenir d'un horrible craquement. L'image d'Aquarius se superposa immédiatement à ce son et Erwin ne put retenir une nausée.

"...fatigué, ça sert à rien de continuer."

Les derniers mots d'Alexis ramenèrent Erwin à la réalité. Il était toutefois un peu sonné par ce qu'il venait de ressentir. Pourquoi ce cauchemar lui était-il revenu tout d'un coup, et pourquoi avec une telle violence ? Cet endroit... Etait-ce possible que... ? Il ne connaissait pas le champs de Mars avant d'être arrivé au camp Jupiter, il n'avait même aucune idée de l'endroit où les Romains pouvaient s'entraîner. Avant son arrivée, c'était bien la dernière chose à laquelle il aurait pensé. Pourtant, un simple regard sur cette étendue d'herbe suffisait désormais à faire frissonner le demi-dieu.

Levant la tête, Erwin vit qu'Alexis le fixait. Il ne savait pas ce que comprenait son regard, il n'avait pas envie de le savoir. Elle le jugeait très probablement, il devait lui paraître bien faible. Le grand garçon du camp grec qui s'effondre en plein entraînement pour pleurnicher à cause d'un mauvais rêve... Glorieux. Un peu honteux mais surtout perturbé, Erwin baissa les yeux vers ses pieds. Il ne savait plus trop quoi penser.

"J'aurais dû rester chez nous, être là pour protéger ma soeur..."

Alexis n'en avait certainement rien à faire, mais les mots avaient échappé à Erwin. Depuis son arrivée au camp Jupiter, le demi-dieu avait enfoui cette pensée quelque part dans le fond de sa tête, mais il se rendait compte à présent qu'elle ne l'avait pas quitté. Si le départ pour un nouvel environnement avait séduit le fils de Poseidon immédiatement, laisser ses frères et soeurs sans lui avait failli le retenir à la Colonie. Lorsqu'Alex avait décrété qu'il partait aussi, Erwin s'était senti à la fois soulagé et inquiet. Il ne serait pas seul chez les Romains, mais il y aurait une personne de moins pour veiller sur le bungalow de Poseidon...

Nonchalamment, Erwin se releva. Il frotta son t-shirt, plus pour occuper ses mains que par nécessité. Alexis était à côté de lui, elle ne disait rien. Cet épisode lui paraissait de plus en plus gênant. Quelle belle impression pour une première séance d'entraînement ! En regardant la guerrière, le demi-dieu ne pouvait s'empêcher de superposer ce visage et celui d'Aqua. Il s'était rapproché d'Alexis, avait appris à la connaître un petit peu mieux et avait passé quelques bons moments avec elle. La considérait-il désormais comme une petite soeur ? Peut-être qu'elle était là pour remplacer Aquarius au camp romain, après tout... Erwin ne savait pas trop, c'était encore différent. Il chassa ces pensées en secouant la tête.

"Désolé. Pas ouf. J'espère que t'as apprécié cette technique que j'ai appelée 'le retour du monstre'. Chacun son truc, on dirait. Pour toi c'est l'eau, pour moi... ce sera peut-être l'herbe."