« Ca va aller. J'ai une bouteille d'eau, tu veux boire un coup ? Si ça se trouve, t'es juste déshydratée à avoir couru partout en mangeant du sucre. Je vais te débarrasser de ce churros en trop, d'ailleurs. »

Alexis porta la main à son estomac écoutant avec attention les différents bloup bloup qu’il lui transmettait. Elle ferma les yeux quelques secondes comme si cela l’aidait à interpréter le langage de son corps avant qu’elle ne les rouvre pour hocher la tête. Erwin lui tendit alors sa bouteille d’eau qu’elle vida d’une traite. Lorsque la grande roue les déposa sur la terre ferme, la jeune femme se tourna vers Erwin, la mine faussement grave.

«  Peut-être est-il temps pour nous de rentrer. »

« Et tu as ruiné ma glace avec mon visage. Ce n'est que justice. »

Ava était fière d’entendre Clayton justifier son acte de cette façon. Pour une fois, elle avait provoqué Clayton et cela l’emballait beaucoup plus que ça ne le devrait, à tel point que son visage irradiait d’une joie qu’elle n’arrivait pas à contenir - heureusement qu’ils n’étaient que deux sur la nacelle.

« Donne si tu ne veux pas la manger.Donne si tu ne veux pas la manger. »

Clayton se penchait en avant tout en tirant sur la main d’Ava, faisant balancer la nacelle de façon déraisonnable. Ava lâcha donc Clayton dans un mouvement de recul et engouffra le reste de sa gaufre dans la bouche.

« Même pas en rêve, c’est la mienne. »

Ou tout du moins, c’est ce qu’elle tenta de prononcer avec la bouche pleine d’une demi-gaufre baveuse tout en assassinant Clayton du regard.

Tout air taquin disparu à la minute où la cabine bascula, tanguant davantage lorsqu’Ava recula. Ses phalanges blanchies agrippèrent la banquette. Clayton risqua un coup d’œil latéral pour entrevoir la ligne d’horizon oscillé.

Ok. Son regard allait s'accrocher à Ava comme une moule à son rocher et ne plus jamais la lâcher. Voilà. Parfait. Ava qui, malgré des yeux arctiques assassins, avait l’expression la plus joyeuse qu’il lui ait été permis d’observer. Clayton ressentait un profond contentement face à cette observation.

« Même pas en rêve, c’est la mienne. »

Ava qui mastiquait sa gaufre avec la grâce d’un bovidé affamé. Clayton pouffa, un rire secouant ses épaules. Il posa une main contre son estomac.

“C'est notre gaufre plutôt. Elle était délicieuse d’ailleurs.”

Ava mis beaucoup de temps à macher et avaler ces restes de gaufre. Beaucoup trop pour avoir l’air crédible lorsqu’elle fronçait les sourcils. C’est notre gaufre, disait l’insolent. Elle était délicieuse d’ailleurs, ajoutait-il avec provocation pendant qu’Ava continuait de mâcher, mâcher et… encore mâcher, oui. Elle aurait aimé pouvoir avoir de la répartie cinglante, une punchline de circonstance mais elle se contentait de ressembler à un hamster.

Au bout de trente longues secondes à tenter de ne pas s’étouffer tout en fixant Clayton droit dans les yeux, Ava remarqua quelque chose. Un tout petit détail de rien du tout. Clayton la fixait dans les yeux, certes, mais il y avait quelque chose d’étrange. D’habitude, le fils de Vulcain prenait plaisir à laisser vagabonder son regard absolument partout lorsqu’il y avait du silence mais là… ses yeux restaient fixer sur Ava. Une fois sa dernière bouchée avaler, Ava pu enfin parler :

« Pourquoi tu me fixes comme ça, Clayton ? »

Ava se recala correctement dans la nacelle et la fit tanguer. Et là… là elle vit une étincelle de panique dans le regard du jeune homme. Un tout petit peu. Trois fois rien. Alors Ava changea de nouveau de position, une jambe repliée sous sa cuisse, le coude sur le bord de la nacelle, le corps tourné vers Clayton. Tout ce changement de position fit de nouveau tanguer la nacelle. Alors que la grande roue venait de s’immobiliser au point le plus haut de sa trajectoire.

« Bah alors Clay, tu as peur du vide ? »

Ava fit légèrement tanguer à nouveau la nacelle en jouant avec le poids de son corps qu’elle faisait balancer d’avant en arrière.

"Peut-être est-il temps pour nous de rentrer."

Erwin aurait pu protester, surtout en sentant les neuf foulards dans sa poche qui lui rappelaient cruellement qu'il avait perdu de bien peu contre la fille d'Arès. Il aurait aussi pu lui demander, sur un ton moqueur, si elle était sûre de ne pas vouloir une dernière pomme d'amour avant de partir. Mais il commençait à fatiguer. Qui avait dit que les vacances étaient reposantes ?

Le fils de Poseidon passa un bras dans le dos d'Alexis et la rapprocha un peu plus de lui. Elle avait vraiment l'air de terminer sa soirée sur une note peu appréciable. Il l'avait rarement vue avec une mine aussi maussade alors qu'il était question de nourriture. Il l'embrassa sur le front tandis qu'ils se dirigeaient vers la sortie du parc.

"D'accord. Mais je te préviens : interdiction de t'endormir toute malade dès qu'on rentre. J'ai un câlin plein de réconfort à te faire d'abord. Et une tisane en bonus si ça ne suffit pas."

Clayton fixait obstinément Ava tel un noyé à une ligne de vie. L’air aussi détendu que possible tandis qu’Ava le regarder passivement, finissant de mastiquer lentement et… Pourquoi tu me fixes comme ça ? Merde. Clayton tiqua sans pour autant décaler son regard, affirmant la prise de son bras contre son ventre.

Il avait une répartie sur le bout de la langue, vraiment, mais Ava décida de gigoter pour se rapprocher du bord. La ligne d’horizon dans son champ de vision ne fit qu’accroître son malaise. Le ciel bougeait, la nacelle tanguait, son cœur allait lâcher de panique. C’était donc ça l’enfer ?

Bah alors Clay, tu as peur du vide ? Clayton grogna. Ava avait le ton démoniaque de quelqu’un qui s’amusait un peu trop de la situation. Dans tout autre circonstance (genre sur la terre ferme) il aurait soulevé l’emploi de ce surnom affectif. Son esprit était trop occupé à hurler haut haut haut et HAAAAAA simultanément pour être d’une quelconque utilité.

Ava continuait de faire tanguer la nacelle et Clayton la fusilla du regard faute de pouvoir l’étrangler à main nue. “J’ai pas peur du vide” qu’il se contenta de marmonner dans sa barbe, l’air parfaitement pas rassuré par toutes ses secousses.

« J’ai pas peur du vide »

Ces mots étaient douce mélodie aux oreilles d’Ava. Elle continuait alors de bouger à en faire trembler la nacelle et se délectait de l’expression de terreur qu’elle discernait sur son visage – derrière les envies de meurtre. Lorsqu’ils s’approchèrent du sol et que le visage de Clayton se fit plus confiant, Ava utilisa son pouvoir. Un tout petit peu. Rien qu’un tout de petit peu. Elle insuffla cet amour juvénile et naïf, celui où on veut absolument impressionner la personne qu’on aime, celui où on serait prêt à faire n’importe quoi pour la faire sourire.

« Reste-ici Clayton, profite de la vue. »

Ava lui tenait le menton avec un doigt et le fixait avec une intensité langoureuse. Puis, elle descendit de la nacelle et s’approcha de celui qui s’occupait de faire monter ou descendre les gens. Elle prit une expression triste et tordit ses doigts dans tous les sens.

« Je suis désolée mais est-ce que mon ami peut refaire un tour ? Il vient de- d’apprendre la mort de sa mère et- et- il ne va pas bien. »

Que l’homme croie ou non aux talents d’actrice d’Ava ne changeait rien car il accepta en levant les yeux au ciel. Ava recula et laissa passer un adulte bien plus grand qu’elle et terriblement musclé. Elle le fixa de longues secondes avant de réaliser qu’il s’agissait d’Alekseï, le maître d’arme de la Colonie. Elle regarda Clayton dont les effets du pouvoir d’Ava commençaient à se dissiper à mesure que la nacelle repartait pour un tour. Elle lui envoya un baiser du bout des doigts et disparut dans la foule avant d’éclater de rire. C’était une excellente soirée.