La porte s'ouvre face à la tornade blonde, suivie par Erwin, Alexis et Léo. En fin de cortège, Samael accorda derrière lui un dernier regard hésitant. Tout ceci pouvait n'être qu'une ultime illusion, et pourtant ils n'avaient pas d'autres choix que de foncer dedans. Ils espéraient tous, en tout cas, que Celmis les attendrait bien dans cette pièce. Une fois le seuil franchi, ses sourcils se froncèrent encore plus qu'ils ne l'étaient déjà. Sa cage thoracique était opprimée par l'angoisse. Celmis était là. Il le sentait, il le savait, la sensation oppressante de la mort qui se rapproche était plus forte qu'elle ne l'avait jamais été. Rapidement, il jeta des coups d'œil à droite et à gauche, distinguant quelques petits éléments annonciateurs d'un locataire.

Tapi dans l'ombre, il ne perdait rien pour attendre. Alexis leur confirma dans un souffle ce que tout le monde supposait. Il est là. Ok, il est là. Où ? Billie décida de lui donner une réponse silencieuse en sortant une boussole. Supposant que l'aiguille devait bien pointer ce que l'on recherchait, il regarda dans la direction qu'elle désignait. Léo avait été plus rapide, et sortit sa hache sans tergiverser pour l'asséner dans le vide. Et alors qu'il s'avançait, une voix résonna dans sa tête.

"Enfant... de la... Mort.
Enfant de la Mort... seuls vous-
Enfants, seuls vous pouvez manipuler-
Manipuler l'ombre et ses objets.
L'ombre présente-
Présente dans la ja-
La jarre et le par-
La jarre et le parchemin."

La jarre était entre les mains d'Erwin, et Léo détenait le parchemin. Lui n'avait rien, alors qu'est-ce qu'il foutait dans l'équation ? Il n'en n'avait pas la moindre idée, mais il se risqua à détourner le regard vers Erwin qui, peut-être, aurait une idée de ce que ça voulait dire. Il regarda Léo ensuite, et c'est l'expression de son regard qui le fit détourner les yeux vers… Celmis. Il souriait. Peu surpris par son apparition, encore moins par sa beauté inquiétante, il fut en revanche dérangé par une image qui lui traversa le crâne en un éclair pour lui échapper immédiatement.

Un souvenir.

"Alors, qu'allez-vous faire pour précipiter votre perte ?"

Samael s'avança d'un pas, se rapprochant d'Erwin et Léo. Il s'immobilisa et plongea ses yeux dans ceux de Celmis. L'expression de son visage était neutre mais ses prunelles reflétaient sa détermination.

"À toi de nous dire."

Alexis serra les dents, consciente du regard scrutateur que l'ombre avait sur elle. Sur ses gardes, Alexis n'osa pas utiliser une nouvelle fois son pouvoir à l'aveugle. Tychaée lui avait peut-être offert un instant de répit, mais elle savait que la foudre ne frappait jamais deux fois au même endroit.

Billie fut plus dégourdie qu'Alexis et Léo plus rapide. Mêmes si leurs actions étaient dénudées de toute classe, le résultat valait leurs efforts puisque le Tortionnaire sorti de sa cachette comme s'il était le clou du spectacle - il l'était, mais était-il obligé d'en faire des caisses ? Alexis ne put s'empêcher d'hausser un sourcil dubitatif face à l'énergumène qui leur faisait face, s'attendant à quelqu'un de plus... impressionnant. Néanmoins, le sourire sadique qui s'était sur ses lèvres fit remonter un frisson d'horreur le long de sa nuque.

« Alors, qu'allez-vous faire pour précipiter votre perte ? »

Alexis serra les poings. Elle lança un regard à Billie et y lu à peu près autant d'intelligence que dans le sien. À elles deux, elle serrèrent les poings et bondirent vers le Tortionnaire, Alexis à peine plus rapide que la Chasseresse. La voix de Samael n'avait été qu'un top départ pour elles deux.

Lancer de dé : 5/10.

Peut-être ne s'y était-il pas attendu, en tout cas, Alexis réussi à faire mouche. Ce n'était pas grand-chose, mais juste assez pour le déstabiliser et offrir davantage de choix à Billie dans sa propre danse macabre.

Erwin fut parcouru d’un frisson glacial en voyant la silhouette se détacher de l’ombre et de son illusion. La beauté de cet être ne procurait aucun sentiment agréable au fils de Poseidon. Au contraire, ce visage divin lui donnait la nausée. L’image créée autour du Tortionnaire n’avait pas de visage. Erwin n’avait aucun souvenir d’avoir vu ne serait-ce qu’une fois le regard de celui qui l’avait torturé durant son enfermement dans le Labyrinthe. Et voilà que ce monstre lui faisait face, sans détourner le regard, sans trembler le moins du monde. Il se sentait invincible, c’était évident. Erwin aussi le pensait invincible.

La colère du demi-dieu était toujours présente, mais la peur s’insinuait de plus en plus au souvenir de ce qui lui était arrivé dans un lieu pas si différent de celui-ci. La détermination d’Erwin le fuyait lentement tandis que Celmis les regardait, lui et les membres de son équipe démantelée. C’est la voix qui vint achever le travail entamé.

*

Le sifflement bourdonne aux oreilles d’Erwin. Il ne comprend pas immédiatement les sons, mais cette sensation, il la connaît. Il sait ce qui se passe. Cette force qui s’infiltre dans sa tête, bientôt il entendra une voix. Quelqu’un qui lui parle sans être là. Ce n’est pas la première fois. Les mots prennent forme.

« Enfant… de la… Mort.
Enfant de la Mort… seuls vous-
Enfants, seuls vous pouvez manipuler-
Manipuler l’ombre et ses objets.
L’ombre présente-
Présente dans la ja-
La jarre et le par-
La jarre et le parchemin. »

Erwin sent que les paroles ont du mal à franchir le seuil de son esprit, mais il ne sait pas si c’est sa résistance ou la puissance de la voix qui en est la cause. Plus rien n’existe. Il ne veut pas qu’on perfore son esprit. Encore. Cette voix, elle est différente, mais il ne parvient pas à lui faire confiance. Une voix comme celle qui l’a poussé à planter un glaive dans le corps d’Alexis, cette force qu’il a pu contrôler une fois, mais pas la suivante. Il ne peut pas recommencer.

C’est une illusion, c’est une illusion, c’est une illusion.

Mais la voix tourne et répète ses mots dans la tête d’Erwin. Il ne peut pas faire confiance à cette voix, tout peut être un piège. Qui sait ce que renferme cette jarre que la voix cherche à lui faire ouvrir ? La clé se fait soudain pesante dans sa poche. La voix est encore là. Les mots d’Erwin franchissent ses lèvres et deviennent un murmure paniqué, une incantation qui devrait fonctionner, mais qui ne fonctionne pas.

« C’est une illusion, c’est une illusion, c’est une illusion, rien n’est vrai, c’est une illusion. »

Rien n’est vrai. Mais rien ne change, rien ne bouge. Pourtant, les autres sont en mouvement autour de lui, et Erwin se sent suffoquer, comme enseveli peu à peu par le poids de cette présence qu’il ressent et qui veut s’emparer de son esprit une nouvelle fois. Il faut se contrôler, résister.

Le bourdonnement persiste. Les mots résonnent. Erwin ne sait pas quoi faire. Personne ne sait ce qu’il se passera s’il écoute la voix. La dernière fois, il a tué quelqu’un. Il a tué Alexis.

Alexis

Erwin s’accroche à son nom. Il lève les yeux et la vois. Elle est réelle, il en est sûr. Elle est réelle parce que, sinon, ce n’est pas vers le Tortionnaire qu’elle tournerait sa rage et son envie d’en finir. Le fils de Poseidon s’agrippe à cette certitude.

« Alexis ! »

Elle ne se tourne pas vers lui, mais elle l’a entendu. Elle a compris ce qui n’allait pas, il en est sûr aussi. Et comme si elle savait tout le reste, il ne peut retenir sa question. Elle saura quoi faire, quoi lui dire.

« Est-ce que je dois l’écouter ? »

Spoiler:

« Alexis ! »

La voix d’Erwin déchira la concentration d’Alexis comme si elle était faite de papier. D’un seul coup, le désespoir et la peur d’Erwin s’enroulèrent autour d’Alexis comme un appel à l’aide. Pour autant, elle ne pouvait pas lâcher du regard Celmis qui semblait s’amuser de la situation. Même si Billie et elle arrivaient à s’approcher assez près du montre pour sentir sa chaleur putride, Celmis n’était clairement pas au maximum de ses capacités. Son regard caressait la grotte comme s’il regardait un spectacle plaisant.

« Est-ce que je dois l’écouter ? »

De quoi parlait-il ? Alexis aurait voulu se retourner pour demander plus d’informations à Erwin mais le Tortionnaire venait de reposer son attention sur ses adversaires et enchaîna plusieurs attaques d’une violence et d’une précision mortelle. À deux reprises, Alexis esquiva un coup d’épée – d’où avait-il sorti cette arme ? – de justesse. Pour autant, alors que la fille d’Arès manquait de se faire découper le bras, le regard du Tortionnaire se perdit à nouveau derrière elle.

Alexis profita de cet instant fugace pour regarder derrière elle et découvrir qu’Erwin était en proie à une terreur sans pareil, que Léo fixait avec perplexité le parchemin qui lui avait été confié, et que Samael semblait complètement absent.

Est-ce que je dois l’écouter ?

Écouter quoi, écouter qui ? Alexis n’en savait rien. D’un seul regard, Billie et elle se séparèrent. Alors que la première se jeta à nouveau sur le Tortionnaire, Alexis s’approcha d’Erwin pour lui effleurer la main. Elle ne savait pas quoi il parlait, mais elle n’avait pas le temps de comprendre.

« Écoute ton instinct et je te couvre. »

En quelques secondes, Alexis se trouva à côté de lui et Erwin sentit soudain comme une bulle de chaleur l'envelopper. Le simple contact de ses doigts avait fait reculer la peur et l'océan de doutes dans lequel le demi-dieu s'enfonçait lentement. Alexis était là, réelle, près de lui, et ces certitudes balayaient tout le reste.

"Écoute ton instinct et je te couvre."

Erwin inspira deux fois pour se calmer et tenter de réfléchir. L'odeur d'Alexis, proche de lui, agissait comme un remède sur lui. Ses idées retrouvèrent leur place. La voix tournait à nouveau, le fils de Poseidon se demanda comment Alexis ne pouvait pas l'entendre tant elle lui semblait assourdissante. Cette fois pourtant, il l'écouta. Attentivement. Ce n'était pas l voix qui lui ordonnait de transpercer Alexis d'un glaive. Ce n'était pas le bourdonnement qu'il avait entendu en sortant du Labyrinthe. Cette voix était différente. Que disait-elle, déjà ?

La jarre.

Erwin porta la main à sa poche et ouvrit une porte invisible devant lui dans un geste presque anodin. Comme s'il y avait toujours eu cette porte devant lui et que la pièce où il se trouvait n'était autre que sa chambre. De ce placard improvisé, il tira la jarre qu'il avait (ô combien gracieusement) reçue au début de leur quête.

Tout en observant Celmis du coin de l'oeil, Alexis interrogeait silencieusement Erwin. Lui non plus ne savait pas que faire. Mais elle avait dit qu'elle le couvrait. Il avait confiance en elle. Rien ne pouvait leur arriver s'ils étaient ensemble. Ils avaient toujours tout surmonté. Cette fois ne ferait pas exception. D'un coup sec, Erwin retira l'espèce de capuchon qui bouchait le goulot de la jarre.

Mais il ne se passa rien. Rien ne sortit de là et le récipient semblait vide. Complètement vide.

Erwin retourna le problème dans sa tête et finit par se laisser embarquer par la voix qui résonnait encore vaguement, comme lointaine et fatiguée.

"Enfant… de la… Mort.
Enfant de la Mort… seuls vous-
Enfants, seuls vous pouvez manipuler-
Manipuler l’ombre et ses objets.
L’ombre présente-
Présente dans la ja-
La jarre et le par-
La jarre et le parchemin."

Qu'est-ce que ça voulait dire ? Il y avait la jarre. Il y avait le parchemin. Dans les mains de... Dans les mains de Léo ! Un enfant de la Mort ! Les réflexions d'Erwin s'entrechoquèrent lorsqu'il crut comprendre et qu'il remarqua, au même moment, la posture délicate dans laquelle se trouvait le fils d'Hadès. Billie se battait tant bien que mal contre Celmis à coups de changement d'apparence pour gagner du temps. Mais c'était tout ce qu'elle pouvait faire.

D'un même mouvement, Alexis et Erwin s'élancèrent vers le Tortionnaire et la Chasseresse. Il fallait empêcher leur ennemi d'atteindre la jarre et le parchemin. En passant près de Léo, le fils de Poseidon lui laissa la jarre.

"Enfant de la Mort, c'est pas moi. Tiens !"

A ces mots, ajoutant seulement un regard appuyé vers la jarre, Erwin se détourna pour fixer Celmis. Le Tortionnaire. Celui qui lui avait infligé tant de douleur, tant de tristesse. Et aujourd'hui tant de colère. A la vue de cet être qui se battait face à lui, le sang-mêlé laissa toute la rage qu'il ressentait au fond de lui remonter à la surface. Le Tortionnaire l'avait enfermé et torturé. Le Tortionnaire l'avait manipulé. Le Tortionnaire avait détruit Alexis. Le Tortionnaire avait tué Artemisia. Vas-y, Erwin.

Guidé par la puissance de sa colère, Erwin se jeta vers Celmis, ses dagues en mains. Le Tortionnaire avait l'avantage sur Billie, mais celle-ci se battait hargneusement et évitait les coups tant qu'elle le pouvait. Alexis s'ajoutait à la mêlée. Le fils de Poseidon frappa encore et encore, plus rapide qu'il ne l'avait jamais été, plus violent qu'il n'aurait pu l'espérer. Chaque mouvement lui faisait mal tant il y mettait d'énergie, il ressentit deux ou trois fois une lame lui égratigner le bras ou les flancs, mais ses assauts cumulés à ceux des deux guerrières faisaient reculer Celmis. Avec ses armes de proximité, Erwin était exposé à tous les coups, mais il ne pouvait pas arrêter tant qu'il n'avait pas tué le Tortionnaire.