La sortie. Une mince ouverture dans la pierre. Une crevasse. Un sursis. Ils ne mourraient pas ce jour-là. Ils s’échapperaient du Labyrinthe, blessés, brûlés, harassés, sans aucun indice au sujet de leur ennemi. Ils retourneraient au Camp Jupiter, fiévreux, confus, vaincus, vivants. Pas parce qu’ils étaient particulièrement habiles ou chanceux. Mais parce que le Tortionnaire l’avait décidé. Ils ne lui seraient d’aucune utilité sous forme carbonisée. Quels que soient ses plans, il préférait les garder en vie pour le moment. Et cette simple pensée suffisait à terrifier Artemisia.

Elle poussa contre la pierre. Derrière elle, Pyrka aspirait toute la chaleur de la pièce vers elle, rendant l’atmosphère légèrement plus respirable. Mais la fille d’Athéna n’était pas dupe. Elle savait que l’eau de mer se retire d’abord en arrière avant de jaillir sous la forme d’un tsunami, et il en allait de même avec le feu de Pyrka. Ignorant la douleur qui hurlait dans son corps, elle pressa son épaule contre le mur pour mettre plus de force dans sa poussée. Sloveig et Kieran en faisaient de même. Et les vagues de feu se mirent à jaillir. De plus en plus hautes. De plus en plus fortes. De plus en plus loin. Elles se rapprochaient à chaque seconde, à chaque respiration.

Puis la paroi céda, et Sloveig tomba sur le sol d’un couloir sombre. Artemisia et Kieran bondirent à sa suite et claquèrent la porte derrière eux. Le mur se mit à trembler, comme si Pyrka, dans sa rage de voir ses proies s’échapper, déchaînait toutes ses forces d’un seul coup. Puis le silence revint, troublé seulement pas les halètements des trois demi-dieux.

Après l’atmosphère enfumée et brûlante de la pièce, la pénombre et la fraîcheur du couloir auraient dû soulager Artemisia, mais ce ne fut pas le cas. La transition était trop brutale. Elle s’écarta de quelques pas avant de tomber à quatre pattes et de vomir de la bile en tremblant. Sa tête bourdonnait. Trop de sensations l’assaillaient, la pierre froide sous ses mains, ses yeux larmoyants, ses bronches irritées, et ses douleurs, chacune subtilement différente des autres et pourtant tout aussi terrible. Elle toussa, vomit encore. Derrière elle, les deux Romains parlaient à voix basse, mais ils ne semblaient pas en bien meilleur état qu’elle à en croire les jurons de Kieran et les râles de Sloveig. Artemisia secoua la tête dans l’espoir de s’éclaircir les pensées ; si un monstre les trouvait dans cette position, c’était la mort assurée. Elle avait perdu son sac à dos pendant le combat, et elle n’avait donc rien à boire si ce n’était une fiole d’eau de Berkeley qu’elle gardait dans une pochette accrochée à sa ceinture. Sans se soucier des autres – après tout, ils se fichaient d’elle aussi –, elle vida la fiole et enfourna son dernier carré d’ambroisie, écrasé, légèrement fondu, mais toujours délicieux. Le goût de muffins aux myrtilles la prit à la gorge et elle ne put retenir un sanglot.

Puis elle se redressa, sans savoir comment elle le faisait. Tenant debout uniquement par volonté. Kieran était accroupi à côté de Sloveig. Elle leur adressa un hochement de tête sec ; leur expérience quasi mortelle ne les avait pas rapprochés d’un pouce. Sans prononcer le moindre mot, le Centurion aida sa légionnaire à se relever. Ils regardèrent autour d’eux ; le côté droit du couloir paraissait légèrement plus clair que le côté gauche, et il remontait en pente douce. S’ils avaient de la chance, ils pourraient retourner à la surface. Ils se mirent à avancer.

Artemisia jeta un dernier regard en arrière. Elle pensait à Pyrka, esclave, enfermée. Elle pensait à Kyle, le vrai qui était quelque part dans le monde d’en haut, le faux qui avait ébranlé son courage dans la pièce brûlante, et la similitude troublante entre les reproches que ces deux Kyle avaient prononcés. Puis elle ne pensa plus à rien, rien d’autre que ses pieds qu’elle déposait l’un devant l’autre, que son corps qu’elle poussait à avancer encore et encore, que cette sortie qu’elle espérait atteindre un jour.

Kieran suffoquait dans sa propre respiration. Les seules bouffées d’air qu’il réussissait à saisir lui étaient retirées aussi rapidement, remplacées par un brasier qui lui brûlait jusqu’aux poumons. Le combat était devenu inégal. La rage qui habitait la démone la rendait insaisissable. Kieran ne parvenait même plus à la distinguer parmi l’épais brouillard qu’elle créait. Tout ondulait, tout était flou, tout était douloureux.

Finalement, la voix de Sloveig perça la tombe que Kieran était en train de se creuser. Une sortie. Un dernier boost d’adrénaline le fit bondir aux côtés de ses coéquipières d’infortune. Dans un ultime élan de magie, Kieran créa une illusion, envoyant des silhouettes vaguement proches des leurs dans la direction opposée, tentant d’accaparer l’attention du monstre pendant quelques précieuses secondes.

Enfin, de l’air. Chaque inspiration donnait à Kieran l’impression d’avaler des couteaux. Sa bouche, sa gorge, ses poumons, tout son corps hurlait de douleur. Ses deux coéquipières étaient visiblement dans un état tout aussi lamentable, à en juger par l’immobilité de Sloveig et l’agitation d’Artemisia. Pendant une seconde, Kieran fut tenté par l’idée de récupérer sa Chimère et d’abandonner la Grecque. Malheureusement, l’hésitation fut de courte durée car Carter se redressait déjà.

Kieran décida alors de s’agenouiller près de Sloveig afin de jauger si elle était toujours vivante ou pas. Cette dernière grogna et râla pendant que Kieran tentait de la rebooster à coup de « C’est bon, t’es pas en sucre, relève-toi. » Parler lui coûtait suffisamment d’effort pour qu’il ne se mette pas à être aimable en plus.

Après quelques échanges sans grande importance, le petit groupe se remit en marche. Kieran profita d’un instant de répit pour avaler un carré d’ambroisie qui traînait au fond de sa poche afin d’apaiser les différentes brûlures qui parsemaient son corps.

Le trio ne rencontra aucun autre monstre. Le Labyrinthe avait fini de jouer.
Enfin, c’est ce qui croyait Kieran. Car lorsque la lumière du jour vint lui brouiller la vue, Kieran remarqua que le Labyrinthe n’en avait pas encore terminé avec lui.
Où était Solan ?!