Alexis sentit la main d’Erwin se glisser dans sa nuque et son corps frémit à ce contact. La fille d’Arès ferma les yeux quelques instants, comme pour profiter de cet instant éphémère, hors-du-temps. Elle pouvait sentir le vent dans ses cheveux, elle pouvait entendre les bruits de la nuit, elle pouvait sentir les braises du feu de camp, mais rien n’était aussi fort que les doigts d’Erwin contre sa nuque, que son souffle sur sa peau, que son odeur qui l’imprégnait. C’était comme si pour la première fois le Labyrinthe n’existait plus, les cauchemars s’étaient effacés, la douleur était partie. Il n’y avait qu’Erwin et Alexis apprenait à vivre à nouveau.

Doucement, lentement, Erwin entoura Alexis de ses bras, la serrant un peu plus fort à chaque instant. Délicatement, Alexis fit de même, serrant le fils de Poséidon aussi fort qu’elle pouvait se le permettre, s’agrippant à son t-shirt comme s’il risquait de disparaître à chaque moment. Une petite voix, comme un souffle léger, venait lui murmurer que ce n’était peut-être qu’un cauchemar, un rêve, loin de la réalité. Alors Alexis serra encore un peu plus. Si elle ne le laissait pas partir, alors elle pourrait sûrement le sauver, non ? La fille d’Arès pouvait sentir son cœur s’emballer et elle ne savait pas encore si c’était à cause de cette voix dans sa tête ou à cause d’Erwin qui se perdait un peu plus dans leur étreinte.

« Mais je suis sauf, Alexis. Je reste près de toi et je vais bien. Tu me fais aucun mal... sauf quand tu veux me rejeter. T'es pas un monstre. Cette fille qui a dû se battre, là-bas, c'était pas toi. C'était une Alexis prisonnière d'un mec complètement tordu. Il t'a fait voir des gens mourir. Plusieurs fois. Même dans la vraie vie, ça n'arrive pas, ça. J'ai fait un seul cauchemar dans ce genre, et maintenant c'est ma plus grande peur. Je peux à peine imaginer ce que ça te fait, à toi... Peu importe ce que t'as fait, t'étais peut-être plus toi-même, mais t'es pas un monstre. Il a pas fait de toi quelqu'un d'horrible, il a fait de toi quelqu'un de brisé. T'es pas un monstre, Alexis. C'est lui, le monstre. »

La voix d’Erwin n’avait été qu’un murmure. Un murmure lâché dans un souffle que seule Alexis pouvait entendre. Sans qu’elle ne s’en rende compte, les larmes se remirent à couler, inondant ses joues pourtant déjà humides. Un poids dans son ventre s’envola. Pour la première fois, elle écoutait réellement ce que lui disait Erwin. Pour la première fois, elle le croyait. Pour la première fois, elle acceptait ce qu’il disait. Elle n’était pas un monstre. En tout cas, pas maintenant. Elle n’était pas responsable de ce qu’elle a vécu. Elle n’avait pas à subir les cauchemars, la peur, la douleur. Elle méritait d’aller mieux. Elle devait aller mieux. Ou du moins, elle se devait d’essayer.

Erwin recula, desserrant légèrement ses bras autour d’Alexis qui continuait de fixer le sol, trop concentrée à se répéter en boucle les paroles d’Erwin. Je suis sauf, Alexis. Tu n’es pas un monstre. T’es pas un monstre. Erwin releva le menton d’Alexis et elle planta ses yeux dans les siens. Le silence s’installa délicatement entre les deux sang-mêlés mais il était confortable, agréable. Alexis ne se sentait pas étouffée, elle se sentait bien. Elle était avec Erwin. Il était sauf. Elle n’était pas un monstre. Lentement, Erwin rapprocha son visage de celui d’Alexis, alors elle laissa faire. Le baiser ne dura que quelques instants, peut-être seulement quelques secondes, mais le corps entier d’Alexis fut parcouru d’un frisson de plaisir, de légèreté. Pendant ce moment, il n’y avait rien d’autre qu’Erwin. Puis il recula, seulement de quelques centimètres.

« Ne t'enferme pas à nouveau, s'il te plaît... »

Prononcé dans un souffle, cette phrase était presque une supplication. Alexis resta silencieuse, dévorant Erwin du regard. Elle ne pouvait pas lui promettre que ça n’arriverait jamais. Elle se connaissait. Peut-être que demain matin, elle sera de nouveau rongée par une peur irrationnelle. Peut-être qu’elle sera réveillée par le cauchemar de trop… Qui sait de quoi était fait le futur ? Néanmoins, elle se fit une promesse à elle-même. Celle d’essayer.

« Je vais voir ce que je peux faire… »

Une seconde de battement. Le cœur d’Alexis s’accéléra. Est-ce que Erwin allait juger cette phrase suffisante ? Il plongea son regard dans celui de la fille d’Arès… puis de nouveau leurs lèvres se rencontrèrent. Alexis entoura Erwin de ses bras pour le serrer encore plus proche d’elle. Elle ne voulait pas qu’il parte. Elle ne voulait plus qu’il parte. Avait-elle seulement voulu à un seul moment qu’il parte pour de vrai ? Les secondes s’étirèrent, des minutes incandescentes durant lesquelles Alexis reprenait lentement goût à la vie.

Il fallait reprendre son souffle. Alexis se reconnecta lentement à la réalité, en même temps qu’Erwin. Elle observa autour d’elle. Comment le monde pouvait-il toujours être le même alors qu’un maelstrom d’émotions tourbillonnait en elle ? Alexis secoua la tête puis se décolla d’Erwin. Elle frotta ses yeux fatigués, soudainement écrasée par le poids de la fatigue. Puis elle reporta son attention sur le fils de Poséidon qui avait l’air dans le même état pitoyable qu’elle. Avec un accord silencieux, Alexis enroula ses doigts à ceux d’Erwin et se dirigea à nouveau vers la Grande maison.

Le trajet se fit silencieusement. Alexis avait peur que le moindre bruit alarme le reste du monde et que ce moment lui soit retiré à tout moment. Alors elle serra un peu plus fort les doigts d’Erwin quand elle passa le seuil de la grande maison. Puis elle retint sa respiration en montant les marches de l’escalier. Enfin, devant sa porte, elle osa parler.

« Où est-ce que tu dors ? »

Erwin fuit son regard pendant quelques secondes, juste assez pour qu’Alexis soit frappée par la réalité des choses. Erwin dormait là. Par terre. Elle fronça les sourcils, un pourquoi brûlant ses lèvres. Elle décida de ne pas céder à la tentation. Il lui avait déjà dit pourquoi. Alors, timidement, elle chercha ses yeux dans l’obscurité.

« T’es pas obligé de rester, tu sais. Par terre. Tu peux retourner dans ton bungalow. Alexis fit une pause et fixa finalement le mur. Ou venir avec moi. Il y a de la place pour deux. Je crois. Je sais pas trop. On peut se relayer sinon. Je peux dormir par terre. Enfin, peu importe. Il fait, euh, meilleur à l’intérieur de la chambre que, euh, dehors. Je suppose. »

"Je vais voir ce que je peux faire…"

Il y avait quelque chose d'étrange dans cette phrase. Les mots étaient ceux que n'importe qui aurait pu prononcer face à un problème, tout à fait banals, anodins. Le voix, elle, n'était qu'un souffle, elle était, à elle seule, une promesse. Ce n'était pas la réponse parfaite, mais Erwin trouvait qu'elle correspondait totalement à Alexis. Parfaitement imparfaite. Un semblant de sourire fit tressaillir ses lèvres. Il leva les yeux vers la fille d'Arès. Il comprenait. Il savait que c'était un "oui" d'Alexis.

Lorsque la demi-déesse pressa ses lèvres contre les siennes en l'entourant de ses bras, Erwin sut qu'Alexis avait eu un déclic. Il pouvait espérer la voir aller mieux. Elle avait cessé de se cloîtrer dans ce qu'elle croyait être sa punition à l'instant même où elle avait laissé ses sentiments s'exprimer. Puis le baiser prit fin. Les deux Grecs se regardèrent sans rien dire et constatèrent que Morphée leur tournait visiblement autour. Laissant Alexis le guider, Erwin retourna dans la Grande Maison avec elle.

...

"Je meurs d’envie de voir le monde exploser et c’est une très mauvaise idée parce que j’en suis capable. Comment tu fais pour te calmer avec un bout de papier quand tu as trop d’émotions négatives ?"

Se calmer. Avec un bout de papier. Oui, c'est ça. Erwin se redresse dans son lit, il allume une petite lampe qui, il l'espère, ne réveillera personne. Il n'arrive pas à dormir. Il est énervé. Nova fait vraiment n'importe quoi. Andrew fait vraiment n'importe quoi. Il fait n'importe quoi. Pourquoi est-ce qu'il a dit ça à Alexis, tout à l'heure ? Triple idiot ! Il n'a pas su se contrôler, il ne sait pas quoi faire et ça l'énerve. A la lumière de sa lampe, Erwin prend son carnet à dessin, posé sur la commode. Il change sa dague en crayon et il se met à l'oeuvre. Les traits prennent rageusement forme sur le papier. Une femme. En apparence calme, en réalité pleine de mots qu'Erwin cache. Colère. Rage. Obscurité. Dispute. Injustice. Rumeurs. Furie. Ça y est, il s'est calmé. Demain, il devrait aller s'excuser. Alexis est fâchée contre lui et il ne veut pas que ça dure.

S'il savait ce qui va se passer, prendrait-il autant de temps avant de la retrouver ?

...

"Où est-ce que tu dors ?"

Les pensées d'Erwin revinrent vers Alexis. Où est-ce qu'il dormait ? Alexis ne pensait tout de même pas qu'il se téléportait dans sa chambre comme si de rien n'était lorsqu'elle criait, si ? Il évita de regarder la fille d'Arès dans les yeux. Instinctivement, son regard se porta sur le coin de la chambre, non loin de la porte. Parfois, c'était là qu'il s'endormait. Inutile de répondre à la sang-mêlé, elle penserait encore que c'était de sa faute si Erwin s'infligeait ça. Mais Alexis n'avait pas besoin de mots.

"T'es pas obligé de rester, tu sais. Par terre. Tu peux retourner dans ton bungalow. Ou venir avec moi. Il y a de la place pour deux. Je crois. Je sais pas trop. On peut se relayer sinon. Je peux dormir par terre. Enfin, peu importe. Il fait, euh, meilleur à l'intérieur de la chambre que, euh, dehors. Je suppose."

La surprise passée, Erwin s'approcha d'Alexis et lui caressa la joue dans un geste tendre. Les traits de son visage étaient tirés, ses yeux étaient cernés, mais un sourire étirait ses lèvres. Un vrai sourire comme il n'en avait plus affiché depuis longtemps. Il se rapprocha encore d'Alexis, les yeux brillants. Il déposa délicatement un baiser sur son front et savoura son parfum dans la nuit.

"Ça fait longtemps que je t'ai pas entendu parler autant pour ne rien dire. On dirait que l'Alexis que je connais refait surface."

...

Erwin attendit que la respiration d'Alexis devienne régulière. Lorsqu'il constata qu'elle dormait pour de bon, il se relâcha entièrement. Le sommeil ne tarda pas à se faire sentir. La dernière vision d'Erwin, avant de se laisser emporter par la fatigue, fut Alexis dormant paisiblement contre lui, emmitouflée dans une couverture. Un sourire sur le visage, le demi-dieu ferma les yeux. Cette nuit-là, Alexis ne fit pas de cauchemar.