Yeux fermés, elle laisse le son de l’eau la porter. Le ressac des vagues, Le bruissement de l’écume à l’approche de l’eau. Assise en tailleur à même le sable humide, Calypso respire lentement et profondément. La méditation est devenue l’une de ses plus fidèles alliées lorsqu’elle a découvert ce lieu.

D’abord surpris de sa lettre l’informant de son retour, son père avait été ravi de la savoir de retour à la maison, pour un temps au moins. Mais il avait bien vu au regard de sa fille qu’elle était tourmentée. Il n’avait pas posé de question, n’avait pas cherché à savoir ce qu’elle avait pu endurer pendant tout ce temps qu’elle avait passé à la Colonie. Mais sentant que la demoiselle avait besoin de tranquillité, il lui avait proposé de renouer avec ses racines. Père et fille avait donc pris la route de leur Irlande natale. C’est ainsi que Calypso, qui avait pourtant grandi à Dublin, découvrit Galway. Son père leur avait trouvé une petite maison non loin de la baie du chien. Sable blanc, eau turquoise et surtout, une mer particulièrement calme. Il n’en fallait pas plus pour que la fille d’Amphitrite retrouve une certaine sérénité. Il lui avait fallut du temps pour accepter se retrouver à nouveau dans l’eau. Cependant, les eaux tumultueuses continuaient de la rendre un peu nerveuse. Elle appréciait cette tranquillité. Le temps était par ailleurs encore un peu trop frais pour que les sports nautiques aient repris avec intensité, ce qui lui permettait de marcher, les pieds dans l’eau, en suivant la plage. Il lui arrivait même de se mettre à courir, jouant avec les embruns.

Être en Irlande était également un excellent moyen de renouer avec les fêtes traditionnelles. Caly’ a beau être une demi-déesse grecque, elle n’en reste pas moins une irlandaise, attachée également à la culture gaélique et aux fêtes celtes. La fin d’avril approchait à grand pas, il allait être temps de célébrer Beltane. Elle avait toujours aimé cette fête, particulièrement colorée. Enfant, elle adorait composer des couronnes de fleurs plus ou moins odorantes. Elle ressenti pourtant un léger pincement au coeur. Dieux, qu’elle aurait aimé faire découvrir cette célébration à Léo... Certes, avec ses éternelles tenues noires il aurait été un peu décalé. Mais peut-être aurait-elle été en mesure de l’entrainer dans une danse. Le dernier jour du mois, son père l’emmena en ville pour profiter des célébrations. La jeune femme se retrouvait à sautiller sur les rythmes qu’elle connaissait depuis son enfance mais se reprenait pourtant bien vite, de crainte d’utiliser son pouvoir par mégarde. C’est alors qu’elle se stoppait, une fois de plus dans son élan de joie, que deux jeunes femmes, à peine plus âgées qu’elle, la remarquèrent. Elles semblaient être sœurs et disposaient toute deux d’une chevelure flamboyante, typique du pays. Avec un petit sourire amusé, elles tentèrent alors d’entrainer la demi-néréide dans leur sillage. Mais Calypso se retrouva à secouer la tête. “Non, je... Je ne peux pas...” Les deux rousses auraient pu en rester là. A la place, elles échangèrent un regard. "Ça se sent que tu es... Différente.” Ecarquillant légèrement les yeux, Calypso rencontra le regard de l’une des soeurs, qui lui adressait un sourire rassurant. Comme si elle savait quelque chose.

Evidemment, Calypso ne pouvait pas leur dire ce qu’elle était. La plupart des mortels l’aurait prise pour une folle et elle n’avait pas particulièrement envie de devoir fuir la célébration. Mais ces deux irlandaises avaient ce quelque chose qui la mettait en confiance. Elles l’attirèrent un peu à l’écart, comme si elles voulaient fuir les oreilles indiscrètes. “Est-ce que tu crois à la magie ?” Commença la première. La demi-déesse fut tentée de rire. Elle avait vu tant de chose qu’il aurait été impensable qu’elle ne puisse pas croire à la magie, d’une certaine façon. Elle se doutait bien qu’elle lui parlait de la magie que les mortels connaissent et non pas des demi-dieux. Mais tout de même. Elle préféra pourtant aborder la chose sur le ton de la plaisanterie. “Quoi, tu vas m’annoncer que vous vénérez Hécate ?” La première haussa les épaules, tandis que la seconde lui répondit avec une petite moue “Entre autres.” Calypso perdit son petit sourire faussement amusé. Elle n’avait encore jamais rencontré personne vénérant d’anciens dieux. La majorité des gens qu’elle connaissait étaient des athées convaincus. Sa curiosité s’en retrouvait attisée, elle ne pouvait être qu’attirée par ce genre de croyance. Elle avait beau ne pas avoir croisé d’enfants d’Hécate, elle avait entendu des rumeurs au sujet de leurs aptitudes. A force de discussion, allez savoir pourquoi... Les soeurs proposèrent à Calypso de se joindre à leur groupe pour la nuit de Walpurgis. La brune se mordilla légèrement la lèvre inférieure. Devait-elle vraiment accepter ? Après tout, elle ne connaissait rien de ces deux jeunes femmes ni même du groupe qu’elles lui proposaient de rejoindre. Mais elle se sentait irrémédiablement attirée. A force de discussion avec son père, et lorsqu’il eu confirmation que l’ainée des sœurs était majeure, il autorisa Calypso à profiter de cette nuit particulière.

Au crépuscule, Calypso se retrouva alors avec les deux irlandaises, qui la guidaient vers un lieu reculé. Franchement, si quelqu’un avait voulu la tuer il n’aurait eu aucun mal à le faire ! Pourtant, elle se sentait étrangement en confiance. Lorsqu’elle arriva au cercle, la plus jeune des soeurs lui attrapa la main en riant et l’entraina vers une tente. “Hors de question que tu passes la nuit de Walpurgis dans cette tenue !” Faisant une petite moue, Caly’ ne voyais pas où elle voulait en venir. Elle avait revêtu un jeans clair, un t-shirt gris et une veste, le tout en ayant relevé ses cheveux en un chignon. “Qu’est-ce qu’elle a ma tenue ?” Sa compagne roula alors des yeux avant de la pousser doucement sous la tente. “Enfile la tenue qu’on t’a laissé et surtout... Détache tes cheveux !” Fronçant légèrement les sourcils, elle obtempéra pourtant. Elle se retrouva alors en robe longue écrue et laissa ses cheveux cascader sur ses épaules. En sortant, elle se retrouva face à un petit groupe d’une dizaine de femmes, toutes vêtues de la même manière. Elles commencèrent à doucement fixer des fleurs sauvages dans ses cheveux avant de la guider vers un feu. Calypso n’avait pas forcément une bonne expérience avec les flammes, elle évita donc de trop s’en approcher. Et arriva finalement le moment où tout le groupe de femmes se mit à danser autour du feu. La fille d’Amphitrite était émerveillée de se retrouver face à une célébration de la nuit de Walpurgis digne de celles qui existent depuis des siècles. Elle se crispa pourtant lorsqu’on tenta de l’entrainer dans la danse. “Non non, je ne peux pas danser !” Après tout, sa danse était capable d’envouter. Comment pourrait-elle oser s’en servir alors que cela l’avait toujours effrayée ? Être l’objet de toute les attentions, devenir attirante aux yeux des autres... Non, ce n’était pas pour elle. La plus âgée du groupe s’approcha alors d’elle. “Tu n’as rien à craindre ici, ma sœur. C’est normal d’avoir peur. Mais personne ne te jugera ici. Beltane est placé sous le signe de l’amour, sous toutes ces formes. C’est sans doute le meilleur moment pour t’accepter entièrement et pour reprendre ton propre pouvoir.” Le cœur de Calypso manqua un battement. Elle avait l’impression qu’elles savaient, toutes ou presque, ce dont elle était capable. Alors, elle se laissa porter. Par les chants, par les gestes des autres.

Assise autour du feu avec les deux soeurs qui l’avaient entrainé ici, Calypso se sentait sereine. Elle avait l’impression d’avoir passé des heures à danser, sans avoir encore découvert tout ce dont elle était capable. Mais une question la taraudait. “Comment vous avez su ? Ce dont j’étais capable je veux dire ?” La cadette s’installa un peu plus confortable, arborant une moue de réflexion. “En fait, on en savait rien. Mais on sentait que tu te bridais. Comme si... Tu avais une image tellement négative de toi que tu voulais la cacher ! Ce n’est pas quelque chose de mal que d’attirer les regards tu sais. C’est les hommes qui ont rendu ça mal. Parce que tu attires les regards, tu es vu comme un objet, comme quelque chose qu’ils doivent posséder de toutes les façons possibles ! Alors que non ! Je veux dire... On est pas des bouts de viandes ! Et on a le droit d’être comme on veut et qui on veut !” Elles n’avaient pas entendu la plus âgée du groupe s’approcher d’elles, dans leur dos. “La féminité ne doit pas être vu comme une malédiction. Elle est une force. Et toi, jeune demoiselle, tu disposes d’une force que tu as caché. Il est temps que tu oses t’en servir. Montre-leur toute ta puissance. Peu importe qui tu vénères. Mais sache qu’à Beltane, nous célébrons Danu et Bélénos. Mais nous pouvons aussi vénérer Aphrodite à cette période. A d’autres, nous célébrons Hécate. Chacune a ses propres atouts et sa propre puissance. Il ne tient qu’à toi de choisir celle que tu veux employer. Sache toutefois que chaque fois où tu poseras le pied sur cette terre, tu seras libre de te joindre à nous pour ton montrer la force qui aura grandi en toi.” C’est sur ces mots que Calypso, le regard plongé dans les flammes, pris une décision : celle de ne plus craindre ses pouvoirs et d’en faire une véritable force.