« Bon, je... Je me sens stupide, mais maintenant qu'on est là, je sais pas quoi faire. On devrait trouver ce qui nous attend au fond de l'eau, mais ça, ça ne fait pas partie du rêve. Tu as une idée ? »

Alexis poussa un long soupir en observant les alentours. Il n’y avait, pour ainsi dire, rien. Alexis aurait pu se tenir debout sur le plus gros caillou du monde qu’elle n’en aurait pas été surprise. La seule forme de vie semblait provenir des vagues qui venaient s’échouer sur cette plage microscopique.

« On se… sépare ? »

C’était une idée plutôt stupide mais Alexis ne voyait pas spécialement d’autre solution. Et puis, ce n’est pas comme s’ils étaient au milieu d’un repère de monstres… non ? Alexis essaya de ranger cette idée dans un coin de sa tête pour se concentrer sur le zonage de l’île. Après s’était mis d’accord, à l’aide d’une carte grossièrement représentative, sur les endroits qu’ils devaient visiter, Alexis et Erwin se séparèrent. Alexis fut rapidement rassurée car elle voyait toujours la silhouette d’Erwin au loin. Parfois, comme elle, il se trouvait face à une crevasse ou une petite falaise et il disparaissait temporairement de son champ de vision mais, globalement, Alexis pouvait toujours avoir un œil sur lui. Il pourrait même hurler qu’elle l’entendrait toujours.

Face à une falaise légèrement plus abrupte que les autres, Alexis se reconcentra sur sa mission première : tenter de trouver quelque chose, n’importe quoi, qui pourrait aider Erwin de près ou de loin – ce qui était l’équivalent de chercher une aiguille dans une botte de foin. Chaque fois que le vent venait fouetter son visage, Alexis essayait d’y déceler un message divin même si, finalement, il ne s’agissait que de vent.

Lorsqu’Alexis arriva en haut de la falaise, l’air ambiant changeant légèrement (rien à voir avec le vent, finalement). Les yeux plissés, elle se mit à observer plus attentivement son environnement. Son instinct de demi-déesse la faisait frémir et elle sorti l’une de ses dagues juste par acquis de conscience. Prudemment, elle s’approcha de plusieurs rochers qui semblaient avoir plusieurs symboles dessinés dessus. Non, pas dessiné, songea Alexis. Écrits. La demi-déesse se retourna et hurla le nom d’Erwin pour attirer son attention et lui faire signe de revenir vers elle. Elle ne vérifia pas si le vent avait avalé son appel ou non et se reconcentra sur les rochers face à elle.

Le temps qu’Erwin arrive à son niveau, Alexis avait déchiffré grossièrement le message – même si déchiffré était un bien grand mot quand il s’agissait principalement de ses instincts divins qui s’activaient pour elle. Plutôt que des mots, elle pointa du doigt les alentours pour qu’Erwin puisse se faire son propre avis. Elle laissa le temps à Erwin pour déchiffrer avant d’enfin parler :

« Quelle est ta conclusion mon capitaine ? »

La conclusion était logique : Alexis allait devoir se mouiller les pieds. Puisqu’il était hors de question qu’elle laisse Erwin y aller tout seul, la vraie question était de savoir comment elle allait le suivre dans cette caverne sous-marine pleine de monstres et de cauchemars.

« On se… sépare ? »

Erwin ne voyait pas d’autre solution pour avancer un tant soit peu dans leur quête. Pourtant, il n’aimait pas beaucoup ces mots. Un hochement de tête et un soupir résigné plus tard, il cherchait des indices quelconques sur sa parcelle de l’île. Le terrain s’étendait sur bien peu de surface : Asprónissi se rapprochait davantage d’un gros rocher que d’une véritable île. Alexis n’était jamais particulièrement loin. Pourtant, le fils de Poseidon ressentait un fossé se creuser au fur et à mesure qu’il s’éloignait d’elle pour fouiller de son côté.

Être à la tête des opérations n’avait jamais été son fort, et être celui qui recevait les messages des dieux encore moins. Que devait-il faire de ce rêve qui lui en dévoilait trop et toujours pas assez à la fois ? Erwin se souvenait dans les moindres détails de l’ouverture béante dans le ventre de l’océan, mais comment la trouver depuis la surface ? Et comment savoir ce qu’elle renfermait de si important pour qu’une divinité pousse un pauvre demi-dieu tel que lui vers les profondeurs ?

Quand Erwin perçut l’appel d’Alexis, il se sentit rassuré qu’elle ait trouvé quelque chose d’intéressant. Ainsi, peut-être n’était-il pas passé à côté d’un élément important, contrairement à ce qu’une petite voix dans sa tête commençait à lui souffler insidieusement. Il s’empressa de rejoindre la fille d’Arès. Elle se tenait, droite et fière, devant un ensemble de vieilles pierres. Et sur ces pierres, une inscription qu’Erwin mit quelques instants à décoder sous le regard patient de sa partenaire.

« Quelle est ta conclusion mon capitaine ? »

Les sourcils froncés, Erwin n’osait parler trop vite. La conclusion lui semblait donnée sur un plateau d’argent ; cependant, il avait peur de faire le mauvais choix. Pas pour lui, non, son rêve était bien assez évident pour comprendre qu’il fallait plonger et se diriger vers cette caverne en bas de la face Nord. Mais pour Alexis… Devait-il réellement l’emmener avec lui là-bas, au fond de l’eau ? Même si l’endroit était vraisemblablement celui qu’il cherchait, Erwin ne pouvait ignorer la mise en garde qu’affichait le rocher. N'approchez pas de la caverne se situant dans la face Nord de l'île, quelques mètres sous le niveau des plages, sous peine de mort divine.

« On va plonger. »

L’avait-il dit pour Alexis ou pour lui-même ? Le demi-dieu leva les yeux vers la fille d’Arès pour vérifier qu’elle avait entendu sa réponse à peine soufflée. L’éclat dans ses yeux, mélange de détermination et de terreur, accrocha son regard comme une ancre au large. Un échange silencieux traversa l’espace entre les deux sang-mêlé. Tu n’es pas obligée de venir. – Si tu plonges, je plonge. Bien sûr. Erwin le savait très bien. Au fond, c’était peut-être même ce qui l’inquiétait le plus dans cette quête. Il s’approcha d’Alexis.

« Tu vas avoir besoin d’un petit coup de pouce, alors. »

Le fils de Poseidon tira une petite clé de sa chaussure, là où il avait l’habitude de l’attacher discrètement à l’aide d’une fine chaîne de cheville. En une fraction de seconde, son placard invisible s’ouvrit dans le vide. A la vue d’un bocal vide posé dans un coin – pas du tout à sa place, donc – Erwin eut une pensée douce-amère en se disant qu’il aurait bien emmené Bubulle avec lui pour lui demander de jeter un œil dans l’eau en éclaireur. Mais l’idée de larguer un petit poisson rouge dans l’eau salée de la Méditerranée n’était peut-être pas le plus grand éclair de génie qui soit, alors le fils de Poseidon relégua ses regrets dans un tiroir et attrapa ce qui l’intéressait sur le rebord d’une petite pile de livres. Il referma le placard, rattacha la clé dans sa cachette et tendit à Alexis le collier qu’il tenait à la main.

« Tu devrais le porter. Tu pourras te concentrer sur notre destination sans t’inquiéter de ta respiration. Je me débrouillerai avec une bulle d’air. »

Quelques mètres sous le niveau des plages. C’était tout ce qu’il faudrait tenir avec une bulle. Du moins, Erwin l’espérait. Il croisait bien fort les doigts pour trouver ne serait-ce qu’une minuscule alcôve d’air coincé entre les rochers de la caverne pour faire le plein s’ils devaient rester sous l’eau plus longtemps.

Les deux sang-mêlé retournèrent à leur embarcation pour se munir de leur matériel minimaliste, prirent le chemin de la face Nord, descendirent jusqu’à la plage aux alluvions rocailleux, et lentement, ils se glissèrent dans l’eau. Conscients que la caverne ne disparaîtrait pas dans la minute, ils prirent le temps de prendre des repères, d’établir quelques codes gestuels en cas de besoin, et de nager jusqu’à une petite distance de la rive pour ne pas risquer de se fracasser contre le pied de l’île.

« N’aie pas peur d’attraper mon pied si je te distance ou si tu as peur de ne plus me voir. Dans mon souvenir, il faisait vite sombre sous la surface. Peut-être que c’était juste un aspect dramatique du rêve, mais on ne sait jamais. »

Alexis hocha la tête, son air déterminé toujours peint sur le visage. Erwin posa une main mouillée sur sa joue.

« Tout va bien se passer. »

S’il parvenait à en convaincre Alexis, peut-être Erwin saurait-il s’en convaincre lui-même.

Une dernière inspiration – pour Erwin, du moins – et ils plongèrent. Le fils de Poseidon avait troqué les lunettes de plongée contre sa bulle d’air, au moins tant qu’il possédait suffisamment d’oxygène. Il avait pris soin d’étendre sa bulle artificielle jusqu’à son front en solidifiant l’eau autour de sa tête. En dépit de cela, sa vue se troubla l’espace d’un instant en entrant dans l’eau salée. A côté de lui, Alexis se contentait de ses lunettes, une valeur sûre. Ils nagèrent tous les deux, s’enfonçant dans le froid et l’obscurité. A quelques mètres de profondeur, la Méditerranée n’avait plus rien d’estival ni d’accueillant.

Erwin ressentit la désagréable sensation de se faire happer par des forces qui le dépassaient. Les quelques minutes que dura leur descente, la peur de devoir affronter un quelconque monstre marin avant même d’atteindre leur objectif enserra les entrailles du fils de la mer. Lorsqu’il avait l’impression de prendre un peu trop de distance, il ralentissait l’allure et tendait une main en direction d’Alexis, qui ne tardait pas à lui effleurer les doigts. Ce contact timide et presque irréel au fond de l’eau rassurait Erwin pour un temps. Jusqu’à la fois suivante.

Dans le noir, la difficulté n’était pas seulement de nager vers le bas sans se perdre, mais surtout de repérer la caverne, si impérieuse dans le rêve d’Erwin. Il fallait se rendre à l’évidence : les songes mettaient en avant ce qui arrangeait les dieux. Lorsqu’Alexis pointa du doigt une aspérité plus sombre au centre de la paroi sous-marine, le fils de Poseidon eut un doute l’espace d’une seconde. Cette cavité ne pouvait être que la grotte qu’ils cherchaient, pourtant elle semblait bien insignifiante sans l’angoisse oppressante du rêve. Un détail toutefois ne pouvait prêter à confusion.

La voix.

Une sorte de murmure, une plainte, un chuchotis qui aurait aussi bien pu être dû à la compression des tympans sous le poids de la mer. Mais Erwin le reconnaissait, ce son qui avait hanté ses nuits depuis qu’il était revenu en Grèce. Il attira Alexis à sa suite pour entrer dans la caverne. L’eau y était plus sombre encore, mais Erwin fut soulagé de la sentir gagner quelques degrés également. Juste un peu, tout juste assez pour que la peau remarque ce changement de température. Cela ne pouvait signifier qu’une chose : il y avait, quelque part, pas loin au-dessus de leurs têtes, la surface.

Respirer sous l’eau n’était pas une aptitude innée. Alexis retint sa respiration jusqu’à s’en faire mal aux poumons, jusqu’à voir flou jusqu’au moment où elle craqua et prit une grande inspiration. L’eau noire autour d’elle rendait la descente douloureuse mais ce bref moment de répit où elle réalisa qu’elle pouvait, en effet, respirer, l’apaisa quelques secondes. Peu habituée à ce genre de chose, Alexis ne prenait que des respirations courtes et rapides, rendant la nage plus difficile que si elle respirait normalement. Elle peinait à maintenir son rythme avec Erwin et il dû ralentir à plusieurs reprises pour qu’elle l’atteigne. Combien de temps pouvait durer sa bulle d’air ? Et s’ils se faisaient attaquer maintenant ? Alexis n’aurait aucun doute et rendrait le collier à son propriétaire mais qui sait dans quels stupides dangers se mettraient le fils de Poséidon pour la ramener à la surface ou pire, lui rendre le collier.

Ces idées noires accompagnèrent la fille d’Arès tout le long de la descente alors sa respiration se faisait saccadée, ses muscles douloureux, et cette oppressante sensation d’être observée plus urgente. Au bout de quelques minutes, les deux sang-mêlé ralentirent pour observer leur environnement. Alexis tentait de repérer quelque chose, n’importe quoi à vrai dire, sans avoir la moindre idée des indices qui pouvaient en être. Finalement, un faible mouvement attira son regard qui se posa alors sur une sorte d’aspérité sur la surface rocheuse face à eux. Lorsqu’elle pointa du doigt l’endroit, Erwin eut un instant de flottement. Alexis était bien incapable de distinguer les émotions de son petit-ami avec tant de flou et d’obscrutié mais elle crut déceler le moment où il décida que oui, c’était bel et bien là où ils devaient aller.

Alexis suivit Erwin aveuglément, désespérément. La panique à mesure qu’ils s’enfoncèrent sous la roche était étouffante. Alexis avait l’impression qu’elle ralentissait à chaque fois qu’elle tentait d'accélérer, que l’eau devenait de plus en plus noire, que sa respiration devenait de plus en plus en difficile à reprendre. Les couloirs rocheux étaient-ils en train de se renfermer sur elle ? Combien de temps pouvait-elle tenir avec ce collier ? Erwin avait-il encore assez de souffle ? Et si un monstre les attendait au bout, et si…

Alexis perça la surface aqueuse, le corps trembla. Une faible luminosité bleutée émanait de certains rochers au-dessus d’eux mais elle aperçut une torche ou deux au loin. Alexis ne s’attarda pas de suite sur ces détails, avalant goulûment l’air humide de la caverne. Son cœur cognait toujours dans sa cage thoracique mais ce mouvement était cette fois rassurant : elle était en vie. Erwin aussi. Elle plongea son regard dans le sien et tenta de cacher tant bien que mal les terribles sensations que cette descente lui avait procuré. Erwin n’était pas dupe mais il semblait se satisfaire de ce petit pouce en l’air.

Il y avait presque quelque chose de religieux, de divin, dans cette grotte. Alexis n’osait pas parler. Le plus silencieusement possible, les deux sang-mêlé se dirigèrent vers l’un des bords de la caverne. Alexis se hissa et essora ses cheveux avant de les tresser pendant qu’Erwin fouillait dans son placard magique pour sortir des vêtements secs qu’elle enfila par-dessus sa combinaison de plongée. Enfin, elle accrocha ses poignards à leur place et lança un regard silencieux à Erwin. On y va ? Erwin hésita, comme depuis le début de cette quête improvisée. Alexis posa une main sur sa joue et colla son front contre le sien. Ça va aller, semblait-elle dire. Tant qu’on est ensemble.

Les deux sang-mêlé prirent une profonde inspiration au moment même où un bruit métallique se fit entendre. Ils se dissimulèrent alors derrière un rocher. Alexis, les doigts serrés sur l’une de ses dagues, jeta un coup d'œil au niveau du couloir d’où provenait le bruit et distingua une ombre qui venait dans leur direction.

Une fois hors de l’eau, les deux sang-mêlé gardèrent le silence. Tandis qu’Alexis assemblait ses mèches humides en une tresse vaguement serrée, Erwin observait les alentours. La faible luminosité l’avait d’abord peu dérouté : tout semblait moins sombre que les abysses. Mais lorsqu’il avait aperçu les torches, une montagne de certitudes s’était effritée en une fraction de seconde. Là où le fils de Poseidon s’attendait à trouver une caverne sauvage, ce signe de civilisation était un élément perturbateur. Les pierres luminescentes qui éclairaient naturellement la grotte faisaient pâle figure en comparaison. Erwin tournait les yeux d’un recoin à l’autre de cette enclave sous-marine sans savoir quoi penser.

Les doutes envahissaient la tête d’Erwin, susurrant à son oreille qu’il n’aurait pas dû embarquer Alexis dans cette quête dont il ne connaissait même pas l’aboutissant. Par où aller ? Que faire ensuite ? Pourquoi était-il venu si ce n’était pour apaiser ses nuits ? Comme à son habitude désormais, la fille d’Arès se fraya un passage entre ces pensées invasives juste avant que son compagnon perde pied. Lorsqu’elle apposa son front contre le sien, Erwin sentit une pression s’envoler de son esprit. Il ne savait pas ce qu’il devait faire. Elle non plus. Mais elle le suivait et le soutenait. Ils iraient vers l’inconnu, mais à deux. Les mots invisibles qui volèrent entre eux s’imprégnèrent dans le cœur d’Erwin et le fils de Poseidon releva la tête, pas plus confiant, mais plus serein.

Alors qu’il allait guider Alexis vers une bouche rocailleuse à la lumière vacillante, la fille d’Arès le tira en arrière. Un son venait de retentir. Le rocher le plus proche offrait la meilleure cachette que les sang-mêlé avaient à leur disposition. Autant dire pas grand-chose : plutôt qu’un rocher, il s’agissait plus objectivement d’une grosse stalagmite glissante. Pas de quoi dissimuler deux corps de demi-dieux. Lorsque le monstre – un telchine – franchit le seuil du tunnel qui menait à la caverne, il ne manqua pas de les voir !

« Des intrus ! »

Merde ! Erwin se releva sans attendre une seconde de plus. Il tira Alexis derrière lui. Contre un seul monstre, ils pouvaient espérer passer sans encombre. En revanche, s’ils attendaient, aucun d’eux ne savait contre combien de telchines ou d’autres créatures ils devraient se battre. Et, coup de chance, celui qui leur faisait face n’avait pas l’air particulièrement dégourdi.

« On fonce ! »

La stratégie, si ce geste irréfléchi pouvait porter un tel nom, sembla porter ses fruits. Le monstre avait un air si confus qu’Erwin se demanda s’il avait réellement ne serait-ce qu’une once de monstruosité dans ses veines. Mais les apparences pouvaient se montrer trompeuses. Le telchine, bien que peu impressionnant et lui-même fortement impressionné, lança ce qu’il avait à la main en direction des sang-mêlé. Erwin n’eut que le temps de comprendre de quoi il s’agissait : le seau métallique toucha le sol luisant au moment où le fils de Poseidon étira son bras vers l’eau, derrière lui. Une vague s’éleva, rejoignit sa main à toute vitesse, passa devant Alexis à l’instant où le contenu du seau allait lui retomber dessus… et retomba par terre en une masse d’eau inerte lorsque le bras d’Erwin se mit à le brûler.

Le produit que contenait le seau n’avait touché que quelques parcelles de peau, mais le demi-dieu sentait son épiderme fondre à ce contact. Sans stopper sa course, Alexis sur les talons, il étouffa un cri et attira ce qu’il restait d’eau pour soulager un tant soit peu son bras. Cette carapace aqueuse n’était qu’un faible soulagement, mais les renforts que le monstre avait tenté d’attirer en sonnant l’alerte ne tarderaient certainement pas à arriver, il ne fallait pas perdre de temps. Erwin prendrait le temps plus tard de s’appliquer le bandage d’Asclépios qu’il possédait. En espérant que son bras n’aurait pas entièrement fondu d’ici là.

Le fils de Poseidon n’avait aucune idée d’où il allait, mais la caverne semblait heureusement assez basique : pas de dizaines de tunnels ou de cavités comme ç’aurait pu être le cas dans le Labyrinthe. Les couloirs se succédaient sans se faire trop de concurrence. Tout juste les demi-dieux eurent-ils à choisir deux fois entre les chemins qui s’offraient à eux – pour se rendre compte, quelques mètres plus loin, que ces deux chemins se rejoignaient apparemment.

Lorsqu’il sembla à Erwin qu’ils avaient pris suffisamment d’avance sur le telchine qui les avait potentiellement suivis, n’entendant pas encore arriver les monstres à la rescousse de leur congénère, il s’arrêta. Alexis tourna un regard vers lui, comme s’attendant à le voir repartir aussi vite.

« Attends… Juste une seconde… »

Erwin serrait les dents en attrapant la clé de son placard pour en sortir le bandage. Il cessa de solidifier l’eau autour de son bras et découvrit l’état de sa peau. Rongée. Les traces du produit projeté par le monstre avaient laissé des dessins ondulants sur l’avant-bras du fils de Poseidon et creusait des sillons noirs dans sa chair. Le simple contact de l’air sur la plaie fut une brûlure mordante et impitoyable. Erwin sentit des larmes perler au coin de ses yeux tandis qu’il enroulait le bandage d’Asclépios autour de la blessure. Il n’en sentit pas l’effet immédiatement, mais l’idée d’une guérison accélérée lui donna un regain d’énergie.

« C’est bon. On peut y aller. »

Sa vue se brouillait légèrement sous le coup de la douleur, mais son bras était encore opérationnel. Après tout, il aurait pu être en plus mauvais état…



► lancer d’acide de dé

Dès l’instant où Alexis comprit qu’ils étaient repérés, ses instincts prirent le dessus. Ses dagues, qu’elle tenait en position défensive jusque-là, passèrent en mode offensive alors qu’elle s’élançait vers le monstre. Erwin, quant à lui, la tira en arrière avant de finalement la relâcher. On fonce ! Elle ne se pas prier, lui faisant entièrement confiance quant à son analyse de la situation. Au moment où elle se jugeait assez proche pour attaquer, le monstre les attaqua avec… un sceau ? Alexis n’eut pas le temps de comprendre ce qu’il se passait qu’une barrière d’eau lui fila sous le nez l’espace de quelques secondes. Cela ne la freina pas pour autant et elle profita de la confusion générale pour tuer le monstre d’un coup de dague avant de retourner sur les pas d’Erwin.

La menace avait peut-être été étouffée pour le moment mais Alexis savait que les telchines n’étaient jamais seuls. Elle emboîta rapidement le pas d’Erwin non sans jeter des coups d'œil à répétition derrière eux. Étaient-ils suivis ? Quelqu’un d’autre avait-il entendu le telchine solitaire crier ? Alexis serrait si fort ses dagues que ses jointures en étaient devenues blanches. Elle ne se calma que lorsqu’Erwin lui intima de s’arrêter juste une seconde. Elle réalisa seulement à ce moment qu’il était blessé et elle se détesta de ne le remarquer que maintenant.

« C’est bon. On peut y aller. »

Alexis continuait de fixer le bandage d’Asclépios tout en se maudissant silencieusement. Avait-elle été à ce point obsédée par le telchine qu’elle n’avait pas remarqué une deuxième menace ? Qu’est-ce qui avait pu produire de ce type de réaction ? Les sourcils froncés, Alexis secoua la tête avant de regarder une nouvelle fois de là où ils venaient. Un silence de mort régnait. Elle croisa alors le regard d’Erwin et secoua la tête.

« Non, attends. »

La voix d’Alexis n’était qu’un murmure dans le silence de cette grotte. Personne ne les suivait pour l’instant. Elle indiqua d’un regard un rocher assez bas pour qu’Erwin puisse s’y asseoir – ou, au mieux, s’y appuyer le temps de reprendre ses esprits.

Alexis fit mine d’observer les alentours dans l’espoir de gagner quelques secondes supplémentaires de repos au fils de Poséidon. Elle n’avait pas besoin d’être une fille d’Apollon pour savoir que son cher et tendre souffrait à cause de sa blessure – et donc à cause d’elle, par extension. Elle savait aussi qu’il pouvait se montrer particulièrement buté et qu’il n’apprécierait pas qu’elle lui force le repos sous un prétexte aussi altruiste que “je m’inquiète pour toi, tête d’enclume”. Si elle pouvait, elle ferait le tour toute seule de cette grotte pour trouver l’origine des cauchemars d’Erwin et sommer l’énergumène qui en était responsable d’arrêter son comportement égoïste dès maintenant.

Après quelques regards furtifs supplémentaires autour d’eux, Alexis s’appuya contre un mur et regarda Erwin.

« Tu as déjà été jusqu’ici dans ton rêve ? »

Le moindre indice pourrait la prévenir des dangers à venir mais elle n’était pas naïve. Les dieux étaient doués pour envoyer des messages énigmatiques et taire les dangers qui allaient avec. “Tu veux que ta migraine cesse ? Meurs.” Alexis adorait les dieux (non).