Alexis pris une grande inspiration, seule, debout face à la Grande Maison. Revenir à Long Island après plus d’un mois d’absence l’angoissait autant que ça la rassurait car ce lieu représentait à la fois ses pires épreuves et ses meilleurs souvenirs. Pour autant, elle ne dépréciait pas ce retour car la Colonie resterait toujours, d’une façon aussi étrange que surprenante, un foyer pour Alexis. Elle qui avait haït sincèrement venir ici les premières années chérissait aujourd’hui la Colonie et éprouvait un profond lien d’appartenance à ce lieu. Pour autant, elle ne pouvait pas nier que le voyage en Europe, qu’elle venait d’effectuer en compagnie de ses parents et d’Erwin, lui avait aussi fait énormément de bien. Découvrir les lieux préférés d’Elin et Ana, retourner en Suède et en France, passer des moments simples mais joyeux en compagnie d’Erwin… Toute cette parenthèse à sa vie ici lui avait permis de retrouver l’équilibre dont elle avait besoin.

Alexis avait longtemps nagé dans le flou après son départ officiel de la Colonie. Quel avenir pour un sang-mêlé qui n’avait connu que les conflits, le sang et la peur ? Alexis avait longtemps hésité et finalement avait décidé qu’elle n’était pas prête à quitter définitivement le lieu qui l’avait vue grandir. Ce voyage en Europe, ses longues discussions avec sa mère, tout cela l’avait convaincue d’une chose : la Colonie lui avait offert beaucoup et elle comptait lui rendre. Elle décida donc de s’y rendre pour discuter avec Chiron et Alekseï d’une possibilité de proposer ses services de façon plus officielle. L’engouement de cette discussion l’avait néanmoins fait arriver beaucoup trop tôt à son rendez-vous et Alexis décida de se rendre à la plage.

Respirant les embruns, Alexis se délecta des nombreux souvenirs qui vinrent s’enrouler autour d’elle. Cette sensation de bien-être qui l’enveloppait lui confirmait qu’elle faisait le bon choix et cette constatation ne fit qu’accroître l’urgence à l’idée de parler avec Chiron et Alekseï. Peut-être aurait-elle dû accepter l’offre d’Erwin de l’accompagner, au moins cela aurait-il calmé les palpitations d’angoisse qui venaient lui chatouiller le creux de l’estomac.

Une silhouette se dessina alors au loin et Alexis profita de cette distraction pour étouffer une partie de l’anxiété qui s’emparait d’elle. À mesure qu’elle s’approchait de cette personne, elle reconnut Darren – son voisin de la Nouvelle-Athènes et un ami très cher d’Erwin avec qui elle s’entendait bien. Elle savait qu’il continuait de venir à la Colonie mais elle ne l’avait encore jamais croisé ici. Elle éprouva un sentiment mitigé face à cette vision, comme si deux univers rentraient en collision : la Nouvelle-Athènes et la Colonie, deux entités distinctes qui pourtant n’en formaient qu’une.

« Darren ? »

Le jeune homme, qui ne l’avait probablement pas entendu arriver, sembla surpris lorsqu’il tourna son regard vers elle. Alexis tenta de lui offrir un sourire chaleureux mais leur relation n’était pas aussi proche que celle qu’il entretenait avec Erwin et Alexis avait peur d’en faire trop alors elle s’empressa de trouver un sujet de conversation.

« Ça va ? Que fais-tu si tôt ici ? »

Il eut un instant d’hésitation dans le comportement de Darren, comme s’il se demandait s’il pouvait répondre ou pas. Peut-être qu’Alexis s’était trop avancée sur sa relation avec lui. Peut-être qu’il était simplement cordial avec elle par politesse mais qu’il ne cherchait pas pour autant à discuter avec elle.

« J’ai dormi ici. La nuit a été un peu fraîche, mais la vue au réveil est pas mal du tout. »

Ou alors il hésitait tout simplement à avouer qu’il avait dormi à la belle étoile. Alexis se sentait un peu stupide, elle était encore venue trop hâtivement à des conclusions fausses. Darren se releva et s’étira, et Alexis en profita pour regarder l’horizon. Le soleil se levait doucement et teintait l’océan d’une couleur orangée douce et apaisante.

« Sinon ça va bien. Je réfléchissais à différentes choses. Et toi ? Que fais-tu ici aussi tôt ? »

Darren détourna le regard une fois sa question posée et se perdit à son tour dans la contemplation des vagues. Un léger sourire se dessina sur les lèvres d’Alexis lorsqu’elle remarqua que son anxiété s’était un peu calmée. Darren avait une aura particulière et une voix à la fois grave et calme. Ce combo apaisait Alexis et elle se félicita d’avoir décidé de venir sur la plage pour passer le temps.

« Je viens voir Chiron et Alekseï. » Alexis fit une pause, pesant la saveur de ces mots prononcés à voix haute. « J’aimerais… j’aimerais participer à la vie de la Colonie même si je n’y suis plus. J’ai longtemps secondé Alekseï en tant que pensionnaire et je me dis que peut-être… peut-être je peux continuer en tant que… que moi. »

Alexis se tut quelques secondes et répéta encore une fois le discours qu’elle avait préparé pour son rendez-vous. Puis elle soupira et secoua la tête.

« Je ne sais pas trop s’ils seront d’accord, mais au moins j’aurai essayé. C’est dur de… de quitter définitivement la Colonie. »

« Je pense que tu mérites ta chance. Tu as un certain charisme, surtout lorsque tu t’entraînes. »

Alexis sourit sincèrement, touchée par le compliment de Darren. Ils s’étaient déjà entraînés ensemble et Darren, en tant que personne plus âgée qu’elle, avait un argument d’autorité sur elle. Le fait qu’il pense ça de la fille d’Arès signifiait beaucoup.

« Merci Darren, j’espère qu’ils penseront comme toi. »

Un léger pic de stress revint faire des siennes et Alexis sentit une légère douleur dans son ventre. Elle pinça les lèvres et tenta de se changer les idées en fixant l’océan avec force. Elle pensa aux poissons, aux embruns, aux algues, tout sauf à son rendez-vous – enfin, elle essaya. Et s’ils ne voulaient pas d’elle ? Et s’ils étaient assez nombreux ici ? Et si elle devait reprendre de zéro ses recherches sur ce que l’avenir lui réservait ? Elle n’avait jamais pensé vivre aussi longtemps et l’idée de devoir passer le restant de ses jours à ne pas trouver sa place dans le monde l’angoissait au plus haut point.

« Et toi, que vas-tu faire ? »

Alexis se détourna de l’océan pour regarder le profil de Darren. Lui aussi semblait perdu dans ses pensées. Peut-être pourrait-elle les aider tous les deux en lui faisant parler de ce qui le tracassait. De cette façon, elle penserait à autre chose en l’écoutant parler.

« Je pense que je vais chercher des réponses. Dis-moi, sais-tu des choses sur une personne s'appelant Rhylan ? »

Darren avait l’air de passer du coq à l’âne. Alexis n’avait même pas lui demander de l’interroger sur les questions dont les réponses étaient manquantes qu’il la questionnait déjà sur autre chose. À moins que les deux sujets soient liés ? Alexis se creusa les méninges à la recherche d’information sur cette Rhylan mais rien ne lui venait à l’esprit.

« Je cherche de mon côté, mais je ne trouve pas de réponse pour le moment. S’en doute que je ne m’y prend pas comme il faut. »

Rhylan, Rhylan, Rhylan. Alexis puisa loin dans ses connaissances pour tenter d’apporter un élément de réponse à son ami. Il n’était pas du genre à demander de l’aide mais Alexis sentait qu’il essayait malgré tout de lui en demander à sa façon. Finalement, au bout de quelques instants, Alexis réussit à mettre le doigt sur quelques informations concernant cette Rhylan.

« Si tu parles de Rhylan Crowe, alors je ne sais pas grand-chose à son sujet. Je sais qu’elle a été à la Légion, qu’elle a été Chasseresse et qu’elle est aujourd’hui Amazone. C’est une guerrière redoutable. Je te conseille de t’en faire une amie. »

Alexis fit une pause. Tout ce qu’elle savait de cette Rhylan tenait dans cette simple phrase de présentation. Alexis n’était pas du genre à chercher des ragots ou des informations privées et ne savait des choses que l’amazone que parce que cette dernière était une guerrière renommée. Alexis appréciait de savoir sur qui compter en cas d’urgence.

« Enfin, sauf si tu veux pas t’en faire une amie. Pourquoi tu te renseignes sur elle ? »

Une multitude de scénarios passèrent dans l’esprit d’Alexis. Rhylan avait-elle fait du mal à Darren ? Avait-elle causé du tort à son ami d’une façon ou d’une autre, que ce soit dans sa vie d’Amazone ou dans les précédentes ? Était-elle, au contraire, quelqu’un qu’il avait rencontré un jour et qu’il aimerait revoir ? Les pensées d’Alexis recommençaient à spiraler mais plutôt que de pointer sur l’angoisse, elles se plongeaient corps et âme dans l’imagination.