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Of ashes and love [solo]
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    Re: Of ashes and love [solo]


    25 mai 1869

    Cher journal,

    Dans l'attente de la prochaine sortie dans Naples, les journées passent et se ressemblent. Elles sont marquées par des habitudes nouvelles mais déjà tellement ancrées dans mon quotidien. J'aide Locke à répéter ses scènes. Je lui offre l'argent que j'ai mis de côté en guise de remerciement pour sa bonté mais il refuse. Il rapporte du port des poissons frits qui nous servent de repas à midi. Nous écrivons, chacun dans un coin de la pièce. Nous discutons d'un texte antique, des échos avec le présent qu'évoquent ces récits pourtant si anciens. Le soir venu, Locke se blottit dans les draps et je lis à voix haute Le comte de Monte-Cristo.

    Pourtant, aujourd'hui était un peu différent. Un simple geste de Locke a bouleversé mes certitudes et m'a plongé dans les affres du doute et de l'espoir. C'était avant qu'il ne parte pour sa répétition.

    Je tapote avec mon porte-plume ma lèvre inférieure, réfléchissant à mon activité du jour. Frustré de ne plus pouvoir parcourir les boutiques luxueuses et visiter des appartements soignés, j'ai décidé d'imaginer un nouvel aménagement pour la chambre de Locke. C'est peu de chose mais il me faut un exutoire, une activité qui fasse un peu courir mon inventivité, pour ne pas qu'elle s'amenuise dans la pauvreté intellectuelle de l'enfermement. Je me détache de mes schémas et plans pour saluer Locke, qui a mis sa veste et s'apprête à partir. Quelque chose attire son attention, a-t-il remarqué ce que je faisais ?

    - Attends...

    Sur ces mots, il se penche vers moi et passe un pouce sur ma bouche.

    - Voilà, à plus tard !

    Et le voici parti, me laissant interdit. Je reste ébahi quelques secondes, avant de porter une main à ma bouche, sans oser la toucher. Est-ce qu'il vient de se produire ce que je crois ? N'était-ce pas plutôt une illusion formée par mon esprit en manque d'air frais ? Non. Non, Locke vient effectivement de me caresser le visage. C'est impossible. Il n'est pas intéressé. Pourquoi ferait-il cela ? Il n'est pas assez sournois pour vouloir se jouer de moi en me faisant espérer quelque chose qu'il ne me donnera pas. Locke est trop honnête pour ce genre de manigance. Mais alors... cela signifierait qu'il ressent la même inclination que moi ? Pourquoi ne me le révéler que maintenant ? Et juste avant de s'éclipser qui plus est ! C'est incompréhensible.

    Je passe la majeure partie de l'après-midi à repasser en boucle la scène dans mon esprit, incapable de penser à autre chose. J'imagine toutes les explications possibles, j'invente des scénarios improbables. J'espère, aussi. Mais pour ne pas me laisser emporter par cette émotion trop dangereuse, je me concentre sur ma tâche et je réussis à dessiner convenablement un plan de la chambre de Locke avec le nouvel agencement des meubles. Je suis en train d'ajouter la touche finale à mon esquisse quand il rentre dans la pièce, l'air un peu fatigué mais satisfait. Je me lève brusquement.

    De toutes les phrases avec lesquelles j'ai imaginé l'accueillir, aucune ne me reste en tête. Tous mes plans ont disparu quand je l'ai vu entrer, fracassant le calme que j'avais réussi à retrouver. Je ne peux que le regarder, incapable de prétendre la nonchalance qui me caractérise habituellement, le corps tendu par l'anticipation. Il fronce les sourcils et désigne du doigt sa bouche en disant :

    - Tiens, tu as encore de l'encre sur la lèvre, je croyais te l'avoir enlevée tout à l'heure.

    Je reproduis son geste et tout s'éclaire : il ne me caressait pas avec la tendresse d'un amant, il me débarbouillait avec la bienveillance d'un ami. Seigneur, comme j'ai honte de m'être laissé aller à l'espoir. Que je suis ridicule, avec tous mes scénarios et mes plans. Locke ne ressent toujours aucune inclination pour moi. Jamais il ne sera mû par la même attirance que celle que j'ai pour lui.

    Ce soir j'ai prétexté un mal de tête pour ne pas lire notre roman habituel. Je suis trop misérable pour cela. Plus jamais je ne me laisserai prendre à espérer. Je ne supporterai pas une seconde fois la déception horrible qui broie mon cœur depuis son retour.
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      Re: Of ashes and love [solo]


      27 mai 1869

      Cher journal,

      Hier soir ressemblait à tous les autres soirs depuis une semaine. Sauf que je me suis interrompu dans ma lecture.

      Je suis assis sur le lit, du côté de la lampe. Locke est blotti contre le mur. Je tiens le roman ouvert d'une main, mon monocle de l'autre. Mon regard parcourt le début du chapitre, sans réussir à se fixer sur une phrase. Je sens le regard paresseux de Locke sur moi. J'hésite. Est-ce que je veux vraiment m'engager dans cette voie ? Suis-je sûr de vouloir partager une pensée aussi profonde et vulnérable avec quelqu'un d'autre que moi ? Je sens une main se poser sur mon genou, et quand je lève les yeux je rencontre le regard interrogateur de Locke. Oui, si c'est lui je suis prêt à me confronter à l'inconnu qui m'angoisse tant. À ses côtés je pense avoir la force de le faire.

      - Tu sais, maintenant que ma réputation est ruinée, je ne peux plus compter sur les ressources de ma famille ni sur les rentes de mes terres pour vivre. Et je n'ai pas l'intention de vivre à tes crochets indéfiniment. Il va falloir que moi aussi je travaille.

      Locke se redresse à côté de moi, il plie ses jambes contre lui et pose la tête sur ses genoux. Je sens que j'ai toute son attention, et son expression bienveillante mais sans misérabilisme m'encourage à continuer.

      - Mais le problème est que je ne sais rien faire de mes deux mains, je n'ai pas de talent comme toi avec le théâtre et je ne maîtrise aucun savoir-faire qui pourrait m'être d'une quelconque utilité dans ma situation.

      Il penche la tête de façon infime et demande :

      - Veux-tu que je t'aide à trouver un métier que tu pourrais exercer ? Je suis sûr qu'à deux on pourrait avoir des idées.

      Je fixe le mur un moment. Il se trouve que j'en ai une, d'idée. Mais la dire à voix haute, la confier à quelqu'un d'autre, ça lui conférerait quelque chose d'irrémédiable, comme si mon destin encore vague se scellait pour de bon par le pouvoir des mots. J'ouvre la bouche. La referme. Je pense à la main de Locke, au sentiment d'acceptation et au calme qu'elle m'a procurée.

      - En fait, j'ai pensé à quelque chose. Tu sais, hier, on a changé de place les meubles en suivant le plan que j'avais dessiné. Tu as admis toi même que c'était mieux. J'aimerais bien faire ça, dans l'idéal. Malheureusement, ça n'est pas un métier. Mais j'ai réfléchi aux meubles. Car dans ma famille c'est moi qui décide de tout l'aménagement intérieur des appartements. Je m'intéresse même aux jardins. Et je me suis dit que, peut-être, à défaut de pouvoir conseiller les gens, je pourrais leur vendre des objets d'art en effectuant moi-même une première sélection, afin de ne proposer que des décors de qualité.

      Locke me lance un sourire ravi. Il trouve que c'est une excellente idée, il lève les bras en l'air comme un diable qui sort de sa boîte et commence à imaginer à voix haute les merveilles que je pourrais vendre dans ma boutique, l'allure que j'aurais à présenter mes nouveautés aux clients, l'appartement que je pourrais louer et aménager moi-même grâce à l'argent gagné.

      Je suis gagné par son enthousiasme et je me mets à rire franchement. J'étais inquiet et angoissé avant de formuler à voix haute mon projet fou, mais quand c'est Locke qui le décrit je me surprends à penser que les choses pourraient être aussi simples que ça. Nous avons discuté jusque tard dans la nuit, longtemps après que la lumière ait faibli et se soit éteinte.
      Anonymous
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        Re: Of ashes and love [solo]


        28 mai 1869

        Cher journal,

        Je me réveille difficilement, la lumière qui éclaire faiblement la pièce est froide, mes draps sont humides et glacés. Je frissonne. J'ouvre les yeux pour découvrir une cellule aux murs couverts de fissures et de craquelures. Je lève un bras, je suis vêtu sommairement. Au pied du lit de fortune où je me tiens, une gamelle sale et vide. Je me trouve dans le dénuement le plus complet. Je suis en prison.

        Un son angoissé s'étrangle dans ma gorge. Je suis en prison. Ça y est, ma cavale a pris fin. Je suis condamné à la captivité. Mais ce n'est pas l'enfermement qui me fait le plus peur. Ce qui me fait trembler d'inquiétude, c'est le matelas froid. Je suis seul. Locke n'est plus là. Je suis prêt à affronter le dénuement, l'humiliation, l'enfermement, l'abyme intellectuel. Mais pas la solitude. Je ne peux plus faire face au monde sans Locke à mes côtés. J'en prends conscience maintenant qu'il n'est plus là.

        L'angoisse monte. Je suis irrémédiablement seul. Je ne me rendais pas compte que ma douleur s'était adoucie depuis que je vivais avec Locke. Et maintenant je l'ai perdu. Et maintenant je suis condamné, condamné à vivre mon pire cauchemar. Je me laisse tomber sur le lit froid et me tourne en tous sens, comme si ma situation était un insecte que je pouvais chasser en me secouant. Mais non. La prison est une tique qui m'a piqué et qu'il est désormais impossible de déloger. J'ouvre la bouche.

        - Hé, calme toi, tout va bien.

        Ce n'est pas ma voix que j'entends. Je rouvre les yeux, que je ne me souvenais pas avoir fermé. Par la fenêtre fermée coule un filet de lumière jaune. Les draps sont chauds, je suis transpirant. Et dans mon dos une main me caresse lentement. Locke. Il est là.

        - Voilà, ça va mieux là ?

        Je hoquète une réponse pitoyable.

        - J'aurais préféré que tu ne me vois pas dans cet état.

        Un cauchemar. C'était juste un cauchemar.

        - Tu penses pouvoir te rendormir ?

        Je fais non de la tête, passe une main pour dégager de mon front humide mes cheveux collés par la sueur. Locke s'arrête puis détache sa main de mon dos. J'aurais préféré qu'il continue. Mais sa voix chaude est proche de mon oreille quand il dit à voix basse :

        - J'ai une idée, tu me suis ?

        Je hoche la tête et, docilement, je me lève et suis ses instructions. J'enfile la robe que je porte pour sortir en ville et je le laisse me nouer un fichu autour de la tête et passer un châle sur mes épaules. Je me sens ridicule. Je me sens réconforté. Quand nous sortons par la porte de service, je suis frappé par la chaleur de la lumière du jour naissant. Il n'y a presque personne dans les rues, qui sont baignées par un voile jaune presque rose. Je voudrais capturer ce moment, commander à un peintre une scène napolitaine dans cette atmosphère si paisible et sereine. Je me tourne vers Locke. Une scène de rue ou un portrait de lui ? Il me sourit, ses dents brillent, et il m'entraîne à sa suite.

        Cher journal, ce matin nous n'avons pas vu de riche palais, ni de jardin foisonnant ni de théâtre spectaculaire. Nous n'avons visité que des rues aux échoppes encore fermées et des places vides sans aucun visiteur. C'était magique.

        Locke est magique.
        Anonymous
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          Re: Of ashes and love [solo]

          30 mai 1869

          Cher journal,

          Hier soir, Locke est rentré abattu. Chose inhabituelle, il avait une bouteille de vin dans un sac, au lieu de notre repas du soir comme prévu. Il s'est laissé tombé sur le lit et a poussé un gémissement frustré et fatigué. Je me suis levé de ma chaise pour m'approcher à sa hauteur et je lui ai demandé avec tout le flegme dont je suis capable :

          - Alors comme ça on prétend être plus dramatique que moi ?

          Au lieu de me répondre, il s'est tourné de façon à ne me montrer que son dos et m'a royalement ignoré. J'étais évidemment outré qu'il ne rit pas aux éclats (je ne m'attendais pas à ce qu'il admette avoir commis un impair et qu'il me fabrique une couronne en papier pour me faire roi du dramatique) mais j'étais surtout inquiet qu'il ne réagisse pas. J'ai demandé, plus près de lui, plus doucement :

          - Locke, que s'est-il passé ?

          Il a grommelé quelque chose que je n'ai pas compris, avant de se retourner pour me faire face. Son air peiné a touché quelque chose en moi que je ne soupçonnais pas, quelque chose de profondément caché et que j'aurais préféré ignoré. Je décidai que je m'en occuperai plus tard. Pour l'heure, il s'agissait de s'occuper de Locke. Je me suis retenu de replacer une de ses lourdes mèches derrière son oreille (jamais ce geste ne m'avait autant démangé qu'en ce moment précis) et je me suis contenté de retirer mon monocle, doucement car nous étions vraiment proches l'un de l'autre. Quand il a soupiré j'ai senti son souffle sur le bout de mon nez. Son regard s'est terni et il a fini par dire, comme si ça ne le concernait pas :

          - J'ai été refusé. Je ne jouerai pas Lorenzaccio dans sa nouvelle mise en scène par le signor Bellini. Heureusement que j'aime bien Oreste puisqu'il semblerait que je sois condamné à jouer ce rôle jusqu'à la fin des représentations. Alors je n'aurais plus qu'à devenir l'assistant d'un clerc de notaire minable et je mènerai un vie misérable et tout à fait commune.

          J'ai essayé de poser une main sur son épaule mais il a roulé sur le côté, serrant sa bouteille vide contre lui. Je n'ai rien pu tirer de lui hier soir. Il dormait déjà, sûrement sous l'effet de l'alcool, quand je me suis installé au lit avec Le Comte de Monte-Cristo.

          Alors j'ai pris une décision, cher journal. Le lendemain matin, lorsqu'il est parti sans dire un mot pour sa répétition du matin (j'ai deviné un mélange de honte et de pudeur dans son silence), j'ai enfilé la robe – ma robe – j'ai noué le fichu autour de ma tête, j'ai pris un éventail derrière lequel cacher mon visage et je suis parti. C'était la première fois que je sortais seul depuis le début de ma cavale. Heureusement, je commence à bien connaître les quartiers populaires de Naples grâce à mes visites avec Locke et j'ai pu aisément retrouver les échoppes qui m'intéressaient. J'ai ainsi fait quelques courses ; l'éventail m'a servi plus d'une fois, me faisant passer pour une jeune femme de bonne famille timide sans la compagnie de sa servante.

          Une fois les achats faits, j'ai décidé de pousser jusqu'à la grève pour respirer un peu l'air de la mer. Le ciel était maussade, les mouettes poussaient de temps en temps leur cri plaintif et la mer paraissait peu engageante. Pourtant, une touche de couleur égayait ce triste tableau. Dans une fissure du parapet poussaient quelques mauvaises herbes et, au milieu, une fleur mauve offrait ses pétales ouverts au soleil voilé. J'ai tout de suite pensé à l'offrir à Locke. Puis je me suis repris, il est indigne d'un homme de bonne constitution de s'abaisser à un passe-temps aussi féminin et passif que de cueillir des fleurs. Cependant, j'ai pris une minute pour observer ma situation actuelle. Je me tenais au bord de la mer dans des vêtements de femmes, pensant à offrir des fleurs à un comédien désespérément attirant et pas le moins du monde intéressé par moi. Je n'étais plus à ça près. J'ai cueilli quelques fleurs sur le chemin du retour pour compléter le bouquet.

          En rentrant, j'ai toqué à la porte de service du rez-de-chaussé. Une femme, que je venais très clairement de déranger, m'a ouvert avec une moue fière. Je n'avais rarement vu un tel pédantisme chez une personne de sa condition. Malheureusement, je ne pouvais lui répondre avec panache, je dû me contenter de demander à voix basse, derrière mon éventail, si la petite Maria était là. Elle a refermé la porte sans un mot de plus. Je commençai à craindre que tout mon plan, si ridicule soit-il, ne vole en éclat. C'est alors que la petite Maria est apparue, toujours aussi menue, comme une souris. Elle m'a reconnu instantanément :

          - Vous êtes l'ami de monsieur Locke ! Que faites-vous dans un attirail pareil ?

          Voilà un désagrément que je n'avais pas du tout prévu... Quelle situation humiliante ! J'ai senti le rouge me monter aux joues. J'étais déjà empêtré jusqu'au cou dans cette affaire ridicule, il ne me restait plus qu'à faire comme si tout était normal en espérant que, sur un malentendu, cela puisse passer. Je m'assurai d'abord de ne pas l'avoir trop choquée, il ne manquerait plus qu'elle n'aille au poste de police pour se plaindre du travesti qui vit au-dessus de chez elle.

          - Tu ne trouves pas ça trop étrange ?

          Avec son air candide, elle me répondit avec application comme si j'étais son maître d'école.

          - Oh non, je me suis dit que puisque vous étiez un ami de monsieur Locke, vous aussi vous aviez peut-être des penchants...

          Elle me lança un regard entendu puis se tût. Comment ça ? Quels genres de penchants ? Est-ce que Locke s'était déjà lui-même travesti et c'est pour ça qu'elle n'est pas choqué ? À moins qu'elle ne parle d'une sorte de penchants... Ah! Ne pouvait-elle pas finir sa phrase plutôt que de me laisser sans savoir ! Parce que si Locke avait des penchants du même genre que moi... Si Locke partageait mon attirance pour les hommes bien faits... Ses yeux ourlés de cils épais m'apparurent en pensée et, dans mon imagination, je les embrassais, ses paupières diaphanes frangées de cils délicats. Suivirent ses lourdes boucles presque noires (je les embrassais aussi), son cou tressaillant (même chose), ses pieds nus sur le parquet de la chambre (encore), ses poignets fins et agiles (toujours), le creux de ses reins que j'entrapercevais parfois au coucher (un baiser de plus)... J'aurais pu continuer longtemps, à rêver de ce que je ferais si lui aussi avait des penchants, comme disait la petite Maria. Elle toussota. Je sorti de ma rêverie.

          De toute façon, Locke avait eu tout le loisir de me faire comprendre qu'il était intéressé depuis que j'avais emménagé chez lui. Il ne l'avait pas fait. Et je m'étais promis que j'arrêterais d'espérer. Alors, avec une douleur lancinante qui me comprimait la poitrine, j'expliquai à la petite servante que j'avais besoin d'utiliser sa cuisine si elle voulait bien m'aider. Elle accepta. C'est ainsi que je suivais ses conseils pour cuisiner la volaille que j'avais achetée. Je coupai les légumes dans un état second, toujours occupé par la vision du corps de Locke. Je versais les herbes dans le pot sans vraiment comprendre lesquelles j'utilisais, comme si la pensée que jamais je ne pourrais l'embrasser, ce corps, me rendait malade. Je suis remonté avec les encouragements de la petite servante, qui m'assurait que j'avais réussi la recette, mais je lui ne sais plus ce que je lui ai répondu, trop embrouillé par... par...

          Cher journal. Voilà deux semaines que je suis chez Locke. Je devrais déjà être reparti, cherchant l'asile dans un pays lointain. Mais non. Me voilà assis face au plat que je lui ai cuisiné. Le pot fume un peu. À côté j'ai placé dans une cruche remplie d'eau mon bouquet de fleurs pour lui. Qu'est-ce qui ne va pas chez moi ? Je sais pourtant que les sentiments ne sont pas pour moi. Et voici que je suis complètement empêtré dedans. Rien de bon ne sortira de cette situation.

          C'est décidé. Je lui annonce ce soir que je pars.

          Plus tard

          Cher journal,

          Il fallait voir l'expression sur son visage quand il est rentré dans la pièce, qu'il a réalisé que la bonne odeur de viande venait du pot sur la table, que je l'avais préparé expressément pour lui. C'était de la joie pure, du soulagement, du réconfort, de la paix. Plus aucun souci, plus aucune tristesse. Il m'a demandé si j'avais cuisiné pour lui faire oublier le rôle pas obtenu. Je n'ai pu que hocher de la tête. Il m'a pris dans ses bras avec force, pendant un bref instant. Puis il s'est attablé et a commencé à raconter une autre audition qu'il venait de passer, qu'il ne fallait pas se décourager, que j'avais eu raison, que c'était une très bonne idée pour lui remonter le moral. Plus il parlait, plus ma détermination à partir fondait comme neige au soleil.

          Je n'ai pas pu. Je me suis assis et j'ai bavardé avec lui.

          Seigneur, je préférerai l'ignorer mais je ne le puis plus. Ce n'est pas une simple attirance pour un jeune homme brillant qui m'anime. C'est quelque chose de plus profond, qui court, souterrain, dans mes veines. Et je suis incapable de partir pour éviter le pire. Je cours à la catastrophe.
          Anonymous
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            Re: Of ashes and love [solo]

            31 mai 1869

            Cher journal,

            Locke a obtenu un rôle ! Dans l'OEdipe roi de Sophocle ! Heureusement qu'il a fait cette dernière audition malgré la déception de Lorenzaccio, le voilà récompensé pour sa ténacité ! Il mérite amplement ce rôle, j'en suis persuadé. Il est rentré si radieux que je n'ai pu conserver mon flegme digne, je me suis moi aussi mis à trépigner de plaisir. J'ai déclaré sur un ton qui n'admettait aucune objection :

            - Il faut qu'on fête ça dignement !

            Son regard s'est agrandi et il s'est mis à parler à toute vitesse.

            - J'ai une idée ! C'est ce soir le bal populaire du quartier, tu sais, tu l'avais remarqué dans le journal ! Tout le monde sera costumé, personne ne te remarquera ! On va pouvoir sortir et boire !

            Je me suis senti comme un enfant que l'on vient de gâter avec une surprise merveilleuse. Je sais que mes yeux devaient briller autant que les siens. Locke est sorti nous chercher des costumes, j'attends son retour. La soirée s'annonce formidable.

            Plus tard

            Cher journal,

            Soirée épatante. Venons de rentrer. Beaucoup d'alcool. Trop d'alcool. Les rues de Naples bondées de monde, de Pierrots tristes, d'Arlequins joyeux et de Colombines mutines. Des échoppes encore ouvertes malgré l'heure tardive d'où sortaient des odeurs délicieuses. Des musiciens à tous les coins de rue. Des guirlandes qui couraient le long des murs et des rondes d'enfants qui devraient être couchés depuis longtemps.

            Locke en pirate, moi-même en mousquetaire. Avons éclaté de rire en nous découvrant costumés. Avons couru l'un après l'autre dans la cage d'escalier, faisant un vacarme de tous les diables, donnant de grands coups avec nos épées factices. Avons déboulé dans la rue, essoufflés, nous regardant l'un l'autre, le regard brillant. Sommes allés de taverne en taverne, avons bu beaucoup plus que de raison, avons dansé.

            Danser avec Locke. Se tenir par le bras, se croiser dans la foule, se perdre l'espace d'un instant pour mieux se retrouver avec bonheur. Sentir son corps près du mien, plus près encore que lorsque nous dormons ensemble, sentir son odeur, sa transpiration, son souffle. Le rythme obsédant d'un tambour, toujours plus rapide, de plus en plus vite, la ronde s'accélère, je trébuche. Locke me rattrape.

            Je n'ai aucune idée de comment j'ai fait pour ne pas l'embrasser. Tu te souviens, cher journal, je rêve de l'embrasser. Partout. Tu n'as pas oublié. Ce soir, c'est le col largement ouvert de sa chemise de pirate qui appelait irrésistiblement mes lèvres. L'image de cette peau transpirante dévoilée par la fente dans le tissu me hante encore. Je suis dur en y repensant et-

            Tu m'excuseras pour la tâche d'encre cher journal, c'est Locke, il s'est penché par dessus mon épaule pour essayer de lire. Il a bien fallu que j'essaie de cacher les pensées que je te confie. Ce n'est pas très chrétien tout ça, après tout.

            Locke m'appelle. Il faut que je le rejoigne au lit, il veut qu'on joue au portrait chinois. Si j'étais un chien, je serais un dalmatien.
            Anonymous
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            InvitéInvité

              Re: Of ashes and love [solo]


              2 juin 1969

              Cher journal,

              Hier matin je me suis levé tard, étant resté au lit jusqu'à ce que l'abus d'alcool fut éliminé de mon corps et que je puisse me lever sans avoir envie de rendre. J'ai ensuite lu paresseusement, des pièces de théâtre, des vieux journaux, un roman rapporté pour moi par Locke. Celui-ci s'était éclipsé pendant mon sommeil, peut-être pour annoncer à sa troupe qu'il les quittait à la fin des représentations pour un nouveau spectacle. La seule trace de son passage était quelques fruits laissés sur la table à mon attention. J'ai mordu mollement dans un abricot en cherchant la suite du feuilleton qui me tenait en haleine depuis quelques jours. Il s'agit d'une histoire publiée chapitre par chapitre tous les jours dans le grand journal du sud de l'Italie, une romance pleine de rebondissements. Je savais que j'étais proche du moment tant attendu où l'héroïne renonce à l'orgueil et dévoile enfin ses sentiments au héros. Mais impossible de mettre la main sur l'édition d'hier. J'étais pourtant persuadé que Locke l'avais ramenée. Je me suis penché pour regarder sous le lit, j'ai soulevé le baquet d'eau et ai glissé un œil derrière le miroir. J'ai examiné le contenu des caisses en bois où nous rangions livres et pièces de théâtre. Rien. J'ai alors pensé au coffre bas dans lequel Locke rangeait ses quelques possessions, et où il avait fait une place pour mes maigres affaires, ma veste de costume voyante et la bourse qu'il refusait toujours. Agacé, j'ai dérangé les affaires dans le coffre quand, soudain, un morceau de feuille dépassant d'une chemise de Locke a attiré mon attention. J'ai tiré sur le tissu et, en effet, un papier s'est échappé du vêtement. Soigneusement plié, de bonne qualité. Je m'apprêtais à le laisser dans le coffre pour respecter l'intimité de Locke, qui déjà était réduite à peu de chose avec ma présence constante chez lui, mais un éclair de lucidité m'a traversé et je me suis emparé de la feuille.

              Car je la connaissais. Je l'ai dépliée. Mon portrait à la sanguine est apparu, une fleur mauve à peine séchée est tombée par terre. L'esquisse qui avait disparu il y a plusieurs jours de cela ! Je la retrouvai enfin ! Cachée dans les affaires de Locke... Pourquoi avait-il voulu me voler une des rares choses que je conservai de ma vie d'homme libre ? J'ai senti la colère monter. Il ne me restait plus que mon journal, mon monocle, une veste trop voyante et ce portrait. Et Locke avait l'audace de me dépouiller de la seule trace que je conservais du monde des arts que j'aimais tant et qui me manquait désormais si cruellement. C'était trop ! Aveuglé par la colère, j'oubliai complètement la tension qui régnait entre nous, l'intimité qui s'était installée, la profonde inclination que je ressentais pour lui. Il n'y avait désormais plus qu'une bile mauvaise et pleine de rage.

              C'est le moment que choisit le comédien pour rentrer, le sourire aux lèvres, en disant :

              - Je viens de voir dans le journal qu'il y aura un feu d'artifice tiré ce soir depuis le palais, pour je ne sais quelle réception d'ambassade. On pourrait aller le voir ?

              Il s'interrompit en voyant l'expression froide de colère sur mon visage.

              - Basil ? Qu'il y a-t-il ?

              Sans répondre, je lui tendais le dessin à la sanguine. Son visage devint indéchiffrable, je cru déceler de la crainte ou de la déception, je ne sais pas trop. Comme il ne disait rien, j'ai commencé à m'énerver, seul.

              - Est-ce que je peux savoir pourquoi tu me cachais que c'est toi qui avais mon portrait ? Tu sais bien que je l'ai cherché partout sans le trouver, que j'ai cru devenir fou en l'ayant perdu. As-tu une seule idée de la valeur qu'il a pour moi ? Je suppose que non, puisque tu ne sais pas ce que c'est d'avoir tout perdu.

              Il resta mon calme mais dit tout de même :

              - Attention Basil, ce n'est pas une raison pour être de mauvaise langue.

              Sa réflexion décupla ma colère.

              - Je t'en donnerai, moi, des raisons d'être de mauvaise langue ! Pourquoi refuses-tu de me dire la vérité ? Est-ce que c'est une question d'argent ? Tu aurais pu accepter le contenu de ma bourse en dédommagement mais tu as toujours refusé. Est-ce parce que tu pensais tirer un bon prix de cette esquisse ? Certes, elle a été réalisée par un peintre connu, mais je doute qu'un travail préparatoire ait une quelconque valeur.

              Il s'approcha lentement de moi et dit entre ses dents :

              - Non, ce n'est pas une question d'argent. Maintenant, oublions tout cela. Tu n'as qu'à la garder, ton esquisse.

              - Je refuse d'oublier cette affaire ! Car elle est révélatrice de ton caractère ! Eh oui, le bon Locke prétend être une âme charitable, il accueille les malheureux sous son toit, mais ce n'est qu'une façade, car c'est pour mieux les dépouiller qu'il les recueille.

              Locke passa deux mains sur son visage, exaspéré, et dit, trop fort, presque en criant :

              - Vas-tu te taire et arrêter de raconter des inepties, bon sang, Basil !

              - Quoi ? Qu'ouïs-je ? On me parle ? Je n'entends rien d'autre que le bruit de la trahison et de la-

              Je suis interrompu par Locke, qui empoigne le col de ma chemise, sans violence mais avec fermeté. Je le regarde avec stupeur. Je m'attends à ce qu'il vocifère je ne sais quelle menace, et mon cœur se serre car je m'en veux, c'est de ma faute s'il est en colère et si je découvre cette facette rare de son caractère. Je veux qu'on revienne en arrière, qu'on retrouve l'intimité, la camaraderie, la douceur.

              - Locke je-

              - Tais-toi enfin.

              Et il m'embrasse. Seigneur, Locke m'embrasse. Je lâche l'esquisse et, tout doucement, pour ne surtout pas interrompre le baiser, je glisse mes mains le long de son cou, jusqu'à la naissance de ses cheveux. Je m'accroche à lui comme un naufragé se maintient contre le grand mat d'un vaisseau en train de couler. Car c'est toute ma vie que je sens passer par-dessus bord, et il ne reste rien d'autre que lui. Que Locke. Comment décrire ce vertige ? Il y a la douceur rare de ses lèvres, la satisfaction immense d'enfin embrasser ce corps qui me faisait tant fantasmer, la pression, chaude et ferme, de ses mains qui viennent se placer de chaque côté de ma taille, le bonheur infini de le tenir contre moi, le seul homme pour lequel je n'ai pas réussi à retenir mes sentiments, le papillonnement de ses cils quand je quitte ses lèvres pour mieux embrasser ses paupières, le soulagement terrible de ne plus être seul, enfin, le rayonnement solaire de sa peau sous ma langue qui goûte avec avidité sa chaleur, l'assurance nouvelle que tout ira bien, que les choses sont là où elles doivent être dans l'univers, et que ma place à moi est à ses côtés à lui, le rire léger et musical qu'il laisse échapper quand je viens me nicher dans le creux de son cou, la douceur incroyable avec laquelle il caresse mon dos, le soupir de contentement que je laisse échapper, l'étonnement quand il rapproche nos deux corps, qui se pressent avec une facilité déconcertante l'un contre l'autre, le frisson qui se répand dans tout mon corps quand je sens une main se glisser sous ma chemise, dans mon dos, l'affection que je voudrais lui transmettre en le serrant fort, sans plus bouger, comme si mes bras avaient le pouvoir de transmettre l'amitié la plus profonde, le son de mon nom dans sa bouche, je n'avais jamais rien entendu de plus mélodieux, la fin de toute résistance, l'abandon, enfin, plus de tension, elle a éclaté, elle nous pleut dessus et rend électrique chaque point de contact entre nos deux corps. Et puis, son bassin qui se presse contre le mien. L'urgence. Il est grand temps de vivre.

              De la fenêtre dont nous avions oublié de fermé les volets provenaient les éclats colorés des feux d'artifice tirés en l'honneur de je ne sais quelle ambassade diplomatique. Le bruit des pétards a masqué nos gémissement, nos cris, nos appels, qui se perdaient dans une nuit noire périodiquement éclairée comme en grand jour par des fleurs géantes qui s'épanouissaient telle ma semence sur son ventre.

              Et dans le silence assourdissant qui marqua la fin des festivités, dans le bruit indécent de nos respirations pantelantes, dans l'immensité d'un monde si vaste qu'il aurait très bien pu ne jamais voir notre rencontre, dans la petitesse d'une chambre de bonne perchée en haut d'un immeuble napolitain, Locke est venu blottir son corps nu contre le mien. Je me suis endormi, bercé par le rythme des battements de son cœur. Jamais je n'avais été aussi fragile. Jamais je n'avais été aussi invincible.

              Un souffle chaud le long de mon cou me réveilla. Ça me chatouillait, je ris. Je refusais pourtant d'ouvrir les yeux. La nuit avait été un tel bonheur, je ne pouvais me résoudre à ce qu'elle prenne fin et qu'advienne le matin.

              - Svegliati, mi amor.

              La voix de Locke qui avait le don de me réchauffer, qui m'a fait me sentir si bien cette nuit, me glace instantanément. Mi amor. C'est donc de ça, dont il s'agit ? De l'amour dont parlent les romans et les poèmes ? Mi amor. Je suis donc à lui, maintenant ? Je n'ai plus ma liberté ? Et soudain, je prends peur.

              Seigneur, dans quoi me suis-je embarqué ? Pourquoi ne pouvait-ce pas être une aventure sans lendemain comme d'habitude ? Pourquoi a-t-il fallu qu'il s'agisse d'amour ? Je sais pourtant très bien que ces choses-là ne sont pas faites pour moi. C'est beaucoup trop sérieux, beaucoup trop profond. En un mot, beaucoup trop dangereux.

              Vite, il faut que je m'échappe. J'ouvre les yeux et, sans un regard pour Locke, je me lève et enfile une chemise sans très bien savoir si c'est la mienne ou la sienne. Il faut que je reprenne mes esprits, que j'ai un peu de recul. Une fois habillé sommairement, je prends mon journal et ma bourse. Prêt à partir, j'évite par toutes les façons possibles de croiser son regard. C'est ainsi que mes yeux tombent sur l'esquisse tombée par terre. Je me penche et la soulève. Dessous, une fleur mauve. Je comprends alors. Locke ne m'a pas volé ce dessin pour de l'argent, mais pour garder une trace de mon visage. Je sens l'amour qu'il me porte dans cette feuille soigneusement pliée avec en son cœur une fleur à peine séchée (c'est celle que je lui ai offerte, je croyais qu'il n'avait pas remarqué le bouquet dans la cruche, je me trompais). Et la force de son affection pour moi me terrifie. Je lâche la feuille. Et je pars.

              Cher journal, voilà toute l'histoire. Je suis désormais dans une auberge, la même qu'il y a trois semaines. Il faut que je me ressaisisse. Je suis déjà un fugitif, je ne peux rajouter de nouveaux problèmes à ma vie déjà si compliquée. Allons, je vais me coucher. La nuit porte conseil.

              Je vais me coucher. Seul. Seigneur.
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                Re: Of ashes and love [solo]


                3 juin 1869

                Cher journal,

                Après une nuit à l'auberge, je pense avoir repris mes esprits. Je ressens quelque chose de profond pour Locke, et mon sentiment semble partagé. Cependant, aimer un autre que moi est une faiblesse que je ne peux pas me permettre. Alors, même si cela me coûte et me transperce le cœur comme une lame froide, je dois quitter Locke. J'ai fait mes comptes, j'ai suffisamment d'argent pour prendre un bateau pour la Grèce. Je trouverai un poste d'instructeur de français dans quelque famille bourgeoise et je tâcherai d'oublier cette aventure en contemplant la petitesse de mon existence face aux ruines millénaires des anciens Grecs.

                Toutefois, j'ai trop de respect pour Locke pour disparaître ainsi. Je lui dois des explications. Je vais me rendre une dernière fois chez lui pour lui dire la vérité : que je suis un être infâme qui ne supporte pas les émotions trop riches, que je ne peux supporter la vulnérabilité qu'implique une relation forte et qu'il se portera de toute façon mieux sans moi, qui ne suis qu'un parasite sans âme.

                J'évite de trop y penser, mais je dois admettre que je crois aussi que je veux le voir une dernière fois pour imprimer dans ma mémoire les traits de son visage que j'ai tant désiré. Est-ce que j'espère l'embrasser une ultime fois, le tenir dans mes bras pour emporter avec moi le souvenir de son odeur si intime avant de m'en aller pour toujours ? Peut-être...

                Il faut y aller. Seigneur, soit avec moi.

                Plus tard

                Non ! Tout mais pas ça ! Cher journal, Locke est perdu et c'est entièrement de ma faute !

                Quand je suis entré, plein d'appréhension, dans la chambre de bonne que j'ai partagée avec lui durant ces semaines chéries, je n'ai trouvé personne. Je savais pourtant qu'il n'avait pas de répétition prévue aujourd'hui, mais je ne me suis pas inquiété. Il devait être quelque part en ville. La porte grinça et l'émotion qui agita mon cœur en pensant que c'était lui était bien trop forte (oui, je fais bien de mettre un terme à cette histoire, je ne fais qu'être malmené par les sentiments sans avoir aucun contrôle sur eux). Mais la personne qui se trouvait derrière la porte était bien trop menue pour être Locke. C'était la petite Maria. Elle eut l'air déçu en me voyant et soupira.

                - En entendant du bruit dans l'escalier, j'ai cru que monsieur Locke était rentré. Mais ce n'est que vous...

                Je me suis penché vers elle pour lui demander :

                - Et tu sais où est Locke ?

                Ses yeux s'agrandirent sous le coup de l'émotion et elle dit d'une voix blanche :

                - Vous ne savez donc pas ? La police est venue, ils ont emmené monsieur Locke. J'ai écouté derrière la porte, ils cherchaient un fugitif, un malfaiteur qui aurait volé le Louvre. Comment est-ce que monsieur Locke peut être associé à pareille affaire ?

                Puis une lueur passa dans son regard, qui se fit immédiatement méfiant.

                - Mais... Les policiers cherchaient un étranger... C'est vous le malfaiteur ! Vous avez abusé de la confiance de monsieur Locke et maintenant il va en prison à votre place !

                Je me suis enfui. Je n'ai pas supporté son regard accusateur, car je savais qu'elle disait vrai. Tout est de ma faute. Après la nuit passée avec Locke je suis sorti de l'immeuble sans mon déguisement et des informateurs ont dû me remarquer, moi, l'étranger aux cheveux blonds. J'ai sans le savoir semé leur piste puisqu'ils ne sont pas venus me trouver à l'auberge, mais ce n'est sûrement qu'une question de temps avant qu'ils me trouvent. Je dois faire vite si je veux m'enfuir.

                Sauf que... Je ne veux pas m'enfuir. Je suis incapable de laisser Locke croupir dans une cellule par ma faute. Je ne devrais pas laisser cette aventure m'atteindre, mon destin passe en premier, ça a toujours été le cas. Mais aujourd'hui je remets en cause mes principes pour le regard ourlé de cils épais d'un comédien italien au nom anglais... J'ai changé. Locke m'a changé. Car pour la première fois depuis le début de ma brève et misérable existence, je ne ferai pas passer ma vie en premier. Je choisis de sauver quelqu'un d'autre plutôt que moi-même. Et si cela entraîne ma perte, si ma peur la plus sombre se réalise et que les sentiments sont plus forts que ma raison, ainsi soit-il.

                Cher journal, ma décision est prise. Je me rends ce soir à la police et je demanderai la libération de Locke en échange de ma coopération.
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                  Re: Of ashes and love [solo]

                  3 juin 1869

                  Cher Locke,

                  Comme ces mots sont doux sous ma plume. Non, ne déchire pas cette lettre, pas tout de suite, pas encore. Je ne mérite ni pardon ni rédemption, je ne te ferait pas l'affront de te les demander. J'ai simplement l'audace de vouloir te parler une dernière fois. Si tu es assez miséricordieux – je sais que tu l'es, toi qui es bien meilleur que moi – écoute-moi.

                  Tu dois être rentré chez toi à l'heure qui l'est. Je t'ai vu quitter la prison, j'ai demandé à l'enquêteur à te voir partir pour m'assurer que tu étais vraiment libre. Il a accepté de te laisser contre ma reddition, peut-être est-ce lié aux privilèges que confèrent mon rang. De toute façon, ils n'avaient aucune raison de te garder. Tu es plus pur que la blanche colombe, et j'espère que ton association avec le malfaiteur que je suis n'entachera pas ta réputation. Car elle sera immense, j'en suis convaincu. Je l'ai su dès l'instant où je t'ai vu sur les planches du théâtre. Je sais désormais combien tu mérites les lauriers de la célébrité et la reconnaissance du public car, quand tu n'es pas sur scène, tu es le meilleur homme que j'ai jamais rencontré.

                  Moi je suis un misérable. Je t'avais prévenu dès le jour de notre rencontre, Locke, et malheureusement pour moi j'avais raison : je suis en effet malhonnête et égocentrique, je fais passer ma petite vie avant tout le reste. Il faut que tu saches une chose : les sentiments ne sont pas faits pour un homme comme moi, qui ne supporte pas de perdre le contrôle et de se montrer vulnérable. C'est pour ça que j'ai paniqué le lendemain matin du feu d'artifice. Je ne cherche pas à me justifier. Je veux juste t'expliquer qui je suis.

                  Qui je croyais être. Car, Locke, quelque chose m'a fait changer. Quelque chose qui fait que je me suis rendu de moi-même à la police, mon pire cauchemar (tu le sais bien). Quelque chose qui me transforme en une personne meilleure, j'ose l'espérer. Quelque chose qui rend la vie digne d'être vécue. Quelque chose qui a effacé mes peurs les plus sombres et reculées. Quelque chose qui me donne le sentiment d'être à ma place dans ce monde. Quelque chose de ridicule et minuscule, d'immense et d'éternel.

                  C'est mon amour pour toi, Locke. Je t'aime.

                  Je t'aime plus que je n'ai jamais aimé n'importe qui sur cette Terre. Je t'aime infiniment, délicatement, puissamment, doucement, amicalement, amoureusement, divinement, terriblement, tendrement, affectueusement, passionnément, aveuglément, follement, fougueusement, furieusement, impétueusement, vivement, ardemment, chaudement, fortement, calmement, furtivement, imperceptiblement, légèrement, paisiblement, secrètement, silencieusement, tellement, absolument, parfaitement, totalement, prodigieusement, délicieusement, sublimement, fabuleusement, merveilleusement. Je t'aime comme Pylade aime Oreste.

                  Et puisque tu as conservé mon portrait avec la fleur que je t'ai offerte, puisque tu m'as tenu dans tes bras pendant la plus belle nuit de ma vie, puisque tu m'as appelé Mi amor dans ton accent exquis, j'ai l'insolence de vouloir croire que tu m'aimes aussi. Que t'ai-je fait, mon amour ? J'ai commis envers toi le pire des crimes, je t'ai rejeté cruellement, sans un mot. Jamais tu ne me pardonneras cette blessure mortelle. Et tu ne devrais pas avoir de compassion pour moi, je ne la mérite pas. Après avoir commis cet affront irréparable, la seule chose digne que je puisse encore faire est disparaître de ta vie.

                  Mais avant cela, je voudrais te dire ces quelques mots. Je voudrais te protéger contre tout, je voudrais embrasser encore ta bouche, je voudrais te faire rire, je voudrais me blottir contre toi, je voudrais te lire la fin du Comte de Monte Cristo, je voudrais t'applaudir sur scène, je voudrais t'apporter les plus belles fleurs, je voudrais écrire ton nom partout, je voudrais t'entendre chuchoter dans le creux de mon oreille, je voudrais parcourir Naples pour toujours avec toi, je voudrais t'emmener loin, je voudrais ne jamais quitter ta chambre, je voudrais ta confiance, je voudrais être le seul pour toi, je voudrais te voir vieillir, je voudrais effleurer tes cils, je voudrais t'offrir des livres à mon tour, je voudrais plus de jours heureux que ce à quoi nous avons droit, je voudrais voir des feux d'artifice avec toi, je voudrais plonger mon visage entre tes cuisses, je voudrais t'écrire tous les jours, je voudrais imaginer un futur avec toi, je voudrais réchauffer tes pieds nus, je voudrais souffler la bougie lorsque tu t'endors, je voudrais...

                  Je dois m'arrêter là.

                  Au-revoir Locke. Adieu.

                  Basil
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                    Re: Of ashes and love [solo]

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