« C'est bien aimable à vous. Vous pouvez disposer pour me laisser profiter de mon repas. »

Alexis aimait Erwin pour tout un tas de petites raisons qui se liaient entre elles dans une boucle infinie. Elle l’aimait quand il la faisait rire. Elle l’aimait quand il tentait des acrobaties impossibles. Elle l’aimait quand elle le voyait repousser ses propres limites. Elle l’aimait quand elle l’entendait rire. Quand elle le voyait sourire. Quand elle l’entendait chanter. Quand elle le voyait dessiner. Quand elle le voyait paisible, heureux, énervé, excité, effrayé, nostalgique. Alexis l’aimait tous les jours un peu plus, à chaque fois qu’il lui permettait d’entrevoir une nouvelle facette de lui, à chaque fois qu’il s’ouvrait un peu plus à elle, à chaque fois qu’il lui faisait une petite place dans son univers.

Ce fut sûrement à cause de toutes ces petites raisons que le cœur d’Alexis se gonfla d’amour lorsqu’elle vit Erwin prendre un air snob en s’asseyant sur leur serviette, non pas sans l’avoir épousseté avant comme si elle n’était pas couverte de sable dans tous les cas. Ce n’était rien, qu’une mimique dans le vent, une expression fugace sur son visage, mais Alexis avait envie de le serrer dans ses bras. Elle aimait qu’il joue dans son jeu sans ciller, sans jamais la juger. Elle aurait pu changer toutes les règles d’un coup, qu’il aurait plongé dedans comme s’il les connaissait déjà toutes par cœur.

Aveugle à toutes les émotions qui prenaient possession du corps d’Alexis, Erwin continua d’être fidèle à lui-même. Il balança une poignée de sable qui s’envola mollement vers elle – mais ouf ! elle sauva les tomates à temps – avant de l’attirer vers lui pour se positionner en fonction d’elle et de son envie de l’avoir contre elle. Alexis se blottit à son tour contre lui, calant son corps au sien comme s’ils avaient toujours su faire ça, comme si leurs corps avaient été créés pour ce pur instant.

Un silence confortable s’installa entre les deux demi-dieux, seulement perturbé par le bruit des vagues, des quelques sang-mêlé qui jouaient au loin, et de leurs doigts qui frottaient contre la céramique des bols quand ils se servaient des tomates. Bientôt, les craquements de chips sous les dents s’ajoutèrent à l’orchestre qui s’animait autour d’eux. Alexis se délecta de tout ce qu’elle pouvait, de la nature, d’Erwin, du goût salé dans l’air et dans sa bouche.

Bientôt, il ne resta plus qu’une seule tomate. Alexis hésita mais elle sentait qu’Erwin était perdu dans les méandres de ses pensées. Elle aurait pu la manger qu’il n’aurait même pas remarqué l’affront qu’elle venait de lui faire. Au lieu de ça, elle saisit la tomate et lui proposa silencieusement, en la faisait passer dans le champ de vision du fils de Poséidon. Ce dernier revint alors dans le présent et se saisit du fruit sans savoir que c’était le dernier. Alexis lécha ses doigts pour savourer les dernières gouttes de tomate avant de prendre une chips – ou deux.

« Je t'aime. J'aime tout toi. »

Les mots s’envolèrent jusqu’au cœur d’Alexis qui se sentit rempli d’une chaleur qui lui apportait réconfort et quiétude. Elle serra un peu plus fort les bras d’Erwin autour d’elle, comme un « moi aussi » silencieux. Son corps avait toujours été plus enclin à exprimer ses émotions que sa bouche. Doucement, elle entremêla ses doigts à ceux d’Erwin et porta l’une de ses mains jusqu’à sa bouche avant d’en embrasser les phalanges. Puis elle laissa retomber ses bras et pencha légèrement la tête en arrière pour tenter de croiser le regard d’Erwin.

« Je comprends, je lui aurais dit pareil à cette tomate si j’avais eu l’occasion de la manger. »

Qui d’elle ou d’Erwin explosa de rire en premier, peu importait, car la mélodie qui s’échappait de leur bouche était en parfaite harmonie. Bientôt, ils finirent le bol de chips et Alexis cala sa tête contre la clavicule d’Erwin. Elle ferma les yeux et respira les embruns qui l’entourait. Elle patienta quelques secondes supplémentaires avant de se redresser et d’attraper son sac un peu plus loin. Enfin, elle en sortit deux petites parts de gâteau au chocolat qu’elle avait réussi à prendre dans les cuisines. Ces derniers, emballés dans un film plastique, n’avait pas apprécié le voyage et semblaient avoir été passé sous un rouleau compresseur. Une moue boudeuse se dessina alors sur le visage d’Alexis :

« C’était mieux quand ils étaient dans la cuisine. »

Alexis secoua la tête et afficha un grand sourire avant de tendre ses pauvres parts de gâteaux avec un air fier qui contrastait avec son expression quelques instants plus tôt :

« Et pour votre dessert, my lord, voici des crêpes faites sur mesure pour vos beaux yeux. »

Le temps s'envolait avec leurs mots et leurs rires dans le vent. Tout passait plus vite avec Alexis et tout avait pourtant l'air d'être éternellement mis sur pause. Chacune de ses expressions restait photographiée quelque part dans la tête et dans le coeur d'Erwin. Chacun de ses mots prenait une texture palpable le temps d'être goûté et laissait une petite marque indélébile sur le demi-dieu avant de s'évaporer. Le moindre geste, la moindre attention remplissait Erwin de bonheur et lui donnait l'impression qu'il n'aurait un jour plus assez de place en lui pour contenir tout l'amour qu'il ressentait pour Alexis.

Il n'avait plus profité d'une telle tranquillité depuis si longtemps. Entre la Traque, ses deux mois fantômes et la rééducation de la fille d'Arès, les jours avaient filé sans leur offrir à tous les deux la douceur de cet instant présent. Ressentir enfin Alexis contre lui, fière d'elle et apaisée, Erwin n'aurait rien demandé de mieux. C'était du moins ce qu'il pensait jusqu'à ce que la sang-mêlé se dépêtre de ses bras pour se diriger vers le sac à moitié abandonné au coin de la serviette de plage. Elle fouilla un instant dedans. Erwin l'entendit marmonner quelque chose.

"Qu'est-ce que tu dis ?"

Sans prendre la peine de répondre, Alexis patouilla encore un court moment dans son sac et finit par se relever. Son visage affichait une mine noble et souriante. Sa main portait une assiette.

"Et pour votre dessert, my lord, voici des crêpes faites sur mesure pour vos beaux yeux."

Erwin éclata aussitôt de rire. Ce n'était clairement pas des crêpes, dans cette assiette. Mais ce n'était rien d'autre de définissable non plus. Ce qui importait peu, car l'odeur de chocolat qui en émanait était suffisamment appétissante pour convaincre un gourmand comme lui que ça valait la peine d'être goûté, quelle que soit la tête que ça tirait. Il saisit l'assiette que lui tendait Alexis et inspecta quelques secondes son dessert.

"Je ne veux pas savoir ce que t'avaient fait ces pauvres choses pour mériter un tel massacre."

Alexis ouvrit la bouche pour protester. Du bout du doigt, Erwin lui mit du chocolat sur le nez. Au lieu de se justifier, la fille d'Arès se mit à rire. Le sang-mêlé lui fit écho et l'embrassa doucement. Cette tranquillité lui avait définitivement manqué.