Alors qu'Alexis s'appliquait tant bien que mal à mettre des couleurs là où il fallait, Erwin s'occupait des détails plus complexes. Et il ne pouvait s'empêcher de tourner les yeux vers la fille d'Arès toutes les deux minutes. Et pas seulement pour vérifier qu'elle ne détruisait pas la toile, à bout de patience, ou qu'elle ne faisait pas exploser la moitié de la salle d'art. La "salle de l'enfer", comme elle l'avait appelée.

Lorsqu'Alexis semblait absorbée par ce qu'elle faisait, Erwin l'admirait. Et lorsqu'elle dépassait et lui lançait un regard désolé, il corrigeait la couleur en quelques coups de pinceaux, un sourire à nouveau affiché sur son visage. Puis Alexis laissa retomber son pinceau, la mine dépitée.

"Peut-être que je devrais me contenter de te regarder en fait."

Erwin releva le pinceau qui tachait la sang-mêlé. Puis il lui désigna la toile qui prenait forme.

"C'est ton genre de laisser tomber ce que t'as commencé ? Tout ça pour quelques dérapages ? Prends un peu de recul et dis-moi si tu vois tes ratures dans l'ensemble."

Erwin savait que, de près, les détails, et surtout les détails ratés, pouvaient sauter aux yeux alors que, de loin, les couleurs se mélangeaient parfaitement. Alexis risquait d'avoir du mal à repérer les endroits où elle avait laissé glisser son pinceau.

Après un soupir exagéré, Alexis se leva du tabouret et pris un peu de recul, comme Erwin l’avait suggéré. Les yeux d’Alexis, pourtant bien concentrés sur ses propres ratures, semblaient bien incapable de repérer les erreurs une fois éloignée de la toile. La fille d’Arès glissa son regard de la toile à Erwin, et une bouffée de bonheur la submergea. Elle avait l’impression de redécouvrir le visage d’Erwin, son sourire, ses yeux. C’était comme si, pour la première fois depuis longtemps, le fils de Poseidon avait retrouvé un semblant de joie.

« Oui, c’est vrai. C’est beau. »

Les mots s’étaient échappés de ses lèvres sans qu’elle ne s’en rende compte, alors qu’elle fixait toujours Erwin droit dans les yeux. Alors, comme pour se donner une excuse, elle laissa son regard se poser sur la toile. C’était certes pas aussi catastrophique que prévu, ça ne valait pas pour autant le tableau qu’elle fixait quelques secondes plus tôt.

Alexis parut surprise de la vision qu'elle avait du tableau, une fois éloignée. Erwin la regarda sans se séparer de son sourire retrouvé. Lire les expressions successives sur le visage d'Alexis lui fit plaisir. Elle semblait impressionnée, elle semblait émerveillée. Ça faisait longtemps qu'Erwin ne l'avait pas vue avec cette lumière dans les yeux. Ce qui rendait le tout encore plus agréable.

"Oui, c'est vrai. C'est beau."

Erwin s'approcha d'elle pour voir la toile du même point.

"C'est vrai. Et c'est toi qui l'as fait."

Distraitement, Erwin laissa un doigt s'entortiller dans une mèche brune perdue sur l'épaule d'Alexis.

C’est vrai, et c’est toi qui l’as fait. Erwin avait dit ça en s’approchant d’elle, ce qui eut pour effet d’accélérer légèrement les battements du cœur de la fille d’Arès. Ce qu’elle trouvait réellement beau dans cette salle n’avait rien a voir avec ses dons de peinture mais Alexis s’abstint de tout commentaire. Elle se contenta de profiter de la proximité d’Erwin qui s’était mis distraitement à jouer avec l’une de ses mèches de cheveux.

« Je suis sûre que tu as fais le plus gros du travail, Erwin. »

Alexis afficha un sourire amusé en effleurant les doigts d’Erwin. Ne résistant finalement pas à la tentation, elle enroula ses doigts autour des siens et remonta sa main sous le nez d’Erwin.

« Tu peux dire merci à celle-là qui a s’obstine à réparer mes bêtises à longueur de temps. »

Le prétexte était pourri mais Alexis était contente de sentir sa main dans celle d’Erwin.

Les doigts d'Alexis autour des siens avaient une douceur dont Erwin profitait trop rarement à son goût. Tout comme cette voix remplie de bonheur et ce visage rayonnant. Le fils de Poseidon voulait arrêter le temps, ne jamais sortir de cette salle d'art, ne jamais quitter Alexis. Il la retrouvait ici comme si leur séjour au Camp Jupiter n'avait jamais été interrompu, comme si tout s'était passé en douceur entre eux. Il fallut toutefois faire quelque chose, car rester planter là risquait de devenir gênant, ce qui aurait brisé l'atmosphère agréable du moment.

"Est-ce que tu veux recommencer à peindre ? Ou tu estimes avoir fait assez de bêtises comme ça ?"

Remuant les doigts qu'Alexis tenait toujours, Erwin rit face à Alexis.

"Elle est encore capable de rattraper tes dérapages, pas de souci."

Elle est encore capable de rattraper tes dérapages, pas de soucis. Alexis plissa les yeux, faussement outrée, avant de rire à son tour. Puis, elle regarda autour d’elle, pensive. Est-ce qu’elle voulait rester ? Oui. Mais est-ce qu’elle devait ? Elle repensait au harcèlement d’Alexander Pines, au Satyre déchaîné, à Nova… Puis elle croisa le regard d’Erwin, elle sentit ses doigts contre les siens, elle vit son sourire… Alors elle hocha la tête, le sourire aux lèvres.

« Allez, apprends-moi à peindre, chef. »

Erwin se sentait heureux, malgré tout ce qu'il avait entendu avant. Il y repenserait plus tard. En attendant, il guida Alexis vers la toile en cours et recommença à suivre ce qu'elle faisait pour l'aider. Il lui donnait des conseils, la taquinait quand elle mettait de la peinture hors de la zone délimitée au crayon, la regardait tout simplement alors qu'elle était occupée.

Finalement, le tableau fut terminé et, après l'avoir signé, comme la première fois, Alexis se leva. Erwin la regarda un moment puis il se leva aussi.

"J'espère que tu regrettes pas d'avoir remis les pieds dans cette salle de l'enfer."

« J'espère que tu regrettes pas d'avoir remis les pieds dans cette salle de l'enfer. »

Alexis détourna le regard de la toile qu’elle observait minutieusement pour regarder Erwin qui s’était placé à ses côtés. Un sourire aux lèvres, une étincelle dans les yeux, Alexis répondit :

« Tant que t’es là, c’est pas vraiment une salle de l’enfer, tu sais. »

Puis elle reporta son regard sur la toile avant de laisser à son cerveau le temps d’analyser ce qu’elle venait de dire. Comme un écho à un souvenir lointain, son ventre gargouilla et l’amusement sur son sourire ne fit que grandir.

« C’est l’heure de manger, je crois. »

Erwin sentit une douce chaleur l'envelopper. Puis il se mit à rire. Est-ce que tout ce qu'il faisait avec Alexis allait se terminer par les bruits de son estomac ? La fille d'Arès tournait déjà les talons. Il lui fit signe d'avancer.

"Je vais rester encore un peu. M'attends pas, va sauver ton ventre vide."

Une fois seul, Erwin fixa la toile devant lui. Il avait envie d'y ajouter quelque chose. Quelqu'un. Armé de son pinceau, il commença à esquisser quelques traits. Peu à peu, les couleurs prirent forme. Au milieu de l'arène, une guerrière grecque venait de terrasser un monstre qui s'envolait en poussière.