Le soleil se couchait. Erwin commençait à distinguer de moins en moins les traits que le crayon laissait sur le papier. Pourtant il voulait continuer à dessiner aussi longtemps qu'il le pourrait, il n'arrêterait que lorsque l'obscurité aurait complètement avalé ses esquisses. Il représentait le lac. Il ne voyait plus ce qu'il dessinait. Il ne voyait plus que le vrai lac.

L'obscurité était venue bien plus vite que prévu. Les arbres et l'eau étaient encore visibles, le ciel était encore d'un gris pâle. Mais le crayon ne laissait pas de traces assez épaisses pour qu'on le distingue encore. Erwin posa son carnet et inspira doucement. Le vent souffla, emporta un feuillet dans l'eau. Erwin se leva pour le récupérer, mais le papier tomba dans l'eau. Tant pis, ce n'était pas un croquis important.

Le vent soufflait toujours, Erwin regardait le lac, la feuille de papier s'enfonçant lentement sous la surface grise. Ça n'avait pas d'importance. Le demi-dieu tournait et retournait ses pensées. Il avait l'impression qu'il lui manquait quelque chose. Il voulait s'améliorer. Devenir plus fort. Parce qu'il avait découvert le niveau d'entraînement des Romains ? Parce qu'Athénaïs lui avait fait remarquer qu'il n'était qu'un pauvre fils de Poseidon ? Parce qu'il n'était pas assez puissant pour protéger Aqua ? Parce qu'il ne pourrait jamais défendre Alexis ?

Le croquis n'était plus qu'une étincelle blanche qui se perdrait bientôt au fond du lac. Erwin se concentra. La page du carnet ne bougea plus. Moment de flottement. Puis elle remonta lentement, très lentement vers la surface. Elle émergea doucement, fragile, sur le point de se déchirer. Elle se mit à glisser sur l'eau. Erwin, accroupi sur la rive, tendit sa main pour que la petite feuille de papier s'y pose délicatement. Il la fixa un moment. Fragile. Prête à se déchirer. Elle était inutile.

Comme lui ?

Comme à son habitude, dès que le soleil tombait assez bas dans le ciel, Alexis se fondit dans l’obscurité. Elle aimait ces moments de calme où elle pouvait éviter tout le monde et ne penser à rien d’autre. Durant ces moments, il n’y avait qu’elle. Il n’y avait plus les problèmes du labyrinthe, elle ne pensait plus à la mort de certains pensionnaires qui avaient été parfois ses élèves, aux disparitions de gens qui avaient été parfois plus que des connaissances. Il n’y avait plus les entraînements du Camp Jupiter, le manque d’Elliot et de ses parents ou les bruits des autres. Quand l’obscurité engloutissait Alexis, il n’y avait plus rien que le silence reposant de sa liberté.

N’oubliant pas sa dernière escapade à la Nouvelle-Rome, Alexis prit soin de contourner les limites de la ville pour ne pas y mettre les pieds. Ses deux dagues fermement accrochées à elle, Alexis se sentait plus en sécurité qu’ailleurs. À force de détour, la jeune fille se retrouva au niveau du lac. Elle n’y était encore jamais allée, trop effrayé à l’idée de le voir déborder pour l’ensevelir. Finalement, trouvant du courage dans sa solitude, Alexis s’y approcha prudemment. Elle en fit le tour, ignorant de justesse une ombre qui bougeait à endroit pour se poser à l’opposé de celle-ci. Elle ne voulait pas croiser de monde, et encore moins à ce moment.

Délicatement, comme si elle avait peur de se faire surprendre, Alexis retira ses chaussures. Elle s’approcha alors tout doucement de l’eau et cette dernière vint lui chatouiller les orteils. À sa surprise, il ne se passa absolument rien. Aucun monstre sortit des enfers pour l’attaquer. Pas d’Andrew pour la scruter dans la pénombre. Pas de voix caverneuse la menaçant si elle ne trouvait pas une broche quelconque. Le lac resta immobile, comme baigné dans une quiétude qui lui était propre. Alexis soupira de soulagement et s’enfonça un peu plus dans l’eau. Cette fois, ses chevilles étaient immergées. Toujours aucun problème en vue.

Alexis s’arrêta néanmoins là. Elle ferma les yeux, écoutant les mouvements autour d’elle. Il n’y a pas une respiration de plus que la sienne. Elle ne sentait aucun regard. Elle était complètement seule. L’eau était stagnante, n’offrant aucune raison à Alexis pour paniquer. Petit à petit, la fille d’Arès relâcha ses épaules. Elle prit une grande inspiration et s’avança encore de quelques pas. Elle pouvait sentir l’eau caresser ses doigts qui l’effleurait.

Et alors qu’elle était là, seule au monde, en train d’apprendre à maîtriser ses émotions, une image s’inscrivit dans l’esprit d’Alexis : Erwin.

Erwin laissa la feuille de dessin couler dans l'eau. Il ne la regarda pas, il fixait l'horizon. Ligne presque imperceptible dans l'obscurité. Le ciel se reflétait dans la surface du lac, ne faisait plus qu'un avec elle. Il n'y avait pas de nuages, quelques étoiles téméraires se permettaient déjà d'illuminer cette immensité grise de leur lueur timide. Erwin sentait quelques galets rouler au fond de l'eau, chatouillant le sol jusqu'à la rive. Erwin les sentait mais ne les voyait pas. Le sol vibrait doucement.

Il réfléchissait. Il voulait devenir plus fort, ne pas être un poids inutile pour ceux qui l'entouraient. Il avait beaucoup trop de temps perdu à rattraper. Le demi-dieu regarda la surface de l'eau comme pour lui demander conseil. Elle pourrait l'aider, sûrement. Il ne vit que son reflet flou et sans couleurs. Il devait trouver quelque chose. Peut-être qu'en se concentrant...

Erwin leva les deux mains face à lui, se concentra pour attirer l'eau vers ses paumes. Puis il relâcha son pouvoir. Il recommença. Et recommença encore. L'eau se rapprochait puis reprenait sa place initiale. Puis elle revenait, retombait, revenait encore. Le fils de Poseidon continua, de plus en plus vite. Une vague attirée par ses mains finit par rester en place. Elle n'avait pas le temps de redevenir une surface lisse, elle était immédiatement attirée à nouveau. Erwin regarda cette petite tour d'eau qui prenait forme devant lui. En plaçant ses mains de part et d'autre, il s'amusa à faire danser la petite vague qui semblait avoir pris vie.

Au bout d'un moment, Erwin relâcha l'eau qui se perdit dans l'immensité du lac. Quelques ondes brouillèrent la surface un instant, puis elles s'effacèrent aussi. Erwin était de nouveau seul, dans le silence. Il se demanda ce qu'il pouvait faire d'autre, ce qui l'aiderait à trouver quelque chose, ce qui le rendrait plus fort.

Alexis effleurait l’eau de sa paume de main, toujours en ayant les yeux fermés. Elle essayait de se concentrer sur le mouvement imperceptible qu’elle pouvait sentir, comme si l’eau essayait de lui faire passer un message. Doucement, presque trop doucement, Alexis se glissa dans l’eau. Bientôt, elle fut en tailleur, l’eau lui arrivant au niveau de la poitrine. Dans n’importe qu’elle autre situation, Alexis aurait eu l’impression d’étouffer, de se sentir menace peser sur elle. Mais pas cette fois.

Alexis prenait de longues inspirations et expirait lentement. Son odorat s’imprégnait de l’odeur si particulière dans laquelle elle se baignait, l’associant à un sentiment d’apaisement. Son ouïe se concentrait sur les environs. Elle pouvait entendre au loin certains bruits étouffés, mais rien à portée d’elle. Alexis avait l’impression d’être seule monde. L’eau apportait une nouvelle dimension à cette séance de méditation, comme si elle flottait maintenant dans un nouvel espace. Son corps n’avait plus la même tension, plus la même place.

Dans ce nouvel environnement, Alexis laissa couler ses pensées. Elle se concentra alors sur Erwin. Comme une réponse à cet appel, elle sentit de légères vibrations dans l’eau, à peine perceptibles. Peut-être les imaginait-elle ? Alexis prit de nouveau une profonde inspiration. Elle repensa à tous les moments passés avec Erwin. Elle revoyait leur rencontre alors qu’elle avait envie de voir le monde exploser. Elle le revoyait lui apprendre à se détendre autrement qu’avec des armes. Expiration. S’il la voyait maintenant, en train de se détendre dans cet élément qu’elle détestait tant, comment réagirait-il ?

Inspiration. Alexis se perdit dans des souvenirs fugaces. Ceux qui n’ont pas l’air d’avoir d’importance. Elle repensait à ses regards échangés à la volée. Elle repensait à ces sourires partagés dans une foule. Elle repensait à tous ces moments où Erwin avait effacé le reste du monde pour en devenir l’épicentre. Ces moments qui ne duraient pas, qui semblaient si insignifiants qu’Alexis ne les relevait pas – jusqu’à maintenant. Expiration.

Erwin se dessina sous ses yeux fermés, traçant une image mentale qui ne quittait que rarement la fille d’Arès. Elle pouvait y voir certains détails de son visage comme s’il se trouvait en face d’elle. Elle pouvait se perdre dans ses yeux, elle pouvait voir les détails de sa peau. Pour peu, elle aurait pu avoir l’impression de pouvoir le toucher, de pouvoir caresser sa joue, de pouvoir perdre ses doigts dans ses cheveux. Inspiration.

Alexis tenta de chasser l’image mentale d’Erwin. Son cœur, de façon à peine perceptible, avait commencé à s’accélérer, troublant ainsi sa séance de méditation. Alors Alexis se concentra sur les mouvements de l’eau. D’un geste délicat, elle remua les doigts, comme pour essayer d’en capturer l’essence. Elle focalisa son attention sur les mouvements de ses doigts, se pliant et se dépliant dans ce qu’il semblait être un espace où le temps était ralenti. Expiration.

Et si l'eau lui obéissait parfaitement ? Et si l'eau devenait une véritable alliée ? Erwin n'avait jamais réellement cherché à voir dans l'eau autre chose qu'un élément. Une porte s'ouvrait à présent. Jouer, danser, rire avec elle. Grandir, devenir plus fort, combattre avec elle. Erwin la regarda, la vit étinceler sous les étoiles, la trouva belle, caressa cette peau douce et lisse qu'elle lui offrait. L'eau était calme, Erwin l'entendait murmurer dans le vent.

Il l'appela de nouveau à lui. Elle vint silencieusement sur la rive, glissa jusqu'à lui. Le contact froid contre sa jambe ne dérangea pas Erwin. L'eau ne faisait que lui obéir, il ne devait pas penser à autre chose. Lentement, aussi lentement que le désirait le demi-dieu, l'eau s'enroula autour de sa jambe. Elle tourbillonna sur cet axe qu'elle découvrait, montant un peu plus vers les cieux. Erwin s'amusa de voir ce serpentin translucide tourner autour de lui. L'eau montait, encore et encore, spirale luisante autour de ses jambes, de son buste, de ses bras. Satisfait de pouvoir ordonner à l'eau de ne toucher que des parties bien précises de son corps, il relâcha sa concentration. La spirale tomba en une cascade de perles brillantes.

Le demi-dieu leva la tête vers le ciel. Les étoiles étincelaient, décoraient la nuit de leur scintillement. Erwin reconnut la Grande Ourse, puis la Petite. Il chercha d'autres constellations dont il ne connaissait pas forcément le nom, mais qu'il trouvait belles parce qu'elles lui rappelaient des nuits d'été. Il sourit au ciel puis regarda à nouveau le lac. L'étendue de joyaux nocturnes se reflétait dans l'eau noire. Le ciel était deux fois plus grand.

Erwin était plongé dans sa contemplation du ciel qui se dédoublait. Il écouta le vent qui chatouillait les feuilles des arbres, la douce chanson des vagues rencontrant la rive, le craquement délicat de quelques animaux probablement cachés dans l'invisibilité de la nuit. Un rire lui remplit la tête. Un doux rire, un rire timide, un rire trop peu souvent entendu. L'entendrait-il seulement assez un jour ? L'eau riait aussi, elle attendait qu'Erwin lui ordonne de nouvelles choses. Et là, tout de suite, Erwin avait envie d'aller danser sous les étoiles, au milieu du ciel.

Alexis pouvait sentir le vent caresser son visage, remuant l’eau qui entourait Alexis. Sans vraiment s’en rendre compte, un sourire s’étira sur le visage de la jeune fille. Sentir deux éléments se fondre aussi bien entre eux semblait la ravir, comme si l’idée que deux entités, en apparence opposés, s’alliant aussi bien était plaisante. Inspiration. Expiration. Alexis avait l’impression de renaître d’une certaine façon. Chaque respiration qu’elle prenait s’infiltrait en elle comme un nouveau souffle.

Son esprit semblait attiré irrévocablement par Erwin. Dès qu’elle sentait du mouvement dans l’eau, que ce soit provoqué par le vent ou par la simple force du lac, son esprit s’ancrait à Erwin. Erwin. Erwin. C'était comme si elle n’avait plus que ce nom-là à la bouche. Alexis se perdait dans un maelstrom d’émotions aussi diverses que variées. Les dernières semaines avaient été rythmées d’une étrange façon. Tantôt proches, trop proches, et aussitôt séparés par un gouffre invisible. Tantôt, Alexis voulait sauter par-dessus ce gouffre pour ne plus jamais s’éloigner d’Erwin, tantôt elle voulait le creuser elle-même pour être sûre qu’elle ne soit plus jamais tentée par quoique ce soit.  

Erwin. Erwin. Erwin. Alexis ne comprenait pas pourquoi elle s’était autant attachée au fils de Poséidon. Et pourtant, si elle écoutait son corps à ce moment précis, elle n’avait plus aucun doute à avoir. Il avait réveillé en elle des sentiments qu’elle aurait préféré enfouir au plus profond de son âme. Comme pour répondre à cette révélation, l’eau fut agitée un peu plus brusquement qu’avant. Alexis pouvait sentir les vagues venir lui chatouiller le cou de temps en temps, avec une délicatesse surprenante, tel un baiser déposé sur sa peau.

Inspiration. Expiration. Alexis tenta d’effacer le fils de Poséidon de son esprit. Elle était ici pour se détendre et elle n’arrêtait pas de retourner à lui. Son cœur battait un peu plus fort, sa respiration s’accélérait. Rien de tout ça n’était de signe de détente. Et pourtant… combien de fois Alexis s’était-elle sentie détendue en compagnie d’Erwin ? Combien de fois a-t-elle oublié la colère qui lui rongeait si facilement le ventre grâce à Erwin ? Erwin, Erwin, Erwin. Ce nom tournait en boucle dans la tête d’Alexis, comme un chant scandé en permanence dans son esprit.

Du bout des doigts, Alexis caressa une forme invisible sous l’eau. Son imagination lui donnait l’impression d’entrelacer ses doigts à ceux d’une créature noyée dans l’eau, lui murmurant inlassablement : Erwin, Erwin, Erwin.  

Erwin enleva ses chaussures. ll posa un pied à moitié dans l'eau. Le sable de la rive était froid sous son talon. L'eau lui chatouillait les orteils. Il sourit en sentant l'eau se presser vers lui. Il ferma les yeux, laissa le lac l'entourer peu à peu. Lorsque ses paupières cessèrent de lui cacher le monde, il vit une flaque autour de ses pieds. Le sable mouillé était doux. C'était si agréable de ne plus sentir de vibrations, même en se concentrant. Les mouvements de l'eau déplaçaient chaque grain d'or inlassablement, Erwin ne pouvait pas s'habituer à cette surface sous lui. Il se laissait bercer par l'instabilité qui l'entourait.

Puis l'eau regagna sa place. Silencieuse. Erwin inspira. Silencieux. Les étoiles n'attendaient que lui, il avança dans le lac. Lorsqu'il eut de l'eau jusqu'aux genoux, il se concentra aussi fort qu'il put. Et il sentit une force nouvelle sous ses pieds. L'eau était en train de monter en-dessous de lui. Une montagne d'eau. Le fils de Poseidon se trouvait au sommet de cette montagne et se concentrait pour la faire monter encore. Bientôt, ses pieds arrivèrent à la surface du lac. Il fallait rester concentré, mais le demi-dieu rit de ce qu'il était en train de faire, se relâchant légèrement. Il s'enfonça à nouveau jusqu'aux mollets. Il reprit son attention et se souleva une nouvelle fois à l'aide de l'eau, plus forte que jamais.

Sur son piédestal invisible, Erwin tenta de faire un pas. Puis un autre. Il marchait. Il marchait sur le lac, sur le miroir du ciel, sur les étoiles. Et plus il avançait, plus ces perles de nuit lui semblaient étincelantes. Il se sentait entouré de millions de lucioles posées sur l'eau apaisée. Le demi-dieu avait tellement avancé sur l'eau qu'il ne distinguait presque plus la rive. Il était là, perdu au milieu de la nuit, admirant ce qu'il y avait autour de lui, au-dessus de lui, en-dessous de lui. Il remarqua que l'eau sous son pied n'était plus une montagne liquide le poussant vers le haut. Non. Il n'y avait plus cette pression sous ses pieds. L'eau était devenue solide.

Erwin sourit. Puis, épuisé par cette concentration que lui avait demandé cette danse sur le lac, il se relâcha et se laissa engloutir par l'eau. Les étoiles étaient belles, derrière ce voile que troublaient les vagues. Doucement, tout doucement, Erwin refit surface. Les étoiles étaient encore plus belles sur leur toile de soie charbonneuse. Erwin sourit au ciel, à la nuit, au lac. Il se sentait plus fort.

Alexis laissa Erwin se balader librement dans son esprit pendant quelques instants. Elle le laissa danser dans ses souvenirs, effleurant du bout des doigts son cœur. Elle le regarda évoluer sans elle, libre de ses mouvements. Le vent continuait de tourbillonner autour d’Alexis, comme une mélodie lui sifflant dans les oreilles ce qu’elle refusait d’admettre. Pouvait-elle seulement continuer de le nier ? Alexis fronça les sourcils juste quelques secondes. Non, elle ne pouvait plus le nier. Erwin avait gagné une place trop importante dans son cœur pour qu’elle s’enferme dans le déni. Alors, au moins pour ce soir, Alexis accepta ses sentiments.

Alors que le lac et le vent semblaient lutter sur qui aurait le dessus, Alexis se sentait enfin en paix. La douleur qu’elle avait dans la poitrine s’était transformée en un doux brasier, la réchauffant, la réconfortant. Un sourire aux lèvres, Alexis se délecta de ce sentiment passager, celui où elle était sûre d’elle, sûre de ce qu’elle était, sûre de ce qu’elle voulait. Ce moment passager où elle se sentait en contrôle, où elle se sentait puissante. Pendant cet instant figé dans le temps, Alexis aurait pu déplacer des montagnes, porter le ciel, changer le monde. Alors elle embrassa de son être ce sentiment de légèreté qui l’enveloppait.

Finalement, elle rouvrit les yeux. Le lac avait retrouvé sa quiétude. Le vent n’était plus qu’une caresse à peine perceptible. Alexis perdit son regard dans l’immensité du ciel, la pluralité des étoiles. Elle pouvait presque reconnaître certaines constellations. Doucement, comme bercée par cette image éternelle, Alexis se glissa davantage dans l’eau. Elle n’était bientôt plus en tailleur, mais immergée complètement. Ses sens étaient de nouveau chamboulés. Les yeux toujours ouverts, Alexis avait l’impression d’être dans un monde parallèle où tout allait plus lentement, où tout était plus calme.

Quand Alexis sortit la tête de l’eau, elle ne savait pas combien de temps était passé depuis son arrivée. Lentement, elle se redressa. Pendant un court instant, le retour à la gravité la déséquilibra. Retrouvant rapidement ses appuis, Alexis retourna sur la terre ferme. Un frisson la parcourut quand le vent décida de lui rappeler son existence. Alexis attrapa ses chaussures et, telle une ombre, elle se perdit de nouveau dans l’obscurité.