Erwin était en train de se demander pourquoi il avait soudainement très chaud. A croire que son corps avait peur de quelque chose, mais quoi ? Ou peut-être qu'il était assis à côté d'un radiateur. Il n'y avait pas de radiateur derrière le lit d'Alexis ? La balle que la fille d'Arès tenait dans ses mains roula d'un coup au bas du lit. Erwin la suivit des yeux, il s'attendait à ce qu'Alexis la ramasse naturellement pour reprendre son occupation. Mais elle ne fit rien.

"Que... Hein ?"

Le fils de Poseidon se dit qu'il n'était sans doute pas censé être au courant des relations d'Alexis, ça la mettait peut-être mal à l'aise. Il se tourna vers elle pour lui expliquer que cette information n'était qu'un hasard, que les autres demi-dieux n'en savaient rien. Son regard criait qu'il était désolé d'avoir été indiscret, mais aussi à quel point il était attentif au cas où Alexis voudrait se confier. La Grecque coupa court à tous les mots qu'Erwin aurait pu prononcer.

"Comment ça 'sa copine' ? Qui a dit ça ? Pourquoi tout le monde semble être au courant de ma vie sentimentale avant moi ? Ça devient vraiment ridicule."

Le demi-dieu ne comprenait pas. Il ne savait pas trop si Alexis jouait le jeu, faisant mine de rien pour que le bruit se parvienne pas à d'autres oreilles imaginaires. Si les mots pouvaient laisser place à ce doute, le ton et le regard d'Alexis ne pouvaient pas tromper qui que ce soit. Elle ne voyait pas de quoi il était question. Erwin savait parfaitement qu'elle ne mentait pas : il avait eu la même expression face à Nova. Le fils de Poseidon se rendit compte qu'il avait dû faire une erreur quelque part et ça n'avait pas l'air de plaire à Alexis. Il avait peur que tous les efforts faits jusque là ne servent à rien, qu'ils reprennent leurs distances, que la dispute recommence. Quel con.

"Je ne suis pas énervée contre toi. Je n'aime juste pas… Je n'aime pas les rumeurs."

Erwin frémit lorsque la main d'Alexis toucha la sienne. Et puis ces mots enlevèrent un poids du coeur du demi-dieu. Ouf. Une démonstration de colère lui avait suffi, inutile d'en provoquer une deuxième. Le demi-dieu nota dans un coin de sa tête "Ne surtout pas parler de rumeurs à Alexis" puis il referma son carnet mental pour revenir dans la discussion.

"Ah. Vous êtes pas en couple, Cal et toi ?"

Il y eut un petit silence durant lequel Erwin se traita de tous les noms intérieurement en se mordant la langue.

"J'croyais."

Les joues d'Erwin étaient rouges. De honte, un peu. Il se sentait bête et savait qu'il avait plutôt manqué de tact, pour le coup. Et pourtant, sous ce manteau de gêne, il se sentait plus léger. Quelque chose venait de s'envoler, de laisser son coeur respirer. Le fils de Poseidon commença à se dire qu'il attachait énormément d'importance à sa relation avec Alexis, plus qu'il ne l'avait imaginé. Mais il mit ça sur le compte de la réconciliation qui devait le soulager. Il n'avait plus parlé à son amie depuis un long moment, c'était agréable de mettre ce silence de côté. Enfin.

Reportant son attention sur la main d'Alexis, toujours posée sur la sienne, Erwin sentit à nouveau l'air chauffer autour de lui. Il se dégagea doucement pour ramasser la balle qui attendait patiemment au pied du lit. Il la regarda puis la remit dans les mains de la fille d'Arès. Il fixait le mur en face de lui, à l'autre bout de la pièce. Il sentait qu'Alexis était juste à côté de lui, mais il n'avait pas envie de la regarder. Cette idée même le fit frissonner étrangement.

"Tu disais donc : Cal pourrait peut-être te fabriquer une arme changeante. Pas bête. Il a déjà fait des trucs plus complexes, il me semble. Deux lames, ça devrait être un jeu d'enfant, nan ?"

Pourquoi se sentait-il beaucoup trop proche d'elle, tout à coup ?

Inspiration. Expiration. En écoutant les battements de son cœur, Alexis se demanda si c’étaient vraiment les rumeurs qu’elle n’aimait pas. Elle n’avait jamais été énervée contre Elliot quand les rumeurs d’eux possiblement en couple avaient surgi. Ils avaient juste levé les yeux au ciel sans s’y prêter attention. Elle n’avait jamais été énervée sur les rumeurs entre Cal et elle jusqu’à que ce soit Erwin qui les pense. Inspiration. Expiration. Peut-être qu’elle s’était énervée quand elle avait lu le Satyre Déchaîné pour une toute autre raison… Peut-être s’était-elle énervée car une part de vérité douloureuse lui avait été révélée et qu’elle aurait apprécié que le monde entier se soit pas au courant ?

Ah. Vous êtes pas en couple, Cal et toi ? Inspiration. Expiration. Pourquoi ça l’énervait tant qu’Erwin pense ça ? Ça ne changerait rien qu’elle soit en couple ou pas. Ça ne changerait rien s’il pensait qu’elle avait des sentiments Cal, non ? J’croyais. Inspiration. Expiration. Alexis rouvrit les yeux et regarda sa main, posée sur celle d’Erwin. À quel moment leurs mains s’étaient retrouvées dans cette position sans qu’Alexis n’en soit gênée ? Erwin fut le premier à rompre ce contact, prétextant de ramasser la balle qui était par terre. Est-ce que cette balle intéressait Alexis à ce moment ? Non. Est-ce qu’elle aurait préféré continuer de toucher la main d’Erwin ? Oui.

Erwin fixa alors le mur en face, ignorant complètement Alexis qui avait l’impression que son cœur allait s’arracher de sa poitrine. Plus les secondes s’étiraient, plus la fille d’Arès était perdue. Elle voulait qu’Erwin parte pour la laisser seule dans ses réflexions. Elle voulait qu’il reste car elle appréciait sa présence, beaucoup plus que ce qu’elle croyait. Tu disais donc : Cal pourrait peut-être te fabriquer une arme changeante. Pas bête. Il a déjà fait des trucs plus complexes, il me semble. Deux lames, ça devrait être un jeu d’enfant, nan ? Non, Alexis ne voulait pas changer de sujet. Pourquoi il reparlait d’arme ? Alexis fit rouler la balle dans ses mains, se concentrant sur ce mouvement répétitif et familier.

« Oui. Pourquoi tu croyais que Cal et moi on était en couple ? Qui a parlé de ça ? »

Alexis avait bien d’autres questions beaucoup plus intéressantes que celle-là. Est-ce que ça l’intéressait de savoir qui avait pu balancer une rumeur aussi ridicule ? Non. Est-ce qu’elle voulait savoir pourquoi Erwin y croyait ? Pourquoi il fixait le mur alors que d’habitude il était si enclin à la regarder dans les yeux ? Pourquoi elle avait soudainement envie de croiser son regard ? Pourquoi son cœur battait si fort ? Oui, oui, oui et re-oui. Alors pourquoi fit-elle le choix de s’enfoncer encore plus dans son propre déni ?

« Non parce qu’être en couple est bien la dernière chose qui m’intéresse alors j’aimerais vraiment comprendre pourquoi le monde entier s’intéresse à une vie sentimentale complètement inexistante, que ce soit au présent ou au futur. »

La voix d’Alexis s’était faite plus pressante, un peu brutale. Essayait-elle de se convaincre elle-même ? Peut-être que si elle répétait assez longtemps que ça ne l’intéressait pas du tout, elle éviterait de repenser à la fois où elle avait serré Erwin dans ses bras.

"Oui. Pourquoi tu croyais que Cal et moi on était en couple ? Qui a parlé de ça ? Non parce qu’être en couple est bien la dernière chose qui m'intéresse alors j'aimerais vraiment comprendre pourquoi le monde entier s'intéresse à une vie sentimentale complètement inexistante, que ce soit au présent ou au futur."

Erwin fut étonné de voir que, finalement, Alexis ne semblait pas vouloir éviter le sujet, tout comme il l'avait supposé. Mais ce qu'il ressentait surtout, à cet instant, c'était son coeur qui se resserrait comme pour se cacher aux yeux de tous. Pourquoi ? Ça n'avait pas de sens. Alexis faisait ce qu'elle voulait de sa vie, après tout. Mais... Mais... Erwin inspira profondément. Il fallait qu'il chasse ces tourments étranges.

Fallait-il avouer à Alexis qu'il avait surpris une conversation semblant être d'ordre intime ? D'un côté, le fils de Poseidon se dit qu'informer son amie de ce genre de détail risquait de la mettre en colère. Encore. Et il n'en avait vraiment, mais alors vraiment pas envie. Il était de nouveau avec Alexis, ce n'était pas pour la voir disparaître au bout d'une demi-heure. Mais, d'un autre côté, si elle apprenait tout ça par hasard, plus tard, elle lui en voudrait sans doute de ne pas avoir été totalement honnête. Erwin fit son choix.

"Heu. Un peu après notre arrivée, je t'ai entendu parler. Avec Cal. Au soir. Et tu parlais de... d'avoir un crush sur lui."

Avec le recul et en connaissance de cause, Erwin se sentait complètement idiot. Un crush, après, tout, qu'est-ce que ça veut dire ? Alexis avait pu avoir un crush sur Caligula et puis découvrir que ce n'était pas réciproque. Ou avoir un crush sur Caligula puis se rendre compte que ce n'était pas suffisant. Ou avoir un crush sur Caligula, se rendre compte que ça pouvait mener à une relation, mais ne pas vouloir de vie de couple. Il y avait tant de possibilités !

"Et puis c'était écrit dans le Satyre, c'était pas un coup de Nova alors je savais pas d'où ça venait. Du coup, j'y ai cru un peu plus."

A la mention du journal, Erwin sentit sa gorge devenir sèche. Il entendit les cris d'Alexis résonner dans sa tête, il ferma les yeux quelques secondes. Il ne fallait pas y repenser, c'était fait et il ne pouvait plus rien changer. Il fallait qu'il se concentre sur le moment présent.

"Et comme tu n'as pas nié cette rumeur quand j'en ai parlé... Tu avais l'air de vouloir, hum, je sais pas, protéger Cal. Alors que tu t'énervais par rapport à une rumeur tout aussi fausse."

Etre en couple est bien la dernière chose qui m'intéresse. Le coeur d'Erwin battait fort, très fort. Trop fort. Il sentait son nez et ses yeux piquer, comme lorsqu'on est sur le point de pleurer. Pourtant, aucune larme n'attendait pour couler sur sa joue. Rien ne se passait à l'extérieur. Tout était en lui. Dans sa tête et dans son coeur. Comme s'il venait de se rendre compte qu'il avait manqué sa chance.

Un court silence s’installa entre les deux sang-mêlés, Erwin visiblement décidé faire durer le suspense. Alexis serrait et desserrait la balle entre ses mains sans vraiment y faire attention. Elle fixait Erwin qui était ce mur comme si c’était la seule chose qui méritait son attention. Alexis avait envie de se lever, de se mettre devant lui et de lui hurler de la regarder – ce qui était le comble puisqu’elle avait passé plus de temps à éviter son regard qu’à le soutenir. Mais elle ne le fit pas, se contentant de laisser son regard le détailler dans les moindres détails.

Finalement, Erwin cracha le morceau. Un peu après notre arrivée, je t’ai entendu parler. Avec Cal. Au soir. Et tu parlais de… D’avoir un crush sur lui. Alexis fronça les sourcils, plus surprise que furieuse. C’était évidement une bonne raison de penser qu’ils pourraient être en couple – si on omet le fait que ce crush n’avait jamais été réciproque. Et puis, c’était écrit dans le Satyre. C’était pas un coup de Nova alors je savais pas d’où ça venait. Du coup, j’y ai cru un peu plus. Encore une fois, un raisonnement plutôt logique. Alexis se mordit l’intérieur de la joue, serrant la balle si fort dans sa main qu’elle en avait presque mal. Et comme tu n’as pas nié cette rumeur quand j’en ai parlé… Tu avais l’air de vouloir, hum, je sais pas, protéger Cal. Alors que tu t’énervais par rapport à une rumeur tout aussi fausse.

La bouche d’Alexis s’ouvrit, puis se referma. La logique d’Erwin était bonne. Le résultat était mauvais mais le raisonnement était correct. De nouveau les sourcils d’Alexis étaient froncés. Devait-elle avouer sa relation avec Cal ou juste la balayer d’un revers de main en le laissant croire ce qu’il voulait ? Alexis ne voulait pas qu’il croie qu’elle pouvait être en couple avec Cal mais était-elle prête à lui parler de choses aussi personnelles ? Finalement, après un soupir, elle se décida à lui dire la vérité.

« Je ferai sûrement n’importe quoi pour Cal. On a une relation compliquée car j’ai… Alexis fit une pause, consciente qu’elle n’était pas si prête que ça à briser cette barrière. J’ai eu des sentiments pour lui mais j’ai préféré fuir que d’assumer, ce qui lui a fait beaucoup de mal. »

Alexis ferma les yeux quelques instants. Avait-elle seulement confié autant sur sa vie à quelqu’un d’autre qu’à Erwin maintenant ? Elle s’était remise à serrer la balle fortement dans sa main, comme si c’était son seul ancrage dans la réalité à ce moment. Puis elle reprit :

« Cal est un très bon ami qui à aussi des rapports compliqués avec ses propres sentiments, que ce soit envers lui ou les autres. Donc oui, je le protégeais. »

Alexis avait lâché sa balle et s’était mise à se gratter l’avant-bras. Elle n’aimait vraiment pas parler de tout ça. Pourquoi devait-elle mettre des mots sur des sentiments ? Les sentiments sont faits pour être ressentis et tus aussi longtemps qu’ils existent. Elle prit une nouvelle inspiration.

« Si c’était à refaire, je le protègerais toujours. Alexis fit une pause, fixant ses jambes, toujours croisées en tailleur. Mais j’éviterai de m’en prendre à toi sans raison. »

Enfin, ‘sans raison’ c’était vite dit. Alexis avait fini par comprendre la raison mais elle n’allait certainement pas en parler à Erwin. Si elle avait bien appris un truc avec Cal c’est qu’il ne faut jamais fuir les autres à cause de ses propres sentiments. Ce n’est pas pour autant qu’il fallait leur en parler. Fallait juste apprendre à grandir avec jusqu’à qu’ils disparaissent. Ce qui était parfaitement faisable. Alors pourquoi continuait-elle de se gratter l’avant-bras ?

Un léger bruit s'insinuait dans le silence. Le son ténu du caoutchouc sous pression. Et pour cause, la main d'Alexis se serrant et se desserrant sur cette pauvre balle. Personne n'aurait entendu un bruit si faible dans une situation normale, mais à cet instant, il était le seul bruit qui habitait l'air. Même les respirations ne s'entendaient plus, à croire qu'Erwin et Alexis avaient tous les deux cessé d'inspirer et d'expirer. La plainte de la balle transformée en anti-stress rappela l'attention d'Erwin vers Alexis. Après quelques pressions supplémentaires sur la balle, la fille d'Arès laissa échapper un soupir.

"Je ferais sûrement n'importe quoi pour Cal. On a une relation compliquée car j'ai... J'ai eu des sentiments pour lui, mais j'ai préféré fuir que d'assumer, ce qui lui a fait beaucoup de mal."

Nouvelle plainte de la balle écrasée entre les doigts d'Alexis.

"Cal est un très bon ami qui a aussi des rapports compliqués avec ses propres sentiments, que ce soit envers lui ou les autres. Donc oui, je le protégeais."

La balle se tut. Les pensées d'Erwin dévièrent à nouveau. Il n'avait effectivement pas envisagé ce genre de protection. Il avait pensé à quelque chose de plus... classique. Le genre de protection qu'on trouve dans les couples habituels. Ce dont Alexis parlait se trouvait à un autre niveau. C'était précisément le genre de protection qu'Erwin tentait d'approcher avec elle. N'avait-t-il pas, d'une certaine manière, voulu la protéger de ce que ses peurs pouvaient lui faire ?

"Si c'était à refaire, je le protègerais toujours. Mais j'éviterais de m'en prendre à toi sans raison."

Erwin fixa le visage d'Alexis. Il voulait y trouver quelque chose, voir quelle expression elle avait en prononçant ces mots. Il ne savait pas trop d'où lui venait cette curiosité, mais est-ce que cela avait la moindre importance ? Alexis venait de lui parler d'elle. C'était la troisième fois qu'elle lui confiait quelque chose à son propos. La première fois, c'était dans la salle d'art, la fois où elle s'était empêtrée dans les pots de peinture d'Erwin et qu'il l'avait invitée à peindre avec lui. Avec le recul, le fils de Poseidon prenait conscience de l'ampleur de l'exploit qu'il avait accompli. Cette fois-là, Alexis lui avait confié la nature de son pouvoir explosif. La deuxième fois, c'était en sortant des bains, lorsqu'elle lui avait avoué avoir fait un cauchemar de noyade. S'ouvrir à lui de la sorte, lui parler de ses peurs, ce qui pouvait être vu comme une faiblesse, avait touché Erwin. Et voilà qu'il prenait le rôle de confident pour la troisième fois.

Ces souvenirs reprirent leur place au fond de la mémoire du demi-dieu, son attention piquée par autre chose. Un mouvement. Alexis se grattait le bras machinalement. Depuis combien de temps faisait-elle ça ? Suffisamment longtemps pour que sa peau soit rouge, en tout cas. Allait-elle se gratter à sang ? Elle avait l'air complètement absente, ne réalisant apparemment pas dans quel état elle se mettait. Erwin attrapa délicatement la main de la demi-déesse.

"Tu vas te faire mal, Alexis."

Un murmure. Tout en douceur. Pas besoin de plus à la distance qui séparait les visages des deux Grecs. Erwin tenta de lire tout ce que pouvait cacher le regard d'Alexis. Mais bien qu'elle vienne de s'ouvrir à lui, ses yeux ne disaient rien. Il était encore trop tôt pour percer tous ses secrets. Erwin espérait qu'un jour, les secrets n'existeraient plus entre eux. Sa main pressa un peu plus celle d'Alexis, qu'il n'avait pas lâchée. Ce mouvement inconscient s'accompagna d'un battement de coeur un peu trop fort dans la poitrine du demi-dieu. Le silence se faisait long. Erwin le brisa en laissant s'échapper les premiers mots qui lui venaient.

"J'aime bien quand tu parles de toi."

La regarder n'était pas nécessaire. Tout ce que ses yeux disaient, sa voix le hurlait dans un souffle.

Alexis pouvait sentir le regard d’Erwin sur elle, mais elle ne leva pas la tête. Elle qui avait tant voulu qu’Erwin la regarde quelques minutes auparavant souhaitait maintenant qu’il arrête. Est-ce qu’elle allait passer sa vie entière à vouloir des choses d’Erwin et les repousser quand elle les obtenait ? Est-ce que c’est qui allait finir par ruiner leur relation ? Est-ce qu’Alexis était seulement capable de tenir une relation avec ce genre de sentiment à sens unique ? Elle avait brisé Cal en étant elle-même. Est-ce qu’elle allait faire de même avec Erwin ? À l’image de son pouvoir, Alexis était-elle destinée à détruire tout ce qu’elle effleurait ? Son cerveau n’était plus qu’un amas de questions sans réponse, tournoyant dans sa tête telle une valse mortelle.

Soudain, toutes les questions s’envolèrent. Juste l’espace de quelques minutes. Erwin venait de lui prendre la main avec une telle douceur qu’elle ne le remarqua pas tout de suite. Ses yeux dévièrent alors de ses pieds pour se poser sur son avant-bras qui était rouge. Tu vas te faire du mal, Alexis. La voix d’Erwin était comme une caresse pour l’esprit d’Alexis, lui faisant oublier pourquoi elle faisait ça. Elle leva les yeux vers Erwin pour remarque que leurs visages n’étaient plus aussi éloignés qu’au début. Depuis quand étaient-ils si proches ? Alexis pencha légèrement sa tête sur le côté, se délectant de la chaleur qu’Erwin lui procurait. Alexis n’avait qu’une envie à ce moment-là, celle d’entrelacer ses doigts à ceux d’Erwin.

J’aime bien quand tu parles de toi. Alexis avait baissé les yeux pour regarder cette main sur la sienne. Elle avait l’impression qu’il n’existait rien d’autre qu’Erwin à ce moment. Pas du Camp Jupiter. Pas d’autres sang-mêlés. Juste Erwin et elle, figés dans le temps. Bizarrement, le cœur d’Alexis s’était apaisé comme si c'était tout ce dont il avait besoin depuis le début. Alexis, dont l’esprit n’avait temporairement plus de questions, se pencha en avant et posa sa tête sur l’épaule d’Erwin. Elle ferma les yeux. Son pouce, comme guidé par une force extérieure, caressa la main d’Erwin pendant deux secondes.

« Merci. »

Alexis aurait aimé faire bien plus. Elle aurait aimé le serrer dans bras. Pour quelqu’un qui n’aimait pas le contact humain, elle se sentait affamée de la peau d’Erwin. Elle avait envie de le serrer dans ses bras pour ne plus jamais le laisser partir. Elle avait envie d’enlacer ses doigts avec les siens. De passer son autre main le long de sa nuque. De respirer son odeur. Sans s’en rendre compte, elle avait fait remonter sa deuxième main le long du bras d’Erwin dans un mouvement si délicat que c’en était presque une caresse.

Puis la porte s’ouvrit en grand. Alexis recula, lâcha la main d’Erwin, fit tomber la balle par terre. La personne qui venait de rentrer regarda les deux demi-dieux d’un œil accusateur. Alexis vira au rouge si rapidement que c’était à se demander quelle était sa couleur naturelle. Elle se releva brusquement de son lit, voulant se justifier mais aucun son ne sortit de sa bouche à part un petit gémissement de douleur car elle s’était appuyée sur sa mauvaise cheville sans faire exprès. La nouvelle arrivante haussant les épaules, marmonnant un truc que la gêne d’Alexis l’empêcha d’entendre.

Moment de flottement. Ou alors juste une seconde qui s'éternise dans la tête d'Erwin ? Le demi-dieu s'était dit que ses mots étaient peut-être de trop. Il avait déjà vu Alexis mal à l'aise pour moins que ça. Est-ce qu'elle ne lui demanderait pas de partir, est-ce qu'elle ne se fermerait pas d'un seul coup ? Non. Rien de tout ça. La fille d'Arès posa sa tête sur l'épaule d'Erwin. Une douce odeur ténue de shampoing vint chatouiller son nez. Les cheveux d'Alexis glissèrent mèche après mèche sur le fils de Poseidon. De sa main libre, il attrapa quelques cheveux et les lissa inlassablement dans une tendresse infinie. La dernière fois qu'il avait fait ce geste, les cheveux d'Alexis étaient en partie bleus et il aurait facilement perdu un bras pour avoir fait preuve d'une telle audace. Cette fois-ci, Erwin ne savait pas si la Grecque ignorait simplement ce mouvement ou si elle en profitait.

Un mouvement sur sa main détourna son attention. Erwin immobilisa ses doigts sur la mèche de cheveux d'Alexis. Il baissa les yeux et vit le pouce de la demi-déesse caresser sa peau. Il ferma les yeux, profita de cette sensation. Pas de contact physique. Tant pis pour cette fois. La tête du fils de Poseidon lui disait de ne plus rien faire de lui-même, d'attendre que ce soit Alexis qui l'y invite. Son coeur lui disait de ne retenir aucune goutte de la tendresse qu'il avait besoin de partager à cet instant.

"Merci."

Une sensation similaire à la première caresse fit tressaillir Erwin. Son bras. La main d'Alexis. Les deux l'un contre l'autre. C'était si agréable, c'était si doux, si... Soudainement, le fils de Poseidon ressentit une gêne. Il profitait, mais Alexis ne pouvait pas faire tout ça avec les mêmes pensées que lui. Quand elle agissait comme ça, il y avait une raison. La fatigue, le besoin de réconfort... Elle avait dû se dire que ces excuses et ces révélations avaient déclenché trop d'émotions pour lui, elle avait dû se dire qu'il lui fallait un soutien. Et pendant que lui profitait de toute cette douceur que son coeur réclamait depuis pratiquement le début de leur discussion, il sentait qu'Alexis le faisait par devoir.

Un goût un peu amer en bouche, Erwin s'écarta doucement d'Alexis. Il ne voulait pas que ça continue, que ça lui bouffe le coeur alors que son amie n'avait rien demandé. Il fallait qu'il s'écarte, qu'il prenne le temps de respirer, qu'il ravale l'injustice qu'il ressentait et qu'il revienne l'esprit vide. Il allait s'éloigner un peu plus d'Alexis lorsque la porte du dortoir s'ouvrit. La fille d'Arès s'écarta beaucoup plus vite qu'Erwin ne l'aurait fait. Elle sauta sur ses deux pieds, ce qui arracha une grimace au fils de Poseidon à l'idée de ce que sa cheville devait lui rappeler à ce moment précis. Le gémissement de douleur de la demi-déesse confirma ses craintes. D'un mouvement délicat, Erwin l'attira à nouveau vers le lit pour qu'elle s'asseye.

"T'as pas vu ma feuille de planning pour demain ?"

De toute évidence, la nouvelle venue s'adressait à Alexis. Mais celle-ci ne répondit pas. Elle reportait son attention ailleurs, probablement sur sa cheville qui devait la faire souffrir sur le coup. Erwin lança un regard à l'autre fille pour lui signifier qu'il n'en savait rien. La fille haussa les épaules et repartit. Erwin se leva du lit, il était temps de retourner dans son propre dortoir.

"Faut que j'y aille."

La gorge serrée, le demi-dieu avait du mal à prononcer d'autres mots. Il ramassa une dernière fois la balle qu'Alexis avait fait tomber, la lui lança et s'éloigna. Arrivé à la porte, il se tourna tout de même vers elle une dernière fois.

"Je suis vraiment content que tout soit réglé. Tu me diras quand tu te sentiras mieux pour reprendre l'entraînement. J'ai hâte !"

Il fit un signe timide de la main, offrit le meilleur sourire qu'il pouvait faire et ferma la porte. Une fois hors du dortoir, son expression de façade tomba en morceaux. Il s'adossa contre le mur et leva les yeux au ciel. Qu'est-ce qu'il faisait ? Il était complètement perdu. Il ne savait plus qui écouter. Sa tête ? Ou son coeur ?

Alexis s’était créé une sorte de bulle autour d’elle. Les sons ne passaient pas, l’enfermant dans un silence sourd. Alexis regardait la nouvelle venue mais celle-là semblait être si loin. Alexis fut rapprochée de son propre lit par la main d’Erwin mais elle le sentait à peine. Sa tête tournait. Tout avait été si rapide. Elle n’aurait pas dû se lever aussi violemment. Erwin la regardait et lui balança une balle qu’elle rattrapa par réflexe. En l’espace de quelques secondes, à peine le temps de reprendre ses esprits, Alexis était seule dans le dortoir.

Erwin était parti aussi vite que l’autre sang-mêlée était arrivée. Après une explication qu’elle n’entendit qu’à peine et un faible signe de la main, Erwin avait disparu. Alexis se remémora cette scène en boucle, se répétant inlassablement qu’elle avait merdé, qu’elle avait dépassé les bornes, qu’Erwin avait dû prier tous les dieux pour ce dérangement. Alexis se mordit la lèvre jusqu’au sang. Comment avait-elle pu être si stupide ?

Finalement, Alexis se recoucha sur son lit. Elle prit plusieurs inspirations. L’air lui brûlait la gorge à chaque respiration. Elle trouva la balle près de sa main. Rageusement, Alexis la jeta à l’autre bout du dortoir. La balle rebondit une fois contre un mur. Puis une deuxième fois. Il n’eut pas de troisième fois. La balle explosa en l’air, ne retombant plus qu’en poussière. Alexis retenu un hurlement de frustration. Elle était si stupide, si stupide, si stupide. Elle s’était promis qu’après Cal il n’y aurait plus aucune amitié brisée, ruinée, à cause d’elle. Alors pourquoi avait-elle fait ça ? C’était ridicule.

Alexis ferma les yeux, se massant les tempes. Elle avait envie de courir loin, mais sa cheville l’en empêcherait. Quand elle rouvrit les yeux, Alexis se promis de ne plus franchir cette limite ténue. Si Erwin n’était pas trop gêné pour la voir, alors elle garderait ses distances. Il voulait juste un prof de combat. Peut-être une amie. Rien de plus. Rien. De. Plus.