Revenir ici, c’est le bonheur ! La presque liberté mais surtout... Un moment privilégié où je peux retrouver mes soeurs Amazones qui ont fait le choix de ne pas s’établir à la Colonie. Certaines y étaient encore avant la fin du Tortionnaire, discrètes. Mais je suis une des rares à avoir préféré rester. Peut-être parce que j’ai encore l’impression d’avoir des choses à régler. Ou parce que j’ai le don de m’enticher de demi-dieux depuis un certain romain... J’admets ne plus savoir comment m’en sortir. Surtout savoir comment le sortir de ma tête une bonne fois pour toute. Mais il est toujours là, dans un coin de mon esprit. Je sais que je n’ai pas de raison de regretter mon choix. Après tout, il n’aurait pas pu avoir une vie convenable en restant avec moi. Alors pourquoi ça fait toujours aussi mal ? Et pourquoi j’espère toujours le croiser au détour d’une rue de la Nouvelle-Rome, maintenant que j’y ai plus ou moins récupérer mes accès ? Ça n’a définitivement aucun sens ! Même ici, j’espérais encore le croiser. C’est sans doute pour cela que je profitais souvent du crépuscule. J’aurai pu profiter de n’importe quel autre moment de la journée, même si on me demandait parfois un coup de main pour encadrer les jeunes. Mais non, le crépuscule avait toujours ma préférence...

Ce soir, j’avais décidé de faire de l’escalade au Nord de l’île, équipée d’un sac à dos contenant une gourde d’eau et une trousse de soins basique. Le calme de l’endroit m’aiderait sans doute à faire un peu de tri dans mon esprit. Et les Dieux seuls savent à quel point je pouvais en avoir besoin ces derniers temps... Je profitais de la luminosité offerte par le soleil couchant pour trouver des prises sur ce mur naturel. J’espérais bien arriver tout en haut, faisant une sorte de course avec le soleil. Enfin j’avais encore de la marge tout de même. J’avais calculé pour avoir le temps de grimper, me poser un peu là-haut puis redescendre tranquillement avant qu’il ne fasse complètement nuit. Une fois tout en haut, je respirais à plein poumon. Pourtant, mon souffle se bloqua dans ma gorge. Parce que la dernière fois que j’avais pu grimper de la sorte, c’était pour hurler à la lune la douleur de mon coeur meurtri. Non allez Rhylan, ne recommence pas à penser à lui ! Ça me donnerait presque envie de me procurer quelques gouttes d’eau du Léthé, juste pour me le sortir de la tête. Mais je sais bien que je risque d’oublier bien plus que sa simple existence... Non, j’allais devoir m’en sortir seule cette fois. Au moins avais-je décidé de ne pas à nouveau me teindre les cheveux, revenant à mon roux naturel. Par contre, j’avais opté pour les raccourcir, juste pour une question de confort.

Lâchant un dernier soupir, je décidais de redescendre. Après tout, je n’allais pas passer la nuit ici. Enfin l’idée pourrait être tentante mais j’aimais beaucoup trop le confort de mon lit pour préférer rester ici. J’entrepris donc ma descente, veillant à ne rater aucune prise. Manque de chance pour moi, je glissais et m’entaillais la main gauche en me rattrapant. Je grimaçais en sentant la pierre irrégulière s’enfoncer dans ma chair. Merde, c’était bien ma veine ! Je n’avais plus qu’à espérer que ce ne soit pas trop profond. Retrouvant le plancher des vaches, je lâchais mon sac sur le sol et en sorti directement la gourde d’eau pour nettoyer ma main. J'observais sommairement pour constater que l’entaille ne semblait pas trop profonde. J’allais sortir la trousse de soin lorsque je remarquais une présence. Un petit sourire se dessina sur mes lèvres alors que j’interpelais cette compagnie impromptue. “Alors, on sèche le feu de camp de ce soir ?” Ce n’était sûrement pas moi qui allait l’embêter à ce sujet, tant que le couvre-feu était respecté. Pour le reste, je me moquais bien de ce que les jeunes faisaient de leur soirée, tant qu’ils ne prenaient pas de risques inutiles.

J’aurai préféré ne pas me couper, ça faisait même longtemps que ça ne m’était pas arrivé. Avoir des égratignures oui mais une coupure comme ça... A croire que ma dernière vraie blessure remontait au Labyrinthe. En soi, je m’en tirais plutôt bien alors que j’avais perdu en dextérité et qu’il m’avait fallu un bon moment pour la retrouver. Mais que voulez-vous, j’avais chiadé mes entrainements pour retrouver mon niveau d’avant la perte de mon doigt. Je m’étais suffisamment emboucané toute seule à ce sujet, faisant de mon mieux pour pouvoir retourner sur le terrain sans risquer ma vie et celle de mes camarades. C’est uniquement quand je me suis retrouvée face à des créatures semblables à des kobolds que j’ai pu prendre toute la mesure des bénéfices de mes entrainements. Les petites bestioles étaient en train de ripoliner les murs d’un entrepôt servant de planque aux Amazones et avaient tenté de m’assommer à coup de cucurbitacées envoyés en pleine face... Mes pensées et souvenirs furent pourtant stoppée par l’arrivée d’une jeune personne, que je ne manquais pas de héler. Non pas que le feu de camp soit obligatoire. Ou peut-être que si ? En vrai je m’en moquais. Je m’en moquerais un peu moins si iel avait décidé de se baigner ou de faire de l’escalade au crépuscule. Parce que ça pourrait être dangereux et que je ne voulais pas me retrouver avec ça sur la conscience. Puis il aurait fallu l’emmener à l’infirmerie, sans doute lui offrir un nounours ou que sais-je d’autre pour me faire pardonner... non merci, j’ai déjà bien assez à gérer avec moi-même !

Je fronçais légèrement les sourcils à sa réponse. Le soir, le meilleur moment ? Je ne connaissais pas grand monde qui aimait particulièrement le soir, du moins en solitaire. Parce que oui, moi aussi j’aime le soir. Mais je l’aime parce que c’est le moment pour pouvoir sortir, pourquoi pas aller boire un verre avec quelques amis. Ou mieux, faire la tournée des bars avec un certains fils de Neptune, à jouer à qui roulerait le premier sous la table entre lui et moi. Il faut dire que le bougre avait de l’entrainement, même si je me défendais plutôt pas mal. Mais lui n’avait pas le handicap des talons donc je m’estime supérieure à lui à ce sujet ! Un léger bruit de métal me fait reporter le regard sur ma main blessée. Les trémulations faisaient s’entrechoquer mes multiples bagues. Je commençais alors à rincer la plaie pour la nettoyer. Je haussais même légèrement les épaules à la question de l’inconnu.e “C’est rien de grave, j’en ai connu d’autres.” Je sortis alors de quoi me faire un bandage assez sommaire, juste pour éviter que la blessure ne se salisse. Le temps que je finisse, les oiseaux avaient arrêté de zinzinuler pour laisser la place aux stridulations des grillons. Je rangeais le tout dans mon sac, vérifiant que je ne laissais rien trainer, et me redressais finalement en croisant les bras sous ma poitrine.

La tête du marmot semi-divin ne me disait rien. Peut-être que je l’avais déjà croisé, ce n’était pas improbable. Il faut dire qu’il y a parfois tellement de monde à la Colonie que je ne fais plus forcément attention. Je lâchais alors un petit ricanement. “Allez, t'inquiète paupiette, je vais pas te balancer. Tant que tu décides pas de faire de l’escalade, ou de te balader dans une grotte sans savoir où tu vas. Enfin j’ai cru comprendre que t’aimes l’obscurité donc c’est peut-être ton trip.” Cela dit, si un rejeton de Dieu voulait partir en expédition à cette heure, je ne pouvais clairement pas le laisser se débrouiller. Parce que je reste une Amazone et que s’il arrivait quelque chose de mal, j’allais me prendre une soufflante de la part de mes soeurs. Et ce détail ne m’enchantait pas vraiment.