June jura entre ses dents lorsqu’elle sentit son dos la lancer. Dans d’autres circonstances, elle aurait pu se soigner seule mais cette partie de son corps était inatteignable, évidemment. La Chasseresse aurait pu se tourner vers l’infirmerie de la Colonie mais elle n’était pas du genre à s’abaisser à ce genre de choses. June préférerait probablement renoncer à son serment et succomber à ses blessures plutôt que de demander l’aide une seule fois d’un sang-mêlé mortel. Au lieu de ça, l’éternelle adolescente se dirigea vers la Clairière des Satyres – un lieu calme, un lieu naturel, un lieu où elle était certaine de trouver Emily ou Ewolen pour l’aider dans cette tâche ardue.

Le soleil était haut dans le ciel lorsque June pénétra la clairière. Elle croisa certains satyres qu’elle connaissait et les salua sans trop s’attarder. Sa veste dissimulait le sang qui tâchait de plus en plus son débardeur en-dessous et elle n’avait aucunement envie de se montrer ses échecs à qui que ce soit. Lorsqu’elle repéra Emily parmi un petit groupe, elle soupira de soulagement. Elle attendit patiemment que la Chasseresse remarque sa présence puis lui fit signe de s’éloigner un peu du groupe.

« Désolée de t’importuner mais, hm, j’ai besoin de toi. »

Même à l’une de ses sœurs il n’était pas aisé pour June d’avouer ce genre de chose. Elle ravala néanmoins sa fierté avant de faire quelques pas de plus jusqu’à se juger assez à l’abri des regards. Seulement là, elle fit tomber sa parka imbibée de sang et tourna le dos à Emily pour lui montrer son dos sur lequel, elle supposait, s’étalait deux ou trois balafres qui saignaient plus ou moins abondamment. Son débardeur était probablement collé aux plaies, ce qui devait rendre le spectacle un peu déroutant.

« Si ça avait été autre part, je ne t’aurais pas dérangé pour ça mais j’ai bien du mal à atteindre cette partie de mon corps. Peux-tu… faire quelque chose ? »

Dès que son corps comprit qu’elle était à l’abris, qu’elle ne risquait plus rien, il perdit tout énergie. June sentit l’adrénaline quitter ses veines aussi rapidement qu’elle était apparue et sa propre douleur la foudroya sur place. Comment avait-elle pu marcher aussi longtemps sans s’évanouir ? June cligna des yeux lentement, tentant de chasser les étoiles qui dansaient devant elle à mesure qu’Emily la manipulait. Qu’est-ce qu’il s’est passé, lui avait-elle demandé. June tenta de se raccrocher à cette question pour s’ancrer dans le moment présent pendant que sa sœur découpait comme elle pouvait ce qu’il restait de son débardeur.

« Ça ne va pas être agréable, il faut que je referme l'une d'entre elles. Mais d'abord, je dois t'enlever les lambeaux de ton débardeur. Serres les dents ma sœur, et explique moi tout. »

June avait toujours apprécié la douceur et le calme qui émanaient d’Emily. Sa voix s’approchait plus d’une berceuse qu’autre chose et June pouvait passer des heures à l’écouter parler. Pour autant, aujourd’hui, Emily aurait beau être l’incarnation même de la quiétude, la douleur de June prenait le dessus. Le mélange était aussi étrange que désagréable mais cela lui permettait de chasser la soudaine fatigue qui s’abattait sur ses épaules.

« Une rencontre fortuite à l’orée de la Colonie. »

June serra les dents et les poings. Elle ne savait pas s’il était plus douloureux de sentir les doigts d’Emily s’agiter sur son dos blessé ou de se remémorer le combat stupide qui s’était déroulé il y a de ça moins d’une heure. Emily ne disait rien mais elle avait rarement besoin de mots pour se faire comprendre de June : elle voulait en savoir plus. June soupira – ce qui s’apparentait davantage à un grognement – et continua son explication :

« Je n’ai pas été prudente, je ne pensais pas tomber sur un chien des enfers aussi proche de la frontière et en plein jour. »

June ne l’avait pas senti arriver. Le monstre avait surgi de l’ombre des arbres sans crier gare et avait enfoncer ses griffes dans le dos de la Chasseresse. Elle s’était rapidement remise sur pieds pour éliminer l’intrus mais le mal était fait. Une partie d’elle aurait voulu accuser n’importe qui, n’importe quoi, tout sauf son imprudence. La Colonie l’avait trop ramollie, se consola-t-elle comme si cela expliquait tout.