Tu n’as aucun goût. Médusa ? La rousse était une vraie pleurnicheuse, fallait pas signer de contrat, bien fait. Cruella ? Son sens de la mode était tellement bon que le massacre de chiot devenait secondaire. Des affirmations fumeuses lui valant des exclamations outrées. Clayton se délecta des monologues enflammés d’Ava, arrosant méticuleusement chaque départ de feu.

Le minuteur sonna pour son plus grand plaisir. Il laissa pendre sa tête dans la baignoire, complètement détendu entre les doigts d’Ava. Le romain adorait vraiment cette sensation. Il grogna son désespoir quand l’eau chaude s’éteignit : le moment se finissait bien trop vite à son goût. Ava le laissa de nouveau seul dans cette petite salle de bain, avec ses cheveux dégoulinant. Et sentant... le frais ?. C’était sûrement la mousse. La mousse qu’Ava venait d'utilisée et qui sentait à présent divinement bon.

Le miroir renvoya une nouvelle image. Encore. Clayton se fixa un moment. C’était… Parfait. Par-fait. Peut-être était-ce la lumière artificielle du néon, mais son crâne semblait fluorescent. Clayton se fit la réflexion que son père allait en faire une attaque. Du bout des doigts, il passa expérimentalement une main dedans. Ceux-ci retombèrent détrempés aux milieux de son cou. Pourquoi n’avait-il pas fait ça avant ? De la coupe courte et stricte, il s’en était débarrassé en laissant pousser ses cheveux. En laissant ses cheveux ébouriffés, vivant, libre. Maintenant, Clayton avait l’impression d’avoir passé une autre étape… Et en plus, le rendu était génial ! D’un enthousiasme détonnant par rapport à sa tranquillité de tantôt, il entreprit de sécher convenablement ses cheveux. L'appareil s'enclencha dans un vrombissement métallique.

Quand Clayton retourna finalement dans le salon, il s'exprima joyeusement son contentement à Ava.  Seul le silence lui répondit. Il la découvrit installé sur le canapé, un livre en main. Perdue dans sa lecture, elle tourna une page, ne lui prêtant pas la moindre attention. Son regard était rivé sur les pages, une poker face ultime sur son visage. Qu’est-ce qui pouvait autant l’absorber ? Clayton s’avança vers elle, intrigué, à moitié convaincue qu’Ava allait se mettre à parler. Mais non, elle était vraiment à fond. Clayton jeta un bref coup d’œil sur la couverture - un loup ? - avant de céder à sa curiosité pour se glisser derrière elle. Il regarda par-dessus son épaule et-

Oh.
Oh.

Les mots étaient si éloignés du livre documentaire imaginé. Oh, il était naïf. Comment ça, une voix profonde ? Qu'est-ce que c'était une voix profonde d'abord. Ouah. Intense. Ouaaah, des loups-garous ? Une page tourna avant que Clayton ne décide de se manifester en lisant à voix haute.

“Good Girl-”

Avant d’avoir l’opportunité de finir la phrase (le monsieur allait faire un truc avec des hanches) le livre disparu de sa vision dans un flou artistique. De même qu’Ava. Clayton ne pu que glousser en se penchant davantage sur le dossier du canapé tout en essayant d’articuler.

“Attends, j’ai pas fini ! Je veux savoir la suite.”

Ava avait déjà lu ce livre. Elle savait parfaitement à quel moment l’intrigue devenait intéressante, à quel moment les deux protagonistes s’avouaient leur amour pendant une dispute violente, à quel moment ils se réconciliaient… et comment. Ava pouvait lire et relire ce genre de passage en boucle. La passion la fascinait. La façon dont deux êtres pouvaient se déchirer et se réconcilier à cause d’une seule émotion était fascinante. L’amour qui faisait battre leurs cœurs à l’unisson, leurs corps qui avaient été créés pour l’autre… Ava avait commencé à lire ce genre d’ouvrage par curiosité mais c’était aujourd’hui devenu un fantasme inatteignable, une chimère hors d’atteinte. Ava n’était pas stupide : jamais ce genre d’histoire ne lui arriverait, jamais elle ne connaîtrait cet amour dévorant, jamais elle ne lierait son âme à quelqu’un de cette façon. La seule chose qu’elle pouvait reproduire, c’était sur les autres avec son pouvoir - mais ça ne durait qu’un temps, un court instant durant lequel Ava pouvait presque se sentir comme l’héroïne d’un livre avant de se rappeler qu’elle avait tout de la méchante.

« Good girl- »

Ava sursauta lorsqu’elle entendit la voix de Clayton près de son oreille. Elle sursauta quand elle vit son visage si proche du sien. Elle frissonna lorsque les mots qu’il venait de murmurer percutèrent son cerveau. Nope, nope, nope, la fiction était faite pour être de la fiction. Ava referma brusquement le livre, coinçant quelques cheveux entre deux pages au passage.

« Attends, j’ai pas fini ! Je veux savoir la suite. »

Ava se redressa avant que Clayton ne se vautre sur elle, le cœur battant. Il y avait une différence entre lire ce genre de livres, les assumer et avoir quelqu’un qui les lit à voix haute par-dessus son épaule. Ava était absolument horrifiée par la situation.

« Depuis quand tu- Qu’est-ce que- Comment- Arrgh. »

Ava se sentait rougir. Elle avait envie de mourir. Elle tourna le dos à Clayton et balança le livre dans un placard qu’elle referma avec force. Elle prit quelques secondes pour respirer et se calmer. Son cœur menaçait de s’arracher de sa poitrine. C’était donc ça la  fameuse sensation décrite dans ces livres ? Ce n’était définitivement pas agréable. Et ça n’avait rien de romantique. Elle entendit Clayton parler et elle se retourna pour le découvrir avachi là où elle se trouvait quelques secondes plus tôt. Il la fixait avec de grands yeux curieux et amusés, quelques mèches rouges glissées entre ses yeux. Les pensées qui traversèrent l’esprit d’Ava à ce moment lui donnèrent envie de se pendre alors elle préféra les chasser de son esprit. Elle croisa les bras sur sa poitrine et fixa Clayton, son masque d’indifférence glissé à nouveau sur ces traits.

« Plus qu’une queue de poisson et tu ressembles à Ariel. »

Cette simple phrase relança le débat sur les Disneys en le centrant cette fois sur les princesses. Ava plongea avec fougue dans cette conversation, espérant chasser définitivement le sujet du livre de leurs échanges. Lorsque le regard de Clayton se posait de près ou de loin près de l’armoire, Ava relançait un nouveau sujet, n’importe quoi, pour que Clayton ancre son attention sur elle et non pas sur le livre. Jamais de toute leur relation elle n’avait autant parlé. Elle ne fut sauvée que lorsque sa tante rentra de sa course et complimenta longuement les cheveux de Clayton. Ce dernier était si fier de sa nouvelle couleur qu’il se pavanait comme un paon dans toute la maison. Finalement, Elayne les invita à l’accompagner dans une activité : louer un bateau et faire de la plongée sous-marine. L’idée même que Clayton ne puisse plus parler étant si enchanteresse qu’Ava accepta sans réfléchir.

Une fois la nuit tombée, Ava s’écroula de fatigue dans son lit. Clayton n’avait plus reparlé du livre et Ava avait usé toute son énergie sociale pour faire en sorte que ça dure. Elle dormit d’une seule traite et profita, cette fois, d’une vraie grasse matinée le lendemain sans personne pour la tirer hors du lit aux aurores. Il lui fallait au moins ça pour se remettre des émotions de la veille.