Assise sous un arbre, June écoutait les bruits de la Colonie. Les cris. Les rires. Les pleurs. La vie reprenait lentement son cours après les horreurs de Celmis. June n’y avait pas été confrontée directement, mais elle avait vu la souffrance dévorer certaines âmes autour d’elle. Billie était de ceux-là, de ceux qui ont souffert beaucoup trop à cause du Tortionnaire et de ses agissements. Certains auraient pu croire que la disparition du tyran aurait apaisé ses démons, mais June était bien placée pour savoir que non. Elle avait tenté de la protéger jusqu’au moment où elle avait compris que Billie avait besoin d’apprendre par elle-même.

Billie était partie. Comme June avant, une fois sa vengeance accomplie, elle avait fui pour prendre un nouveau départ, pour tenter de comprendre qui elle était maintenant que cette rage n’avait plus de cible autre qu’elle-même. June l’avait regardée faire, impassible. Agir autrement n’aurait qu’animer le brasier de la colère qui animait Billie. Alors June l’avait laissée partir, elle et son chagrin, elle et sa rage, elle et sa frustration. Peut-être que dans quelques années, elles se retrouveraient et pourraient échanger sur les douleurs du passé.

Alors que le soleil déclinait lentement, June se leva. Elle se dirigea vers la plage et avança doucement dans le sable. Artémis lui avait proposé de suivre le chemin de Billie. Maintenant que le Tortionnaire n’était plus, la présence de la Chasseresse n’était plus nécessaire. Évidemment, il fallait continuer de veiller sur Apollon. June qui haïssait cette Colonie, cette mortalité autour d’elle, cette vulnérabilité qu’elle voyait chez les autres, cette June avait dit non. Elle restait. Elle restait pour former aux soins certains guérisseurs, pour apprendre sur les nouvelles coutumes, pour recruter de nouvelles Chasseresses.

June restait aussi pour les pensionnaires. Ceux qu’elle détestait, ceux qu’elle aurait préféré ne pas voir, ceux qu’elle aurait voulu ensorceler pour qu’ils se taisent indéfiniment. Ceux-là même qu’elle refusait de voir mourir, ceux-là qui représentaient la nouvelle génération, ceux-là qui préféraient parler fort plutôt que de se taire, ceux-là qui assumaient leur position et qui avaient cette farouche détermination dans le regard. Ceux qui ne laissaient pas marcher dessus, ceux qui ne respectaient que ceux qui les respectaient.

Doucement, l’immortelle Chasseresse laissa l’eau imbiber ses vêtements et le sel imprégner sa peau. Il y avait des gens, aussi, qu’elle avait appris à apprécier. Ses barrières s’étaient fissurées et des âmes errantes s’y étaient engouffrées comme s’il s’agissait de chez eux. Cassandre et son peuple de sorcières, qui lui rappelait sa jeunesse. Adrian et son amour de la nature, qui lui rappelait ses passions. Et toutes ses âmes qui s’accordaient à lui parler sans animosité. Elle apprenait à leur contact, elle s’ancrait dans cette temporalité qui lui échappait. Une fille d’Athéna lui avait fait découvrir les mangas. Un fils d’Arès lui avait montré de nouvelles techniques de combat. Une fille d’Aphrodite lui avait montré comment le maquillage pouvait être une arme. Un fils de Poséidon lui avait rappelé que la vie, aussi courte soit-elle pour certains, méritait d’être vécue malgré tout.

June soupira et laissa les vagues s’écraser contre sa poitrine. Elle avait vécu si longtemps mais elle n’avait jamais compris ce qu’était réellement vivre. Toute son existence n’avait été que conçue pour les autres. Son clan. Hécate. Diane. Sa décision de rester ici, à la Colonie, n’avait été que pour elle. Elle aurait pu suivre Troïan, Billie et toutes celles qui sont parties, mais elle a décidé de rester ici. Encore un peu. Quelques mois. Quelques années. Après tout, elle avait une réputation à tenir auprès des nouveaux venus.