Ava essayait de faire bonne figurine mais son corps commençait lentement à lui hurler qu’elle avait atteint certaines limites. Pour autant, elle fit tous les efforts du monde pour calmer les battements de son cœur et contrôler sa respiration. Elle n’avait pas passé son enfance à subir les entraînements féroces de sa mère pour perdre contre une forteresse abandonnée, non ?

« Regarde autour de toi et dis moi ce que tu vois. »

Ava plissa le nez, surprise de ce temps de répit que lui offrait Priam. L’observation était sûrement l’un des rares atouts que la jeune fille avait pu perfectionner au cours de sa vie, elle qui passait son temps dans la passivité plutôt que dans l’activité. Elle laissa donc son regard fureter autour d’elle, cherchant quel type d’information Priam cherchait.

Ava remarqua les casques abandonnés (rares), l’épée enfoncée dans un mur, les traces de pas presque effacées par le vent. Elle remarqua également une sacoche dont le contenu s’en était déversé : gourde, bandages et… un carré doré ? De l’ambroisie. Un outil de guérison grec. Ava fronça le nez, indécise sur l’utilité de cette information.

La jeune Centurion décida alors de ne pas rester plantée là et commença à faire le tour du Fort. Elle nota de nouveaux éléments, que ce soit dans les armes, les traces de lutte ou bien l’emplacement de l’objet qui devait être protégé par les gens du Fort.

Petit à petit, des éléments se mirent en place dans l’esprit d’Ava. Elle chercha de nouveaux indices puis retourna aux côtés de Priam qui attendait patiemment que la jeune fille arrête de zoner dans ce Fort abandonné. Malgré ses doutes, Ava plaça ses mains dans son dos et garda le regard neutre, comme s’il s’agissait d’un rapport qu’elle faisait à son supérieur.

« Les gens de ce Fort ont perdu le combat. Non seulement l’attaque offensive était trop forte, mais il se sont également fait dérober le drapeau qu’ils étaient censé protéger. Visiblement, pendant qu’un groupe attaquait par devant, quelqu’un a contourné le problème et voler l’objet sans se faire repérer. Il s’agissait probablement de grec puisque ce n’était pas une tactique très romaine. »

Voilà, voilà, avait envie de rajouter Ava. La jeune fille se fit violence pour rester stoïque, son hyperactivité lui donnant plutôt envie de gigoter d’un pied à l’autre sous la pression. Serait-ce suffisant pour Priam ou aurait-elle dû parler des rats qui ont commencé à grignoter le sandwich abandonné derrière un bouclier ?

La satisfaction d’avoir reçu des compliments de la part de Lancaster pour sa capacité d’observation fut balayée par la suite de son dialogue. Alors que quelques secondes plus tôt, Ava se serait presque offert elle-même une médaille, la voilà maintenant qui palissait légèrement. Est-ce que son maître d’arme surentraîné venait de lui s’affronter contre lui ? Ava déglutit. Elle allait donc mourir, aujourd’hui, ici-même. Tous les coups sont permis, avait-il précisé, comme si cela rendait la chose plus évident pour Ava.

« Comme tu as du le remarquer dans ton observation, la structure n'est plus très stable et c'est une bonne chose. Tu ne seras pas toujours amené à te défendre et à combattre sur un terrain plat et praticable. »

Ava fronça légèrement le nez. Effectivement, la structure n’était pas très stable. De là à dire que cette information allait lui sauver la peau, nous en étions très loin. Néanmoins, lorsque Lancaster frappa fort du pied par terre et qu’une planche se détacha, Ava de se focaliser sur le combat plutôt que sur l’effarante différence de niveau entre Priam et elle.

Puisque le maître d’arme ne sortit pas son arme, Ava ne sortit pas les siennes. Elle se mit en garde et choisit tout simplement de faire du corps à corps (ce qui était somme toute un choix pourri contre un gaillard comme Priam, soyons honnête). Tournant lentement autour de son ennemi d’un jour, Ava alternait entre l’observation pure et dure de Priam et son impeccable garde, et leur environnement commun.

(Lancer de dé)

Ses années d’entraînement auprès de sa mère offraient à Ava une garde assurée mais une position un peu étrange où Ava semblait se recroqueviller sur elle-même, les mains un peu plus haut que les gardes habituelles. Elle tenta à deux reprises une attaque de coup de poing droit vers Lancaster mais il parait sans difficulté. Ava fit une troisième tentative mais au moment où le maître d’arme s’apprêtait à parer, Ava frappa d’un puissant coup de genou entre ses cuisses. De surprise et de douleur, Lancaster se pencha légèrement en avant et Ava lui décrocha un uppercut avant de reculer vivement. De là, elle se roula par terre pour esquiver la vengeance de Priam et récupéra juste assez de sable dans les mains pour lui jeter au visage lorsqu’il s’approcha trop près d’elle. De nouveau, elle se leva et retrouva sa position étrange qui facilitait ses coups de pieds et protégeait son visage.

Tous les coups sont permis, avait-il dit. Pendant un court instant, Ava eut envie d’utiliser son pouvoir. Elle n’hésitait jamais pendant les entraînements contre les légionnaires mais elle avait des scrupules à le faire sur un adulte. La morale, chose que sa mère ne lui avait pourtant jamais appris, trancha la question et Ava tenta de nouvelles approches autour de Lancaster, sans pouvoir. Évidemment, le Maître d’arme ne se fit pas avoir une seconde fois par les tactiques d’Ava et elle eut beaucoup plus de difficulté à l’atteindre une seconde fois. Quelques coups faisaient parfois mouche mais c’était plus par chance que par talent.

Ava tentait de jouer avec le terrain, mais elle comprit bien vite qu’elle n’y arriverait pas aussi bien que Lancaster puisque leurs poids étaient drastiquement différents. Après avoir observé une nouvelle fois le terrain, Ava opta pour une nouvelle approcha. Elle esquiva un coup, puis deux, puis trois, se rapprochant dangereusement du bord. Elle tenta de rouler par terre mais au lieu de ça, elle ne fit que de rapprocher du bord. Puis elle chuta, tout simplement. Seulement, elle se rattrapa à une lance plantée à l’extérieur du Fort à une vingtaine de centimètre de là où elle venait de tomber. Lancaster, curieux de voir l’état d’Ava, se pencha légèrement en avant et Ava en profita pour lui faucher les jambes à l’aide d’une épée qu’elle avait récupérer juste avant de tomber. Déséquilibré mais solide sur ses pieds, Lancaster se rattrapa de justesse contre l’un des murs. Or, celui-ci choisit cet instant pour s’effondrer, emportant Ava et Priam dans sa chute.

Aux grands mots les grands moyens.

La chute.
L’adrénaline.
Le choc.
La douleur.

Ava regretta presque aussitôt son geste. Sa rage de vaincre la poussait toujours à mettre sa propre vie en danger. Pour satisfaire son égo, Ava faisait souvent des folies. Les jeux du « cap ou pas cap » avait tendance à lui faire vivre des situations improbables. Peut-être que son enfance couvée par une mère autoritaire avait eu raison d’elle. Peut-être que la folie était dans ses gênes. Dans tous les cas, ses choix trouvaient leur écho dans la souffrance et le regret. Des gens plus qualifiés qu’elle trouverait surement à redire dans ce genre de comportement mais le rire tonitruant de Lancaster la conforta dans l’idée qu’elle avait fait le bon choix. Son regret se dissipa aussi vite qu’il était arrivé. La validation du maître d’arme effaça les souffrances que son corps lui soufflait.

« Voilà qui termine ce premier entraînement en beauté ! Désespère pas, je vais t'aider. »

Ava se redressa maladroitement, le corps en pleine protestation contre tout ce qu’il venait de se passer. La raison lui murmurait que sauter dans le vide n’allait pas toujours lui assurer une victoire mais le plaisir d’être accepté par Lancaster était trop grand pour que la raison gagne. Un sourire béat s’était formé sur son visage, mais il se transforma en grimace lorsque Lancaster lui éclata le plat de sa main dans le dos. Puis, le maître d’arme abandonna la Centurion sans plus de commentaire et la jeune fille se retrouva seule face au fort dévasté.

Ava se laissa aller à la félicité. Elle sautilla de joie et fit même une petite danse de la victoire. Mais la vie n’est jamais tendre avec la fille d’Eros et elle se prit les pieds dans une planche de bois avant de s’éclater la tête par terre (sur une autre planche de bois). Lorsqu’elle se releva, sonnée et désorientée, elle s’éloigna rapidement du fort maudit et se dirigea à son tour vers le Camp Jupiter.

Des ecchymoses commençaient déjà à se former sur sa peau laiteuse. Une bosse pointait le bout de son nez sur son front. Une douleur lancinante lui tirait les muscles. Pour autant, Ava-May commençait à apercevoir la lumière dans les ténèbres. Et elle avait hâte de raconter tout ça à sa tante.