Tout était silencieux dans le dortoir. Tout le monde dormait. Tout le monde sauf Erwin. Pour une fois, les cauchemars n’y étaient pour rien. Non, rien de sombre n’envahissait son esprit cette nuit. Allongé, immobile dans son lit, le demi-dieu fixait le plafond, qu’il distinguait vaguement en teintes de gris. Il réfléchissait. Toutes les voix entendues durant les derniers mois tournaient dans sa tête comme un vieux vinyle sur un tourne-disque.

Irina, Margot, Artemisia, Alexis. Il se rappelait leurs voix. Leurs mots. En repartant en arrière, en visitant les instants qui avaient ponctué sa vie depuis des mois, Erwin retrouvait la compagnie de ces filles qui l’avaient aidé, chacune à sa manière. Il n’avait encore jamais pris le temps de faire le point sur tout ça, mais le demi-dieu avait bel et bien besoin d’être aidé. Il n’avait pas accepté ce qui lui était arrivé, mais il avait perdu un part de lui, une part qu’il avait besoin de remplacer. Il n’avait pas admis qu’il avait ce trou béant au fond de lui, cette blessure à soigner. Il avait dit que tout allait mieux, mais c’était faux. Tout n’allait pas mieux. Il avait dit ça pour Alexis. Pour effacer ces cernes qui maquillaient son visage, pour chasser la tristesse de son corps entier, pour ramener l’éclat dans ses yeux, pour la revoir sourire.

Alexis n’allait pas mieux que lui. Elle n’allait mal différemment. Ils avaient été là l'un pour l'autre. Elle quand il avait fallu une oreille attentive et du réconfort pour qu'il aille mieux et oublie ses cauchemars. Lui quand elle s'était perdue dans l'orage et qu'il avait fallu recoller les morceaux d'une âme trop souvent meurtrie.

Il avait commencé à vraiment y arriver, à vraiment aller bien. Il s’en était rendu comte lorsqu’elle lui avait dit, à la plage, qu’elle attendait qu’il guérisse. Qu’il guérisse… Il avait réussi, sans doute. Elle l’avait guéri, avant cette nuit. La blessure n’était pas tout à fait cicatrisée, non. Il lui aurait fallu un peu plus de temps. Un peu plus d’Alexis. Mais le Tortionnaire avait frappé, il était revenu.

Erwin se crispa, ses doigts se refermèrent sur les draps. Ne pas perdre le fil. Ecouter le disque jusqu’au bout. Montre-nous ce que tu as appris, Erwin. C’est une voix malsaine. Un frisson court sur le dos d’Erwin. Continuer. Tu ne vaux rien. Elle. Non, pas elle. Elle. Erwin sentit, une fois de plus, la lame s’enfoncer avec une facilité macabre dans le corps d’Alexis. Une nausée lui retourna l’estomac. Je ne t’en voudrais jamais. L’avait-elle vraiment dit ? C’était impossible. Elle ne pouvait pas ne pas lui en vouloir. Il n’avait pas su différencier la vraie Alexis de la fausse. C’étaient des mots inventés par le Tortionnaire, encore. Alexis devait voir Erwin comme un monstre.

Alexis se comporte d’une façon totalement irresponsable. Et la raison, c’est toi. La voix d’Artemisia. Est-ce que c’était vrai ? Le cœur d’Erwin se serra, puis se mit à battre plus fort. Et si ces mots, les derniers, ceux qu’il essayait d’oublier, et s’ils étaient bien réels ? Et si c’était de nouveau le doute de sa cellule qui l’enveloppait. Et si, cette fois encore, il pouvait se raccrocher à Alexis ? A quoi bon se poser la question ? Il ne pouvait plus la voir sans se faire engloutir par la culpabilité. Il l’avait tuée. Elle ne lui en voulait pas ? Lui, il s’en voulait. Il se répugnait.

J’étais comme toi il y a un moment, j’avais constamment peur, tellement que je n’osais plus m’approcher des autres, même de ceux qui comptaient le plus pour moi. Cette peur, j’ai finalement réussi à la chasser. Erwin soupira. Fixant le plafond, il se laissa envahir par le souvenir. Si Margot avait raison, il fallait qu’il le revive. Qu’il se replonge dedans jusqu’à comprendre. Jusqu’à ne plus ressentir cette nausée au coup de glaive, ne plus ressentir cette haine envers lui-même, ne plus ressentir cette douleur face à Alexis. Combien de temps s’écoula ainsi ? Combien de fois Erwin revit-il son cauchemar sous ses yeux ? Combien de fois entendit-il Alexis ? Suffisamment pour donner une couleur de vérité à sa voix. C’est à toi que je me raccroche.

Il faut affronter la vérité, encore et encore, comme tu viens de le faire. Parce qu'elle ne partira pas toute seule. Oui. C’était vrai, Irina avait raison. Pour ça, il m’a fallu du temps, beaucoup de temps, mais ne t’inquiète pas, ça viendra. Oui, Margot avait raison aussi. Tu sais, Erwin, je pense vraiment que tu devrais aller lui parler. Oui, Arte avait raison. Mais ça ne comptait pas : Arte avait toujours raison. Il allait mieux. Pas entièrement, sans doute, mais il allait mieux que durant les derniers mois. Elle le faisait toujours aller mieux. Il n’avait pas besoin de guérir. Il avait besoin d’Alexis. Il avait toujours besoin d’Alexis. Il n’était jamais aussi mal que sans elle. Erwin mesurait enfin tout le temps qu’il avait passé si loin de la fille d’Arès. Il n’avait plus rien d’autre en tête.

Silencieusement, Erwin se redressa, se dégagea des draps en les froissant le plus discrètement possible, descendit du lit superposé en-dessous duquel il n’y avait heureusement personne. Il enfila un t-shirt pioché au hasard dans ses affaires. Il traversa le dortoir à pas de loup et sortit.

Alexis court. Elle court, mais ne bouge pas. Alexis cri. Elle cri, mais est silencieuse. Et pendant ce temps, la même scène se joue, inlassablement. Erwin. Erwin. Erwin. Il est là. Si loin. Si proche. Trop loin. Elle se voit elle-même, ce double maléfique qui se tient devant lui, le visage déformé par la folie, un rictus mauvais sur ses lèvres, des pupilles dilatées, le regard animal. Alexis veut s’approcher, mais elle est enlisée dans le sol. Alors elle cri, mais sa voix ne porte pas. Et pendant ce temps, elle, son double, lève le bras. Et pendant ce temps, encore une fois, elle tue Erwin.

La scène se rembobine, et elle recommence.

Alexis cru que son cœur allait s’arracher de sa poitrine. Elle se réveilla en sursaut, un cri étouffé dans sa gorge, son corps entier tremblant. De longues secondes s’écoulèrent avant qu’elle ne reprenne conscience de son environnement direct. La couette. Les lits. Alexis était dans le baraquement grec du Camp Jupiter. Au-dessus d’elle, Poppy dormait, tranquillement. Alexis se laissa retomber en arrière pour reprendre sa respiration. Elle passa une main sur son front pour enlever les cheveux qui y était collé à cause de la sueur. Machinalement, son regard fut attiré vers un radio-réveil. Il était tard. Ou tôt. Alexis retira la couette qui entravait son corps et un froid mordant vint s’enrouler autour de ses jambes nues.

Alexis se tourna et retourna dans son lit, tentant vainement de trouver le sommeil. Elle avait chaud. Puis elle avait froid. Elle songea à changer son short pour un jogging, mais il aurait fallu se lever pour ça. Alexis se retourna une nouvelle fois dans son lit. Sur le ventre. Sur le dos. Elle ne parvenait pas à se rendormir. Voulait-elle se rendormir ? Si c’était pour revivre la même scène, en boucle, elle préférait encore rester éveillée. Peut-être était-ce l’heure d’aller courir ? Non. Alexis n’avait pas envie de courir. Les images de son cauchemar continuaient de défiler dans son esprit. Erwin, Erwin, Erwin.

Allait-il bien ?

Cette question tournait en rond dans la tête d’Alexis. Et si ce rêve était encore quelque chose de partagé ? Et si le Tortionnaire était là, tapis dans l’ombre, en train de tuer à petits feux Erwin ? Non, ça ne faisait pas de sens. Alexis se retourna une nouvelle fois dans son lit. La tête enfoncée dans l’oreiller, elle tenta de se raisonner. Elle essaya de concentrer son esprit sur des choses joyeuses. Elliot. Poppy. Seraphina. Est-ce qu’Erwin va bien ? Le visage ensanglanté du fils de Poséidon revint hanté l’esprit d’Alexis qui hurla silencieusement dans son oreiller.

Alexis balança ses jambes en-dehors du lit et une grimace de dégoût se dessina sur son visage. Le sol était si, si, si froid. La fille d’Arès attrapa un pull qu’elle enfila par-dessus son débardeur, puis se leva de son lit. Elle avait besoin de savoir comment allait Erwin. Elle n’avait pas besoin de le voir de ses propres yeux, juste de s’assurer que le baraquement était… sauf ? Le dortoir des garçons. Si Erwin souffrait d’une quelconque façon, Alexis l’entendrait non ?

La main sur la poignée de la porte, Alexis s’arrêta dans son mouvement. Non, c’était stupide. Elle n’allait pas infiltrer le dortoir des garçons juste pour s’assurer qu’Erwin allait bien. Son cerveau fatigué lui jouait des tours. Alexis appuya son front contre la porte, essayant tant bien que mal de se raisonner. Erwin n’avait pas besoin d’elle pour se sortir d’un cauchemar. Il n’avait plus besoin d’elle. Alexis se mordit la lèvre presque au sang. Pourquoi, alors qu’elle savait pertinemment qu’elle ne l’était pas, une partie d’elle-même voulait se penser encore nécessaire à Erwin ?

Alexis lâcha la poignée de la porte, la tête toujours posée dessus. Elle avait envie de pleurer. Et de vomir. Elle ferma les yeux. Les images du cauchemar revinrent l’assaillir et Alexis rouvrit les yeux. Elle n’allait pas voir si Erwin allait bien pour l’aider, elle allait voir pour pouvoir apaiser son esprit. Oui. Voilà. Alexis ravala ses sanglots et ouvrit la porte. Discrètement, elle se glissa dans le couloir. Lentement, elle referma la porte, sans un bruit. Elle n’avait pas besoin d’alerter qui que ce soit, Poppy encore moins. Elle n’allait faire qu’un simple aller-retour. Travers le baraquement. Arriver devant le dortoir des garçons. Écouter si tout allait bien. Repartir. Tout simplement.

Une fois la porte bien refermée, Alexis se retourna sur la pointe des pieds pour faire face au couloir. Elle fit un pas, deux pas, puis se figea. Une silhouette.

Son cœur s’accéléra.

Erwin.

Hors du dortoir, l'esprit d'Erwin se mit à carburer bien plus encore. Il allait parler à Alexis, oui. Mais quoi ? Il allait rentrer dans le dortoir des filles et l'appeler ? Non, on l'entendrait, il réveillerait tout le monde. Pas une idée brillante donc. Alors il allait chercher le lit d'Alexis dans le noir. Et prier tous les dieux pour qu'elle ne hurle pas en le découvrant. Parce que, en fait, c'était une des meilleures techniques pour avoir l'air d'un grand psychopathe. Le but était de se faire pardonner, pas de lui faire croire qu'il allait la poignarder une deuxième fois... Dans quelle galère s'était-il embarqué ? Il n'aurait pas pu attendre que le jour se lève, comme n'importe quel homme sensé ? L'idée de faire demi-tour lui traversa l'esprit. Non, hors de question, il fallait assumer. Erwin ne savait pas comment, mais il finirait par parler à Alexis.

Et qu'est ce qu'il allait lui dire, au juste ? "Salut, Alexis. Je voulais te dire que je suis désolé de t'avoir poignardée. Je suis venu m'excuser après des mois parce qu'Arte m'a mis une balayette après t'avoir vue." Pas terrible. Pas terrible du tout, même. Peut-être qu'il pourrait plutôt commencer par quelque chose comme "Je suis venu ici par hasard, c'est l'occasion de se parler, non ?" ou même "Alexis ? Toi ? Ici ? Quelle surprise ! Et si on parlait ?". Encore pire. Erwin avançait, répétant mille et une introductions toutes plus désastreuses les unes que les autres. Il fixait le sol comme si le plancher était une incroyable source d'inspiration. Décidément, ça s'annonçait plus compliqué que prévu. Et puis... et si elle ne voulait pas le voir ? Impossible, Arte le lui avait dit : Alexis était dans un état déplorable depuis qu'ils ne se parlaient plus. Elle comblait le temps en se battant. Elle disait des choses accablantes. Elle...

...était là. Erwin la vit en relevant soudain la tête. Alexis était au bout du couloir, près de la porte de son dortoir. Le demi-dieu ne savait pas si elle en sortait ou si elle s'apprêtait à y entrer, mais il devait saisir l'occasion. Il pressa le pas. Elle le fixait, sans bouger. Il soutenait son regard, lui aussi. Il ne savait pas trop pourquoi il s'infligeait ça, d'ailleurs. Les yeux d'Alexis étaient comme deux aimants qui attiraient ceux d'Erwin, mais ils débordaient d'expression et le fils de Poseidon s'efforçait de ne pas décoder ce qu'ils disaient. Il avait peur de ce qu'il pouvait trouver dans ce regard.

Pourtant, plus il s'approchait, plus son cœur battait la chamade dans sa poitrine. Alexis était là, Alexis le regardait, Alexis ne fuyait pas, Alexis ne l'insultait pas, Alexis était belle, Alexis attendait. Alexis lui avait horriblement manqué. Lorsqu'il fut à un mètre d'elle, toutes ses paroles répétées en boucle s'envolèrent de l'esprit d'Erwin. Il n'y avait plus, dans sa tête, que la voix de la fille d'Arès accrochée à quatre mots. Je t'aime, Erwin.

Durant quelques secondes, il ne se passa rien. Les deux demi-dieux se regardèrent en silence, comme si le temps s'était arrêté. Puis, sans savoir ce qui avait changé, Erwin réduit à néant la distance qui le séparait encore d'Alexis. Ses bras enveloppèrent la fille d'Arès. Il inspira son parfum, en emplit ses poumons comme s'il respirait pour la première fois. Il glissa une main dans ses cheveux, redécouvrit leur douceur. Il serra Alexis encore un peu plus fort contre son coeur battant, la suppliant dans ce geste de ne plus jamais disparaître de sa vie. Il baissa la tête et, d'une voix qui se brisa, il murmura quelques mots à son oreille.

"Tu détruis pas tout. Tu me guéris."

Alexis ouvrit la bouche une fois, deux fois. Aucun son ne sortit. Qu’est-ce qu’il faisait là ? Est-ce qu’Alexis rêvait ? Non, c’était bien réel. La douleur dans son estomac, son cœur hurlant dans sa poitrine, les tremblements dans ses jambes, tout ça lui rappelait que tout était réel. Erwin se tenait bien devant elle, quelques mètres plus loin. Alexis était incapable d’articuler un seul mot, comme si tout l’air de ses poumons s’était envolé, ne laissant plus qu’un corps vide. De toute façon, qu’aurait-elle pu dire ? « Hey, salut, quel hasard, tu traînes souvent dans le couloir du dortoir des filles en plein milieu de la nuit ? T’as quelqu’un à voir ? Ahaha. » Alexis restait muette.

Bientôt, une émotion tira partiellement Alexis de sa torpeur. La colère. Qu’est-ce qu’il faisait là ? Pourquoi était-il là ? Après des semaines à l’ignorer, à faire comme si elle n’existait pas, à la fuir, il décidait maintenant de lui faire face ? Ou alors, c’était un accident qu’il soit là. Il allait voir quelqu’un. N’importe qui qui n’était pas Alexis. Et pour ça, il devait se déplacer la nuit, quand tout le monde dormait. Pour être sûr de ne pas la voir elle. Alexis serra les poings, se mordit la langue. Est-ce qu’il allait partir ? Est-ce qu’elle allait partir ? Erwin fit un pas dans sa direction. Puis un autre. Alexis avait envie de lui hurler de partir. Elle n’avait pas envie de le voir. Elle n’avait pas envie de ressentir cette tristesse l’engloutir à nouveau. Alexis ne voulait plus rien ressentir. Mais avec Erwin devant elle, elle en était incapable. Toutes les émotions étaient là. Confuses. Emmêlées. La colère disparut. La tristesse prit sa place.

Enfin, la distance entre leurs corps fut avalée. Avalée par les bras d’Erwin qui entourèrent Alexis. Avalée par ce besoin n’avoir plus rien d’autre pour les séparer. Avant même qu’Alexis puisse réfléchir, elle était également en train de l’enlacer. Elle pouvait sentir son cœur battre la chamade. Elle pouvait sentir l’odeur d’Erwin. Elle pouvait sentir sa chaleur. Alexis ferma les yeux un instant, comme pour effacer toutes les émotions qui la noyaient, mais celles-ci continuaient de se déchainer dans sa tête, dans son corps.

« Tu détruis pas tout. Tu me guéris. »

La voix d’Erwin n’avait été qu’un murmure soufflé près de l’oreille d’Alexis. Sa gorge se serra. Ses yeux s’embrumèrent de larmes. Alexis serra plus fort Erwin, les poings serrés. Elle enfouit un peu plus sa tête dans la nuque d’Erwin alors que les larmes commençaient à noyer son visage.

« T’es qu’un idiot. Je te déteste. »

Les mots d’Alexis étaient noyés dans les sanglots qu’elle ne parvenait pas à contrôler. Son corps entier tremblait. Si Erwin n’avait pas été là pour maintenir l’étreinte, s’il n’avait pas été là pour qu’elle se raccroche à lui, alors elle n’aurait rien eu pour l’empêcher de tomber. Le corps entier d’Alexis était parcouru de sanglots et de tremblements incontrôlables et seul le mouvement répétitif de la main d’Erwin dans ses cheveux lui permettait de ne pas complètement perdre pieds.

Au bout de quelques minutes, les larmes cessèrent de couler et sa respiration ne fut plus entrecoupée de sanglots. Les tremblements s’étaient calmés mais Alexis restait accrochée à Erwin. Si elle le lâchait maintenant, est-ce qu’il allait repartir ? Est-ce qu’il allait disparaître à nouveau ? Alexis remonta lentement sa main jusqu’à son propre visage pour en essuyer les larmes et se détacha enfin d’Erwin. Sans le regarder, elle lui saisit le poignet et se mit à marcher. Délicatement, la main d’Erwin glissa dans la sienne, entremêlant ainsi leurs doigts. Si elle le lâchait, est-ce qu’il allait disparaître à nouveau ?

Ses pas les menèrent jusqu’à la pièce commune, bien mieux éclairée que le couloir grâce aux fenêtres. Alexis ne savait pas quoi faire. Ne savait pas quoi dire. Elle resta un moment immobile, dos à Erwin, à regarder les différents meubles qu’elle discernait dans le noir. Sans s’en rendre compte, elle serra un peu plus fort la main d’Erwin, comme pour se donner du courage. Elle avait un million de choses à dire mais sa tête était incapable de mettre de l’ordre dans ses idées. Lentement, elle se tourna pour faire face à Erwin. Elle desserra l’étreinte autour de ses doigts, mais Erwin ne la lâchait pas. Tant mieux.

Erwin ouvrit la bouche, comme pour parler. Alexis posa son autre main sur sa bouche en secouant la tête. Elle baissa les yeux pour regarder par terre.

« Non, non, non, non. C’est moi qui commence. Tu te tais. »

Son sang battait si fort dans ses tempes qu’elle avait l’impression que son crâne allait exploser. Alexis se mordit la langue puis ferma les yeux. Elle prit plusieurs inspirations et chassa les larmes qui menaçaient de revenir. Ce n’était plus l’heure de pleurer. C’était l’heure de parler. Alexis ne releva pas la tête. Il y avait quelque chose de réconfortant à ne pas voir le regard d’Erwin.

« Je ne sais pas ce qu’Artemisia t’a dit. Ou pas dit. Elle se mêle de ce qu’il la regarde pas. Tout le temps. Alexis secoua la tête. Je suis désolée d’avoir dit ce que j’ai dit. Je n’aurai pas dû. C’était déplacé. Si je pouvais faire marche arrière, je le ferai. J’aurai préféré mille fois ne rien te dire plutôt que de subir ton regard après ça. Mille fois. Erwin ouvrit la bouche. Alexis appuya un peu plus sa main. J’ai pas fini. Je suis désolée de pas avoir pu t’aider quand tu te battais. Même si c’était un rêve. J’ai pas essayé assez fort. J’aurai dû. Peu importe à quel point il est fort, j’aurai dû l’être plus. Alexis fit une courte pause. Je suis désolée de t’avoir laissé tomber quand tu en avais le plus besoin, et je comprendrais si tu veux plus jamais qu’on se parle, comme on le faisait si bien jusque-là, mais si jamais tu… si jamais tu acceptes, pas tout de suite, mais un jour, qu’on redevienne amis, je serai d’accord. Je… Je peux t’attendre. Et devenir… plus forte, en attendant. »

Alexis ferma les yeux pour reprendre sa respiration. Elle avait l’impression d’avoir parlé si vite vers la fin qu’elle en était essoufflée. Lentement, délicatement, elle laissa retomber la main qu’elle avait posé sur la bouche d’Erwin. Elle ne croisa toujours pas son regard mais elle releva la tête. Son regard était las mais aussi déterminé. Si Erwin refusait, elle n’espérerait plus. Si Erwin acceptait, alors elle se concentrerait sur un futur où elle serait assez forte pour ne plus jamais le laisser tomber.

« J’ai fini. Pourquoi tu te balades dans le baraquement en plein milieu de la nuit ? »

"T'es qu'un idiot. Je te déteste."

Erwin resserra encore ses bras autour d'Alexis. Les mots faisaient mal. La voix faisait battre son coeur. Les sanglots de la fille d'Arès lui donnaient envie de trouver les paroles justes pour la soulager. Durant un moment flottant, les deux sangs-mêlés ne bougèrent pas. Erwin laissa Alexis verser ses larmes sans rien dire, se contentant de promener délicatement ses doigts dans ses longs cheveux sombres. Il n'avait pas les mots qu'il fallait, là, tout de suite. Il n'avait que sa présence à offrir à Alexis. Après la lui avoir dérobée si longtemps.

Après ce qui sembla être une éternité et pourtant pas suffisamment long, Alexis recula légèrement. Erwin la regarda, mais il évita à nouveau de se plonger trop profondément dans ses yeux. Il préférait ne pas savoir. Alexis pouvait le détester si elle voulait, le mépriser, avoir appris à se passer de lui. Il voulait absolument profiter de cet instant, cette proximité retrouvée. La main de la fille d'Arès glissa jusqu'à celle d'Erwin. L'idée même qu'elle le déteste s'estompa. Les doigts du fils de Poseidon se refermèrent sur cette main. Il ne la lâcherait plus. Plus jamais.

Erwin laissa Alexis l'emmener vers la salle commune. C'était, sans aucun doute, un meilleur endroit pour parler. Rester devant le dortoir des filles n'aurait pas manqué de réveiller quelques demi-déesses. C'était la dernière chose dont ils avaient besoin. Erwin voulait être seul avec Alexis. Ils arrivèrent dans la salle, baignée par la nuit, comme le reste du bâtiment. Pourtant, pour le sang-mêlé, l'atmosphère était bien plus légère ici que dans le couloir. Il garda la main d'Alexis dans la sienne, encore. Elle lui tournait le dos. Il mourait d'envie de tout lui expliquer, mais c'était si difficile d'aligner les mots. Finalement, Alexis se retourna. Erwin inspira et ouvrit la bouche. Peu importe ce qu'il dirait, il devait parler. Les doigts d'Alexis lui coupèrent la parole.

"Non, non, non, non. C'est moi qui commence. Tu te tais."

Le fils de Poseidon fut surpris. C'était bien la première fois qu'Alexis s'imposait pour prendre la parole. Il lui laissa le champ libre pour dire tout ce qu'elle voulait. De toute façon, avec sa main sur la bouche, il n'avait pas trop le choix.

"Je ne sais pas ce qu'Artemisia t'a dit. Ou pas dit. Elle se mêle de ce qui ne la regarde pas. Tout le temps. Je suis désolée d'avoir dit ce que j'ai dit. Je n'aurais pas dû. C'était déplacé. Si je pouvais faire marche arrière, je le ferai. J'aurais préféré mille fois ne rien te dire plutôt que de subir ton regard après ça. Mille fois."

Erwin voulut intervenir. Est-ce qu'Alexis faisait référence à ce qu'elle avait dit à Arte ou... à lui ? Est-ce qu'elle regrettait les mots auxquels le fils de Poseidon se raccrochait ? La pression se fit un peu plus forte sur ses lèvres.

"J'ai pas fini. Je suis désolée de pas avoir pu t'aider quand tu te battais. Même si c'était un rêve. J'ai pas essayé assez fort. J'aurais dû. Peu importe à quel point il est fort, j'aurais dû l’être plus. Je suis désolée de t'avoir laissé tomber quand tu en avais le plus besoin, et je comprendrais si tu veux plus jamais qu'on se parle, comme on le faisait si bien jusque là, mais si jamais tu… si jamais tu acceptes, pas tout de suite, mais un jour, qu'on redevienne amis, je serai d'accord. Je… Je peux t'attendre. Et devenir… plus forte, en attendant."

La main cessa d'appuyer sur la bouche d'Erwin. Le demi-dieu chercha le regard d'Alexis, mais elle l'évitait soigneusement. Il ne savait plus par quoi commencer. Il n'avait pas imaginé qu'Alexis puisse autant s'en vouloir à elle-même, encore moins pour des choses qu'elle ne pouvait tout simplement pas maîtriser. Elle n'avait pas à s'en vouloir de s'être laissée immobiliser par l'esprit pervers du Tortionnaire. Elle n'avait pas à s'en vouloir d'avoir assisté malgré elle à ce cauchemar. Elle n'avait pas à s'en vouloir d'avoir été poignardée.

"J'ai fini. Pourquoi tu te balades dans le baraquement en plein milieu de la nuit ?"

Erwin ouvrit la bouche. La referma. Tourna et retourna les explications dans sa tête. Ça semblait complètement insensé. Mais il était là, face à Alexis, et si elle avait fait l'effort de se livrer à lui, il devait en faire autant.

"J'arrivais pas à dormir."

Parfait. Super début, Erwin. Sa gorge était sèche, mais il était lancé, le reste ne serait que plus simple à raconter.

"Ça fait un petit moment que je m'en veux. Un long moment, plutôt. Je... J'arrive pas à me pardonner de t'avoir poignardée. Je m'en veux de m'être laissé avoir aussi facilement, de pas avoir su vous différencier, toi et elle. Tu sais, depuis le début, c'était ça, le plus dur. Faire la différence entre ce qui est faux comme elle et ce qui est vrai comme toi. Ça allait mieux et il a fallu que ça recommence."

Erwin fit une courte pause. Il se racla la gorge et se força à ne pas quitter Alexis du regard. Il ne pouvait pas s'arrêter là.

"C'est comme reprendre à zéro. J'ai l'impression d'avoir fait tout ça pour rien. Sauf que cette fois... Je pouvais pas compter sur toi pour remonter la pente. Je t'avais tuée, Alexis. Je pouvais plus te voir sans avoir peur de ce que tu pensais de moi. Tu devais me voir comme un monstre. J'ai été incapable de te reconnaître, toi, face à l'autre. Est-ce que tu pouvais encore me regarder après ça ? J'étais. J'étais. Complètement déboussolé. Jusqu'à ce qu'Arte vienne me voir, enfin, me foutre à terre, pour me dire qu'elle t'avait vue et que ça allait pas. J'ai mis du temps à y réfléchir, trop longtemps. Et finalement, j'avais décidé de te parler ce soir."

Un silence s'installa. Erwin et Alexis se regardaient, tour à tour, fuyaient les yeux de l'autre. Le fils de Poseidon ressentait ce besoin de parler encore. D'en dire plus. Toujours plus. De s'excuser mille et une fois, de s'assurer qu'il n'était pas un assassin aux yeux d'Alexis, de lui demander si elle se sentait mieux. Rien ne vint. Remplaçant tous les mots, les doigts d'Erwin se faufilèrent dans les cheveux d'Alexis, trouvèrent une mèche isolée, s'y enroulèrent lentement. Ce geste pensif avait une saveur apaisante.

"Maintenant que je suis là, avec toi, j'ai pas l'impression que tu me vois comme le monstre que moi, je vois. Je veux que tout soit comme avant."

Il la regarda. Ses yeux s'illuminèrent.

"Enfin, non. Je veux pas que ça soit comme avant."

Alexis releva la tête.

"Ce que tu as dit, j'ai d'abord cru que c'était une illusion de plus. Mais c'était vrai, hein ? J'ai envie que ce soit vrai. J'ai envie que tu l'aies dit. Est-ce que tu l'as vraiment dit, Alexis ?"

Il approcha son visage, se pencha vers elle, le front contre le sien.

"Est-ce que tu m'aimes ?"

« J’arrivais pas à dormir. »

Alexis hocha la tête. C’était une bonne raison pour trainer dans les couloirs en plein milieu de la nuit. Ça n’expliquait pas ce qu’il faisait du côté des filles, mais ça permettait de comprendre pourquoi il était debout. Alexis hocha la tête une seconde fois tout en fixant un point un invisible à côté d’Erwin. Elle ne pouvait pas le regarder dans les yeux. Elle ne voulait pas le regarder dans les yeux.

« Ça fait un petit moment que je m'en veux. Un long moment, plutôt. Je... J'arrive pas à me pardonner de t'avoir poignardée. Je m'en veux de m'être laissé avoir aussi facilement, de pas avoir su vous différencier, toi et elle. Tu sais, depuis le début, c'était ça, le plus dur. Faire la différence entre ce qui est faux comme elle et ce qui est vrai comme toi. Ça allait mieux et il a fallu que ça recommence. »

Alexis se mordit la lèvre. Elle aurait aimé lui dire que ce n’était pas sa faute, qu’elle s’était retrouvée à sa place trop tard, qu’Erwin n’avait pas eu d’autres choix de la tuer dans tous les cas. Le Tortionnaire avait parfaitement bien calculé son attaque, il n’y avait eu qu’une seule issue possible dans ce rêve. Alexis avait envie de dire tout ça, et plus encore, mais elle resta silencieuse, le reste fixé par terre. Elle ne pouvait pas interrompre Erwin. Il se racla la gorge et continua.

« C'est comme reprendre à zéro. J'ai l'impression d'avoir fait tout ça pour rien. Sauf que cette fois... Je pouvais pas compter sur toi pour remonter la pente. Je t'avais tuée, Alexis. Je pouvais plus te voir sans avoir peur de ce que tu pensais de moi. Tu devais me voir comme un monstre. J'ai été incapable de te reconnaître, toi, face à l'autre. Est-ce que tu pouvais encore me regarder après ça ? J'étais. J'étais. Complètement déboussolé. Jusqu'à ce qu'Arte vienne me voir, enfin, me foutre à terre, pour me dire qu'elle t'avait vue et que ça allait pas. J'ai mis du temps à y réfléchir, trop longtemps. Et finalement, j'avais décidé de te parler ce soir. »

Alexis releva enfin les yeux, à la fois pour regarder Erwin mais pour fuir son regard. Comment pouvait-il s’en vouloir pour quelque chose dont il n’avait aucun contrôle ? Ce n’était pas sa faute si elle était morte. Ce n’était pas sa faute si le Tortionnaire avait joué à ce jeu de malade. Et pourtant, Alexis ne pouvait que comprendre Erwin. Comment aurait-elle réagi elle, dans le cas inverse ? Comment aurait-elle pu se regarder dans la glace si elle avait enfoncé sa lame dans le corps d’Erwin ? Rien que d’y penser, la fille d’Arès avait la nausée. Elle ne se le serait jamais pardonné.

Un court silence enveloppa les deux demi-dieux. Alexis tentait de calmer les battements de son cœur et chercha du regard un nouveau point d’ancrage. Encore une fois, l’obscurité lui permettait de fuir les yeux d’Erwin qui pourtant l’appelaient comme un aimant. Les doigts d’Erwin vinrent se glisser dans ses cheveux et se saisirent d’une mèche. Alexis releva la tête et croisa son regard pendant une seconde avant de le fuir de nouveau. Ce geste ne fit qu’accélérer son cœur qui était déjà en proie à une terrible symphonie.

« Maintenant que je suis là, avec toi, j'ai pas l'impression que tu me vois comme le monstre que moi, je vois. Je veux que tout soit comme avant. »

Une pause. Alexis le voulait aussi, de tout son être, de tout son cœur. Elle ne voulait plus vivre un seul instant sans avoir Erwin à ses côtés, sans pouvoir lui parler quand elle en avait envie, sans pouvoir le toucher quand elle en avait envie. Elle voulait pouvoir entendre son rire, le voir sourire, l’enlacer. Mais est-ce que cela pourrait réellement être comme avant ? Après tout ce qu’ils avaient vécu ?

« Enfin, non. Je veux pas que ça soit comme avant. »

Alexis releva la tête et serra sa main libre, enfonçant ses ongles dans sa peau. Évidemment que ça ne serait pas comme avant. C’était impossible. Pourtant, quand elle croisa le regard d’Erwin, elle n’y vit pas la finalité de leur relation. Elle y vit autre chose. Quelque chose.

« Ce que tu as dit, j'ai d'abord cru que c'était une illusion de plus. Mais c'était vrai, hein ? J'ai envie que ce soit vrai. J'ai envie que tu l'aies dit. Est-ce que tu l'as vraiment dit, Alexis ? »

Alexis avait soudainement la gorge sèche. Son cœur se mit à battre encore plus fort. Elle ouvrit la bouche, à peine, juste pour pouvoir reprendre sa respiration. J’ai envie que ce soit vrai. J’ai envie que tu l’aies dit. Alexis sentait que la terre se mettait à tourner trop vite, trop fort. Son estomac se tordait dans un angle douloureux. Erwin rapprocha son visage du sien, collant son front contre le sien.

« Est-ce que tu m'aimes ? »

Alexis avait du mal à reprendre sa respiration. Il n’y avait plus qu’Erwin dans son champ de vision, elle était incapable de voir autour d’elle. Son cœur menaçait de s’arracher de sa poitrine, son estomac menaçait de se retourner. La terre tournait si vite qu’Alexis avait l’impression de perdre pieds. Elle commençait à paniquer, à trop paniquer. Elle voulait partir, s’enfuir, ne plus se retourner. Erwin dû le sentir, il resserra ses doigts autour de ceux d’Alexis. Une pression infime, douce. Alexis reprit le contrôle. Un instant.

Est-ce que tu m’aimes ? Évidemment. Oui. Elle lui avait dit. Une fois. Deux fois. Trois fois. Est-ce que tu m’aimes ? Comment aurait-elle pu définir autrement tout ce qu’elle ressentait à cause de lui, face à sa présence, face à son absence ? Alexis ferma les yeux. Est-ce que tu m’aimes ? La réponse était claire, simple, limpide. La réponse l’était tout autant. Mais Alexis n’arrivait pas à la formuler. Et si tout ceci n’était encore qu’un rêve ? Et si en réveillant, Alexis découvrirait encore Erwin loin d’elle, fuyant son regard ?

Est-ce que tu m’aimes ?

Alexis délia sa main de celle d’Erwin. Lentement, délicatement. Elle pouvait sentir son souffle sur sa peau, sur ses lèvres. Elle pouvait sentir sa chaleur. Alexis ne rouvrit pas les yeux. Elle s’approcha d’Erwin dans un mouvement imperceptible. Enfin, elle entoura le cou d’Erwin de ses bras. Enfin, d’une pression délicate, elle le poussa vers elle. Enfin, elle réduisit l’espace entre leurs lèvres. Enfin, Alexis et Erwin s’embrassèrent. Ce ne fut qu’un instant, quelques secondes, mais Alexis eut l’impression que son corps allait imploser. Son cœur s’arrêta. Son souffle se coupa. Tous ses muscles furent parcourus d’un courant électrique. La nuit n’existait plus. Le monde n’existait plus. Il n’y avait qu’Erwin.

Alexis recula, légèrement. Elle ouvrit les yeux et croisa le regard d’Erwin. Elle osa enfin y lire les émotions qu’il ressentait et un sourire se dessina sur son visage. Délicatement, elle effleura ses lèvres avec bouche et Erwin s’occupa de faire le reste. Le monde aurait bien pu exploser qu’Alexis ne s’en serait même pas rendu compte. Il n’y avait plus que cette chaleur, que son cœur, que ce baiser. Erwin recula et posa de nouveau son front sur celui d’Alexis qui garda un instant de plus les yeux fermés, profitant de ce silence apaisant qui les entourait.

« Se rendormir va être plus compliqué que prévu. »

Un sourire amusé s’était dessiné sur les lèvres d’Alexis qui, distraitement, elle caressait la nuque d’Erwin. Elle ne voulait pas partir. Elle ne voulait pas le quitter. Et si tout n’existait plus le lendemain ? Et si Erwin ne voulait plus de ce baiser le lendemain ? Et si tout redevenait comme avant ?

Alexis ne répondit pas. Ou bien Erwin ne l'avait tout simplement pas entendue sous les battements assourdissants qui montaient de sa poitrine. Il attendit. Les yeux fermés, le visage à quelques centimètres du sien, il attendait. Durant un temps indéterminé, et surtout interminable. Alexis avait toujours eu du mal à s'exprimer, Erwin le savait. Il lui laisserait évidemment le temps qu'il faudrait, mais, tant qu'elle se taisait, tout était encore possible. Peut-être qu'Alexis n'avait jamais rien dit. Peut-être qu'Erwin avait de nouveau des hallucinations. Peut-être qu'il se croyait guéri alors qu'il baignait dans le brouillard.

Le fils de Poseidon avait non seulement le coeur mais aussi le cerveau complètement en vrac. Il hurlait intérieurement, il hurlait à Alexis de lui dire qu'il n'avait pas rêvé encore une fois, il hurlait qu'il aurait mieux fait de se taire. Mais, face à lui, Alexis paraissait aussi paniquée que lui. Alors il forçait une expression calme sur son visage, en dépit de l'ouragan qui dévastait tout au fond de lui. Il resserra légèrement sa prise sur les doigts d'Alexis. Pour lui donner le courage de le regarder. Pour continuer à espérer qu'elle lui répondrait oui.

Tout resta figé durant quelques instants. La main d'Alexis finit enfin par s'évader. Erwin ferma les yeux, le seul moyen de garder ses tourments dans sa tête, rien que dans sa tête. T'as tout foiré, t'aurais dû  la fermer, Erwin. Le silence d'Alexis devenait extrêmement pesant. Le sang-mêlé se demanda s'il n'avait pas accidentellement provoqué un arrêt cardiaque chez la fille d'Arès. Si c'était le cas, il ne savait pas ce qu'il devrait faire. Comment on répare les gens après un AVC ? Je sais pas, je sais pas. Je fais quoi si elle s'évanouit ? Erwin tressaillit. D'abord sous l'effet d'un accès d'appréhension particulièrement violent. Ensuite, au contact des bras d'Alexis dans son cou. Et de celui de ses lèvres sur les siennes.

Leurs yeux s'ouvrirent, leurs regards se croisèrent, leurs visages s'illuminèrent. Alexis recula. Erwin ne bougea pas. Son coeur s'emballait. Elle n'avait pas répondu. Il n'en avait plus besoin. Il était heureux. Il regardait Alexis, et tout l'or du monde se reflétait dans ses yeux. Il ne voulait plus jamais détacher son regard d'elle. Il contempla chaque détail de ce visage si proche du sien. Cette peau, ces cils, ce nez, ces lèvres. Erwin n'avait qu'à avancer pour goûter ces lèvres à nouveaux. Il le fit. Il en profita jusqu'à la dernière seconde.

"Se rendormir va être plus compliqué que prévu."

Erwin se délecta des mouvements des doigts d'Alexis dans son cou. Une douceur dont il ne se lasserait jamais. Il ne pourrait effectivement pas dormir après ça. Faire comme si de rien n'était. Attendre le lendemain pour revoir Alexis. Impossible. Il promena doucement son pouce sur la lèvre de la sang-mêlé, hésitant à y poser sa bouche une troisième fois. Il se contenta de repasser cette sensation en boucle dans son esprit. Son sourire s'élargit de plus belle. Il saisit la main d'Alexis et la caressa distraitement.

"Oui. Mais tu sais quoi ? Y a quelque chose qui me manque depuis qu'on est dans ce camp."

Il porta la main d'Alexis vers lui, y déposa ses lèvres sans la lâcher du regard. Ses yeux brillaient d'un éclat renouvelé.

"Nos nuits à deux."