Son coeur tambourinait au rythme des cris d'impatience, dehors. Il resserra les protections autour de ses avant-bras. Ce n'était pas le moment de laisser quoi que ce soit au hasard. Il ne fallait rien négliger. Ses derniers combats, il ne les avait pas remportés en se fiant à la chance. Il avait fait attention à tout. Il n'avait laissé aucune faille aux yeux de ses adversaires. Il n'allait pas changer aujourd'hui.

Il avança, saisit son arme, un glaive qui avait déjà prouvé son efficacité. Il avança, avança. La clameur se faisait plus puissante à l'extérieur, faisant monter progressivement l'adrénaline du gladiateur. Il s'approcha de l'épaisse grille. Un bruit métallique résonna. La lumière se déversa, elle éblouit le demi-dieu un instant.

Erwin se retrouva dans l'arène. La foule entassée dans les gradins exultait déjà. Les cris étaient plus forts, plus aigus, plus proches maintenant qu'il avait quitté les coulisses du Colisée. Tout ce monde ! Est-ce que tous ces spectateurs étaient là pour le voir combattre, lui ? Ou bien...

La grille à l'opposé de lui émit un grincement lancinant en s'ouvrant. Erwin plissa les yeux, il tenta de deviner la silhouette de son adversaire encore dans l'ombre des coulisses. Il la vit apparaître. Ce n'était pas une des montagnes de muscles qu'il avait pu croiser. Ce n'était pas une bête féroce dont les Romains raffolaient. Ce n'était pas un monstre non plus.

C'était une fille qu'il dépassait de plus d'une tête. Une fille qui, même si elle avait des muscles bien visibles, n'avait rien d'un colosse. C'était pourtant elle, le champion de l'Empereur.

Les deux combattants se rapprochèrent, se retrouvèrent face à face au centre de l'arène. Erwin toisa cette guerrière d'un air déterminé. Il n'avait pas le droit de perdre. Il savait comment ça se passait, c'était tuer ou mourir. Et mourir n'était pas dans ses plans. Il toisa cette guerrière d'un air déterminé, aucune autre émotion dans les yeux. Pourtant, ce n'était pas l'appréhension qui manquait. Il contint difficilement un frisson lorsqu'il lu dans le regard de son adversaire une envie de meurtre qu'il n'avait encore jamais vue auparavant.

Alexis regarda droit devant elle alors que quelqu’un vérifiait son armure. Son regard était froid, distant. Quand elle était arrivée ici pour la première fois, elle avait été terrifiée, apeurée, complètement seule. Elle avait appris, avec le temps, à s’endurcir. Après tout, pour une esclave, elle était quand même bien traitée. L’empereur la choyait et prenait soin d’elle quand elle ne se battait pas. Elle avait bien sûr appris à ne pas prendre ça comme des gestes d’affection. Alexis était sa propriété. À partir du moment où elle ne se battrait plus, elle serait jetée. Tel le pantin qu’elle était.

Les grilles s’ouvrirent lentement sur l’arène. Alexis profita de la cohue générale pour sautiller sur place et s’étirer les muscles. Son combat de la veille s’était terminé vite, trop vite. L’Empereur voulait faire durer le plaisir. Alors Alexis avait reçu des ordres très précis : elle ne devait pas achever son adversaire tant que son maître ne lui disait pas. Et, au vu de sa frustration de la veille, elle allait devoir tenir au moins une heure. Après un soupir, Alexis se glissa hors des coulisses. La foule était en délire, mais cela n’intéressait pas Alexis. Une seule chose l’intéressait : vaincre.

Son adversaire se dessina enfin devant elle. Alexis eu envie de rire. C’était lui son adversaire ? Il n’était pas impressionnant, pas très musclé. Il ne semblait même pas spécialement malin. Il avait cette attitude qui disait Je gère, tout en ayant un regard qui disait Je fais quoi ici déjà ? Alexis détestait ce genre d’adversaire. Surtout si elle devait faire durer le plaisir. Ils étaient imprévisibles, ridicules. Le genre à feinter des pires façons possibles et à jouer sur la chance pour s’en sortir. Alexis resserra sa poigne sur son glaive. Elle allait le tuer. Il en valait de sa survie.

Les deux gladiateurs s’approchèrent l’un de l’autre, silencieusement. Le Colisée se tut enfin, laissant l’Empereur le soin des présenter sa favorite tel l’objet qu’elle était. Voici ma championne. Elle se bat en mon nom. Bla, bla, bla. Alexis ne détachait pas son regard de son adversaire. Elle avait vaguement souvenir de son nom : Erwin. Ou quelque chose comme ça. Ewen ? Ewan ? Peu importait. De toute façon, il était un esclave comme elle. Son nom n’importait pas. Seulement sa capacité à survivre pour son maître.

Enfin, le combat se lança. Alexis recula lentement, dessinant des cercles autour d’Erwin. Elle avait besoin de jauger quel type de combattant il était. Pendant presque deux minutes, ils restèrent face à face, aucun n’attaquant. Des huées commencèrent à secouer les bancs, alors Alexis, après un grognement, lança le premier assaut. Puis le suivant. Et tous les suivants.

Alexis ne faisait rien de bien compliqué, des choses faciles à parer. Elle avait besoin de voir jusqu’où Erwin pouvait aller. Visiblement, il se contentait du minimum pour l’instant. Alors Alexis accéléra les mouvements. Elle réussit à le toucher une fois, puis deux. Il lui rendit bien, l’effleurant de sa lame sur la joue. Il était beaucoup plus rapide que prévu, sa taille avait trompé Alexis qui resserra encore ses doigts contre son glaive.

Erwin, enfin, décida de charger en direction d’Alexis. Une attaque frontale alors qu’elle était immobile. Pendant une fraction de seconde, Alexis ferma les yeux et leva les mains. Puis, après qu’un grondement se fit entendre, Alexis sauta en l’air. À ce moment-là, l’eau qui stagnait sous le Colisée sortit d’une bouche d’égout et projeta Erwin avant, entourant Alexis dans un tourbillon effrayant. Puis l’eau retomba en même temps qu’Alexis, laissant son adversaire à terre, trempé.

« Je ne peux malheureusement pas t’achever maintenant, alors relève toi, soldat. »

Alexis était de nouveau en garde et attendit que son adversaire se relève.

Ils se jaugèrent longtemps. Trop longtemps. Erwin n'avait pas besoin d'entendre la foule se plaindre pour le savoir. Il n'avait jamais commencé un combat de manière aussi statique. Mais se précipiter ne ferait que le mener à la mort en quelques secondes. Cette guerrière, Alexis comme l'avait nommée l'empereur, avait l'air sûre d'elle, très sûre d'elle. Erwin en eut un frisson.

Finalement, Alexis fit le premier pas. Ou plutôt, le premier bond. Elle se jeta vers Erwin, si vive, si forte qu'il faillit se laisser surprendre. Il prit conscience que les choses allaient être réellement intéressantes, et réellement corsées aussi. Elle n'était pas la combattante de l'empereur pour rien. Elle avait l'air bien plus féroce que ce que son apparence physique laissait croire. Il fallait garder de la marge pour la suite, garder des forces, ne pas tout dévoiler tout de suite.

Le gladiateur se contenta de parer ou d'esquiver tant qu'il pouvait les assauts répétés de la guerrière enragée. Au début, malgré la hargne dont elle faisait preuve, Erwin évita assez facilement les coups d'Alexis. Il était rapide, plus qu'elle pour le moment. Lorsqu'elle commença à porter des coups fructueux, en revanche, le demi-dieu sut qu'il ne devait plus uniquement esquiver. Il fallait qu'il passe à l'offensive, lui aussi. Glaive en main, il fonça à plusieurs reprises vers Alexis, parvenant à la toucher quelques rares fois. Il était plus rapide, mais elle était extrêmement bien entraînée. Il ne la surprendrait pas avec des techniques si basiques.

Soudain, Alexis s'immobilisa. Erwin trouva cet arrêt très étrange, mais il vit là une occasion, la seule peut-être, de régler son compte à cette guerrière acharnée. Il fonça vers elle sans se poser de questions, bien qu'il aurait dû. Il sentit, trop tard, les tremblements qui agitaient le sol de l'arène. Elle contrôle la terre ? La vague qui déferla sur lui le détrompa. Propulsé au sol, dégoulinant, Erwin sentit une douleur sourde irradier son dos. L'eau projetée par Alexis était puissante, violente. Il se redressa et saisit son glaive, mais la guerrière était au-dessus de lui. Il allait mourir. Déjà. Le demi-dieu était partagé entre l'appréhension de cette fin douloureuse et la honte d'avoir mené un combat si court.

"Je ne peux malheureusement pas t'achever maintenant, alors relève toi, soldat."

Quoi ? Comment ça, elle ne "pouvait" pas l'achever ? C'était pourtant bien le but d'un combat de gladiateurs. Erwin le toisa durement. Etait-ce un piège ? Une tactique pour mieux se débarrasser de lui ? Non, il n'y avait rien de plus facile que d'achever un ennemi au sol. Peut-être cherchait-elle à tirer plus de gloire de ce combat ? Erwin réfléchit aussi vite que possible. Que faire ? Est-ce qu'il devait déjà utiliser ses pouvoirs ? Non, trop tôt. Alors se relever et se jeter directement sur elle ? Ou attendre ?

"Et si je me relève pas ?"

Erwin avait employé un ton bien plus dédaigneux qu'il ne le voulait. L'air impérieux de la guerrière l'avait visiblement heurté plus qu'il ne le pensait. Redressé à moitié, appuyé sur ses coudes, il fixait Alexis sans ciller. Elle voulait que le combat dure ? Que ferait-elle si il refusait de se remettre debout, de reprendre l'assaut ? Il était conscient que c'était très risqué de provoquer ainsi la championne de l'empereur. Il ne se faisait pas d'illusion, elle allait certainement l'attaquer malgré tout. Il avait encore quelques coups en réserve pour parer les assauts de la guerrière au besoin.

Un silence pesant enveloppa l’arène. Le public retenait sa respiration, incapable de détacher son regard de ce spectacle qui se jouait sous ses yeux. L’Empereur ne put retenir un sourire en coin de se dessiner sur ses lèvres. Alexis faisait ce qu’il lui avait demandé. Elle faisait durer le combat. Les jambes légèrement écartées, le glaive en avant, les sourcils froncés, la guerrière attendait que son adversaire se relève.

Il ne le fit pas.

Alexis commençait à sentir la colère bouillir au creux de son ventre. Pourquoi cet imbécile ne se levait pas ? N’avait-il pas d’honneur ? N’avait-il pas de maître à combler ? N’avait-il pas honte à l’idée de décevoir son maître de la sorte ? Alexis s’enrageait intérieurement, mais son visage restait de marbre. Jusqu’au moment où Erwin prit la parole.

« Et si je me relève pas ? »

La colère déforma, pendant un court instant, le visage d’Alexis. Un grognement réussit à s’extraire de sa gorge alors que ses yeux brûlaient d’une étincelle de rage. Ce pleutre n’avait donc aucun honneur. Alexis ne se risqua même pas un regard vers l’Empereur qui devait commencer à trouver le temps bien long. Alexis se rapprocha d’Erwin et, alors qu’elle n’était plus qu’à un mètre de lui, elle frappa du pied le sol. L’eau présent sous Erwin se solidifia soudainement, le propulsant en avant. Alexis attrapa le col de son adversaire et rapprocha son visage du sien alors que son glaive pointait en direction de sa gorge.

« Alors je prendrais mon temps pour que tu agonises pendant des heures, Erwin Stamber. »

Les mots d’Alexis restèrent en suspens dans l’air. Le regard de la jeune fille changea doucement. Alexis écarquilla les yeux. Stamber. Ce mot résonnait dans son esprit comme une mélodie qu’elle était incapable d’attraper. Elle ne connaissait pas ce mot. Elle ne savait pas pourquoi elle venait de l’employer. Cela ressemblait à un nom de famille mais les esclaves n’avaient pas de noms de famille.

Alexis lâcha brutalement Erwin et recula. Elle n’avait laissé qu’une faible entaille sur la gorge d’Erwin et pourtant une drôle de sensation la prit au ventre quand elle remarqua le mince filet de sang qui s’écoulait. Elle ne pouvait pas le blesser, elle ne voulait pas le blesser. Alexis recula de nouveau et secoua la tête. Non, elle était là pour gagner. Elle se remit en garde et elle reprit son masque de guerrière. Elle était là pour gagner. Elle était là pour gagner.

Elle était là pour gagner ?

De toute évidence, la situation ne plaisait pas à Alexis. En temps normal, cela aurait tiré un sourire narquois à Erwin, mais le combat dans lequel il était embarqué était loin de rendre l'atmosphère suffisamment légère pour qu'il se permette un tel geste. La guerrière bouillonnait devant lui. Et lui, il était satisfait de voir qu'il gagnait quelques instants de plus à vivre en restant simplement étalé au sol.

Cependant, lorsqu'Alexis s'approcha de lui, menaçante, il se demanda si les quelques instants de vie gagnés allaient encore être nombreux. Elle le surplombait de sa petite taille largement compensée par sa puissance. Une aura destructrice entourait la guerrière. Elle n'était pas d'humeur. Elle frappa le sol du pied et Erwin se sentit propulsé en avant. La poigne acérée d'Alexis se referma sur lui, le maintenant immobile. Le glaive pointant dans sa gorge aidait, lui aussi...

"Alors je prendrais mon temps pour que tu agonises pendant des heures, Erwin Stamber."

Erwin frémit en sentant la lame du glaive appuyer davantage sur sa gorge. C'était comme si le ton tranchant d'Alexis s'était matérialisé en arme. Quelque chose le perturbait au-delà de la pointe de douleur qui enflammait son cou. Comment la guerrière l'avait-elle appelé ? La pointe du glaive ne lui permit pas d'y réfléchir plus longtemps.

Puis soudain, la morsure du métal s'éteignit. Alexis s'écarta d'un pas rapide. Elle sembla perturbée l'espace d'un instant. Elle se remit presque aussitôt en garde, mais Erwin avait profité de sa déconcentration pour reprendre son arme en main et foncer vers son adversaire. Elle était définitivement trop dangereuse. Imprévisible. Il n'aimait pas ça. Ses plans de provocation pour gagner du temps s'étaient envolés. Il fallait qu'il en finisse vite ou Alexis remporterait le combat en le surprenant au dernier moment.

Son glaive fut arrêté de justesse par celui de la demi-déesse. Il laissa échapper un grognement de frustration, mais il reprit l'assaut aussi vite. Alexis bloquait sa lame systématiquement. Elle semblait ne chercher qu'à se défendre, ce qui rendait Erwin nerveux. Est-ce que c'était encore une tactique pour l'avoir par surprise ? Elle changeait de style de combat pour qu'il ne puisse pas prévoir ses mouvements ? Le gladiateur sentait l'énervement monter. Il avait l'impression que cette adversaire se fichait de lui, le menait par le bout du nez. Hors de question de me laisser avoir !

Les coups d'Erwin devinrent plus vifs, plus rapides, plus puissants. Alexis recula sous l'assaut. Elle tentait de maintenir le rythme pour se défendre, et elle y parvenait trop facilement au goût du demi-dieu. C'en était trop ! Lui qui voulait garder ses pouvoirs en dernier recourt, il ne voyait plus que ça pour prendre l'avantage. Après un coup encore plus violent que les précédents, il recula d'un pas afin d'éviter une éventuelle riposte, remplit ses poumons d'air et hurla en direction d'Alexis. Le sol éclata sous les pieds de la guerrière qui fit un vol plané pour retomber lourdement à terre.

Son glaive lui avait échappé des mains, elle était dans une position délicate. Erwin s'approcha d'elle, une lueur de détermination dans les yeux. Il avait l'avantage. Il allait gagner.

"J'aime pas les ennemis trop coriaces."

Sa propre froideur le surprit. Il n'avait jamais ressenti à ce point l'envie d'en finir lors d'un combat. Il n'avait jamais senti la colère gronder si fort au fond de lui. Cette adversaire-là était définitivement plus forte que les autres. Une raison de plus pour ne pas traîner en papotage. Le demi-dieu abattit son glaive vers la guerrière. La lame déchira de la chair. Pas assez, cependant. Alexis roula bien vite sur le côté, ce qui la sauva in extremis. Une belle entaille saillait toutefois entre deux de ses côtes. Du sang en dégoulinait déjà abondamment. Blessure pas assez grande, mais bel et bien profonde.

Erwin crut se sentir satisfait devant cette nouvelle faiblesse qu'il avait infligée à la guerrière. Etait-ce vraiment cela qu'il ressentait alors qu'elle se relevait pour lui faire face ?

La foule acclamait le combat, hurlant tout leur soul pour les deux adversaires. L’empereur souriait discrètement, satisfait de voir que sa chose menait les choses comme il l’entendait. Mais Alexis ne voyait pas tout ça. Alexis était concentrée sur le combat, incapable mener une seule attaque. Elle se défendait, encore et encore, devant un Erwin qui se battait avec de plus en plus de hargne, de rage. Son cerveau lui disait d’attaquer, d’en finir, pour l’honneur, pour Rome ! Mais son corps ne l’entendait pas de cette oreille-là. Malgré toutes les ouvertures, malgré tous les faux mauvais mouvements d’Erwin, Alexis était dans l’incapacité totale d’achever, ou même de blesser, son adversaire.

Erwin prit une courte pause. Alexis croisa son regard et son cœur défaillit. Que faisait-elle là ? Ce n’était pas sa place. Elle n’était pas gladiateur. Elle ne voulait pas se battre contre Erwin. Erwin ! Sans qu’elle n’ait le temps de remettre de l’ordre dans ses idées, le gladiateur chargea de nouveau, rugissant comme un lion. Le sol sous les pieds d’Alexis éclata, la déséquilibrant. Elle se projetée en arrière et tomba lamentablement par terre. Une douleur irradia son dos alors que son coccyx encaissant le choc. Dans le déroulement des événements, Alexis avait lâché son glaive qui était maintenant hors de portée. Puis Erwin s’approcha d’elle, encore et toujours.

« J’aime pas les ennemis trop coriaces. »

Je ne suis pas un ennemi ! Avait-elle envie de hurler. Son corps entier tremblait sur l’effort que cela demandait de ne pas dire cette phrase. Erwin abattit son glaive en direction d’Alexis qui roula par terre pour l’esquiver. Pas assez. Le métal brûla sa peau quand il y imprégna une coupure. Alexis pouvait sentir un liquide chaud sortir de son corps mais elle l’ignora. Elle n’avait d’yeux que pour Erwin. Erwin et sa froideur. Erwin et son envie de la tuer. Alexis frissonna malgré elle.

Pendant un court instant, lorsqu’elle se releva, Alexis vit des petites étoiles danser devant ses yeux. Erwin en profita pour charger de nouveau et Alexis bondit pour l’esquiver. La colère qui imprégnait Erwin rendait ses mouvements flous et prédictibles. Tant mieux pour elle. D’un mouvement rapide de la main, elle attira de l’eau sur ses côtes et la solidifia, espérant ainsi ralentir l’écoulement du sang.

Comme prévu, Erwin bondit de nouveau dans sa direction. Le sol n’était plus qu’une matière boueuse, remplie d’eau. Alexis bloqua donc les pieds d’Erwin dedans et s’approcha de lui à une vitesse fulgurante. D’un mouvement sec, elle frappa dans ses cotes puis dans son bras, le faisant lâcher son glaive qu’elle balança à l’autre bout de l’arène avec force.

« On va essayer de rester à armes égales et ranger la lame, Erwin, ce serait dommage de se blesser dès le premier jour. Tiens ta garde. »

La voix d’Alexis n’avait été qu’un souffle, une caresse que lui seul pouvait entendre. Alexis recula au moment où une explosion se fit sentir au niveau de ses pieds. Elle bondit en arrière et se remis en place, les mains levées au niveau de son visage, les jambes fléchies. Puis, elle désactiva le blocage qu’elle avait mis au niveau des pieds d’Erwin et attendit ses assauts.

Erwin vit Alexis se redresser et il fonça immédiatement vers elle, ne voulant manquer aucune occasion. Le sol glissait sous ses pieds. Rah ! De l'eau ! Maudit élément liquide ! Il détestait cette eau qui le ralentissait, qu'il ne maîtrisait pas. Il se sentait si lent ! Lent et... lourd ? Le gladiateur sentit ses jambes s'alourdir, s'immobiliser. Qu'est-ce que... Ses pieds étaient enfermés dans l'eau boueuse de l'arène ! Il lança un regard assassin à Alexis, distante d'à peine quelques pas. S'il lançait son glaive...
Non, s'il lançait son glaive, il n'avait pas de grandes chances de toucher son adversaire suffisamment grièvement et il serait désarmé. Il grogna, agacé par ce piège stupide tendu par une rivale lâche.

Soudain, elle se lança fers lui et le frappa au ventre. Erwin eut le souffle coupé. Facile de frapper une cible fixe... Le coup qui suivit, touchant le bras, désarma le demi-dieu pour de bon. Il regarda son arme tombée bien trop loin de lui pour la récupérer, même en se penchant au maximum. Quel combat frustrant !

"On va essayer de rester à armes égales et ranger la lame, Erwin, ce serait dommage de se blesser dès le premier jour. Tiens ta garde."

Un frisson parcourut Erwin. Il y avait la voix d'Alexis, différente. Plus douce, plus... envoûtante. Il y avait ses mots, ce décor, cette scène. Pourquoi avait-il une impression de déjà-vu ? Pourquoi se sentait-il si vulnérable en entendant ce qui devait être une moquerie pleine de dédain ? Il sentait quelque chose d'étrange le dévorer, quelque chose d'étrange et d'insaisissable, d'impalpable.

Il secoua la tête, il ne devait pas se laisser déconcentrer. Il devait survivre ! Il devait gagner ! Erwin se concentra sur les pieds d'Alexis et une explosion projeta la guerrière en arrière. Elle semblait avoir anticipé, cette fois, elle était moins déstabilisée. La contrariété grondait dans tout le corps d'Erwin. Soudain, ses pieds se libérèrent. Il fixa Alexis. Elle voulait se battre contre lui alors ? Elle allait être servie.

Erwin fit encore exploser le sol à différents endroits, encerclant Alexis de débris et de poussière. Il apparut près d'elle et, dans un mouvement rapide, il lui asséna un coup de poing dans les côtes. A entendre le gémissement sourd de la guerrière, il avait dû frapper sur sa plaie. Une sensation de dégoût le traversa. Erwin se sentait soudain mal à l'aise, dans cette arène. Mal à l'aise de combattre cette demi-déesse. Mal à l'aise de l'entendre démontrer sa douleur.

Sa réflexion le trahit. Un grondement résonna dans le sol. Trop semblable à ce qu'il avait senti au début du combat. Il savait qu'Alexis allait provoquer un nouveau raz-de-marée, mais il ne savait pas où, quand ni comment l'esquiver. La vague arriva, déferla sur lui, bien plus puissante que la première. La guerrière avait sans doute gardé sa force pour la fin, elle n'avait pas tout montré dès le début. L'eau souleva les gravas du sol. Erwin protégea vainement son visage de ses bras. Il sentit l'eau l'engloutir.

La puissance de la vague le faucha malgré la force qu'il mettait dans ses appuis. Les débris de sol emportés par l'eau venaient lui fouetter les bras, les jambes, le front... L'eau passa aussi vite qu'elle était arrivée. Erwin sentit un poids s'abattre sur lui, lui coupant la respiration, accompagné d'un craquement sec. Le demi-dieu voulut se relever, mais un bloc épais né d'une de ses propres explosions s'était effondré sur lui, poussé par la vague. Le gladiateur sentait les côtes que le rocher avait broyées. Il sentait ses poumons le brûler, à moitié comprimés sous la masse de roche et de terre. Il n'arrivait pas à se relever et il sentait la douleur s'infiltrer dans chaque centimètre de son corps. Il redressa la tête, les dents serrées. Il vit Alexis.

"Alexis..."

Un mot, à peine un souffle, l'air s'échappant de sa poitrine sans vouloir y rentrer. Alexis. Pourquoi est-ce qu'il était soudain si envoûté par elle ? Pourquoi son nom prenait une résonance nouvelle en lui ? Pourquoi est-ce qu'il s'attendait à ce qu'elle le tire de là ? Elle n'allait pas faire ça. Elle allait le tuer...

Les assauts d’Erwin s’enchaînèrent avec une rapidité presque surréaliste. Alexis n’avait qu’à peine le temps d’esquiver une attaque qu’une autre suivait presque immédiatement. Dans un véritable combat de gladiateur, Alexis aurait eu plusieurs fois l’opportunité d’en finir. La hargne avec laquelle Erwin se battait laissait de multiples ouvertures, parfois mortelles. Néanmoins, Alexis se contentait d’esquiver et de bloquer, ne contrant que pour le repousser. Elle pouvait sentir les explosions vibrer au sol avant qu’elles n’apparaissent réellement, ce qui lui permettait de les éviter plus facilement.

Erwin se servi de la poussière soulevée par ses multiples assauts pour disparaître du champ de vision d’Alexis. Il réapparut un moment, une seconde à peine, juste pour la frapper là où elle avait déjà mal. Un hurlement étouffé s’échappa de sa gorge, lui donnant un air de grognement. Mais le plus douloureux n’était pas sa blessure à ses côtes. Le plus douloureux venait du regard d’Erwin, celui qu’il braquait sur elle comme s’il souhaitait réellement sa mort, comme s’il la détestait du plus profond de son être.

De peur qu’Erwin profite de sa faiblesse pour la frapper de nouveau, Alexis appela l’eau sous ses pieds. Persuadée qu’il ne restait plus assez d’eau pour faire une vraie vague, la combattante redoubla d’effort dans sa concentration. Elle avait besoin de ralentir les assauts d’Erwin. Elle avait besoin qu’il arrête de la regarder comme ça. Elle avait besoin qu’il se souvienne. Alexis ferma les yeux quelques secondes, profitant du moment de répit que lui offrait Erwin. Puis, enfin, l’eau surgit d’une bouche au loin. Une puissante vague s’écrasa dans l’arène, inondant le sol, balayant les armes du sol, pour s’écraser autour d’Alexis. Puis, la vague se tue, ne laissant sur son sillage qu’une arène dévastée, un sol boueux et des murs dégoulinants d’eau.

Alexis resta une seconde muette, elle-même dégoulinant d’eau. Elle n’avait prévu un tel déferlement, ni une telle quantité d’eau. Elle regarda un instant ses propres mains, comme si cela pouvait répondre à sa question silencieuse. C’est moi qui vient de faire ça ?.

« Alexis… »

Erwin. Alexis leva la tête, à la recherche d’Erwin, et écarquilla les yeux de terreur quand elle le remarqua. Sans réfléchir, elle accouru à ses côtés. Tant pis s’il la détestait, tant pis s’il devait la blesser, voire la tuer, tant pis pour tout. Elle devait l’aider. Alexis se laissa tomber à genoux et glissa l’une de ses mains sur sa joue alors qu’avec l’autre, elle entrelaçait ses doigts aux siens.

« Pardon, pardon, pardon, je voulais pas… je… »

Alexis secoua la tête et posa son regard sur le bloc qui écrasait Erwin. Elle soupira puis recula légèrement, tout en raffermissant sa prise sur la main d’Erwin. Alexis ferma les yeux et visualisa l’arène comme cercle beige, immense et désorganisé. Deux points se dessinaient en son centre, un rouge et un bleu. Le bleu était presque invisible, écrasé dans le beige de l’arène. Puis, petit à petit, de multiples petites veines turquoise vinrent se peindre dans le dessin mental d’Alexis, dessinant un chemin invisible jusqu’aux points. Le turquoise se fit plus intense, beaucoup plus fort, puis Alexis rouvrit les yeux et tira Erwin d’un coup dans sa direction. L’eau qu’elle venait de solidifier sous le rocher retrouva sa substance liquide et le rocher s’enfonça de nouveau dans la boue.

Alexis était écrasée sous Erwin, immobile. Elle pouvait sentir sa peau contre la sienne, son souffle sur ses tempes, son cœur contre sa poitrine. Alexis resta immobile, incapable de bouger. Il lui écrasait les côtes, lui coupait sa respiration mais rien n’importait. Ni ça, ni les chuchotements dans le public qui commençait à se faire impatient. Il n’y avait qu’Erwin. Comme d’habitude.

"Pardon, pardon, pardon, je voulais pas… je…"

Le son de sa voix, le contact des doigts entrelacés. Erwin chassa le voile de douleur qui lui obscurcissait la vue. Alexis. Pourquoi est-ce qu'elle s'excusait ? Pourquoi est-ce qu'il essayait de resserrer sa main autour de la sienne ? Il avait envie de se relever et de prendre Alexis dans ses bras, de la serrer fort contre lui. Quoi ? Non, non, il ne pouvait pas avoir envie de ça. C'était son adversaire ! Il était censé la tuer ! Il était censé...

Alexis s'écarta. Reste ! La voix d'Erwin resta bloquée au fond de sa gorge, quelque part où l'oxygène se faisait encore une place tandis que le roc lui écrasait la poitrine. Heureusement, comme si elle lisait dans ses pensée, la guerrière resta là, à quelques centimètres du demi-dieu. Erwin la fixa, se raccrocha à elle comme si elle était tout ce qu'il y avait dans cette arène. Peu à peu, il sentit la pression diminuer sur son corps. Le rocher se soulevait lentement.

Au fur et à mesure que la masse écrasante s'élevait, Erwin avalait un peu plus d'air à chaque inspiration. La brûlure qui irradiait dans ses poumons le gênait atrocement, mais elle lui rappelait qu'il était en vie. Ce qui n'était pas normal. Pas du tout. Il était dans une arène. Il savait comment ça devait se finir, dans une arène. Soudain, Alexis le tira vers elle brusquement. Il prit conscience que ses côtes n'étaient probablement pas les seules à avoir souffert. Une douleur aiguë pulsait dans sa cuisse, son bras le lançait, il sentait des égratignures le long de son cou.

Pourtant, il ne faisait attention à rien de tout ça. Effondré sur Alexis, il ne cherchait pas à bouger. Il avait terriblement envie de l'embrasser. Le brouillard se leva dans sa tête et il se rappela qu'il en avait déjà envie depuis longtemps. Erwin eut l'impression qu'une lumière éblouissante l'aveuglait intérieurement. C'était comme une révélation, mais il le savait depuis des mois. Les mots se précipitèrent dans sa tête, puis dans sa bouche.

"Je t'..."

Il serra les dents. Quelque chose venait de le brûler au niveau de la jambe. Il se redressa d'un geste aussi vif que ses blessures le lui permettaient et il découvrit une flèche fichée dans le sol. Ainsi que la zébrure écarlate assortie qui décorait l'arrière de sa jambe. Reculant en prenant soin de ne pas trébucher, le gladiateur lança un regard noir vers le centre de l'arène. Un homme s'approchait, l'air beaucoup trop confiant, une arme dans une main et une boule de lumière dans l'autre. Erwin ne savait pas ce que c'était, et il n'avait pas envie de le savoir.

Sans prendre la peine de regarder ce que faisait Alexis, Erwin s'élança vers ce qui semblait être son nouvel adversaire. Ses blessures l'empêchaient d'aller aussi vite qu'il le voulait, mais son pouvoir de rapidité remplissait plutôt bien sa tâche. L'autre ne devait pas s'y attendre. Il marqua un arrêt de surprise durant quelques secondes, juste assez pour qu'Erwin se rapproche de lui. Le poing du demi-dieu manqua son ennemi de quelques centimètres. En retour, il dut faire preuve d'adresse pour esquiver la dague qui fusait droit vers son ventre. Erwin attrapa la main du gladiateur pour bloquer son arme. Mais il y avait toujours l'autre, celle qui tenait l'espèce de soleil. Il ne pourrait pas retenir les deux. D'un mouvement brusque, il écarta de lui son adversaire et provoqua une explosion à ses pieds.