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Like a liar looking for forgiveness from a stone [solo]
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    Like a liar looking for forgiveness from a stone [solo]


    Sous mes pieds le gravier crisse, l'herbe gelée s'aplatit avec un craquement que j'aurais pu autrefois trouver agréable. Je me souviens, on m'appelait parfois l'hédoniste. J'étais le premier à apprécier l'arôme puissant d'un whiskey, la chaleur bienvenue des premiers rayons du soleil, la fumée salvatrice d'une cigarette enfin allumée. J'aimais toutes les sensations, même la douleur dans mes muscles après un rude combat, même la morsure du vent trop froid sur mes joues, même le goût du foutre d'un autre dans ma bouche. Tout ce que me transmettaient mes sens en éveil m'apportait du plaisir. Je suppose que je me sentais vivant alors.

    Je dépasse les pierres grises plantées les unes à côté des autres, certaines égayées par les touches colorées de quelques bouquets de fleur qui n'apportent de joie à personne. Je ne lis pas les noms gravés en lettres capitales ni les dates en chiffres romains. Qu'est-ce que je fais là, figure à peine vivante au milieu d'une foule définitivement morte ? Je ne sais pas. Je n'ai plus aucune certitude, je ne suis même pas sûr que la flamme que contient le briquet dans ma poche pourrait me tuer. Après tout, il faut avoir un cœur qui batte pour sentir les flammes vous ronger. Et je ne suis même pas certain que mon sang irrigue encore cet organe que j'ai débranché par mesure de sûreté. Car il vaut mieux une demi-vie incertaine qu'une existence de souffrance, non ? Non ?

    Ça ne m'aide pas à savoir ce que je fais là. Je contourne une nouvelle rangée de sépultures, la terre a été fraîchement retournée sous les pierres tombales. Elles sont tellement fleuries qu'on pourrait se croire en été, si il n'y avait pas le vent frais de l'hiver. Des traces de libation ici et là laissent penser que les cérémonies sont récentes. Outre ces signes de visites régulières, des rubans et des médailles ornent les pierres, symboles dérisoires de l'honneur conquis par les disparus. Comme si ça leur servait à quelque chose là où ils sont.

    Il faut que je rentre. Je ne sais pas ce que je fais ici mais ça ne peut pas être pour une bonne raison. Cependant, et sans que je puisse m'expliquer pourquoi, je lance un dernier regard aux pierres. Un rayon de soleil passe à travers les nuages et vient en éclairer une. Les mots gravés m'apparaissent clairement. C'est un nom. Nicole Paterson.

    Nicole Paterson. Et tout me revient brusquement. C'était la centurion de JJ, une camarade de la deuxième cohorte qui connaissait aussi Ophelia. Elle m'agaçait. Mais JJ l'aimait. Et j'aimais JJ. Cette pensée me transperce de part en part, comme la foudre déchire brillamment le ciel pour éclairer un court instant la nuit noire. Même après avoir perdu l'affection de JJ, même après m'être rendu compte de mes sentiments pour Locke, je conservais de la sympathie pour lui. Puis Locke est parti par ma faute. Et JJ a disparu. Ophelia aussi. Qu'est-il arrivé à mon monde ? Qu'est-il arrivé à Nicole Paterson ? Je ne sais pas. Tout est embrumé dans mon esprit, j'ai débranché mon cœur et Jupiter doit bien être le seul à savoir comment je continue à respirer. Il faut que je rentre, si je ne sais pas ce que je fais là ça ne doit pas valoir la peine de rester.

    ...

    Je suis revenu. Je ne sais pas pourquoi. Sur la tombe de Nicole Paterson. Je prends le temps de déchiffrer chaque signe gravé dans la pierre. Elle avait presque 22 ans. Elle était centurion de la deuxième cohorte. Elle a reçu les plus hauts honneurs de la Légion et du Sénat. De façon posthume je suppose. C'est tout ce que m'apprend l'inspection de sa dernière demeure. Elle est fleurie de mimosas, les premiers de la saison. Est-ce qu'elle aimait ces fleurs ? En a-t-elle un jour reçu à un rendez-vous galant ? Invitait-elle à danser les garçons ou les filles ? Les deux ? Le jaune poudreux des fleurs lui allait-il bien au teint ? J'ai la vision d'une jeune femme tirée à quatre épingles, ses cheveux blonds soigneusement lissés en arrière, le menton volontaire, le sourcil exigeant. Un bouquet de mimosas dans les mains. Qu'est-ce que je fais là ? Je ne ressens rien.

    ...

    J'ai repéré des anciens de la deuxième cohorte à l'Arcanum ce soir. Pas pour flirter. Je ne flirte plus. Je suis allé les voir et j'ai entamé la discussion, un air affable plaqué sur le visage. Il fait l'affaire en ce moment. Ceux qui me connaissent sauraient immédiatement percer à jour mon masque, je ne suis plus aussi doué qu'avant pour faire illusion. Ceux qui me connaissent ont disparu. Je leur ai parlé de Nicole Paterson. Je leur ai demandé comment elle était morte. Ils m'ont regardé l'air surpris, comme s'ils se demandaient d'où je débarquais. L'un d'eux a répondu sobrement qu'elle avait donné sa vie dans l'ultime quête contre le Tortionnaire. J'ai bu, pour me donner une contenance. Ils ont levé leur verre en son honneur, à sa mémoire. Et ils sont partis. C'était donc ça les décorations sur sa tombe. Je suis vaguement conscient que quelque chose s'est produit à la Nouvelle-Rome, dans le petit monde des demi-dieux. Mais je ne m'y étais pas vraiment intéressé. Ainsi, il s'agissait de la traque du Tortionnaire. Nicole Paterson ne doit pas être la seule à avoir péri. Je ne ressens rien. J'ai fini mon verre et je suis parti.

    ...

    J'ai encore posé des questions sur Nicole Paterson cette semaine. Pas à ses proches, je maîtrise à peu près encore les convenances sociales. Plutôt aux autres légionnaires. Ils m'ont rapporté les rumeurs sur Seraphina, l'autre centurion, et elle. Elles passaient beaucoup de temps ensemble. Pas étonnant vu leur fonction. Mais il devait y avoir autre chose pour que des rumeurs naissent. Certains m'ont montré des photos qu'elle avait fait développer à partir de son appareil, pour les donner en souvenir à ses camarades. D'autres m'ont décrit ses derniers effets personnels restés au dortoir après son départ sans retour. Une carte de Chicago sur le mur. Quelques bijoux élégants. Un grand manteau en fausse fourrure.

    ...

    Je continue de poser des questions sur Nicole Paterson. Je ne sais pas ce que les autres vont penser de ma nouvelle lubie. Je ne sais pas non plus quoi en penser. Il semblerait que ma réputation ne m'importe plus. Je suis en train de devenir l'excentrique qui pose des questions sur une fille morte et cela m'indiffère. Je ne ressens plus rien.

    ...

    J'apprends beaucoup de choses sur Nicole Paterson. Elle aimait qu'on la surnomme Nicky. Elle avait un pouvoir d'électrocution et de court-circuit. Elle donnait un coup de main au gérant de la boutique d'électronique sur la grande rue. J'apprends beaucoup mais je ne sais rien d'elle. Je crois que personne ne sait grand chose d'elle en fait. Elle a emporté son secret dans sa tombe. Car elle devait en avoir un, c'est obligé. Personne ne maintient une façade aussi lisse sans raison. J'ai appris qu'elle avait disparu quelques temps, après sa première quête dans le Labyrinthe. Elle était réapparue ensuite, miraculeusement vivante. Mais personne ne peut me dire ce qui lui est arrivé pendant ce temps. Personne ne sait rien de vrai sur elle. Elle s'est inventée une surface plaisante à montrer et cachait au monde ce qui se passait en dessous, dans les profondeurs. À quoi bon être vivant si personne ne vous connaît réellement ? Ceux qui me connaissent ont disparu.

    ...

    Je retourne parfois sur sa tombe, comme si la pierre nue détenait la réponse à mes questions. Que fais-je ici ? Pourquoi est-ce que je m'accroche ainsi à une fille morte qui m'agaçait lorsqu'elle était vivante ? Pourquoi je ne ressens plus rien ? À celle-là je pourrais répondre, mais je ne le fais pas, par mesure de sécurité.

    ...

    Sous mes pieds, le gravier crisse. Je fais attention à ne pas écraser, au milieu des mauvaises herbes, les premières fleurs de la saison. Sur les pierres alignées, les bouquets ont fané depuis longtemps, certains remplacés depuis, d'autres oubliés là. Je sais ce que je fais là. Je m'assois sur un banc, fais tenir en équilibre un petit pot d'encre et sors une plume de calligraphie de ma sacoche. Je ne suis pas très doué dans cet art mais j'écris assez proprement pour que le résultat ne soit pas trop laid. Je commence la lettre.

    Nicole Paterson,
    Je ne t'appelerai pas "ma chère", je ne t'ai jamais porté dans mon cœur. Je serai bref. J'ai anesthésié mon âme pendant plusieurs mois, période au cours de laquelle tu es décédée tragiquement. Mais, alors que je pensais n'être plus qu'un demi-vivant, je crois qu'il me restait une once d'humanité, bien cachée en moi. Car je suis revenu sur ta tombe. Car j'ai posé des questions à ton entourage. Car j'ai pensé à toi. En somme, j'ai fait le deuil de ta disparation. Je me suis menti à moi-même, je croyais sincèrement que jamais je ne reviendrais parmi les humains. Et pourtant, je suis venu toutes les semaines te demander pardon. Pardon de ne rien sentir alors que tu es morte.
    Tu te demandes peut-être ce qui a changé. On m'a fait le cadeau de mes émotions en m'offrant la plume avec laquelle je t'écris. Je ne te raconterai pas cette histoire, elle est longue, personnelle, et je n'ai pas envie de la partager avec toi. Je te rappelle que tu m'agaçais au départ. Je ne te ferai pas l'affront d'être malhonnête, même si tu es dans l'autre monde je demeure sincère avec toi. Attention, ça ne veut pas dire que j'ai beaucoup changé. Je suis toujours circonspect face aux démonstrations sentimentales. Mais je suis prêt à expérimenter. Pour ça, il faut que je retrouve les miens. C'est donc la dernière fois que je rends visite à une fille morte. Il est temps pour moi de retourner parmi les vivants.
    Au-revoir, Nicole Paterson. Puisse ton séjour dans l'autre monde être paisible.
    Basil Hargreaves

    Je rebouche le pot d'encre, glisse la lettre dans une enveloppe et range précautionneusement la plume dans ma sacoche. Je marche jusqu'à la tombe, et je glisse la lettre sous un bouquet de fleurs. Je l'ai cueilli tout à l'heure. Ce sont des mimosas. Les derniers de la saison.

    Je me retourne. Je suis un peu ébloui par le soleil de la fin de matinée dont les rayons m'aveuglent. Je me réjouis de cette sensation, les yeux plissés. Je sens un sourire naître sur mon visage. Je sors une cigarette de la poche de ma veste et l'allume avec un vieux briquet que je traîne depuis des mois. La flamme vacillante réchauffe un court instant mes doigts qui essaient de la protéger du vent. La fumée monte dans le ciel bleu. Je souffle.

    Je suis soulagé, mélancolique, satisfait, pensif. Je ressens tout à la fois. Je quitte le cimetière.

    Au-revoir Nicole Paterson. Bonjour la vie.

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