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It's a question of lust, it's a question of trust [Locke]
 :: À travers le monde :: L'espace-temps :: Passé
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    It's a question of lust, it's a question of trust [Locke]


    Je ne sais pas pourquoi, je suis particulièrement dépensier ces derniers temps. Je ressens le besoin de me faire plaisir, de m'offrir des choses. Alors j'écume les boutiques de la Nouvelle Rome, je guette les nouveautés, je passe commande pour des objets peu demandés et je formule des requêtes inattendues. J'ai soif de formes et de couleurs, je veux amasser le plus de belles choses possible pour les garder près de moi et les contempler à l'envie. Auparavant simplement décoré de quelques cartes accrochées au mur, mon coin de la chambre que je partage avec trois autres légionnaires se transforme en parade de carnaval, c'est un festival de bougeoirs peints à la main et de coussins en velours. Il y a quelques livres posés en pile, les éditions originales de Bloomsbury se disputant avec les poches de Penguins, souvenirs de mes années au pensionnat, une aquarelle exécutée par un ex-légionnaire qui peignait sur son temps libre et qui a légué certaines de ses esquisses aux membres de sa cohorte, une plante en pot – c'est un bulbe – qui devrait fleurir d'ici quelques mois, en hiver, un antique réveil matin orange vif à la sonnerie strident que mes camarades haïssent, les flacons de parfum anciens qui, désormais vides, laissent passer la lumière qui vient se réfracter et se refléter sur la faïence du lavabo. J'adore voir mon imaginaire se matérialiser autour de moi, pouvoir vivre dans un univers visuel qui raconte qui je suis et ce que j'aime.

    J'ai hâte de quitter la Légion. Certes, je m'y sens bien, entouré d'une floppée de légionnaires divers et variés et en général plutôt divertissants. Mais j'ai envie d'habiter seul et d'avoir mon propre chez moi. J'invente une vie où je pourrais recevoir des convives dans un salon hétéroclite et chic, où j'aurais un beau bureau en bois sur lequel travailler et où je pourrais amener mes conquêtes d'un soir dans un grand lit moelleux. Non pas que l'hôtel ne soit pas confortable, mais... Je sens ma mâchoire se contracter quand je repense à la chambre un peu désuète où nous nous retrouvions avec Solan. Je peux encore sentir sous mes doigts le coton des draps, ses cheveux noirs de jais, la transpiration dans son dos. Dire que j'aurais pu avoir tout ça... et que ça m'a filé entre les doigts pour une stupide question d'émotions. C'est peut-être parce que je sais qu'il sera difficile de retrouver avec quelqu'un d'autre ce que j'avais avec Solan que je n'ai partagé de lit avec personne depuis notre rupture. C'est peut-être parce qu'il est plus aisé d'acheter des bibelots que ej me réfugie dans l'acquisition d'objets élégants pour me sentir comblé matériellement à défaut d'être heureux sentimentalement. Peut-être qu'il est temps de se remettre en selle ?

    J'aimerais dire qu'en cette fraîche matinée de week-end, c'est dans l'intention d'écumer les cafés en quête de nouvelles rencontres que je sors en ville. Ça serait formidable d'être enfin motivé, prêt à passer à autre chose. La vérité est que j'arpente les rues commerçantes dans le seul but de m'acheter des vêtements. Seigneur, que je suis pathétique de ne pas trouver le courage de flirter avec d'autres personnes. Dire que partir à la chasse aux amants était une de mes activités préférées il y a encore quelques mois. Me voilà réduit à collectionner les vestes de costume au lieu d'enchaîner les aventures. Mais au moins le tweed ne viendra pas me trahir en utilisant son pouvoir sur moi après avoir partagé mon lit pendant plusieurs semaines.

    C'est donc un peu mélancolique mais déterminé à me changer les idées que je passe la porte de ma friperie préférée. Les tendances actuelles ne sont pas assez flamboyantes à mon goût et je me tourne volontiers vers la seconde main pour assouvir mes désirs d'extravagance. Je parcours du regard les portants puis décide finalement d'inspecter les bacs au fond de la boutique. Je fouille et exhume des foulards fleuris, des pantalons de ski, des blousons de motard, des chemises au col marin ou lavallière... Et je tombe sur un veston tartan jaune et rose. Voilà ce qui me manquait ! Je retire mon trench coat pour l'enfiler avant d'aller m'admirer dans un miroir. On dirait que je me suis trompé de siècle. C'est parfait. Je vérifie que le tissu tombe bien et que la couture des épaules corresponde à ma carrure, quand, dans le miroir, je vois un client rentrer dans la boutique. Je le reconnais immédiatement, avec ses cheveux qui ondulent avec négligence autour de son visage et son regard un peu tombant ourlé de longs cils. Locke Earhart.

    Locke est arrivé dans la troisième cohorte un an après moi, adolescent maigre et mal dégrossi. Le récit de ses prouesses est parvenu jusqu'à moi mais il ne m'a pas vraiment intéressé. Il m'agaçait même, à recevoir l'attention de tous alors qu'il n'offrait qu'un piètre spectacle. Un chiot mignon qui sait donner la patte auquel on pardonne sa maladresse parce qu'on est attendri par son regard humide. Je ne me suis pas laissé prendre au jeu. J'ai juste retenu son nom parce que son pouvoir pouvait m'être utile un jour. Il n'y a jamais eu d'animosité entre nous, mais, derrière l'apparence d'une entente cordiale, régnait une tension sous-jacente. J'ai changé, l'adolescent réservé et respectueux des règles du pensionnat que j'étais est devenu peu à peu plus exubérant, plus sociable, plus assuré. Maintenant que je suis un jeune adulte j'ai la pleine maîtrise de mon caractère, charismatique, hautain, calculé. Et peut-être qu'il arrivé quelque chose d'un peu similaire à Locke, parce qu'il a progressivement gagné en confiance, jusqu'à rayonner une énergie positive contagieuse qui lui assure le suffrage de ses pairs. Et il est devenu beau. Très beau.

    Je le regarde dans le miroir tandis qu'il fait le tour des présentoirs à l'entrée. Je n'ai jamais pensé à lui autrement que comme un banal élément de décor dans le quotidien de la troisième cohorte, ou comme un antagoniste dont le caractère à la fois proche et éloigné du mien le tenait à l'écart de mon cercle social. Pourtant, quand j'observe son reflet dans la glace, je vois tout son potentiel. Pourquoi faire de nouvelles rencontres quand je pourrais me servir de ce que je connais déjà ? Même si je côtoie Locke régulièrement, je sais très peu de choses sur lui : il y aura l'excitation de la découverte. Et avec la tension un peu méfiante qui nous entoure, je n'ai pas d'inquiétude à avoir : il n'y aura pas de sentiments cette fois. Juste une histoire sans lendemain. Oui, Locke est exactement ce qu'il me faut après Solan. Je n'ai plus qu'à l'attirer dans mes filets et à profiter du frisson de la nouveauté.

    Je traverse la boutique jusqu'à me tenir à quelques pas de lui, faisant mine d'examiner le même portant avant de me tourner vers lui en feignant une surprise modérée :

    - Locke ! Bonjour, comment vas-tu depuis l'entraînement d'hier ?

    Je le détaille du regard sans gêne aucune, même si je sais déjà que son apparence me satisfaira. Je cherche quelque chose pour le retenir auprès de moi, quelque chose d'intrigant pour ne pas l'ennuyer mais qui ne laisse pas pour autant deviner que je cherche à le mettre dans mon lit.

    - J'ai trouvé ce veston, qu'en dis-tu ? Est-ce que je devrais le prendre ?

    Que la partie commence.
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      Re: It's a question of lust, it's a question of trust [Locke]

      Je ne sais pas pourquoi, j’étais plutôt casse-cou à ce moment-là de ma vie. L’approche de l’âge adulte, loin de m’assagir, me donnait une folle envie de faire des bêtises. Je ressentais le besoin irrépressible d’attirer l’attention de mes pairs en multipliant les prouesses dangereuses, que ce soit sur le terrain d’entraînement ou à la course de chars. Peut-être pour oublier l’échec de ma dernière relation amoureuse, pour enfouir la douleur de voir partir l’être aimé avec un autre. Peut-être pour prouver à tout le monde, moi-même y compris, que j’étais important, que j’avais une réelle valeur, que j’étais capable de grandes choses. Pas juste un animal savant capable d’exécuter un tour appris par cœur, mais un véritable guerrier, un héros en bourgeon, une légende en devenir. Ouais, je sais, on dirait bien que j’étais un poil mégalomane ; en vérité, je cherchais juste ma place dans le monde et un destin qui me soit propre. Je voulais me débarrasser de l’image de clown qui me collait à la peau, je voulais jouer dans la cour des grands, être un dur à cuire, un légionnaire farouche et téméraire. J’affectais donc une confiance en moi que j’étais loin de posséder, je jouais au surhomme lors des Jeux de Guerre, je prenais des risques inconsidérés lors des courses, je participais aux activités les plus cool avec une nonchalance feinte. Et tout le monde m’adorait. (Enfin, une bonne part des gens. Disons une petite moitié. Ou un tiers. Un petit tiers.) Assez de monde, en tous cas, pour que ma confiance factice commence tout doucement à gagner en réalité. Assez pour que je me sente mieux, pour que je laisse rayonner ma bonne humeur contagieuse, mais pas assez pour que j’arrête de faire l’idiot et de m’attirer des ennuis.

      Ce samedi-là, au lieu de participer aux courses comme d’habitude, j’errais en ville comme une âme en peine. Une chute lors d’un combat improvisé la veille au soir avait tordu les deux derniers doigts de ma main gauche d’une façon fort douloureuse, et le soigneur qui avait posé une attèle m’avait averti de m’abstenir de faire des cabrioles pendant une semaine entière. L’ambroisie, c’est puissant, les pouvoirs des enfants d’Apollon aussi, mais le corps a besoin de temps pour se régénérer. Je rongeais donc mon frein pendant que mes amis s’amusaient au Circus Maximus. J’aurais pu rendre visite à Ophelia, JJ, Anh-Tuan et Alice, mais je savais qu’ils répétaient pour le concert du lendemain et je ne voulais pas les distraire – ma présence avait tendance à faire dérailler une répétition en une bataille de nourriture ou autre situation chaotique. Je m’achetai donc un café que je bus assis sur un muret, le cœur gonflé d’une nostalgie soudaine et inexplicable. Peut-être parce que c’était le même breuvage que je sirotais en compagnie de Nicolas lors de nos matinées paresseuses à deux. Peut-être parce que la dernière lettre de ma mère datait d’un bon moment et que le cirque me manquait. Toujours est-il que je décidai de faire un tour dans les boutiques pour me changer les idées. J’adorais et j’adore toujours les vêtements déjantés, les matières originales, les objets colorés me rappelant l’univers de mon enfance. Je jetai mon café sans le finir – tant pis pour le gaspillage – pour me rendre chez un antiquaire. Puis chez un bouquiniste. Puis chez Romulush pour un nouveau shampoing solide. Et je finis dans une friperie, tenant de ma main valide un sac contenant plusieurs bibelots, un sac où dormaient deux romans à l’eau de rose et un ouvrage sur l’histoire du cinéma, et un sac qui fleurait bon les produits de beauté. Ma fureur d’acheter s’étant calmée, je me contentai d’examiner négligemment les vêtements exposés sur les présentoirs près de l’entrée. Il y avait un joli foulard imprimé de fleurs minuscules, une chemise à fanfreluches, un jean artistiquement délavé. J’hésitai à essayer la chemise, mais je commençais à avoir faim. Je pouvais peut-être revenir plus tard ?

      Locke ! Bonjour, comment vas-tu depuis l'entraînement d'hier ?

      Perdu dans mes pensées, je n’avais pas remarqué l’autre client qui explorait le portant… et pas n’importe quel client. Basil Hargreaves. Un légionnaire de ma cohorte. Pas un ami, ni vraiment un ennemi. Juste un type que j’évitais autant que possible sans trop savoir pourquoi. Peut-être était-ce son arrogance, cette conviction que le monde était rempli de gogos crédules sur lesquels il pouvait marcher en toute impunité. Peut-être était-ce son regard troublant, qui semblait en permanence analyser, soupeser, juger, planifier. Peut-être était-ce sa réputation détestable de coureur de pantalons, de briseur de cœurs, de séducteur sans foi ni loi. Peut-être était-ce sa beauté – parce que oui, Basil Hargreaves était beau, mais c’était la beauté dangereuse du serpent émeraude lové en plein soleil, et je refusais de m’y laisser prendre. Je dois néanmoins ajouter que j’étais surpris de voir qu’il fréquentait la même boutique que moi. Nous n’avions rien en commun, absolument rien, même si notre style vestimentaire était effectivement assez similaire. L’idée qu’il puisse se fournir à la même friperie que moi ne m’avait jamais traversé l’esprit.

      J'ai trouvé ce veston, qu'en dis-tu ? Est-ce que je devrais le prendre ?

      Il me détaillait du regard comme si c’était moi qu’il s’apprêtait à acheter, comme si j’étais un vêtement et qu’il se demandait si je lui irais. Je me sentis rougir – c’est stupide, ça m’arrive tout le temps – mais je refusai de me laisser prendre au piège par ce petit connard prétentieux. Avec un sourire éclatant de confiance, je lui montrai successivement ma main gauche blessée et mon bras droit chargé de sacs.

      –       Comme tu peux le voir, ça pourrait être mieux, mais ça pourrait aussi être pire.

      Je reportai mon regard sur le veston, qui lui allait effectivement très bien. Un peu trop bien même – on dirait qu’il était fait sur mesure. Pourtant je fis une moue dubitative et pris le temps de réfléchir avant de hocher la tête. Pas question de flatter son égo déjà bien trop gonflé.

      –       Mouais, il est pas mal, ce veston. Pas mal du tout. Ça pourrait aller.  Avec le bon pantalon, bien sûr. Et les bonnes chaussures. Et toi, comment vas-tu ? Je ne  t’imaginais pas traînant ici au milieu de la plèbe.

      Le sarcasme n’a jamais été mon fort, mais en cette occasion, je le maniais plutôt bien. Basil ne m’avait encore jamais adressé la parole de son plein gré – toujours dans le contexte d’un entraînement ou de la Légion. Pourquoi avais-je soudain cessé d’être invisible à ses yeux ? Le mystère me fascinait suffisamment pour que je décide de rester et de bavarder un peu.
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        Re: It's a question of lust, it's a question of trust [Locke]


        J'examine la main bandée que Locke brandit sous mes yeux. Jeux de guerre ou course de char ? Peu m'importe, ça n'a pas l'air bien grave et, surtout, ça ne vient pas entraver mes plans. Un Locke diminué physiquement ne m'irait pas du tout. Il faudra que je veille à ce qu'il soit prudent quand il sera avec moi, je ne veux pas jouer l'infirmier d'un casse-cou.

        Ainsi sa journée n'est ni bonne ni mauvaise ? Voilà un défi pour moi : je vais enchanter son week-end pour l'attirer auprès de moi. Il a déjà fait des emplettes, à en juger par les sacs qu'il porte, ce qui est toujours un bon réflexe pour se sentir mieux quand la situation est morose. Mais j'ai la prétention de penser que je suis assez fascinant pour détourner l'attention d'une journée ordinaire.

        Quand il commente mon veston, je ne peux m'empêcher de réagir en calculant : le bon pantalon, en velours côtelé ou pas ? Les bonnes chaussures, des derbies ou des bottines de pluie ? Si je réfléchis, cela ne m'empêche d'affecter un air affable pour lui répondre :

        - Je me porte comme un charme.

        Je sens bien le sarcasme dans ses paroles mais je ne m'en formalise pas. Il a raison, si j'aime la compagnie je la choisis précisément et je ne converse pas avec le premier venu. Aussi, je ne vais pas prétendre le contraire. À la place, je décide de coller à la vérité, de lui offrir un peu d'authenticité. Je ne suis pas sincère gratuitement : c'est une façon de le mettre dans la confidence, de le faire se sentir privilégié, intégré dans mon cercle restreint.

        - C'est vrai que je ne fréquente pas les lieux où se presse le tout venant. Je choisis les boutiques qui me plaisent après une certaine réflexion. On dit parfois d'un public qu'il est trié sur le volet, on pourrait dire cela des endroits où je me rends. De ce fait, je suis peu en contact avec la plèbe. Car tu as du remarquer que je suis aussi sélectif avec mes connaissances. C'est sans méchanceté pour mes camarades de la Légion. Disons simplement que je veux être sûr d'entre entouré de personnes spirituelles et charmantes pour me divertir en bonne compagnie. Cependant, il y a des exceptions à ce système, bien sûr. Ce serait d'un ennui sinon. Je disais donc, il y a des failles, des interstices, des espaces liminaires dans lesquels je me glisse parce qu'ils sont riches en événements inattendus, en rencontres impromptues, en trouvailles inespérées. Et j'aime, que dis-je, j'adore la découverte. Cette boutique fait partie des trésors pour lesquels je sors de mes habitudes. Et ce qui est valable pour les lieux l'est aussi pour les personnes. La preuve.

        Sur ces mots je lui adresse un regard plein de connivence, laissant planer un silence lourd de sous-entendus. J'embrasse du regard ses cheveux bruns, presque noirs, qui bouclent un peu, ses paupières légèrement tombantes, sa mâchoire anguleuse, sa carrure maigre, son attitude nonchalante mais parée à toutes les éventualités. Les portants bariolés font écho aux couleurs subtilement assorties de sa tenue. D'ailleurs, une chemise est sortie. Jaune curry, avec des volants sur les manches et autour du col. À la limite du kitsch. J'adore. Je devine qu'il l'a mise de côté pour lui. Je me recule d'un pas pour avoir une vue d'ensemble et fait mine de réfléchir.

        - Attends un instant.

        J'examine la chemise, réfléchissant à vive allure. Mon doigt tapote ma lèvre inférieure. Puis, j'ai une idée. Je fais un tour sur moi pour passer en revue l'étagère de pantalons. Je repère les couleurs qui m'intéressent et en tire quelques uns pour les déplier et comparer les coupes. Je fais mon choix et le tend à Locke mais j'arrête mon geste, le portant de chapeaux a attiré mon attention. En quelques enjambées j'y suis, hésite un instant entre deux couvre-chefs puis en sélectionne un après un bref calcul. Je reviens finalement vers mon camarade et lui présente mes trouvailles.

        - Si tu te décides pour la chemise, puis-je te suggérer ceci ?

        Il s'agit d'un pantalon bleu roi aux jambes légèrement évasées et d'un béret couleur rouille. Je suis fier de moi et peut-être que dans mon regard paraît un peu du plaisir sincère que j'éprouve à marier les matières et les formes.

        Mais je m'expose peut-être à une nouvelle réflexion ironique. J'ai avancé un pion et ce faisant je laisse découvert mon flan, me voilà quelque peu vulnérable. Car même si je propose un innocent jeu (à moins qu'il ne soit malsain?) je sais que quelque chose chez Locke me résiste. C'est bien pour ça que je ne m'étais pas intéressé à présent jusqu'à lui. Comment aurais-je pu trouver une place pour ce garçon qui ne rentrerait pas dans les cases dont je dispose pour lui ? Il y a toujours eu une sorte de tension entre nous, qui ne dit pas son nom, sous-jacente au point qu'elle a du passer inaperçue aux yeux des autres légionnaires. Il me résiste et je n'aime pas ça. Alors je dénigre ses prouesses, je me moque de sa sociabilité, je minore l'intérêt qu'il représente. Mais aujourd'hui, je ne peux plus faire comme s'il n'existait pas. Car il est devenu potentiellement intéressant. Et beau. Exactement ce dont j'ai besoin.

        Alors j'ai décidé de faire face à la friction déclenchée par nos échanges. Et tandis qu'il se tient devant moi, une chemise jaune curry entre nous, je sens l'électricité statique dans l'air. Seigneur, je voudrais l'embrasser pour faire crever l'abcès.

        À la place, je demande :

        - Et toi, que ferais-tu de moi ?

        Puisque tu dis qu'il faudrait le bon pantalon et les bonnes chaussures, trouve-les. Et si par la même occasion tu peux me laisser un indice de ton sentiment à mon égard, je t'en prie.
        Anonymous
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          Re: It's a question of lust, it's a question of trust [Locke]

          A l’époque, il y avait trois choses que je pensais ne jamais comprendre : la raison pour laquelle ce coureur de jupons de Jupiter restait le roi des dieux, l’inexplicable lien cosmique qui faisait des tomates et de la mozzarella la plus délicieuse des combinaisons culinaires, et la force obscure qui poussait tant de garçons dans les bras de Basil Hargreaves. Il était beau, certes, intelligent, bien éduqué, bien habillé, mais sous ses manières d’aristocrates se cachait un caractère arrogant, méprisant, calculateur et détestable. En l’écoutant dénigrer ses camarades de la Légion avec la morgue d’un prince trop gâté, je ne pus m’empêcher de l’observer comme si j’analysais le jeu d’un comédien sur scène. Le choix des mots, les intonations veloutées, les gestes amples de ses mains gracieuses, la nonchalance de sa posture : tout était calculé pour mettre en valeur son charme. Malheureusement pour lui, c’était peine perdue. L’étincelle dans son regard ne me procurait aucune chaleur. L’or de ses cheveux m’était indifférent. La ligne pure et parfaite de son cou ne m’émouvait pas. Je n’avais aucune envie de baiser ces lèvres qui étaient faites pour la médisance et les mensonges, de toucher ce torse où battait un cœur froid, de partager mes pensées et mes sentiments avec cet esprit capricieux. J’aurais voulu passer mon chemin, lui dire que cette parade nuptiale était ridicule, qu’il n’obtiendrait jamais ce qu’il recherchait – pas auprès de moi. Mais je l’avais observé avec trop d’attention, et je l’avais remarquée : la faille infime dans son masque. Le défaut dans son jeu d’acteur. La fragilité si bien cachée qu’elle en était presque invisible, tant de fois reniée qu’elle en avait oublié sa propre existence. Si Basil n’avait été qu’un monstre, je l’aurais planté là sans hésiter. Cette faille le rendait plus humain, plus vivant, plus entier. Alors, tel l’idiot que j’étais, je suis resté.  

          Pas la peine de me regarder de cet air gourmand, mesdames et messieurs, je sais ce que vous pensez : que cette histoire finira comme toutes les autres, avec un Locke abandonné, cœur brisé, dans un lit froid portant encore l’odeur de Basil. Je crains de devoir vous apprendre que cela ne s’est pas terminé ainsi, et tant pis pour la magnifique tragédie que cela aurait pu devenir. Peut-être que la rupture encore fraîche avec Nicolas m’avait mis un peu de plomb dans la tête. Peut-être que je connaissais trop bien la réputation de Basil pour m’y risquer. Je pense, en vérité, qu’il y avait autre chose : même quand j’étais encore adolescent et tourmenté par les hormones, je n’avais jamais su ou voulu séparer le cœur du corps. Pour me séduire, il fallait m’aimer. Pour que j’accepte d’être séduit, il fallait que j’aimais en retour. Et, malgré sa beauté, son mystère, malgré cette faille infime qui me le rendait presque sympathique, je ne pouvais pas aimer une personne aussi égocentrique que Basil.

          Je vous entends déjà dire « pourquoi passer tant de temps à nier avoir ressenti de l’attraction pour lui ? pourquoi gaspiller tant de mots pour une chose qui n’existait pas ? ». Sachez que je l’ai précisé uniquement pour que ce soit bien clair. Basil Hargreaves ne m’attirait pas. Mais, et c’est là toute l’ironie de l’histoire, moi je l’attirais. J’en avais parfaitement conscience. J’aurais dû partir, mettre fin à cette rencontre, refuser de participer à ce petit jeu toxique. Mais je pense avoir répété suffisamment de fois que j’ai une certaine tendance à me montrer idiot. Lorsque Basil m’adressa un regard plein de connivence, je lui répondis donc par un sourire qui, sans être encourageant, n’en était pas moins solaire. Venait-il réellement de me comparer à une boutique ? A un trésor caché ? A une trouvaille inespérée ? C’était, ma foi, plutôt flatteur. Peut-être était-ce l’une des raisons de sa popularité : quand Basil accordait sa pleine attention à quelqu’un, il l’inondait d’une chaleur factice mais étrangement agréable. Je me surpris à trouver cette conversation amusante. Et mon amusement ne fit que grandir lorsque le fils de Mercure se mit à farfouiller dans le magasin pour me trouver des vêtements assortis à la chemise que j’avais choisie. Il fallait reconnaître cela à Basil : il savait divertir son public.

          « Si tu te décides pour la chemise, puis-je te suggérer ceci ? »

          J’observai sa sélection d’un regard de connaisseur : un pantalon bleu roi et un béret couleur rouille. Assortis à la chemise jaune curry, cela donnait un ensemble à la fois délicieusement voyant et d’une classe folle. Je devais avouer que Basil s’y connaissait en vêtements, mais un problème se posait à présent : si j’acceptais sans négocier le choix qu’il avait fait, verrait-il cela comme une victoire ? Lui accorderais-je un certain pouvoir sur moi ? Lui donnerais-je l’impression que son opinion m’importait ? Je hochai lentement la tête d’un regard approbateur, soucieux de ne pas paraître trop enthousiaste. Par tous les dieux, une seule conversation avec Basil et voilà que je devenais comme lui, à calculer le moindre de mes gestes et la moindre de mes paroles. La sincérité semblait impossible avec lui. Heureusement, le fils de Mercure brisa le silence qui s’était lové entre nous avec une nouvelle question :

          « Et toi, que ferais-tu de moi ? »

          Je levai les yeux de la chemise jaune, surpris par l’audace de ces paroles, par ce qu’elles impliquaient. Seule ma longue expérience au cirque me permit de ne pas rougir comme une tomate bien mûre. Je me contentai de hausser les épaules et d’inspecter la veste que Basil avait choisie comme si sa question n’avait aucun double sens. Imitant le jeune homme, je partis à la recherche dans les tréfonds de la boutique et revins avec un ravissant pantalon en velours côtelé ainsi que des derbies très chic. A mon tour de lui tendre les vêtements, mais je n’attendis pas son approbation. Je n’en avais pas besoin.

          « Si tu acceptes d’essayer tout ça, j’essayerai ce que tu m’as choisi. »

          C’était un marché équitable, et Basil l’accepta rapidement, non sans me lancer un regard intrigué. Quelques minutes plus tard, je me tins à ses côtés devant un grand miroir sur pied. Ses trouvailles m’allaient comme un gant, et j’étais plutôt satisfait de mon choix pour lui. Sa veste était légèrement décalée sur ses épaules, et je voulus rectifier cette erreur avant de me rendre compte qu’il l’avait probablement fait exprès – une autre manœuvre de séduction, une autre façon de me prendre au piège. Mais réfléchir ainsi, calculer ce que je pouvais ou ne pouvais pas faire en sa présence, était décidément trop épuisant, trop étranger pour que j’y prenne plaisir, et je finis donc par rectifier la position de sa veste de quelques gestes neutres et professionnels.

          « Vous avez raison, jeune homme, d’acheter cet ensemble ! Il vous va si bien ! Vous êtes ravissant ! »

          Je n’avais pas vu arriver la propriétaire du magasin, une femme plutôt âgée qui se montrait rarement et laissait la gestion du quotidien à sa nièce. Elle était adorable, avec son large sourire et ses grands yeux bleus légèrement dans le vague.

          « Et vous aussi, jeune homme, quelle jolie chemise ! Et ce béret ! Vous savez, quand mon mari était encore vivant – que Pluton garde son âme –, je l’aidais toujours à choisir ses vêtements, et il faisait pareil pour moi. Voir un couple de si jolis garçons faire pareil réchauffe mes vieux os ! »

          J’ouvris la bouche pour protester, pour expliquer que Basil était juste un ami – non, même pas un ami, juste une connaissance, un camarade de la Légion, croisé par hasard. Je ne réussis pourtant qu’à émettre un toussotement étranglé, à mi-chemin entre le rire et l’horreur. Pourquoi cette femme nous pensait-elle amants ? Il n’y avait rien dans notre attitude qui pouvait le faire croire. Bon, d’accord, il y avait bien cette tension bizarre entre nous, et le jeu de séduction de Basil, mais c’était stupide, vraiment, et extrêmement embarrassant. Je me contentai donc de bafouiller quelque chose en attendant qu’elle parte s’intéresser à un autre client.
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            Re: It's a question of lust, it's a question of trust [Locke]


            Je suis le premier à réapparaître devant le miroir. Locke a bon goût. Le pantalon tombe bien – j'adore le velours côtelé et même si les chaussures sont un peu trop grandes pour moi cela ne se remarque pas. Par contre, le veston n'est pas tout à fait droit. Je suis interrompu dans mes pensées par l'arrivée de Locke dans le miroir. Je dévore son reflet. Je ressens quelque chose de délicieux en embrassant du regard sa silhouette. Ce n'est pas la satisfaction d'avoir fait le bon choix de vêtement pour lui. C'est autre chose. Quelque chose de nouveau. C'est le sentiment qu'il m'appartient un peu puisque j'ai choisi pour lui, puisque j'ai le contrôle sur un aspect infime de son existence. Je suis bizarrement fier, je voudrais parader avec Locke, faire voir au monde ce que j'ai, ma plus belle possession peut-être. Regardez, il est un peu à moi. Mais... je regarde mon reflet dans le miroir. Il a aussi choisi des vêtements pour moi, lui aussi contrôle un peu mon existence. S'il est un peu à moi, je suis un peu à lui... Quelle idée nouvelle. Je ne sais pas quoi en penser. Cette plaisanterie de choisir nos vêtements m'avait d'abord paru amusant mais elle ne me plaît plus du tout : ce petit jeu me fait miroiter des idées trop dangereuses. Il faut que j'oriente la conversation vers autre chose, revenir dans le territoire connu et sécurisé des flirts habituels. Locke doit juste réchauffer mon lit, il n'est pas censé m'embrouiller l'esprit avec des idées bizarres.

            C'est le moment qu'il choisit pour poser ses mains de part et d'autre de mes épaules pour rectifier la position de mon veston – j'avais oublié qu'il était un peu de travers. L'endroit où il m'a touché continue de chauffer après qu'il ait retiré ses mains. Tout mon corps tend à retrouver ce contact. Voilà ce que je veux : quelqu'un pour réajuster mes vêtements. Je veux cette familiarité et cette simplicité, comme une évidence. Peut-être que c'est effrayant et repoussant mais j'ai envie de laisser à quelqu'un le contrôle. À Locke. Je me tourne pour lui faire face. Si jusqu'à présent je renvoyais dans le miroir une image pensive mi-sérieuse, je sais que c'est fini car je ne peux empêcher mon corps d'exprimer le désir que j'ai pour lui. Le désir de le laisser réajuster mes vêtements, de le laisser les choisir, de le laisser les enlever. Je veux le laisser commander.

            C'est à cet instant qu'une voix un peu chevrotante se fait entendre derrière nous. C'est une vieille dame qui tient la boutique. Elle a beau me complimenter, je la maudis intérieurement. Elle a osé m'interrompre alors qu'il se passait... quelque chose. Je me contente d'un sourire commercial tandis qu'elle complimente Locke à son tour avant de mentionner son défunt mari. Quand va-t-elle s'arrêter ? C'est alors qu'elle parle de nous comme d'un couple. Je me réchauffe un peu à l'idée qu'on puisse nous imaginer être deux amants et je repense à cette envie bizarre de parader fièrement en disant : je suis un peu à lui, il est un peu à moi.

            J'attends la réaction de Locke, elle ne vient pas. Tout juste un bruit de gorge un peu étranglé mais aucune parole pour tout nier et rétablir la vérité. Je suis tenté de jouer le jeu, de confirmer l'intuition de la vieille dame. Après tout, je suis tellement heureux que nous donnions l'image d'un couple : cela doit vouloir dire que je ne suis pas si loin d'accomplir mon but. Pourtant, je ne le fais pas. Non, à la place me lance dans quelque chose de tout à fait inhabituel pour moi : je dis la vérité.

            - Merci madame, vous êtes bien aimable. Mais je me dois de vous détromper : nous ne sommes pas un couple. À mon grand regret. Mais peut-être que cela arrivera un jour s'il accepte de me revoir.

            Je me tourne alors vers Locke. Je ne sais pas si la sincérité me mènera quelque part mais puisque c'est la direction que j'ai choisie de suivre... Je lui dis :

            - Les thermes, dimanche, 11h ?
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              Re: It's a question of lust, it's a question of trust [Locke]

              Je n’ai jamais prétendu être raisonnable, et Basil défiait toute raison. Il possédait la faculté incroyable de créer autour de lui une réalité nouvelle dont il écrivait les lois avec nonchalance et virtuosité. A la fois l’artisan et le roi d’un monde exotique et mystérieux, il y entraînait tous ceux qui avaient le malheur de lui plaire et les éblouissait de ses mirages fantasmagoriques. En l’espace d’une simple conversation, il m’avait attiré dans cet univers d’une douceur vénéneuse, et je ne devais mon salut qu’à ma capacité à voir au-delà des illusions. D’autres marchaient dans son piège en toute innocence, mais j’en comprenais trop bien les mécanismes pour me laisser prendre aussi facilement. Une vieille habitude héritée du cirque, sans doute, où les faux-semblants étaient notre gagne-pain. J’avais vu Féline pleurer à s’en fendre l’âme puis donner une représentation remplie d’une sensualité paisible. Je connaissais les stratégies qu’on utilisait pour cacher la misère, pour transformer un pauvre champ battu par le vent en fête foraine bariolée, pour ravauder des robes élimées, farder des visages attristés, transformer de simples humains en immortels éthérés voltigeant au-dessus des spectateurs ébahis. Basil ne me tromperait pas, et si je prenais plaisir à explorer l’univers dont il était le maître, je refusais de graviter autour de lui comme les autres.

              L’intervention de la vieille tenancière de la boutique brisa le charme que Basil tentait maladroitement de tisser autour de moi, et j’en fus aussi reconnaissant qu’embarrassé. Elle ne faisait que confirmer ce que je soupçonnais déjà : l’attraction que le fils de Mercure éprouvait pour moi était bel et bien tangible. Je pouvais presque la sentir, percevoir les crochets qu’il tentait de planter dans mon âme pour me ramener auprès de lui, humer le parfum de son désir mêlé d’impatience et de frustration. Mal à l’aise comme je ne l’avais encore jamais été, j’écoutai Basil expliquer à la vieille femme que nous n’étions pas un couple.

              « A mon grand regret. Mais peut-être que cela arrivera un jour s’il accepte de me revoir. »

              Comment en étions-nous arrivés là ? Comment une simple conversation dans une boutique avait-elle pu mener à cet instant surréel, troublant, inédit, où Basil disait la vérité sur ses sentiments ? J’étais capable de jouer son jeu, de rivaliser d’esprit avec lui, mais cette soudaine sincérité nue, bouleversante, m’ôtait tous mes moyens. Que devais-je donc lui répondre ? Que pouvais-je dire sinon ma propre vérité, et le blesser ce faisant ? Oui, il était attirant, mais il ne m’attirait pas. Mon corps était sensible à l’appel de son charme, mais mon cœur regimbait face à la froide indifférence du sien. Il était capable de m’offrir la lune, mais ce n’était pas la lune que je voulais, uniquement la chaleur partagée de deux êtres qui s’aiment à s’en brûler.

              « Les thermes, dimanche, 11h ? »

              Aujourd’hui encore, cher public, j’ignore pourquoi j’ai accepté. Je pourrais vous mentir, prétendre que je m’y suis senti obligé par le regard plein d’espoir de la vieille femme. Je pourrais vous dire que Basil me faisait un peu pitié, avec sa vie si pleine et sa poitrine si vide, avec cette solitude qui couvait dans son regard. Je pourrais même affirmer que je me suis laissé séduire, l’espace d’un instant, par la vérité toute simple qu’il m’offrait, par l’espoir qu’il puisse être différent avec moi. Mais à vrai dire, je ne sais toujours pas ce qui m’est passé par la tête à ce moment-là.

              ***

              Je patientais dans le hall des thermes en affectant une nonchalance que j’étais loin de ressentir. J’étais arrivé un peu plus tôt que l’heure convenue, histoire de pouvoir me déshabiller à l’aise et de m’installer sur un banc près des vestiaires. Bien qu’on soit en milieu de matinée, il y avait peu de monde, car la plupart des légionnaires qui n’étaient pas de service le dimanche ronflaient encore dans leurs dortoirs. J’essayais de me divertir en songeant aux nouvelles façons d’améliorer mon char pour les prochaines courses, mais si je dois être entièrement honnête, la seule pensée qui me traversait l’esprit en boucle se résumait à ceci : « mais pourquoi j’ai accepté de me foutre à poil pour faire la conversation avec Basil Hargreaves ? ». Je n’étais pas entièrement nu, bien entendu ; je portais la réglementaire serviette blanche des thermes autour de la taille. Mais c’était tout comme. Cette situation était d’autant plus ridicule que je n’étais pas du genre à me montrer pudique. Comme chaque Romain qui se respecte, je donnais rendez-vous aux thermes à mes amis, où nous bavardions en nous aspergeant d’eau avec le plus grand naturel. Avec Basil, c’était différent. Si, lors de notre rencontre précédente, les vêtements en étaient venus à symboliser la lutte entre nos volontés, je craignais la signification que leur absence pouvait prendre. Je n’avais aucune envie d’entendre d’autres vérités de la part de Basil, de le voir se mettre métaphoriquement à nu devant moi, de percevoir cette vulnérabilité qu’il cachait d’habitude sous les couleurs de ses vêtements. C’était trop troublant, trop réel, trop humain. Était-ce ainsi qu’il bernait ses victimes ? En leur montrant une parcelle d’authenticité avant de les utiliser à sa guise et de les jeter quand bon lui semblait ? Je n’avais aucune envie de le savoir.

              Basil fit son entrée tel le roi qu’il était, cheveux artistiquement décoiffés et humides après la douche obligatoire à l’entrée, serviette blanche nonchalamment drapée autour de la taille, pareil à une statue antique qui se serait soudain animée. Je me levai en me maudissant intérieurement et le saluai d’un air que j’espérais blasé. Sans devoir nous concerter, nous fîmes d’abord halte dans le sudatorium, le hammam à la Romaine dont l’air chaud et humide est censé purifier la peau. C’était une petite pièce plongée dans la pénombre, d’ordinaire remplie de légionnaires bavardant tranquillement, mais déserte ce matin-là – ô joie, ô bonheur, ô embarras suprême. Je m’assis face à Basil, souriant de toutes mes dents pour masquer mon malaise. Dans les vapeurs troubles du sudatorium, des gouttes d’eau luisant sur sa peau pâle, il était d’un charme plus ravageur que jamais. Pour briser le silence tendu qui s’était installé entre nous, je pointai du doigt le rayon de lumière qui nous parvenait depuis l’interstice de la porte et qui créait un arc-en-ciel miniature sur le carrelage.

              « Une jolie matinée pour faire un vœu, n’est-ce pas ? »
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                Re: It's a question of lust, it's a question of trust [Locke]

                J'arrive aux thermes comme un roi dans son royaume. J'y passe beaucoup de temps et je retrouve toujours avec délice ce lieu de plaisir sensuel. Jamais je ne renierais mon caractère hédoniste : j'aime tous les plaisirs, et ceux que procurent un bon bain en en font partie. Il m'arrive souvent d'y retrouver des connaissances, mais cette fois-ci je ne souhaite pas les croiser. C'est qu'aujourd'hui j'ai donné rendez-vous à Locke Earhart. Le jeune prodige est tombé dans mes filets. Belle prise. Mais la partie n'est pas gagnée, je le sens, il me résiste encore. Cependant, cette tension qui existe entre nous deux n'est plus source d'agacement. Je prends plaisir à le voir me résister, ça ne rend la partie que plus amusante. Car j'en connais l'issue, Locke sera à moi. Il a accepté mon rendez-vous et je vais désormais le courtiser jusqu'à ce qu'il rende les armes.

                J'aimerais que ce soit le seul enjeu de ce rendez-vous. Malheureusement je dois tenir compte d'autres considérations. Celles des Chimères pour être exact. Elles ont remarqué que je manœuvrais pour me rapprocher de Locke. Elles aussi s'intéressent à lui. Pas pour les mêmes raisons que moi, cela va sans dire. Non, pour ses capacités prodigieuses. Ses tours de passe-passe ont été remarqués. Toujours est-il que me voilà responsable d'une mission : parler des Chimères à Locke et le convaincre de rejoindre nos rangs. Je suis embarrassé de devoir assurer cette tâche alors que je pensais pouvoir me consacrer tout entier à l'art du flirt. Mais la perspective d'avoir un amant qui soit aussi une Chimère n'est pas pour me déplaire.

                Au fond de moi, j'ai un peu peur qu'il n'y ait un grain de sable dans la machine. Lorsque nous nous sommes séparés avec Solan j'ai entrevu des possibilités... sentimentales. Fort heureusement la fin de notre aventure a coupé court à tout développement émotionnel hasardeux. Mais lors de notre rencontre à la friperie, voir Locke dans les habits que j'avais choisi pour lui a déclenché chez moi des idées pour le moins dangereuses. J'ai eu l'audace de m'y laisser aller et j'ai même été sincère avec lui. Si cette manœuvre c'est finalement révélée fructueuse puisque me voici à un rendez-vous avec lui, je ne dois pas m'y reprendre, hors de question que ça se reproduise. Les sentiments ça n'est pas pour moi, je le sais très bien.

                C'est avec cette mise en garde en tête que j'émerge de la douche réglementaire pour rejoindre le hall des bains. Je repère tout de suite Locke, assis sur un banc, et le rejoins. Nous échangeons un rapide coup d'œil. Il se lève et nous nous dirigeons dans la première salle, le sudatorium. Pas un mot. Il a l'air mal à l'aise, ou de mauvais poil, je ne sais pas. Je mets son silence sur le compte de la tension qui règne entre nous et que je vois désormais d'un bon œil. La chaleur humide m'assaille quand nous entrons dans l'espèce de hammam et j'ai besoin d'un temps d'adaptation. Sans mes lunettes les formes sont un peu floues et je m'assois tout près de lui pour mieux le voir malgré l'atmosphère trouble. Tout chez lui est attirant, je m'en rends d'autant mieux compte maintenant qu'il ne porte qu'une simple serviette nouée autour de la taille. Mais ce sont ses longs cils, surtout, qui sont hypnotiques. Il bat des paupières doucement, et, quand une goutte d'eau roule jusqu'au bout, je reste fasciné. Son sourire n'est pas naturel, jusqu'à ce que son attention soit attirée par quelque chose. Il me fait remarquer le faible arc-en-ciel qui se dessine par la porte entrouverte. C'est vrai que son pouvoir est lié à ce phénomène, même si je n'ai pas tout à fait saisi en quoi.

                - Je ne fais jamais de vœu.

                Je ne sais pas pourquoi j'ai répondu honnêtement, j'aurais pu mentir et inventer une réplique charmante. Est-ce que Locke me pousse malgré moi à la sincérité ? Ça serait étonnant. J'essaie de me rattraper.

                - Mais c'est effectivement une belle matinée, j'espère que nous saurons en tirer le meilleur et bien profiter.

                Je passe une main dans mes cheveux humides pour m'assurer qu'il reste en bataille même en séchant. Je n'ai pas envie de lui parler tout de suite des Chimères. Je veux profiter de mon rendez-vous avant de remplir mes obligations professionnelles. Je cherche le regard de Locke et je lui dis :

                - Je trouve qu'il n'y a rien de tel qu'une visite aux bains pour occuper un dimanche matin. C'est vrai qu'il m'arrive de dormir jusqu'à tard, comme tout un chacun, mais quand je me lève c'est une de mes activités préférées. Ça et faire le tour des brocantes. Et bruncher, bien sûr. Tu as une opinion sur le brunch ?

                J'imagine Locke sur une chaise en fer forgé blanc, attablé à mes côtés, dégustant des œufs pochés et des tartines. Ce serait du plus bel effet. Et je pourrais interpeller mes connaissances qui passeraient et je leur dirais « Vous connaissez Locke ? C'est mon petit ami ». Et ils sauraient tous que Locke est un peu à moi. Ce serait bien. Quelque chose dans mon ventre tressaille à cette pensée. Je préfère mettre ça sur le compte de la faim.
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                  Re: It's a question of lust, it's a question of trust [Locke]

                  Acte 1 scène 2 : le sudatorium des thermes du Camp Jupiter, un dimanche matin, vers onze heures.

                  Deux jeunes hommes sont assis dans la pénombre traversée par des rubans de vapeur fantomatiques. La caresse de la chaleur sur leur torse nu devrait les détendre, mais la tension entre eux est trop intense pour qu’ils puissent songer à se laisser aller. Le blond qualifierait sans doute cette atmosphère électrique de délicieuse. Le brun n’est pas de son avis et préfèrerait partir. Pourtant, il reste. Il sourit. Il bavarde comme si rien d’autre n’existait que cet endroit, ce moment, cette conversation.

                  Le blond a ôté ses lunettes mais revêtu son air le plus charmeur. Il s’est assis près du brun, trop près, une proximité à la fois gênante et troublante. Leurs voix parlent un langage badin mais leurs corps en parlent un autre. Une lutte entre deux volontés. Un combat âpre dont un seul sortira vainqueur.

                  Basil Hargreaves méprisait les vœux, et cela n’aurait pas dû m’étonner. Il ne faisait rien sans raison, sa vie organisée aussi méticuleusement que ses choix vestimentaires, chaque geste et parole servant un but bien précis. En appeler à la chance ou à l’aide de l’univers n’était absolument pas son genre. Pourtant, un léger pincement de déception vint me narguer. Si l’inconnu et l’imprévisible l’horripilaient, pourquoi alors s’intéresser à moi ? N’étais-je donc rien d’autre pour lui qu’un animal de cirque, créature étrange qui suscite à la fois fascination et répulsion ? Je plantai mon regard dans ses yeux myopes mais qui semblaient pourtant voir à l’intérieur de moi. J’aurais voulu paraître plus assuré, plus grand, plus fort, mais je n’étais qu’un comédien ayant oublié son texte, seul sur scène sans script pour me soutenir. Fort heureusement, l’éclair de sincérité qui avait brièvement éclairé notre conversation s’éteignit avant que j’aie le temps de faire quelque chose de stupide (comme d’embrasser Basil pour le faire taire.) (Je n’avais vraiment pas envie de l’embrasser, même si ses lèvres avaient l’air douces et si sa chevelure emmêlée invitait à y passer la main.) (Je ne suis pas stupide à ce point.)

                  « Je trouve qu'il n'y a rien de tel qu'une visite aux bains pour occuper un dimanche matin. C'est vrai qu'il m'arrive de dormir jusqu'à tard, comme tout un chacun, mais quand je me lève c'est une de mes activités préférées. Ça et faire le tour des brocantes. Et bruncher, bien sûr. Tu as une opinion sur le brunch ? »

                  Au placard, le jeune homme vulnérable que j’avais cru discerner l’espace d’un instant. Il était redevenu le dandy mondain et futile qui considère le monde comme son terrain de jeu. Etrangement, cela m’aida à reprendre contenance et à produire un véritable sourire pour la première fois ce jour-là.

                  « J’adore le brunch du dimanche matin. Bien à l’aise sous une pergola fleurie. Du pain frais, des œufs pochés, du saumon fumé, une salade de fruits… Je suis plutôt salé que sucré, mais je ne dirais pas non à quelques scones à la confiture de fraises. »

                  Mon ventre émit un léger gargouillis lorsque j’évoquai ce festin de roi, et je ris franchement cette fois, toute gêne semblant envolée. Basil me regardait, la tête penchée – non, il m’étudiait, comme si j’étais un tableau de maître dont il tentait de décrypter le mystère.

                  « Pour parfaire cet hypothétique dimanche parfait, je me promènerais ensuite dans la nature et je m’installerais dans un transat pour lire des magazines de mode et de cinéma. Je terminerais la journée dans un petit resto au charme désuet, une perle cachée, avec un bon vin et un brin de musique. »

                  Je m’installai plus confortablement sur le banc en pierre, plutôt satisfait de ma réponse. Etonné, aussi, que ni les courses de char ni les paris risqués ne figuraient dans ma journée parfaite. Moi qui recherchais sans cesse l’adrénaline, la prochaine montagne à escalader, l’impossible à tenter, le cœur auquel me dévouer, avais-je après tout faim de calme et de paix intérieure ? Je fronçai les sourcils, absorbé par cette réflexion au point de presque en oublier la présence de Basil. Mais le fils de Mercure n’était pas le genre d’homme qui se laisse oublier. Il se passa de nouveau une main dans les cheveux, geste que j’en étais venu à associer avec une tentative de me faire du charme. Tout cela aurait pu m’amuser si j’avais été comme lui. Si l’attirance n’avait été qu’un divertissement. Mais j’avais le cœur encore trop meurtri après ma rupture avec Nicolas pour me laisser tenter par cette folie.

                  « Pourquoi t’intéresser à moi, Basil ? Pourquoi maintenant ? Je n’ai jamais été digne de ton attention. Dans cette histoire, tu es le prince et je suis le clown. Pourquoi passer ce temps avec moi alors que tu pourrais profiter de ton propre dimanche parfait en toute sérénité ? »

                  J’aurais pu continuer à jouer le jeu, laisser Basil mener la danse, suivre les circonvolutions de la conversation jusqu’à y voir clair dans ses pensées et ses désirs. Mais s’il aimait jouer, j’aimais surprendre. Et je ne m’en priverais pas.

                  Deux jeunes hommes sont assis dans la pénombre traversée par des rubans de vapeur fantomatiques. Le brun vient d’abattre ses cartes d’un seul coup sur la table. Il attend de voir si le blond relèvera le défi.
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                    Re: It's a question of lust, it's a question of trust [Locke]


                    Locke me parle de son dimanche idéal et j'ai l'impression presque dérangeante qu'il décrit mes fantasmes à moi. Tout y est, les magazines de mode, la pergola, le bon vin... Je pourrais fermer les yeux et j'y serais, à l'ombre d'un saule pleureur, dans un transat, en sa compagnie.

                    Je voulais séduire Locke pour l'attirer dans mon lit et me remettre en selle après le désastre Solan. Mais en l'entendant décrire ma vie idéale comme s'il lisait dans mes pensées, je me surprends à imaginer plus. Et si Locke n'était pas un simple flirt destiné à me changer les idées ? Et si mon remède à la solitude c'était lui ? Car dans le tableau qu'il dresse de son dimanche parfait, je le vois, à mes côtés. Je ne m'étais jamais rendu compte jusqu'à présent que je me visualisais toujours seul dans ces moments de plénitude, à quel point ma solitude me poursuivait jusque dans mes rêves de bonheur.

                    Je passe une main dans mes cheveux et j'espère que le geste cache un peu l'expression troublée que je n'arrive pas à maîtriser.

                    Oui, si Locke me connaît déjà si bien, peut-être est-il destiné à vivre à mes côtés. Je pensais ne jamais connaître mieux que Solan, si doux et divertissant à la fois, et je m'étais résigné à ne plus revivre cette communion des corps et des esprits. Locke est complètement différent, c'est une évidence. Et ce qui le rend unique, c'est cette capacité qu'il a à décrire avec une acuité troublante une vie heureuse pour moi. Se pourrait-il que je n'ai pas trouvé seulement un flirt, mais aussi et surtout, la personne qui saurait me combler ?

                    - Pourquoi t’intéresser à moi, Basil ? Pourquoi maintenant ? Je n’ai jamais été digne de ton attention. Dans cette histoire, tu es le prince et je suis le clown. Pourquoi passer ce temps avec moi alors que tu pourrais profiter de ton propre dimanche parfait en toute sérénité ?

                    C'est à mon tour d'être pris au piège. Voilà que le cerf a échappé à la meute de chiens et dirige ses majestueux bois en direction du chasseur. Je pourrais l'abattre de sang froid. Je pourrais lui répondre d'une réplique cinglante qui le blesserait mortellement et j'aurais la paix.

                    Seulement je croyais qu'être protégé des sentiments dans ma tour d'ivoire me donnerait la paix. Locke m'a fait miroité une réalité nouvelle dans laquelle je pourrais les apprivoiser pour enfin ne plus être seul et connaître une nouvelle forme de sérénité.

                    Que lui dire ? Qu'il n'est pas un clown mais le prince lumineux d'un royaume lointain qui pourrait être la clé d'une alliance nouvelle pour mon pays constamment en guerre et sans aucun allié ? Que si mes dimanches paraissent parfaits il n'en est rien et que c'est lui qui détient le pouvoir de les rendre paisibles s'il le souhaite ? Que je m'intéresse à lui ici et maintenant non plus pour flirter sans lendemain mais pour construire quelque chose à deux ?

                    Être sincère... Montrer mes cartes et le laisser contempler crument mon jeu, nu et pauvre. Devrais-je franchir ce cap ? Passer ce col ? Traverser cette isthme ? Je suis un voyageur en haillons, sans défense, et me confronter aux tempêtes violentes dans ce dénuement représente un danger. Suis-je prêt à affronter tous ces risques ? Est-ce que le pays merveilleux qui se trouve par delà les mers et les montagnes en vaut la peine ? Ne suis-je pas sur le point d'être noyé par la vulnérabilité ?

                    - Parce que je suis seul, Locke.

                    La suite reste étranglée dans ma gorge. Seigneur, qu'ai-je fait ? Vite, il faut que je me ressaisisse. Changer le sujet de la conversation. Lui faire penser à autre chose. Oublier cette déclaration sincère si inhabituelle chez moi. De quoi puis-je lui parler ? Les Chimères, bien sûr ! Voilà un sujet assez mystérieux et excitant pour qu'il oublie ce que je viens de dire.

                    - Mais mes états d'âme ne sont pas très intéressants. Dis-moi plutôt, que sais-tu des Chimères ?

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