Alexis se tournait et retournait dans son lit. Le sommeil ne venait pas. Il ne venait jamais ces derniers temps. Alexis fit une dernière tentative et enfonça sa tête dans son oreiller. Peut-être que si elle s’asphyxiait un peu, elle pourrait enfin tomber dans les bras de Morphée ?

Il était évident que ça ne marchait pas. Alexis se replaça sur le dos, le regard fixé sur le plafond. Elle pouvait entendre les respirations régulières des autres personnes présentes dans le dortoir. Comment pouvaient-elles dormir ? Comment pouvaient-elles continuer de vivre normalement ? Alexis avait l’impression d’avoir un trou béant à la place de la poitrine. Elle avait l’impression que son cœur n’était plus qu’un objet de torture. Son estomac était incapable d’ingérer quoique ce soit, se tordant inlassablement dans une position douloureuse.

N’en pouvant plus, Alexis se leva. Elle prit ses nouvelles dagues, celles qui brillaient maintenant d’une couleur dorée, et quitta le baraquement. Elle marcha pendant un long moment, traversant le Camp Jupiter dans toute sa largeur. La douleur ne la quittait pas, faisant même partie d’elle-même. Alors Alexis fit ce qu’elle faisait de mieux : elle s’épuisait jusqu’à ne plus tenir debout. Mais ce n’était pas suffisant. Ce n’était jamais suffisant.

Elle avait essayé de pleurer. Elle s’était mise en boule dans un coin, attendant que les larmes la soulagent temporairement de ce fardeau qu’elle portait dans son cœur. Mais rien ne venait. Ses yeux restaient inlassablement secs pendant que son cœur tambourinait sa chanson macabre. Alors Alexis essayait de se faire du mal, loupant exprès certains coups lors d’entraînements par exemple. Mais la douleur physique, même à son paroxysme, ne faisait qu’effleurer celle qui la brisait de l’intérieur.

Parfois, elle se retrouvait à fixer un point invisible, repensant à tout ce qui avait mené à ce moment, ce moment où elle devait respirer, manger, dormir et continuer sa vie alors qu’Erwin avait disparu. Du jour au lendemain, alors que tout allait bien entre eux, le fils de Poséidon avait disparu, comme les autres. Ce fut à partir de cet instant que la douleur commença. Au début doucement. Puis au fil des heures, elle se fit plus vive, plus vicieuse. Alexis n’arrivait pas à ne pas y penser. Elle revoyait Erwin lui sourire. Elle revoyait Erwin s’entraîner. Elle revoyait Erwin absolument partout. Elle n’avait de répit que les moments où la fatigue avait pitié d’elle et se chargeait de la bercer pendant quelques heures. Puis c’était autour des cauchemars de venir entretenir la flamme torturée qui brûlait dans le cœur d’Alexis.

Lorsqu’Alexis prit conscience d’où elle se trouvait, elle se sentit comme au bout du monde. Enfin, le silence. Au fin fond du Champ de Mars, il n’y avait plus âme qui vive. Alexis ferma les yeux, les genoux tremblants, et prit une grande inspiration. Elle pouvait sentir un grondement sourd qui la rongeait de l’intérieur. Elle avait envie de pleurer, elle priait tous les dieux pour réussir à pleurer, mais son corps lui refusait ostensiblement cette quiétude temporaire.

Alors Alexis fit la seule chose dont elle était capable : elle hurla. Elle hurla à s’en arracher les cordes vocales, à s’en brûler la gorge. Elle hurla alors même qu’elle n’avait plus le souffle. Elle voulait voir le monde se réduire en cendre, elle voulait que tous entendent et ressentent ce qu’elle ressentait. Alors elle hurlait comme s’il n’y avait plus que ça dans ce monde. Autour d’elle, le sol commença à trembler. Des arbres penchaient. Le cri d’Alexis se changea en une arme de guerre, retranscrivant cette douleur insurmontable qui lui écrasait le cœur. Certaines armes volèrent dans tous les sens. Certaines branches ployèrent sous le son insoutenable qui émanait d’Alexis. Les larmes ne venaient toujours pas, alors Alexis continua jusqu’à s’effondrer de douleur. Elle posa la main sur l’une de ses dagues, l’activant pour qu’elle devienne une lame qui plus longue, plus aiguisée, puis l’enfonça dans le sol avec une force qu’elle ne connaissait pas.

Enfin, le silence revint. Alexis n’avait plus de voix. Alexis était fatiguée. Pendant un court instant, elle avait partagé sa douleur avec le monde. Cela n’avait atténué la sienne que pendant quelques secondes, mais c’était suffisant pour qu’elle reprenne conscience des priorités. Elle allait retrouver Erwin même si elle devait défoncer les portes de l’Olympe à mains nues.