Kida courait partout. Elle allait bientôt passer son entretien avec Lupa. Elle allait bientôt devenir une vraie légionnaire, comme sa maman ! Kida était si excitée qu’elle ne tenait plus en place. Dans ces moments où elle devenait intenable, sa mère la laissait se balader librement dans la Nouvelle-Rome. Ainsi, Kida courait partout. Elle arrêtait parfois des gens dans la rue pour savoir comment ils allaient, alors qu’elle ne les connaissait même pas. De temps en temps, elle croisait des gens qu’elle connaissait et elle sautillait partout en leur racontant sa journée. Quand elle voyait des légionnaires, elle les harcelait de questions pour savoir comment ça se passait. Elle savait déjà tout, mais elle voulait être sûre de savoir vraiment tout.

Au bout d’une heure à gesticuler partout, Kida se perdit un peu dans les ruelles qu’elle connaissait moins. À force de détours, Kida se trouva face au lac, la partie qui était dans la Nouvelle-Rome. En voyant qu’elle se trouvait là, Kida afficha une moue boudeuse. Est-ce que ça l’intéressait d’être dans le seul lieu où il n’y avait personne ? Les romains n’aiment pas le lac, ils n’aiment pas l’eau. Kida voulait voir des gens. Ici, il n’y en avait pas. Alors fit demi-tour… juste assez lentement pour voir un reflet du soleil qui attira son attention.

Discrètement, autant que pouvait l’être une enfant, Kida s’approcha d’un coin isolé, à l’ombre. Doucement, une silhouette en apparence inconnue se dessina sous les yeux de Kida. Pendant dix secondes, l’enfant admira silencieusement cette autre personne qui ne l’avait pas vraiment remarqué. Puis, plissant les yeux, Kida reconnut de qui il s’agissait. Margot ! Un grand sourire s’afficha sur le sourire de l’enfant.

« SALUT MARGOT »

Ok, peut-être qu’elle n’aurait pas dû crier. Kida s’approcha davantage et se pencha par-dessus l’épaule de la jeune fille.

« Ohhhhh tu desssines !!! C’est trop beau !!! »

5h07. Le soleil commençait à se réveiller et Margot ne dormait déjà plus pourtant, aujourd’hui allait être un jour normal pour la jeune légionnaire. Elle se leva tout de même, s’habilla, pris ses affaires puis se dirigea au lac de la Nouvelle Rome. Margot marchait vite, comme si elle tentait d’éviter quelqu’un ou quelque chose, sa mère peut-être. Sur le chemin, elle ne rencontra quasiment personne, et tant mieux pour elle car ce n’était pas non plus dans ses habitudes de discuter avec le monde qui l’entourait. C’est alors seule comme chaque jour qu’elle se rendit dans un coin désert qui était devenu son lieu préféré, là où elle se savait bien loin de la réalité.

Une vaste étendue d’eau, voilà à quoi ressemblait le paradis de Margot, c’était comme un ciel sur terre à ses yeux, un endroit pas très fréquenté par les romains en somme. Il n’y avait qu’ici que la fillette pouvait se libérer de ses chaînes et s’exprimer sur papier. A l’aide d’un crayon, elle dessinait tout ce qui lui passait par la tête, un champ, des fleurs, un ciel, des nuages, un soleil, elle n’était qu’une enfant après tout. Dans son petit cahier, elle notait parfois même les moments marquants de sa journée car il était important pour elle de pouvoir s’en remémorer plus tard.

Margot s’était installée sous un arbre, cela faisait presque deux heures qu’elle dessinait et il n’y avait toujours personne au lac. Elle regarda partout autour d’elle pour s’assurer que rien ne pouvait la perturber quand soudainement elle entendit au loin quelqu’un la saluer. Concentrée sur sa nouvelle création, elle ne daigna pas lever la tête mais reconnut cette voix, Kida.

« Ohhhhh tu desssines !!! C’est trop beau !!! »

Kida s’était rapprochée et penchée par-dessus l’épaule de Margot mais elle bougeait énormément, elle semblait trop intéressée et hyper excitée. Margot la regarda un moment, se demandant si elle allait finir par s’asseoir ou non. Elle s’était arrêtée de dessiner par peur de rater son trait à cause de Kida et de ses petits gestes incontrôlables.

« Merci mais… Tu peux t’arrêter quelques minutes s’il te plaît ? »

Margot n’avait pas vraiment d’amis au Camp, elle se contentait pour le moment de s’entraîner et de devenir la meilleure. Sur le coup elle eut peur que Kida se vexe et s’en aille car, même si Margot semble apprécier la solitude, elle avait quand même ce besoin d’être entourée de personnes sur qui compter.

Kida ne pouvait pas s’en empêcher, elle était trop excitée. Elle se balançait de droite à gauche, se retenant de sautiller davantage. Il y avait tellement d’énergie dans son petit corps qu’elle ne savait pas comment l’exploiter. Devait-elle faire un câlin à Margot ? Devait-elle dessiner avec elle ? Elle voulait crier et courir partout. Kida ne tenait pas en place. Elle adorait Margot et elle voulait que le monde entier le sache – mais c’était impossible. Sur l’échelle de la joie, si passer légionnaire était un 10, être avec Margot était au moins un 11 !

Kida tremblait d’énergie quand Margot la salua en retour. Merci mais… Tu peux t’arrêter quelques minutes, s’il plait ? Le contraste entre l’énergie de Kida et la quiétude de Margot était toujours surprenant. C’était à se demander ce que les deux jeunes filles pouvaient se trouver ! À la place de Kida, n’importe qui aurait pu mal le prendre. Mais puisque c’était Margot qui lui demandait, Kida s’arrêta de gesticuler presque immédiatement.

« Ah oui, pardon ! »

Kida s’accroupit à côté de son amie, retenant presque son souffle pour ne plus la déranger. La tempête était retombée, au moins temporairement. Visiblement satisfaite, Margot se remit à dessiner. Pendant presque dix minutes, les deux jeunes filles semblaient immobiles l’une à côté de l’autre, comme si le temps n’avait plus d’impact sur elles. Il n’y avait que Margot, dont la main s’agitait pour dessiner, qui prouvait qu’elles n’étaient pas dans un tableau.

Visiblement satisfaite par son dessin, Margot reposa son crayon. Kida prit ça comme un signe qu’elle avait de nouveau le droit de bouger. Ça tombait bien, elle commençait à avoir mal aux genoux à force d’être accroupie. Elle se laissa tomber sur les fesses à côté de Margot, souriant de toutes ses dents – ou presque – à son amie.

« Tu me fais voir les autres dessins que tu as faits ?? »

Kida savait pertinemment que Margot n’aimait pas trop montrer ses dessins. C’était son petit secret. Kida espérait secrètement qu’un jour Margot lui en donnerait un juste pour elle mais elle n’oserait jamais lui demander directement.

Kida s’était enfin calmée, elle avait pris place à côté de Margot et semblait utiliser toutes ses forces pour se retenir de bouger. Contre toute attente, Margot n’était pas embêtée par la présence de Kida, bien que les deux petites filles aient des caractères différents, cela ne l’empêchait pas d’apprécier la joie et la bonne humeur de celle qu’elle considérait comme son amie. La jeune légionnaire pu terminer son dessin, elle avait passé plus de deux heures à esquisser le paysage et tous ses détails, son paradis. En guise de signature, elle écrivit dans un coin « N’oublie jamais x AT » comme un message pour elle-même, puis elle posa son crayon sur l’herbe et respira un coup. C’était le signe que Kida pouvait se remettre à gesticuler dans tous les sens et crier.

« Tu me fais voir les autres dessins que tu as faits ?? »

Margot n’aimait pas montrer ses dessins mais en réalité, personne ne lui avait demandé avant Kida et cette dernière occupant une place spéciale dans le cœur de Margot, elle acquiesça d’un signe de tête et ouvrit son cahier. Sur la première page on pouvait voir une jolie calligraphie. Margot se souvint du mal qu’elle s’était donnée pour décorer tout autour, elle n’avait eu que quelques heures avant que sa mère ne rentre de sa promenade. D’ailleurs, elle n’avait jamais eu l’occasion de montrer ses dessins à sa mère. A cette pensée, Margot fit la tête, son regard était soudainement devenu plus triste et elle le détourna pour que Kida ne la voit pas faiblir.

Chaque dessin renfermait une note au dos. Ces notes étaient personnelles mais Margot autorisa Kida à les lire si elle le souhaitait. De toute façon, Kida lui posait des questions à chaque page tournée donc il était inévitable d’aborder le sujet. Un des dessins représentait une jument avec son poulain que Margot avait eu la chance de chevaucher. Derrière, il était écrit « Le poulain a beaucoup de chance d’avoir une maman ». En relisant ceci, Margot eut envie de pleurer mais elle ne voulait pas inquiéter Kida. Elle se retint donc de toutes ses forces puis adressa un sourire à son amie.

« Comment tu les trouves mes dessins ? »

Margot ne l’avait pas tout de suite remarqué mais, une larme coulait sur sa joue. Rien qu’une petite goutte d’eau qui n’en pouvait plus d’être enfermée et qui, au même titre que Margot, ne désirait que la liberté.

Margot accepta de montrer ses dessins à Kida, ce qui rendit la concernée folle d’excitation. Elle tenta néanmoins de rester disciplinée et de ne pas sauter partout en s’exaltant à voix haute. Elle resta assise sagement par terre, laissant Margot tourner les pages à son rythme, lui expliquant ce qu’elle avait à lui expliquer. Kida souriait tellement qu’elle en avait mal aux joues. Tout ce que lui montrait Margot était trop joli ! Il y avait de la calligraphie, des paysages, des animaux, parfois des gens. Margot avait vraiment l’œil pour sublimer le réel. Kida avait les yeux remplis d’étoiles tant elle était fascinée.

De temps en temps, Kida posait des questions sur ce que le dessin représentait, sur l’endroit où Margot avait dessiné, etc. Mais la chose qui intéressait le plus Kida, c’étaient les petites notes qu’il y avait partout. Margot semblait toujours écrire des petites phrases de description ou pour se rappeler de l’émotion qu’elle avait ressenti au moment du dessin. Kida aussi voulait écrire plein de trucs ! C’est décidé, à partir d’aujourd’hui, elle écrirait tout le temps des trucs dans son carnet. Elle ne pourrait pas aussi bien dessiner Margot, mais écrire ne demandait pas tant de talent alors ça devrait le faire.

Comment tu les trouves mes dessins ? Kida détacha son regard du carnet à dessin pour regarder Margot qui avait un sourire aux lèvres. Toujours souriante elle-même, Kida allait répondre qu’elle les trouvait absolument géniaux, mais sa phrase restant en suspens. Pour la première fois, l’enfant ne souriait plus en fixant son amie, car son amie avait une larme qui roulait sur sa joue. Kida fit une moue triste et baissa les yeux vers le carnet. Le poulain a beaucoup de chance d’avoir une maman. Sans plus attendre, Kida prit Margot dans ses bras.

L’étreinte dura le temps qu’il fallait. Puis, finalement Kida recula, tenant toujours son amie dans les bras. Il ne fallait pas être Einstein pour savoir que Margot et sa mère n’avait pas une relation parfaite. Kida le savait. Elle savait qu’elle ne devait pas faire des grands coucous à Margot quand elle la croisait dans la rue alors qu’elle était avec sa maman. Elle savait que la maman de Margot n’aimait pas trop sa propre maman. Kida afficha un grand sourire.

« Moi j’ai de la chance d’avoir la meilleure amie du monde. »

Kida fit une pause quelques instants, puis recula un peu plus, lâchant les épaules de Margot. Elle posa de nouveau ses yeux sur le carnet à dessin avec cette petite jument et son bébé. Toujours souriante, Kida regarde nouveau Margot dans les yeux.

« Tes dessins sont trop beaux en plus ! »

Margot pleurait, pour la première fois de sa vie elle le montrait à quelqu’un, mais ce quelqu’un n’était pas n’importe qui. La peur constante d’être jugée et humiliée poussait la gamine à se protéger en se créant une carapace, c’est pourquoi elle n’avait jamais élevé la voix par colère ni rit de toutes ses dents auparavant. Elle vivait en renfermant ses sentiments en elle, sans qu’on la questionne chaque jour sur son état mental. Et même si c’était le cas, on ne lui laisserait pas le choix. Le poids qu’elle portait sur ses épaules était bien trop important et l’empêchait de vivre normalement, comme une petite fille de dix ans.

L’enfant cachait donc ses yeux avec ses mains, essuyant ses larmes comme elle le pouvait, en vain. La tristesse qui avait été nourrie par le manque d’amour et d’affection de sa propre mère avait laissé en elle des cicatrices qu’elle ne pouvait pas soigner seule. Heureusement, il y avait Kida à ses côtés qui, en la voyant fondre en larmes, l’a prit dans ses bras pour la consoler. D’un an sa cadette, Margot adorait Kida et Kida adorait Margot. Toutes les deux étaient pourtant prédestinées à s’opposer, du fait que leurs mamans ou plutôt du fait que la maman de Margot n’avait aucune sympathie pour la maman de Kida. D’ailleurs, Aalana disait toujours à sa fille de ne pas fréquenter « l’ennemie », mais c’est bien connu que lorsqu’on ordonne à un enfant de faire une chose, celui-ci a tendance à faire le contraire de ce qui est demandé.

« Moi j’ai de la chance d’avoir la meilleure amie du monde. » Cette phrase fit sourire Margot, un sourire qui effaça ses larmes comme une gomme effacerait des traits de crayon à papier. Elle était maintenant heureuse, parce qu’elle savait qu’elle était l’amie de quelqu’un et pas n’importe quelle amie mais la meilleure amie de Kida. « Tes dessins sont trop beaux en plus ! » Margot regarda encore une fois son dessin avant de se retourner vers son amie et de s’écraser sur elle pour lui faire un câlin. L’étreinte dura cette fois un peu plus longtemps que la première, mais c’est bien parce que Margot en avait besoin. Elle finit cependant par la relâcher pour la regarder droit dans les yeux et lui dire :

« Moi aussi j’ai de la chance de t’avoir ! »

La jeune légionnaire ne pouvait pas s’empêcher de sourire, elle n’avait désormais plus peur de montrer ses sentiments à son amie et mieux encore, elle ne craignait pas que son amie se moque d’elle, parce qu’elle avait entièrement confiance en elle.

« J’espère qu’on pourra rester ensemble pendant un long moment ! Tu m’oublieras pas après ton entrée dans la légion hein ? »

Kida, toujours souriante, fixait son amie dont le regard passait du dessin à elle. Puis Margot s’écrasa sur Kida pour un nouveau câlin. Trop heureuse, Kida serra Margot dans ses bras le plus longtemps possible. Plus rien n’existait à part son amie. Kida aurait aimé que le monde arrête de tourner, que les gens arrêtent d’exister pour qu’elles ne soient plus que toutes les deux. Peut-être pourraient-elles voyager partout où elles voudraient ? Sans personne pour leur dire quoique ce soit ! Elles pourraient même manger des glaces toute la journée et elles auraient le droit !

Finalement, Margot relâcha l’étreinte. Kida fut heureuse de voir que ses yeux brillaient toujours de quelques larmes mais que plus aucune ne coulait sur les joues de son amie. Rien que pour ça, le bonheur de Kida irradia encore plus à l’intérieur de son corps. Voir son amie heureuse était la plus belle chose du monde ! Moi aussi j’ai de la chance de t’avoir ! Alors que tout portait à croire que le sourire de Kida ne pouvait pas s’étendre davantage, il le fit. Kida avait envie de se lever et de hurler qu’elle était la petite fille la plus heureuse de monde car elle avait la meilleure amie de tout l’univers, mais elle ne le fit pas. Si quelqu’un l’entendait et allait le répéter à Aalana… Brr.

J’espère qu’on pourra rester ensemble pendant un long moment ! Tu m’oublieras pas après ton entrée dans la légion, hein ? Pendant une demi-seconde, le sourire Kida perdit en intensité. Elle fronça les sourcils et posa son doigt sur le nez de Margot.

« T’es bête, je t’oublierai jamais Margot. T’es trop importante. »

Puis un petit rire s’échappa de la bouche de Kida dont le sourire était revenu. Elle laissa retomber sa main le long de son corps.

« J’espère qu’on sera dans la même cohorte comme ça on pourra faire des soirées pyjamas tout le temps ! »

Rien que de s’imaginer partager sa chambre avec Margot faisait briller le regard de Kida. Elle aimait si fort Margot, si fort, si fort. Elle ne s’imaginait pas un seul instant ne pas l’avoir dans sa vie. Et l’idée de pouvoir être amies tous les jours de l’année, sans Aalana pour faire peur derrière, c’était trop trop trop bien !

La petite Margot était heureuse, son sourire s’élargissait à chaque mot prononcé par son amie. Au moment où cette dernière lui dit qu’elle ne l’oublierait jamais, cela lui mis du baume au cœur. Elles avaient toutes les deux grandi à la Nouvelle Rome, séparément car Aalana interdisait toujours sa fille de fréquenter Kida, mais cela ne les empêchait pas de se voir en secret. Depuis qu’elle est légionnaire, Margot n’a plus à écouter sa maman. Le soir après ses entraînements et même tôt le matin, elle file directement au lac – c’était comme si elle ne le quittait jamais – et ne s’abstient pas d’adresser la parole à Kida dès qu’elle la croise. Et maintenant que sa meilleure amie allait aussi entrer dans la légion, Margot avait hâte. Hâte de ne plus rester et attendre seule dans son baraquement, surtout lorsque Kida évoqua l’idée de faire des soirées pyjamas.

« Ouais et je pourrais t’apprendre à dessiner aussi si tu veux ! »

Des étoiles brillaient dans leurs yeux innocents, toutes deux excitées par la pensée de ne plus être séparées, elles oubliaient cependant que rien n’était sûr et que Kida pourrait se retrouver dans une autre cohorte. Mais à ce moment, rien ni personne ne pouvait les arrêter ni détruire le bonheur qu’elles ressentaient. Margot regarda un instant son amie dans les yeux avant de se rasseoir à ses côtés. Dans le plus grand calme, elle prit son cahier, l’ouvrit à la page du dessin fait ce matin pour finalement écrire quelque chose au dos. Puis, elle déchira la feuille pour la donner à son amie. Cette dernière, toute excitée, prit la feuille et la retourna pour lire ce qui y était inscrit :

« Notre amitié vivra aussi longtemps que les étoiles qui brillent la nuit. »

Un petit cri de joie s’échappa de la bouche de Kida qui vint ensuite s’écraser de nouveau sur Margot pour la serrer dans ses bras. Ainsi, les deux enfants restèrent ensemble près du lac et vécurent heureuses jusqu’à la fin de la matinée.