Peu à peu, le son du bal s'évapora derrière Alexis et Erwin. Au fil de leurs pas, le sable effaça la terre humide des bois pour s'infiltrer sous leurs pieds. La plage fut bientôt visible à travers les quelques troncs d'arbres qui osaient encore affronter les embruns salés et le vent piquant. Le cri de quelques mouettes était encore audible, mais le soir tombant envahissait le ciel et la mer. Erwin se sentit soudain particulièrement serein. Il prit la main d'Alexis dans la sienne. Rien ne valait des moments comme celui-ci, où ils étaient seuls pour partager leur tranquilité.

Alexis inspira une grande bouffée d'air marin et laissa la légère brise estivale emmêler ses cheveux. Le masque de sanglier, lui, reposait tranquillement au sol, le groin enfoncé dans le sable. Alexis se détacha d'Erwin pour explorer un peu les alentours avant d'interpeler le jeune homme qui s'était assis dans le sable.

« Hé, viens voir, j'ai trouvé une grotte !

Alexis repris la main d'Erwin et le traîna jusqu'à une grotte dissimulée derrière des lianes. Un grand sourire aux lèvres, elle dégagea l'entrée et invita Erwin à y pénétrer. Alexis commença à murmurer doucement :

« Deux sang-mêlé grec découvrent un lieu secret au beau milieu d'une île. À l'abri des regards, ils mettent le doigt sur- »

Alexis fut alors interrompue au détour d'un virage par deux choses : une faible lumière indiquant la présence d'une torche ou d'une lampe et des souffles rauques. Peut-être étaient-ce des indices suffisant pour faire demi-tour mais Alexis était déjà lancée, sa curiosité prenant le pas sur le reste. Elle fit un pas, puis deux et... fit prestement demi-tour jusqu'à rentrer dans Erwin qui la suivait de trop près.

Erwin suivit Alexis avec l'enthousiasme d'un enfant à qui on propose une merveilleuse aventure. De toutes les activités qu'il avait faites sur l'île, il avait finalement fait bien peu d'exploration en pleine nature. Il se laissa prendre au jeu lorsque la fille d'Arès prit un ton de narratrice pour entamer le conte de leur expédition épique dans une grotte mystérieuse.

"A l'abri des regards, ils mettent le doigt sur-"

A la voix de la sang-mêlé se superposa un autre son. Le temps qu'Erwin identifie le bruit, ses yeux tombèrent sur la même chose que ceux d'Alexis qui venait de le heurter en faisant vivement demi-tour. Le fils de Poseidon sentit ses joues devenir légèrement rouges dans l'obscurité de la grotte et ne se fit pas prier pour suivre la même trajectoire que la demi-déesse. Hors de la grotte, il inspira une bouffée d'air comme s'il était resté en apnée sur le retour.

"Et ils tombèrent sur des fesses un peu trop exposées."

Un silence d'une demi-seconde s'étira entre les deux sang-mêlé avant qu'ils n'éclatent de rire. C'était une situation gênante mais suffisamment improbable pour ça. Erwin saisit la main d'Alexis et l'attira plus loin de cette grotte déjà occupée.

"Finies les bêtises, c'est toi qui me suis maintenant."

Sans trop savoir où il les menait, le demi-dieu se mit à marcher le long de la plage en admirant les reflets rouges du soleil sur les vagues, profitant de la présence d'Alexis à ses côtés. De temps à autre, il lui jetait un regard en coin et admirait les taches de jus que les tomates cerises laissaient sur son menton, et il souriait béatement.

Les images qu’elle venait de voir étaient incrustées dans sa rétine. Elle pouvait revoir sans aucun mal la courbe des fesses de l’albâtre en haut et les hanches pointues de la personne en-dessous. Alexis avait envie de s’arracher les yeux dans l’espoir de ne plus jamais à voir à revivre ça.

« Et ils tombèrent sur des fesses un peu trop exposées. »

Erwin avait l’art de dédramatiser une situation. Alexis se laissa prendre au jeu et éclata de rire en compagnie du fils de Poséidon. Finalement, c’était plus efficace que de la javel. Bientôt les images interdites se dissipèrent et Alexis pu admirer le coucher de soleil qui ondulait sur l’océan.

« Finies les bêtises, c'est toi qui me suis maintenant. »

Alexis se laissait volontiers traîner par Erwin. Une brise caressait sa joue et, instinctivement, Alexis se frotta le visage. Elle découvrit alors des pépins de tomate et elle secoua la tête. Elle frotta l’intégralité de son visage pour être certaine de ne plus rien avoir dessus.

« Je ne sais pas pourquoi je m’obstine à croquer dans des tomates cerises alors que je pourrais juste les engouffrer entières dans ma bouche. »

Alexis essuya sa main tâchée contre son t-shirt, à la fois blasée de son incapacité à manger correctement et envieuse de la elle du passé qui pouvait manger des tomates cerises. Peut-être aurait-elle dû en prendre dans ses poches.

Erwin sourit en écoutant Alexis prendre un ton désespéré pour parler de ses piètres compétences en assassinat de tomates cerises.

"Parce que c'est meilleur quand c'est coupé en deux."

L'argument n'avait rien de scientifique, Erwin n'y croyait même pas lui-même. Mais, pour la fille d'Arès, il voulait bien se mettre à y croire. Il l'attira près de lui, la fourrure de ses épaules lui chatouillant le nez.

"Et puis est-ce que tu serais la même Alexis si tu faisais les choses simplement ? Ne réponds pas, c'est une question piège. Moi, j'aime l'Alexis qui se déguise en sanglier pour fêter la fin de ses vacances, l'Alexis qui m'entraîne pour espionner des gens en plein ébat, et même l'Alexis qui croque dans ses tomates cerises au lieu de les manger en entier."

Leurs regards se croisèrent et s'accrochèrent. Intensément. Erwin glissa un doigt dans les cheveux d'Alexis et entortilla une mèche. Avec elle, le bonheur était simple.

« Et puis est-ce que tu serais la même Alexis si tu faisais les choses simplement ? Ne réponds pas, c'est une question piège. Moi, j'aime l'Alexis qui se déguise en sanglier pour fêter la fin de ses vacances, l'Alexis qui m'entraîne pour espionner des gens en plein ébat, et même l'Alexis qui croque dans ses tomates cerises au lieu de les manger en entier. »

Erwin maîtrisait les mots aussi bien qu’Alexis maîtrisait l’épée. Une douce chaleur enveloppa le corps et le cœur de la sang-mêlé en écoutant le portrait qu’Erwin dressait elle. Une bouffée d’amour lui serra le ventre lorsqu’elle croisa son regard et qu’il prit l’une de ses mèches de cheveux entre les doigts. Tout était simple, tout était limpide. Alexis rayonnait de joie. Elle serra ses doigts entrelacés à ceux d’Erwin et tenta à son tour de mettre des mots sur ses émotions :

« Merci, j’aime aussi le Erwin que tu es, tout aussi toi que tu es. »

Peut-être n’était-ce pas les vers qu’auraient déclamés un enfant d’Apollon mais Alexis fit son plus beau sourire. Elle n’était pas peu fière d’elle. Elle tira sur son bras pour qu’ils s’arrêtent et s’assoient par terre. Là, Alexis posa sa tête sur son épaule et admira les nuances orangées qui dansaient sur les vagues au loin.

« Ton paysage est plus beau que le mien, c’est vrai. »

"Merci, j’aime aussi le Erwin que tu es, tout aussi toi que tu es."

Erwin eut le souvenir d'une Alexis timide, fermée, presque muette. Et ces quelques mots qu'elle pouvait à présent mettre sur ses sentiments étaient le résultat des années passées ensemble, de leur apprivoisement mutuel, de la découverte de l'autre et du confort que c'était de vivre ensemble. Le fils de Poseidon serra Alexis contre lui en guise de merci. Il comprenait ce qu'elle disait.

"Ton paysage est plus beau que le mien, c’est vrai."

Face aux vagues et au soleil rougeâtre, Erwin se tourna vers la fille d'Arès. Un air amusé teinta son visage.

"Tu parles de la mer ? Parce qu'une arène de combat, ça peut être très esthétique aussi, tu sais. D'ailleurs..."

Le demi-dieu se leva et invita Alexis à faire de même. Il l'entraîna jusqu'au pied de hauts rochers qui délimitaient la plage. La falaise n'était pas très haute, mais relativement abrupte. Heureusement, des prises évidentes et suffisamment stables parcouraient toute la paroi.

"De là-haut, on a une vue encore plus impressionnante. C'est pas le chemin que j'ai l'habitude d'emprunter, mais tu veux tenter ? Fais juste gaffe à mon aileron."

En se retournant vers la falaise, Erwin prit soin de ne pas assommer la sang-mêlé avec son costume comme il l'avait fait avec les misérables quiches du buffet. Ç'aurait été bien peu pratique pour escalader.

Alexis écouta Erwin la taquiner en levant les yeux au ciel pour l’effet dramatique. Elle hésita même à lui tirer la langue mais elle se contenta de le fixer en plissant son nez et ses yeux comme un petit chat pas content. Il finit par se relever et lui tendre une main qu’elle saisit sans hésitation.

« De là-haut, on a une vue encore plus impressionnante. C'est pas le chemin que j'ai l'habitude d'emprunter, mais tu veux tenter ? Fais juste gaffe à mon aileron. »

Alexis regarda la falaise qui leur faisait face : les prises étaient faciles, la montée n’avait pas l’air terrible, la fille d’Arès était 100 % partante. Elle hocha la tête avec entrain :

« Très bien mon capitaine, je vais surveiller ton aileron. Je vais laisser ma tête ici, je ne voudrais pas qu’elle s’abime. »

Avec un clin d’oeil, Alexis posa son masque par terre. Elle lui tapota le haut de la « tête » comme s’il s’agissait d’un animal ou d’un enfant qu’elle laissait ici. Sois sage, semblait-elle dire silencieusement avant de se détourner de lui pour faire face aux rochers.

La montée était aisée en soi mais la nuit tombait rapidement et les prises devenaient de plus en plus compliquées à voir. Alexis se prit plusieurs fois l’aileron d’Erwin dans la visage - quant il ne s’agissait pas d’un pied ou d’une main - ce qui la faisait éclater de rire.

Enfin, ils arrivèrent en haut.

L'aisance du départ se transforma bien vite en maladresse, mais la vue d'en haut valait effectivement la peine de grimper. Le soleil était désormais plus qu'à moitié caché par les vagues, mais si sa lumière n'avalait plus la plage, elle était encore visible sous forme de reflets dorés depuis le haut de la falaise. L'air était également plus respirable, moins moite, mais frais. Devant les deux sang-mêlé, aucun n'obstacle ne se dressait. Erwin passa un bras autour des épaules d'Alexis.

"Ca manque de gâteaux. On aurait dû en prendre quelques uns en plus."

Il vit du coin de l'oeil que le regard d'Alexis se tintait d'envie à l'évocation d'un dessert. Mais il faudrait faire sans. Pour compenser, Erwin se pencha vers elle et lui embrassa la joue, puis fit mine de la mordiller deux ou trois fois, se délectant d'entendre la demi-déesse rire en essayant de le faire reculer.

Les derniers rayons du soleil se mélangeaient aux cheveux d’Erwin pour les colorer de miel. Ses yeux, ambres face à l’astre, rayonnaient, étincelants de joie et de bonheur. Il irradiait d’Erwin une telle aura de douceur qu’Alexis n’avait d’yeux que pour lui. Elle aurait aimé se glisser dans sa tête juste pour savoir à quoi il pensait : se délectait-il du paysage ou bien peignait-il le croquis d’une toile dans son esprit ?

« Ça manque de gâteaux. On aurait dû en prendre quelques uns en plus »

Alexis gloussa et porta son attention sur le paysage. Un dessert aurait été le bienvenu, certes, mais la présence d’Erwin l’était bien plus. Il se pencha en avant et commença à la taquiner, mordillant ses joues pendant qu’elle le repoussait mollement entre deux rires.

« Pfff, t’aurais tout fait tomber de toute façon ! »

Alexis se vengea à son tour en essayant de le chatouiller jusqu'à qu'ils finissent par tomber tous les deux - au sol, pas de la falaise - en riant.