Le plan était simple. Enfouir ses pieds dans le sable chaud et bouquiner jusqu’à la nuit tombée. Le plan était parfait. Pourtant, à peine affalé, une dispute éclata. D’abord indifférent, le brun finit la mâchoire serrée. Tel un voyage dans le passé, il avait la sensation d’être de retour dans la maison Haynes. Face aux attentes, aux reproches, aux avis. C’était désagréable.

Clayton était prêt à plier bagage, ennuyé, quand la familiarité d’une voix le percuta. Mais déjà, la chevelure bleue disparaissait dans les bois.

Et maintenant, Clayton regardait une boule recroquevillée contre un arbre, en étant pied nu et en short dans les bois. Voir sa Centurion aussi désemparée était… particulier. Dérangeant. Clayton était certain d'être au ange s'il apercevait autre chose que de la neutralité venant d'Ava. Mais non. Pas comme ça, après une dispute familiale. Ça l’embêtait. Son plan était ruiné. Autant rester. Même si une petite voix lui affirmait qu'Ava allait le massacrer. Se donnant une contenance, Clayton enfouit ses mains dans ses poches, avant d'avancer vers elle. Que disait-on après avoir surpris une telle conversation ? La vérité ?

“C’est, hmm, une sacré connasse ta mère.”

Clayton.
Évidemment qu’il était là à ce moment. Ava avait l’irrépressible envie de lui arracher les yeux. Elle n’avait pas force de faire comme si tout allait bien, elle n’avait pas la force de faire la conversation ; mais avait-elle envie de paraitre aussi vulnérable face à quique ce soit ? Clayton qui de plus est. Ce n’était pas le légionnaire le plus fiable qui existait. Qui lui disait qu’il n’allait pas répandre la rumeur ou s’en servir comme épée de Damoclès ? Ava soupira et releva la tête.

« Tu me stalkes ? »

Le visage était entre indifférence et fatigue. Fatigue de lutter perpétuellement contre elle-même, contre le monde, contre la vie. Sa voix était entre deux aussi : mi-amusée, cherchant une blague pour effacer ce dont Clayton avait été témoin, mi-sérieuse sur sa présence quasiment quotidienne à ses côtés.

“Aujourd’hui ? Non.”

Clayton haussa une épaule, imitant maladroitement son indifférence. Un sourire en coin trahissait son amusement. Quelle drôle de question. Il ne stalker pas. Ici. Ce n’était pas nécessaire : retrouver Ava sur cette île était un jeu d’enfant par rapport au Camp. Pensif, il étudia un instant son visage. D’une neutralité à pleurer. Quoique peut-être fatigué. Ou agacée de le voir. C’était difficile à dire. Clayton voyait sa tentative de noyer le poisson aussi clairement qu’un phare en pleine nuit. Lui donnant l’irrépressible envie d’appuyer sur ce sujet.

“Alors ? Ça lui arrive souvent de craquer en public ou c’est exceptionnel ?”

Son ton était léger et sincèrement intrigué. Clayton était accroupi non loin d’elle, ses doigts jouant avec des brins d’herbes.

Clayton était bien des choses. Amusant, créatif, confiant, déterminé... mais surtout têtu. La tentative d'Ava pour changer de sujet dura à peu près deux secondes avant que le légionnaire ne décide de retourner à la conversation qui l'intéressait. Ava soupira lourdement et continua de fixer droit devant elle, ignorant le jeune homme accroupi près d'elle. Sa voix était froide et distante lorsqu'elle lui répondit :

« Je ne sais pas, Clayton. Peut-être que oui. Peut-être que non. Peut-être que- »

Ava se tut. Peut-être qu'elle a le seum parce que j'ai fugué. Ava garda le silence, loin d'avoir envie de sortir les violons pour raconter sa relation catastrophique avec sa mère.

« « Peut-être qu'elle n'a pas pris ses cachets ce matin, qui sait. »

Ava paraissait happée par ses souvenirs, lointaine et proche à la fois. Clayton se contenta d’écouter silencieusement. Cette dernière phrase lui fit lever un sourcil. S’asseyant en tailleur, sa tête venant se lover contre sa main, le brun posait son regard intrigué sur le profil de la jeune femme. Elle regardait loin devant elle, posant son regard sur tout sauf lui. Clayton n’était pas de ceux à être intimidé par un sujet sensible ou personnel. De toute façon, le brun savait d’expérience qu’Ava l’enverrait paître si ses questions intrusives finissaient par l’agacer.

“Elle est malade ?”

Pas que cela changerait quelque chose. Clayton avait déjà un avis sur cette bonne femme vociférant sur la plage, ruinant son magnifique plan d’après-midi paisible. Ce n’était pas une opinion positive.

Ava regarda du coin de l'œil Clayton qui la fixait avec... curiosité ? Elle ne comprenait pas très bien pourquoi il était là. Pour assouvir son besoin de ragot ? Ça ne lui ressemblait pas spécialement. Pour lui changer les idées ? Ça ne lui ressemblait pas non plus. Clayton naviguait dans le monde en suivant sa propre boussole.

« Je ne sais pas. Je lui ai jamais demandé. »

Cette conversation ne faisait aucun sens mais Ava y trouvait presque du réconfort. Au moins, cela lui donnait une nouvelle vision sur les événements et cela lui permettait de s'en détacher. Elle avait l'impression de parler de personnages d'un film et non pas de sa propre vie.

« Pourquoi tu me poses toutes ces questions, Clayton ? »

Clayton haussa une épaule en souriant. Lui-même l’ignorer. Sa ligne de conduite était de faire ce qu’il désirait, ne lui donnant pas souvent l’occasion de se justifier. Ava-May était son obsession. Découvrir d’autres aspects - comme aujourd’hui - l’intéresser. C’était assez pour expliquer tout le reste à ses yeux.

“Je ne sais pas. Tu m’intrigues. J’ai besoin d’une raison, Ava ?”

Ava paraissait plus détendue. D’accord, Clayton n’en avait aucune idée parce que le visage de sa Centurion était aussi expressif qu’un mur. Elle n’était presque plus roulée en boule contre un arbre, cela pouvait compter comme détendue. Le brun écouta un instant leurs respirations, les piaillements des oiseaux et le fracas des vagues au loin.

“On va se baigner ?”

« Je ne sais pas. Tu m’intrigues. J’ai besoin d’une raison, Ava ? »

Clayton répondit avec un sérieux qui fit frissonner Ava. Elle ne savait pas encore si elle appréciait ou pas quand sa voix prenait ces intonations là et elle le fixa pendant de longues secondes pour essayer de se décider. Hélas, son indécision resta totale et Ava fini par détourner le regard sans rien répondre.

« On va se baigner ? »

Ava fronça légèrement les sourcils. Clayton avait retrouvé son flegme habituel, son détachement naturel, sa voix normale. Ava décida de chasser ses questionnements ridicules en acceptant la proposition du légionnaire. Elle se redressa et tendit sa main à Clayton comme s'il avait besoin d'elle pour se relever.

« Fort bien, je te suis, Haynes. »