Il était une fois, il y a très longtemps, un royaume. Celui-ci était dirigé depuis des générations par une famille qui, au début, n’était partie de rien et avait bâti sa richesse à la sueur de son front. Avec le temps, la famille sans nom était devenue reine de cette contrée et elle revendiqua bientôt plus que ses propres terres afin de créer un royaume digne de ce nom. Pour cela, en plus de quelques villages gagnés de façon peu pacifique, le nouveau Royaume décida de s’attaquer à une partie de la Forêt Enchantée qui s’étendait par de-là l’horizon, afin d’en calmer la richesse arboricole. Tout d’abord, afin de justifier de telles actes, la Forêt perdit petit à petit son nom enchanteur pour devenir les Bois Hantés. Des troupes s’y aventurèrent alors pour pacifier les lieux et réussirent à réclamer quelques hectares pour eux, ignorant tout des us et coutumes des peuples qui y vivaient pourtant pacifiquement. Ce peuple se retrouvant alors contraint à s’éloigner des abords du Royaume, cédant leurs terres au nom d’une guerre qu’il n’avait pas commencé.

Des siècles plus tard, alors que le Royaume continuait de prospérer, les cendres des Peuples chassés de leur territoire étaient ignorées, oubliées. Les descendants de ces peuples vivaient cachés de tous, marqués par une malédiction propre à celle des perdants : soit ils revendiquaient leurs racines et se voyaient chasser comme leurs ancêtres, soit ils vivaient dans le silence en espérant ne plus jamais croiser de chevalier. Pour autant, les Bois Hantés continuaient de jouir d’une mauvaise réputation. Rares étaient ceux qui osaient s’y aventurer au-delà des limites du Royaume, et peu en revenaient lorsqu’ils osaient. « Sorcières », « malédiction », « sacrifices » : ces mots étaient sur les lèvres de tous les habitants du Royaume, comme si les peuples qui y vivaient n’avaient pas été naguère ceux qu’on allait voir pour connaître son futur, guérir son enfant ou tout simplement se reposer.

À ce jour, le Royaume connaissait une ère de Paix grâce au roi Posé qui voulait faire oublier les guerres et ravages qu’avait causé le règne de sa mère, ainsi que la période de deuil et de tristesse qui avait suivi le décès de sa jeune femme, une dizaine d’année plus tôt. Le Prince Ervin, unique héritier de cette union furtive, était chéri de tous. Charmant, docile, sa vie était toute tracée : il serait un roi bon, juste et aimé de son peuple. Il était de ceux qui privilégiaient l’humain avant le rang et il n’était pas rare qu’on le voie plus proche de roturiers que des nobles – au grand damne de ces derniers. Il possédait d’ailleurs des relations étroites avec trois en particulier :

» Avamay la Rouge, une jeune femme qui avait croisé sa route quelques années plus tôt alors qu’il était en quête avec son écuyer et qui lui avait sauvé la vie. Son surnom lui vient de sa réputation plutôt violente lorsqu’il s’agit du Prince envers qui elle voue une loyauté son borne.

» André, son écuyer et meilleur ami, avec qui certaines mauvaises langues prête une relation plus qu’amicale.

» Alexis, sa fiancée, future Reine du Royaume, à laquelle il a choisi de se marier malgré les coutumes qui l’auraient voulu lié à une noble. Cet acte de rébellion envers la tradition lui a valu de frôler la guerre avec certains nobles mais les tensions ont été apaisées par le Roi Posée qui aurait promis la main de ses futurs petits-enfants à de nobles.

Au-delà de toutes les apparences, de tous les faux-semblants, et malgré les cendres sur lesquels se sont bâtis le Royaume, le Prince Ervin semble déterminer à oublier le passé et créer un futur différent. Y arrivera-t-il ?

« Qu’est-ce que tu fiches ici, toi ? »

Leur rapport n’avait jamais été au beau fixe. Ava n’aurait pas pu expliquer pourquoi, mais Alexis lui semblait louche. Comment avait-elle séduit le Prince Ervin aussi rapidement ? Elle n’était pas particulièrement belle, ni particulièrement intelligente. Ses vêtements n’étaient ni soyeux, ni pouilleux. Somme toute, Alexis était tout à fait banal au point qu’elle aurait dû être invisible aux yeux de tous. Et pourtant.

« Je pourrais te poser la même question. »

Évidemment, l’heure n’était pas aux accusations mais plutôt à la discrétion puisqu’elles se trouvaient toutes les deux enfermées dans une armoire alors qu’elles n’auraient pas dû être là. Évidemment, Ava pourrait justifier qu’elle s’était réfugiée ici lorsqu’elle avait entendu Alexis venir et qu’Alexis, contrairement à elle, n’avait rien à faire dans la chambre du Prince et qu’Ava voulait donc l’espionner pour avoir une preuve de sa mauvaise foi auprès de la Cour. Néanmoins, puisque le Prince était à son tour arrivé, Alexis s’était à son réfugiée à son tour dans le placard et s’était alors retrouvée bien à l’étroit contre la Chevalière qui la fusillait du regard.

La bienséance aurait voulu qu’Ava s’extirpe de l’armoire pour dénoncer la fiancée du Prince, mais ce dernier n’était pas venu seul dans cette chambre mais avec André, son valet. Sortir de sa cachette maintenant frôlerait l’indécence puisque les deux jeunes hommes n’étaient pas là pour jouer aux cartes. La demi-heure durant laquelle Ava dû rester silencieuse, collée à une Alexis plus que suspicieuse, fut une véritable séance de torture. Le tout ponctué de gémissements dont l’une comme l’autre se serait bien passée.

***

Il y avait définitivement quelque chose de louche chez Alexis et Ava était bien décidée à découvrir quoi. Elle passa donc de longues semaines à effectuer des recherches sur cette fiancée mystère, écumant les registres et autre paperasse dans l’espoir d’en savoir plus sur elle. Tout ça pour n’en apprendre que très peu. Chaque mur qui se dressait face à Ava ne faisait qu’augmenter la rage et la haine qu’elle ressentait pour Alexis. Qui était cette gueuse, par tous les dieux ?!

La seule information qu’Ava réussi à obtenir après moult et moult recherches fut le nom de sa mère, une certaine Nima, qui aurait déjà été proche du Roi d’une façon ou d’une autre, mais incapable d’en savoir davantage puisque tout restait flou, comme si toute l’histoire d’Alexis n’était qu’un mirage, une illusion inaccessible.

***

« Tu ne trouves pas ça étrange que son histoire ne remonte pas plus loin que sa mère ? Et qu’elle vive seule avec sa grand-mère qui est origine d’un des villages frontaliers avec les Bois Hantés ? »

Ervin se frotta les tempes de sa main libre et porta son vin à ses lèvres avec l’autre.

« Avamay, ton obsession envers Alexis est à la fois étrange et plutôt déconvenue. Je sais que tu ne veux que mon bien alors écoute seulement ce que j’ai à te dire : je l’aime et je l’épouserai envers et contre tous. Choisi ton camp, mais de grâce, faites qu’il soit le mien. »

Ava serra les dents et s’inclina. « Bien, mon Prince. »

Les rumeurs disaient que rien n’avait prédestiné Alexis à être la future Reine du Royaume, mais les rumeurs étaient fausses. Alexis était née et avait grandi dans ce simple but : celui de régner. Sa mère avait été la première concubine du Roi avant qu’il ne décide de prendre pour épouse une femme de plus haut rang et qu’il ne l’abandonne, enceinte. Alexis n’avait alors jamais rencontré sa jeune mère qui mourut en couche en la mettant au monde. Élevée alors par sa grand-mère, Alexis découvrit que son peuple descendait de peuple de la Forêt Enchantée et que, bien que sa mère ait voulu rompre ce lien, sa grand-mère, elle, ne l’avait pas oublié. Elle éleva Alexis dans les traditions ancestrales, lui apprenant le combat furtif, la création de potion et les croyances de son peuple. Lorsqu’elle fut en âge d’entrer en action, elle charma le Prince Ervin en partie grâce à sa personnalité, mais surtout grâce à une potion qu’elle avait mis des années à concocter. Petit à petit, réduisant les doses qu’elle lui donnait, Ervin s’attacha de lui-même à Alexis, sans se rendre compte que la base de leur relation était biaisée. Pour autant, Ervin n’était pas sot : s’il avait choisi Alexis comme épouse, c’était aussi car elle lui permettait de vivre pleinement sa relation avec André, sans aucun jugement. Il lui avait fallu plusieurs mois pour que le Prince s’ouvre à elle, mais elle en savait maintenant trop pour la laisser partir.

Pour autant, une ombre s’était dressée au tableau : Avamay. La chevalière n’était pas dupe et était déterminée à découvrir les secrets d’Alexis. Il en avait fallu de peu lorsqu’elle était tombée sur son certificat de naissance mais celui-ci avait été truqué au préalable par sa grand-mère, indiquant une date de naissance ultérieure à celle du Prince Ervin. Pourtant, faire face à un mur n’était pas un obstacle pour Avamay qui s’obstinait à écouter son instinct. Alexis n’était pas sotte : tenter de dresser la chevalière contre le prince ne mènerait à rien, mais Alexis ne baissait pas les bras pour autant, encensant son ennemie en public tout en enquêtant sur elle en secret. Elle avait tenté une fois de trouver des indices sur les origines de la chevalière en fouillant dans la chambre du Prince mais ce dernier était arrivé à son tour et les deux femmes s’étaient retrouvées nez-à-nez cachées dans un placard pendant qu’Ervin s’entretenait tout personnellement avec son écuyer. L’incident n’avait été mentionné auprès de personne et Alexis avait décidé de redoubler de prudence.

Changeant de stratégie, Alexis décida de cultiver un intérêt pour la littérature auprès du Prince qui lui offrit alors l’accès à la bibliothèque du Château, là-même où se trouvaient également les archives. Puisqu’Avamay avait cultivé le mystère elle-même autour de l’absence d’information sur les aïeux d’Alexis, cette dernière avoua timidement au Prince qu’elle aussi était curieuse sur ses origines et on lui ouvrit également l’accès aux archives, au grand damne d’Avamay qui ne pouvait cacher sa fureur en l’apprenant. Alexis se rendit plusieurs fois dans la bibliothèque et dans les archives, en sachant pertinemment que la Chevalière la suivait une fois sur deux. À quelques reprises, Alexis s’amusa de la situation en choisissant un livre qu’elle cachait honteusement en comprenant qu’elle était suivie. Lorsqu’Avamay accourait pour regarder le livre en question, elle se retrouvait souvent face à un conte niais et ridicule, ou un registre sur les animaux domestiques. Sauf une fois où Alexis, dans la précipitation, se retrouva bien malgré à elle lire une romance dont l’indécence la fit rougir. Cependant, personne ne fut aussi rouge qu’Avamay lorsqu’elle comprit le livre qu’elle avait à son tour dans les mains.

Pendant les quelques semaines qui suivirent cet incident, Alexis put naviguer librement dans les archives et trouva des informations qui, à défaut de pouvoir être utilisé contre Avamay dans l’immédiat, s’avéraient très intéressantes pour la suite.

Il était une fois un Royaume prospère en apparence mais dont la lutte de pouvoir ne cessait de grandir. D’un côté, le Roi Posée et son fils Ervin qui, aimés de leur peuple, cachaient des secrets qui pourraient ruiner leur réputation. Alors que l’un avait cautionné l’empoisonnement d’une femme enceinte pour cacher la grossesse qu’elle couvait ; l’autre trompait sa fiancée avec son écuyer sans aucune honte ni remise en question. De l’autre côté, des peuples de sorciers et sorcières assoiffés de vengeance mais trop disparates pour s’allier et mener une véritable attaque de front. Pour autant, l’une d’entre elle avait réussi à faire pénétrer sa descendance au cœur de la cour – et par deux fois ! La première, malheureusement, conduisit à la mort de sa chère fille. Mais la seconde, sa petite fille, celle qu’elle avait réussi à sauver d’une mort orchestrée, avait nourri assez de colère et de haine pour commettre l’irréparable.

Lorsque la mort prématurée du Roi Posée fit sonner le glas de deuil sur le Royaume, tous étaient choqués. Tout le monde pleurait cette terrible perte tout en félicitant l’arrivée au pouvoir du jeune Prince Ervin. Personne n’aurait pu prévoir une si triste passation de pouvoir. Personne, sauf celle qui avait conduit à ce résultat : la future Reine Alexis et sa dextérité pour le poison et les sortilèges. Évidemment, aucune âme décente n’aurait pu accuser la jeune femme d’un tel acte et sa montée au trône imminente était saluée par tout le monde. Tout le monde sauf Avamay, la Protectrice du Roi, qui était sûre et certaine qu’Alexis était un danger pour le Royaume et pour le trône.

Alors un soir, elle vint à ma rencontre.

Peu de gens savent où me trouver. Seulement les plus désespérés et les plus enragés. La grand-mère d’Alexis, par exemple, le soir où elle avait retrouvé sa fille mourante, qui allait perdre son enfant en même temps que sa vie. Seule moi ai pu sauver l’enfante en échange d’une faveur que je n’avais pas encore réclamée. Le feu Roi Posée avait lui aussi un jour passé la porte de ma demeure, réclamant le poison qui allait le sauver d’une grossesse non-désirée et lui promettre un mariage bien plus facile à porter. Lui avait déjà payé sa dette lorsque sa femme, apprenant la vérité, se jeta du haut d’une tour du château.

Avamay, ce soir-là, n’eut aucun mal à me trouver tant la fureur et la rancœur l’habitait. Lorsqu’elle passa ma porte, comme tant d’autres avant elle, sa haine l’enveloppait comme une seconde peau.

« Je veux sauver mon peuple. Je veux qu’Alexis ne soit plus une menace pour les miens. Je ne veux pas sa mort, mais je ne veux pas qu’elle devienne Reine aux côtés du Roi Ervin. Il ne faut pas que ça arrive. »

Avamay repartit avec une toute petite fiole. Je ne lui parlais pas de contrepartie. Après tout, on m’avait toujours appris à être généreuse avec mon Peuple, même lorsque celui-ci ignorait ses propres origines. Elle s’en rendrait compte par elle-même en temps venu.

Ava tenait la fiole fermement dans ses mains, sachant pertinemment ce qu’elle avait à faire. Elle rejoignit Alexis dans les archives, là où la jeune femme passait la plupart de ses soirées, et l’invita à boire un verre en signe de paix.

« Notre rivalité fait parti de notre quotidien mais je dois avouer que j’ai fini par m’attacher à toi. »

Alexis fit ce petit rire discret, celui qui donnait envie à Ava de lui la gifler tant il l’horripilait.

« Je ne t’ai jamais considéré comme une rivale, Avamay. Je suis heureuse que tu partages un semblant d’affection à mon égard. »

Encore une fois, ce petit sourire angélique. Ava fulminait mais elle masquait sa colère derrière un sourire qu’elle souhaitait sincère. Puis elle servit deux verres du vin dans lequel elle avait versé le contenu de la fiole quelques heures plus tôt avant de reboucher la bouteille comme si de rien n’était. Les deux jeunes femmes trinquèrent et Ava but la première avant d’être suivi par une Alexis qui mimait la politesse alors qu’elle devait être en train de vérifier que ce n’était pas empoisonné.

La soirée passa et, petit à petit, Ava se détendit. Son plan allait marcher, Alexis ne serait bientôt plus dans sa vie, alors elle pouvait s’autoriser un bon moment en compagnie de sa pire ennemie. Les verres s’enchaînèrent et bientôt, une réelle complicité naquit entre les deux femmes. Avamay oublia cette histoire de fiole, buvant le rire d’Alexis comme s’il s’agissait du meilleur vin qu’elle ait goûté.

Le reste de la soirée se déroula sans qu’Ava n’en garde beaucoup de souvenirs. Elles avaient fini par quitter la bibliothèque et avaient croisé Ervin, cachant sans mal leur hilarité. Puis, comme si elles avaient été amies toute leur vie, elles continuèrent à bavarder jusqu’à tard dans la nuit, alors même que la lune était haut dans le ciel.

Et elles recommencèrent. Encore. Et encore. Ava ne comprenait pas vraiment ce qu’il se passait, mais elle éprouvait une réelle affection envers Alexis et nourrissait une véritable hâte à l’idée de la retrouver lors de leurs soirées ensemble alors qu’elle détestait de plus en plus le temps qu’Alexis passait avec Ervin. Que faisaient-ils ensemble ? Préparaient-ils leur mariage ? Attendraient-ils le mariage ? La raison poussait Ava à se rappeler qu’Ervin préférait la compagnie d’André mais elle savait que ses préférences ne s’arrêtaient pas seulement à lui. L’idée de ce qu’il pouvait se passer lorsqu’elle n'était pas avec eux lui tordait l’estomac et la maintenait éveillée plus longtemps qu’elle ne l’aurait voulu.

Ava ne songea qu’une seule fois à cette nuit où elle avait versé la fiole dans la première bouteille qu’elles avaient partagé, respectant les consignes de la Sorcière qui disaient qu’il leur fallait partager le contenu de la fiole ensemble. Ava n’y songea qu’une fois et s’endormit paisiblement à l’idée que la fiole n’avait pas fonctionné et que tout allait bien.

Le soir d’après, toute trace de potion avait disparu de son esprit car celui-ci était maintenant occupé à revivre le baiser qu’elle venait d’échanger avec Alexis en guise de bonne nuit. Le goût de ses lèvres sur les siennes, son souffle contre sa bouche, ses doigts sur ses joues.

Peut-être était-ce indécent, mais l’était-ce plus que les nuits que passait Ervin avec André depuis des années ?

Les journées d’Alexis connaissaient la même routine : elle préparait son mariage aux côtés du roi Ervin tout en maintenant le masque de Reine idéale qu’elle portait depuis le début de leurs fiançailles. Tout ce pourquoi elle avait été élevée se déroulait sans accro. La mort du roi au moment où Ervin devenait la figure royale préférée du Royaume, l’empoisonnement progressif mais régulier du roi Posée, la mort lente mais consciente qu’il vécut lorsqu’elle vint se glisser à ses côtés pour lui raconter son passé et son futur.

« Je tuerai ton fils comme tu as tué ma mère. Je prendrai ma place en tant que Reine légitime pendant que tu rejoindras les Enfers qui t’attendent. »

Pour autant, malgré la routine confortable de ses journées, Alexis connaissait des nuits beaucoup plus surprenantes en compagnie d’Avamay. Alors qu’elle s’attendait chaque jour à se faire poignarder dans le dos par sa pire ennemie, Alexis se laissait surprendre par les attentions que la chevalière avait à son égard, allant même jusqu’à souhaiter que le soleil ne lève jamais pour faire durer encore plus les moments qu’elles passaient ensemble.

Des repas devinrent des soirées, et des soirées devinrent des nuits. Dès l’instant où la limite interdite du baiser avait été franchi, les deux jeunes femmes entamèrent une relation qui, si elle était découverte, les ferait toutes les deux tuer. Malgré tout, et peut-être à cause de ce danger, elles se noyaient dans le plaisir dès qu’elles le pouvaient. Au début, ce n’était que les soirs. Puis parfois, ça dérapait la journée également. Alexis loupa même quelques occasions pour préparer son mariage auprès du Roi et dû se faire violence pour ralentir ses rencontres avec Ava.

« Nous… nous ne devrions pas continuer comme ça. Ce ne… ce ne serait pas… Ce n’est pas correct. »

Le cœur d’Alexis se déchirait à chaque syllabe qui sortait de sa bouche mais Ava se tenait droite et hocha la tête, comprenant tout à fait que la passion qui les animait allaient les mener à la perte du royaume. Pendant près d’un mois, les deux jeunes femmes tinrent leur engagement. Alexis pensa naïvement que cette rupture calmerait les battements de son cœur mais ceux-ci continuaient de n’exister que pour Ava. Chaque jour qu’elle la voyait, Alexis voulait s’enivrer de son odeur. Chaque fois qu’elle croisait son regard, elle se revoyait, elles deux, dans son lit. Le goût de sa langue ne la quittait jamais, comme s’il était maintenant inscrit dans son corps.

Un soir, alors qu’Alexis se perdait dans les méandres de son imagination en pensant à Ava, celle-lui cogna à sa porte.

« Dis-moi un seul mot, un seul et je m’en vais. Je quitte ce royaume. Je déserte mon poste et m’enfuis loin de tout ça. Un seul mot, et tu ne me reverras jamais. Mais si tu tiens à moi, ne serait-ce qu’un peu, retiens-moi. Ne me laisse pas partir.
– Alors, reste. »

Ce ne fut qu’un murmure qui se glissa hors des lèvres d’Alexis mais elle ne prononçait ses mots que pour Ava. Elle et uniquement elle.

« Alors je resterai. Je te prête serment, Reine Alexis. Pour aujourd’hui et pour toujours. »

Le mariage se déroula sans accro. Ervin épousa Alexis qui devint la première Reine roturière du royaume pour le grand plaisir du peuple. Les deux époux passèrent un mois loin du château, laissant sa gestion au Conseil pour faire leur lune de miel. Malheureusement, lors de leur retour, Ervin était malade. Selon le médecin royal, il avait attrapé un petit rhume dans les montagnes mais rien qui n’allait empêcher au Roi de faire son travail. Et en effet, pendant plusieurs mois, le couple royal prouva leur volonté d’avancer ensemble et de faire prospérer le royaume. Malheureusement, le roi Ervin n’allait pas mieux et ce rhume ne le quittait jamais. Par moment, la fièvre était si forte qu’Alexis se présentait seule pour les tâches royales. Petit à petit, le royaume s’habitua à sa seule présence. Lorsqu’Ervin mourut, personne n’en fut surpris mais tout le monde pleura la mort de leur roi. La reine Alexis porta le voile du deuil pendant si longtemps que même la noblesse n’osa porter de couleur durant tout ce temps.

Petit à petit, la routine repris au royaume. La désertion d’Avamay choqua quelques semaines. Le suicide d’André aussi. Mais sommes toute, le peuple cherchait surtout un sujet de conversation. La reine Alexis n’était pas du genre à faire de scandale et le sujet d’un remariage était tout simplement banni. Tout le monde voyait en Alexis et Ervin des âmes sœurs que la tragédie avait séparé et personne n’osait parler d’alliance politique quand le cœur de leur Reine semblait ne jamais vouloir guérir.

Quant à savoir le fin mot de l’histoire, celle qui vous intéresse tous : Alexis a bel et bien réussi sa vengeance. Ervin aurait dû mourir lors de leur lune de miel mais elle fut surprise par Avamay, le poignard à quelques centimètres de la peau du roi. Ce fut Avamay qui proposa le poison, plus discret. Ne pouvant supporter le fardeau de ce mensonge et de cette trahison, la chevalière avait fini par déserter et était partie sur les traces de ses origines. Alexis, lorsqu’elle avait effectué des recherches sur Avamay, avait appris certaines choses sur son passé et avait initié le voyage de la chevalière. C’est ainsi qu’Avamay se découvrit descendante de mon peuple. Lorsqu’elle revint me voir, elle me questionna surtout sur la fiole.

« Elle était vide, lui avouai-je. Il fallait mettre de côté vos différends et comprendre que vous étiez dans le même camp. Une fois votre rivalité éteinte, vous avez pu embrasser une cause commune. Maintenant, rentre chez toi. Ce n’est pas un soir à traîner dans les rues du Royaume. »

Et en effet, ce soir-là, assise sur son trône, Alexis pu regarder son royaume se faire décimer. Les peuples des Bois Hantés avaient enfin trouvé une leader en sa grand-mère et une grande bataille avait alors commencé. Alexis, réduisant le budget de l’armée en même temps que les taxes des habitants, avait rendu inutile les défenses du royaume. Le lendemain matin, tout n’était que sang et cendre. Alexis songea à se laisser mourir ici, sur son trône. Après tout, sa vengeance avait été accomplie et elle n’avait maintenant plus aucun but dans la vie. Sa grand-mère, une fois le royaume renversé, n’avait pas songé à venir récupérer sa petite-fille, songeant peut-être qu’elle était morte dans l’assaut ou qu’elle la rejoindrait par elle-même.

« Bonjour, ma Reine. »

Alexis détourna le regard des cendres et le porta sur Avamay qui se tenait à quelques pas d’elle.
Peut-être pourrait-elle avoir un nouveau but dans la vie, après tout.