« Tu n’as vraiment aucun goût, amore mio.
– Tu peux parler. »

Les voix étouffées parvenaient jusqu’à Alexis qui, contrairement aux personnes derrière la porte, était immobile, la main suspendue au-dessus de la poignée. Depuis combien de temps attendait-elle ce moment ? Des mois, des années. L’angoisse s’enroulait autour de son estomac comme un serpent prêt à l’engloutir dans son sommeil.

Inspiration.
Expiration.

« À moins que tu aies une technologie plus avancée que les autres, je crois que pour ouvrir une porte, il faut appuyer sur la poignée. »

Alexis tourna légèrement la tête sur la droite et la silhouette d’Erwin se découpa dans le couloir silencieux du bâtiment Athéna. Un sourire amusé s’était étiré sur les lèvres du fils de Poséidon qui s’approcha d’Alexis et colla son ventre contre son dos, son souffle chatouillant son oreille.

« Un cactus ? Pourquoi t’as pris un cactus ?
– Je sais pas, j’aime bien les plantes et je me suis dis qu’un cactus ça irait bien avec elle… Tu crois qu’elle va pas aimer ?
– Elle va adorer. »

Les voix d’Elin et Ana se faisaient à peine entendre mais le silence presque religieux qui entourait Erwin et Alexis leur permettait d’entendre presque distinctement leur conversation.

« Tu verrais ma mère. Elle a refait quatre fois la déco sans que j’ai mon mot à dire. J’ai même eu le droit à un eucalyptus sans que j’en comprenne la raison. »

Alexis pouffa de rire. Elle n’avait encore jamais rencontré Iris mais elle l’avait aperçue au détour d’un bâtiment. Il n’avait fallu qu’un seul coup d’œil pour qu’Alexis comprenne d’où venait le caractère d’Erwin. Les dieux avaient peut-être de l’ichor dans les veines, les humains et leur ADN restaient plus fort qu’eux.

« On pourra les faire se rencontrer. Peut-être qu’ils seront contents de voyager d’un appartement à l’autre.
– Hmm, je lui demanderai. Je sais pas si la garde partagée plaira à Eucali mais je reviendrais vers toi quand j’aurai eu une conversation avec elle. D’ailleurs, je vais y aller pour voir si ma mère ne l’a pas remplacé par une nouvelle plante. »

Les lèvres d’Erwin caressèrent d’un baiser discret la joue d’Alexis avant qu’elle ne lui offre sa bouche. Un baiser rapide mais qui rassura Alexis. Après tout ce qu’elle avait vécu, un premier appartement ne pouvait pas être une épreuve si terrible, non ?

Erwin s’en alla et Alexis reporta son attention sur la porte. Elle qui avait affronté les plus terribles des monstres n’allait pas fuir devant une porte non ? Et puis, elle n’était pas seule. Ana, Elin, Erwin. Tous étaient là pour elle. Malgré la crainte de faire ce nouveau pas dans sa vie, Alexis pouvait aussi sentir l’envie d’aller vers l’avant. Elle voulait trouver elle-même la place de ce cactus dans cet appartement.

Résolue, Alexis ouvrit la porte et ses mères arrêtèrent immédiatement leurs chamailleries pour regarder leur fille. Elle qui gardait tant de choses en elle, elle qui avait affronté des dangers dont elles ne pouvaient qu’imaginer les conséquences, elles qui continuaient d’aimer leur fille plus que tout le reste. Elles n’avaient pas hésité une seule seconde pour arrêter tout ce qu’elles faisaient et venir à Long Island dès l’instant où Alexis les avait appelées pour leur raconter cette histoire de Nouvelle-Athènes et d’appartement. Elles avaient passé deux jours à dormir dans cet appartement pendant qu’Alexis faisait ses adieux à la Colonie et à se battre pour savoir comment décorer le nouveau lieu de vie de leur fille sans qu’elle se sente exclue.

La première fois qu’Alexis était venue dans cet appartement, elle s’était sentie aussi gênée qu’excitée. Ce lieu fade et sans vie était à elle ! Mais elle ne savait pas comment aborder ce nouvel endroit, elle qui n’avait connue que les bungalows, les baraquements et les campements à l’arrache lors de quête. Maintenant, elle allait avoir un lieu à elle, pour elle, rien qu’à elle, et aucun danger aux alentours. Ce tournant brusque dans sa vie l’avait, évidemment, fait faire une crise d’angoisse. Mais aujourd’hui, elle se sentait prête.

Aujourd’hui, alors qu’elle découvrait ce nouvel appartement avec son regard neuf, elle fut soulagée de voir que ses mères n’avaient fait que des changements minimes. Elle pouvait apercevoir deux ou trois cadres photos qui trônaient maintenant sur certains meubles ; un plaid qui décorait le canapé ; un poster géant d’une actrice qu’Alexis aimait quand elle était petite et qu’Ana avait conservé pendant tout ce temps. Il y avait aussi de la vaisselle et quelques courses faites pour pouvoir vivre une semaine sans problème. Et puis, surtout, il y avait le cactus. Des larmes vinrent chatouiller les cils d’Alexis qui ne savait plus comment contenir tout cet amour qu’elle éprouvait pour sa famille.

« Oh, älskling, ne pleure pas, sinon va toutes pleurer et on a oublié d’acheter des mouchoirs. »

Elin, dont les yeux étaient déjà remplis de larmes, s’approcha de sa fille pour la serrer dans ses bras. Elles restèrent un moment comme ça, toutes les deux, pendant qu’Ana fouillait dans tous les sacs pour trouver des mouchoirs avant d’abandonner pour les rejoindre. Il fallu bien quelques minutes avant que les trois femmes se décollent les unes des autres.

« Merci pour tout.
– Tout le plaisir est pour nous, tu sais.
– On sera toujours là pour toi, tu le sais bien. »

Un sourire sincère illumina le visage d’Alexis.
Evidemment qu’elle savait.

Puis ses yeux se posèrent sur la table basse où le petit cactus trôna.

« J’adore. »