Les mots d’Ava déclenchèrent immédiatement le mode professeur de Trevor. Comme s’il avait attendu toute sa vie cette question de sa camarade, il se pencha en avant et commença à trier les différentes feuilles qui se trouvaient devant eux. Les yeux d’Ava suivaient méticuleusement chacun des mouvements du Centurion, espérant ingérer le savoir par le regard mais sans comprendre ce qu’il faisait avant qu’il ne se mette à l’expliquer de lui-même :

« Alors, en vrai c’est pas si compliqué. »

Et ce qui suivi la suite de son monologue, hélas, le fut.

« Sur cette feuille, il y a toutes les obligations de chaque légionnaire. Là, on a la liste des impératifs de base, et juste en dessous les spécificités de ceux qui auraient par exemple des corvées en plus ou des dispenses. J’ai gardé des squelettes de planning des centurions précédents et je les modifie en suivant les impératifs de cette liste. Ça va jusque-là ? »

Ava cligna lentement des yeux à plusieurs reprises. Trevor expliquait bien, sa méthode semblait claire, mais dès qu’Ava songeait à l’utiliser elle, les éléments clés des explications disparaissaient comme par magie. Elle prit alors les feuilles dans ses mains et tenta de déchiffrer les informations qu’elle voyait. Petit à petit, à force de froncer les sourcils face à l’amas d’information, elle fini par comprendre quelques similitudes et à entrevoir comment Trevor fonctionnait.

Le silence s’éternisa entre les deux Centurions lorsqu’Ava songea à utiliser elle-même la méthode. Elle se vit en train de se perdre dans les noms, les corvées – il y en avait tant que ça ? – et autres informations sur les légionnaires qui l’avaient élue à contre-cœur. Comment Trevor faisait-il pour faire tout ça ? Frustrée, Ava reposa les feuilles sur la table devant eux et rentra les épaules, honteuse de son incapacité à être une bonne Centurion – tant bien même elle avait décidé de l’être il y a à peine deux minutes trente.

« Je… suis pas certaine de pouvoir retenir tout ça. J’ai l’impression que je vais tout oublier dès demain. J’arrive déjà pas à retenir le nom de tout le monde, alors les spécialités… Et puis, c’est pas faute d’avoir souvent été punie, je savais pas qu’il y avait autant de corvées. Qu’est-ce qu’il faut faire de mal pour devoir récupérer à la brosse à dent les bains ? Ça a l’air horrible. »

Le désespoir se lisait sur le visage de l’ancienne Légionnaire. Elle avait l’impression d’être propulsée dans un master d’administratif alors qu’elle avait passé sa vie à sécher les cours d’éducation romaine. Elle découvrait des spécialités et des obligations. Par exemple, elle n’était même pas au courant que certains faisaient des journées à l’infirmerie ! Ça expliquait aussi pourquoi elle ne voyait pas toutes les têtes présentes aux entraînements parfois…

Ava avait l’impression que son cerveau se mettait à chauffer alors qu’elle se revoyait, désintéressée qu’elle l’était, regarder son planning pour savoir où aller chaque jour. Elle n’avait jamais pris la peine de réfléchir à l’organisation derrière ou à toutes les choses qu’elle ne faisait pas mais que les autres faisaient. Désemparée, l’ancienne Légionnaire se perdit au fin fond du canapé, les bras ballants.

« Je vais jamais retenir tout ça. »

Un long silence s’étira entre les deux Centurions alors qu’Ava ruminait son incapacité à remplir son poste correctement. Elle avait l’impression que tous les gens qui avaient rempli ce rôle avant elle se tenaient au-dessus de ces feuilles pour lui murmurer qu’elle devait abandonner car elle n’était pas faite pour ça. Pour autant, lorsqu’elle leva les yeux vers Trevor, dans un ultime désespoir, elle n’y vit aucune déception. Seulement des yeux pétillants avant que le Centurion ne se lève brusquement.

« Ne bouge surtout pas ! Je reviens très vite. »

Et une enjambée de table plus tard, Trevor avait disparu. Ava pencha la tête sur le côté jusqu’à voir sa silhouette s’effacer dans un couloir, puis reporta son attention sur le tas de papier. Comme s’il s’agissait d’un animal apeuré, Ava approcha doucement sa main des feuilles et les pris délicatement entre ses doigts. Là, à l’abris des regards, Ava s’y replongea à nouveau. Les mots dansaient sous ses yeux et certains commençaient à faire sens. D’autres, en revanche, échappaient au cerveau d’Ava comme de l’eau filant entre ses mains.

Des bruits de pas rapides indiquèrent le retour de Trevor et Ava reposa les feuilles au moment où le Centurion apparu de nouveau dans son champ de vision, tout aussi bondissant qu’il était. Où avait-il été pour revenir aussi essoufflé ? Ava avait toujours cru que les Centurions étaient censés briller par leur niveau sportif indécent mais l’état actuel de Trevor indiquait que la Cinquième Cohorte allait définitivement faire tache aux prochains jeux.

« Tiens ! Comme ça tu pourras noter tout ce que tu as peur d’oublier. Il m’a bien servi, surtout qu’écrire ça aide déjà en partie à retenir. »

Les yeux d’Ava brillèrent d’une lueur qu’il était rare de voir dans ses yeux. Un carnet ! Trevor ne pouvait pas le savoir mais l’amour d’Ava pour les feuilles de papier ne datait pas d’hier. Pour autant, elle qui était plutôt habituée à écrire ses émois n’avait pas pensé un seul instant à se servir de son amour de l’écriture pour s’aider à retenir l’amas d’information. Trevor faisait définitivement parti des génies du Camp Jupiter.

Délicatement, Ava se saisit du carnet. Un large sourire barra son visage et elle s’empressa de se saisir d’un crayon qui traînait sur la table pour griffonner quelques informations qu’elle avait retenu avant que celles-ci ne disparaissent à jamais de son cerveau. Puis elle tourna son regard vers Trevor, son corps baigné dans une douce chaleur qu’elle n’avait que rarement connu.

« Merci. »

Ava eut soudainement l’irrépressible envie de prendre Trevor dans ses bras, comme si ce « Merci » ne pouvait traduire toute la reconnaissance qu’elle éprouvait à son égard. Merci de m’accepter, merci de me guider, merci de m’apprendre, merci, merci, merci. Elle ne fit néanmoins aucun geste envers son Centurion et se contenta de serrer un peu plus fort son carnet.

« La leçon peut continuer, je suis prête à avaler toutes les informations que tu me donneras. »