Alors que l’orchestre entamait sa troisième danse et que les invités s’avançaient lentement vers la piste de danse, Kida pénétra enfin dans la salle. Son entrée retardée, bien que discrète, lui valut quelques regards désapprobateurs. Néanmoins, la jeune femme se contenta de leur répondre en souriant, ce qui apaisa le peu de tension présent. Kida avait l’art et la manière d’offenser et de se faire pardonner, le tout dans la même seconde. Après un rapide tour de salle, Kida s’accouda au bar où elle commanda distraitement. Le barman, sûrement plus intéressé par son décollecté que par le reste, ne fit même pas attention quand elle le paya avec un faux billet. Après tout, il n’y avait pas que son sourire ravageur qui l’avait fait rentrer illégalement sur le sol américain, alors un avantage de plus ou de moins obtenu grâce à son corps…

Sirotant lentement son martini, Kida laissa courir ses yeux dans la salle. L’endroit où elle était assise n’avait pas été choisi au hasard. Il avait été méticuleusement analysé durant des semaines pour être sûr qu’il offre une vue parfaite sur l’ensemble des convives. Ainsi, alors qu’elle semblait juste être une jeune femme à la recherche d’un beau mâle à charmer – ce qui ne tardait pas à venir tout seul –, la Kida pouvait tranquillement observer les autres. Il n’y avait qu’une seule personne qui l’intéressait ce soir, et le blond qui lui racontait sa vie avait beau avoir un sourire charmant, il n’avait pas un centième de ce qui intéressait Kida à ce moment.

La quatrième danse s’enchaîna rapidement alors que des serveurs glissaient entre les invités pour servir des petits apéritifs. Kida fit semblant d’en prendre quelques-uns, mais ils ne rencontrèrent jamais ses lèvres. Qui sait ce qu’ils avaient mis là-dedans ? Simulant un rire stupide et des yeux de biche au brun qui s’était avancé pour lui faire la cour, Kida ne détachait pas pour autant son regard des autres. Elle n’attendait qu’une seule personne pour se défaire de ce rôle et en enfiler un autre. En attendant, sa robe dorée faisait le travail pour elle. Kida n’avait aucune chance de se faire démasquer tant elle avait l’air dans son élément, tant elle était à l’aise dans cette ambiance.

Finalement, une crinière de feu fit son apparition au loin. Quelques instants plus tard, un homme d’une cinquantaine d’années apparu à son tour, l’air plus ragaillardi que jamais. Kida dû se faire violence pour ne pas laisser un sourire amusé sur ses lèvres et reporta son attention sur le brun… Oh, ce n’était plus le même que tout à l’heure. Un rire plus tard, et l’homme se sentait pousser des ailes. Comme il était facile de leur faire croire n’importe quoi. Il suffisait d’un battement de cil et ils avaient l’impression d’être les rois du monde. Alors que clairement, même pour des américains, ils ne valaient pas grand-chose.

La cinquième danse commença sur des notes un peu plus vigoureuses, invitant les jeunes couples à entamer une parade nuptiale des plus grotesques. Évidemment, Kida se laissa porter par son cavalier du moment qui entama un rockabilly pour le moins démodé mais tout à fait facile à suivre. À moins que ce ne soit de nouveau à la mode ? Les américains passaient beaucoup trop de temps sur des temps-libres inutiles, ce qui causerait sûrement leur perte à la longue…

Très rapidement, Kida prit congé de la piste de danse, prétextant sa faiblesse physique. Les hommes, visiblement amusé par cette attitude typiquement du sexe faible la laissèrent partir sans demander leur reste. Si seulement ils savaient qu’elle aurait pu les émasculer en un claquement de doigt, ils feraient sûrement moins les malins… Ravalant cette vague d’égo, Kida se dirigea de nouveau vers sa place sur le bar… qui était évidement occupée par la jeune femme à la crinière de feu. Encore une fois, Kida dû se faire violence pour ne pas sourire. Elle s’installa aux côtés de l’inconnue et, quand leur regard se croisèrent, lui fit son plus beau sourire.

« Vous êtes la fameuse hôtesse de cette soirée, n’est-ce pas ? »

Kida laissa le rouge venir lui monter aux joues et détourna le regard, visiblement intimidée par cette présence, puis s’empressa de rajouter :

« Enfin, je ne veux pas paraître trop impolie, excusez-moi… Je suis Emilia, je suis encore peu familière avec cette ville, mais j’ai tellement entendu parler de vous… »

En regardant la salle ainsi décorée et remplie de diplomates et autres personnes de la haute société, Raemilia se dit qu’elle pouvait être reconnaissante à l’état de financer une grande partie de ses soirées. En plus de lui permettre d’étendre petit à petit sa renommée, elle pouvait ainsi maximiser ses chances d’attirer les fourmis rouges dans son piège. Cette soirée en particulier n’avait qu’une seule cible : un haut fonctionnaire travaillant régulièrement en collaboration étroite avec l’équipe présidentielle et suspecté d’être un traître à sa patrie. Un homme, donc une cible facile, bien entendu. Ce serait vite réglé et elle pourrait sans aucun doute profiter du reste de la soirée.

La première danse, Rae la passa à se faire désirer par sa cible. Elle ne bougeait pas de son endroit favori, assise au bar, mais le fixait avec une intensité rare à chaque fois qu’il passait près d’elle, faisant virevolter une fille ou deux. Bien entendu, il l’avait remarqué. Propriétaire de l’immeuble à la chevelure rousse et à la garde-robe tape-à-l'œil, Rae avait largement de quoi attirer l’attention. Avant qu’une deuxième danse ne commence, l’homme était venu s’asseoir à ses côtés pour discuter avec elle. Rien d’intéressant, la discussion habituelle. Il pensait avoir une chance avec elle parce qu’il était un homme et qu’il avait de l’argent. En l’occurrence, il avait effectivement une chance avec elle. Pour une toute autre raison.

Quelques minutes de discussion plus tard et une danse avortée, Rae l’avait entraîné dans les toilettes réservées au personnel. Ils n’y seraient pas dérangés. Bien entendu, il ne pensait qu’à ce qui allait suivre et ne se méfia pas le moins du monde, persuadé d’avoir mis le grappin sur une femme riche mais visiblement docile. Une naïveté bienvenue. Quelques secondes plus tard, son pantalon se retrouvait au sol et Rae lui faisait passer le meilleur moment de sa journée. Peut-être même de sa vie, à voir son physique. Tout en faisant glisser ses mains tout le long du corps de l’homme, Rae repéra le carnet d’adresse qui se trouvait dans la poche de sa veste et le fit glisser subtilement jusqu’à ce qu’il se retrouve dans la cabine voisine.  

Encore quelques courtes minutes supplémentaires puis Rae était déjà sortie des toilettes. L’homme avait clairement été satisfait pour la soirée mais elle restait terriblement sur sa faim, comme elle pouvait s’y attendre venant d’un énergumène de son genre. Enfin. Elle trouverait bien le moyen de se changer les idées au fil de la soirée. Sa mission était une réussite et il ne lui restait plus qu’à profiter. Pour trouver une nouvelle occupation de taille, Rae se rendit à nouveau au bar, à son endroit préféré duquel elle pouvait voir tout le reste de la salle. Et tout le reste de la salle pouvait la voir.

Les convives semblaient s’amuser. Rae n’en attendait pas moins. Elle reconnaissait la plupart des invités : quelques habitués qui étaient là tous les soirs, quelques autres qui ne revenaient que pour les grandes soirées, quelques membres de la sécurité habillés en civil pour gérer les possibles débordement et de nombreuses personnes importantes. Les autres n’étaient pas vraiment dignes d’intérêts. Puis elle distingua finalement une silhouette familière. Une silhouette qui la suivait depuis un certain temps maintenant et dont la vue savait toujours donner le sourire à Rae. La plupart du temps, cette femme tentait d’être discrète. Elle changeait de voiture pour la suivre. De vêtements aussi. Parfois, elle allait même jusqu’à se déguiser pour s’approcher de Rae. Quelques jours plus tôt, elle était d’ailleurs venue repérer les lieux. La chose la plus amusante, selon Rae, était que cette femme était très douée. Ce devait être une espionne de talent. Si seulement elle n’avait pas un physique aussi reconnaissable, attirant désespérément le regard de Rae.

Parce qu’elle adorait ce petit jeu, Rae l’avait laissé continuer. De toutes façons, elle était bien la seule à l’avoir remarquée. Ses employeurs au gouvernement disaient qu’elle était paranoïaque. Un jour, Rae aurait bien la preuve qu’elle était suivie par une espionne rivale. Sûrement une russe, bien qu’elle n’en eût pas le physique. Seulement, pour avoir cette preuve, il fallait aussi qu’elle se laisse approcher et qu’elle joue le jeu.  

Fort heureusement, ce soir était possiblement le grand soir. L’intrigante inconnue semblait se diriger vers Rae. Rae détourna le regard, l’air de rien, la laissant venir à sa rencontre. Dieu merci, elle s’assit à la place juste à côté, cela allait grandement faciliter les choses. Rae tourna la tête dans sa direction et leurs regards se croisèrent. Oh, quel sourire. Vous êtes la fameuse hôtesse de cette soirée, n’est-ce pas ? Ce fut au tour de Rae de sourire. Tandis que l’inconnue semblait intimidée, Rae se montra plus confiante encore. Jouait-elle la comédie, ou était-elle vraiment timide face à la grandeur d’une femme aussi importante que Raemilia ? Sûrement un peu des deux.

Enfin, je ne veux pas paraître trop impolie, excusez-moi… Je suis Emilia, je suis encore peu familière avec cette ville, mais j’ai tellement entendu parler de vous… Emilia. Encore une fois, était-ce volontaire, ou une erreur faite à cause du trac ? Raemilia ne put que sourire d’avantage, puisque se mettre à rire aurait pu faire comprendre à Emilia que Rae savait pour son mensonge.  

“Eh bien, Emilia, on a déjà presque un nom en commun, alors si tu as besoin d’aide, tu peux toujours me demander. Comme tu dois déjà le savoir, il y a peu de gens qui en savent autant que moi sur cette ville. J’espère que tu n’as entendu que des bonnes choses à mon sujet.”

D’un signe de la main au serveur, Rae commanda deux boissons. Les mêmes que celles qu’elles avaient toutes les deux prises. Il n’y avait pas de raison qu’il ne s’en souvienne pas, les serveurs employés par Raemilia étaient triés sur le volet, même si celui-ci était relativement nouveau.

“Tu es à New-York pour le business ou pour le plaisir ?”

Rae se régalait d’avance du prochain mensonge que pourrait lui concocter Emilia. Pourtant, elle ne pouvait pas lui montrer trop d’intérêt alors qu’elles venaient seulement de se rencontrer officiellement. Le regard de Rae se porta donc sur l’autre bout du bar, où un jeune homme dans la vingtaine la fixait ardemment. Un peu trop jeune à son goût, mais il ferait une bonne diversion. Rae lui envoya un clin d’œil et demanda aussi au serveur de lui remplir son verre. Dans quelques minutes, il aurait sûrement enfin rassemblé assez de courage pour demander une danse à Rae, danse qu’elle se ferait un plaisir d’accepter pour laisser mariner Emilia quelques temps.

« Eh bien, Emilia, on a déjà presque un nom en commun, alors si tu as besoin d’aide, tu peux toujours me demander. Comme tu dois déjà le savoir, il y a peu de gens qui en savent autant que moi sur cette ville. J’espère que tu n’as entendu que des bonnes choses à mon sujet. »

Kida, jouant la carte de la naïveté et de l’innocence, se contenta de hocher la tête en souriant. Évidemment qu’elle n’avait entendu que de bonnes choses sur la grande Raemilia Adamson. Une espionne de renom, agent double au sein même de son gouvernement. Peu de gens étaient au courant de ce double-jeu, les autres se contentant de la prendre pour une simple poupée ayant eu juste assez de chance pour hériter ses propriétés de son feu-père. En vérité, la place de Raemilia au sein du gouvernement était si précieuse qu’elle seule possédait certaines informations confidentielles… Et l’Union cherchait justement à mettre la main sur ces informations.

« Tu es à New-York pour le business ou pour le plaisir ? »

Demanda Raemilia après avoir ordonné à un serveur de leur apporter les mêmes boissons qu’avant. Un coup d’œil de la part de Kida suffit à la rassurer : le barman était toujours le même et Kida avait entièrement confiance en lui pour ne pas mettre de poison dans son martini. Lorsque le serveur revint avec les boissons, Raemilia était déjà en train de faire remplir le verre d’une tierce personne au loin, un jeune homme d’une banalité déconcertante mais qui n’allait pas tarder à venir les déranger.

« Le plaisir avant tout. »

Kida se permis même un petit clin d’œil à Raemilia alors même qu’un homme s’approcha d’elles. Kida, portant la boisson à ses lèvres, lui fit un sourire plus que charmeur et détourna complètement son attention de Raemilia pour accueillir le nouveau venu de la meilleure façon qu’il soit. Kida, ayant revêtit un autre rôle, rougissante sous les compliments de l’homme, le fit partir après de banals échanges de politesse. Elle n’était pas encore assez à l’aise avec la mondanité pour se laisser amadouer par le premier venu…

Kida voulu reporter son attention sur la rouquine mais celle-ci était déjà partie sur la piste de danse avec le jeune homme de tout à l’heure. Ravalant un juron, Kida décida de ne pas se laisser abattre. Ce n’était pas comme si elle s’attendait à de la facilité avec Raemilia… Elle avait toute la nuit pour atteindre son objectif ; elle n’était attendu nulle part d’autre.

***

Kida était en pleine conversation avec une jeune femme blonde, en apparence plutôt banale, mais dont certains détails trahissaient une grande beauté. Des grains de beauté soulignaient un regard pénétrant, lui-même tacheté d’éclats noisette. La conversation entre les deux jeunes femmes battait leur plein alors qu’une énième danse était lancée. Kida ne pouvait s’empêcher de rire, parfois trop fort, dès que la jolie blonde racontait une anecdote croustillante. Pour une Emilia qui venait d’arriver sur New-York, la rencontre fortuite avec cette Française tombait à point nommé.

« Vous lui avez vraiment dit ça ? J’aimerais avoir votre audace, un jour ! »

La jeune française explosa de nouveau de rire avant de boire de nouveau dans son verre. Ses joues rouges trahissaient facilement l’alcool qui lui était monté à la tête, et ce malgré tous les petits canapés qu’elle avait engloutis. Pendant ce temps, le verre de Kida était resté immanquablement plein.

« Je pourrais vous apprendre deux ou trois trucs, si vous insistez tant que ça… »

La jeune femme s’était tellement rapprochée de Kida, que cette dernière pouvait sentir l’alcool lui chatouiller les narines. Visiblement, la française ne parlait pas du tout de fiscalité et encore moins de réparti. Un sourire audacieux aux lèvres, Kida se rapprocha à son tour de la belle jeune femme… qui recula brusquement, un sourire aux lèvres.

« Rae ! Te voilà ! Je te présente Emilia ! Emi, je te présente Raemilia ! »

Trouvant la situation amusante, la jeune femme explosa de rire. Kidaria leva alors les yeux vers la rouquine, toujours aussi élégante, qui s’était joint à elles.

« Comme on se retrouve ! »

Lança-t-elle avec amusement et surprise, comme si elle n’avait pas choisi expressément l’une des amantes fréquentes de Raemilia comme invitée de choix pour faire la conversation…

Emilia était distraite lorsque Rae se fit aborder par l’homme qu’elle avait repéré, ce qui rendait sa petite fuite d’autant plus amusante. Voir le regard d’Emilia se porter sur la place vide de Rae, détourner le visage avant de se faire repérer. La simple pensée de l’avoir frustrée mettait Rae de bonne humeur pour danser quelques minutes avec un inconnu. Quelques minutes qui avaient été un peu trop longues, visiblement, puisqu’elle perdu de vue sa proie pour ce soir.

Il lui fallut faire un tour rapide de la salle avant de finalement la retrouver, en train de batifoler avec une autre jeune femme. Non, pas une autre jeune femme. Marise. Oh, la coïncidence était bien trop amusante pour en être réellement une. Emilia devait bien avoir fait ses devoirs, pour savoir exactement qui approcher pour frustrer Rae, qui lâcha un petit rire nerveux avant de reprendre ses esprits et de marcher en direction des deux jeunes femmes. Elles étaient si proches lorsqu’elle arriva que Marise reculât brusquement avant de faire des présentations inutiles. Son sourire montrait bien qu’elle n’était pas vraiment honteuse et après tout, elle n’avait pas à l’être.

“Eh bien, Emi ! Tu as vraiment un don pour t’approcher des bonnes personnes.”

En s’approchant, Rae se saisit du menton de Marise pour embrasser sa pommette, là où les grains de beauté s’arrêtaient. C’était à la fois une manière de marquer son territoire et un simple acte d’affection qu’elle répétait assez régulièrement. Marise avait ce je-ne-sais-quoi de si puissant, si attirant. Rae pourrait difficilement s’en passer. Pourtant, ce n’était pas elle qui l’intéressait réellement ce soir, mais Emilia.

“Alors, mesdames, comment trouvez-vous ma petite soirée ? Emi, c’est assez plaisant à ton goût ? J’ai peur que le reste de ton séjour à New-York ne te paraisse bien fade, après ce soir.”

Si elles s’en tenaient à cette pièce, cette fête, ce ne serait pas nécessairement vrai. Rae avait beau avoir énormément de moyens et lancer de somptueuses soirées, il y avait de nombreux autres moyens de s’amuser à New-York. Mais si tout se passait comme Rae le souhaitait, elles ne resteraient pas bloquées dans cette salle. La soirée ne faisait que commencer.

« Eh bien Emi, tu as vraiment un don pour t’approcher des bonnes personnes ! »

Kida fit un grand sourire, glissant son regard de Marise à Raemilia avec une assurance provocatrice. Elle savait pertinemment qu’elle s’approchait des bonnes personnes, c’était tout le but de son personnage. En réponse à la rouquine, Kida gloussa discrètement et porta son verre d’alcool à ses lèvres pour y boire une petite gorgée. La russe ne lâchait pas des yeux sa proie qui s’approchait délicatement de Marise pour y déposer un baiser plein de douceur. Puis, elle reposa son verre au moment où Raemilia décida de les rejoindre pour quelques instants, s’asseyant à leur table, aux côtés de son amie et en face de Kida.

« Alors, mesdames, comment trouvez-vous ma petite soirée ? Emi, c’est assez plaisant à ton goût ? J’ai peur que le reste de ton séjour à New-York ne te paraisse bien fade, après ce soir. »

Le sourire qui s’afficha sur le visage de Kida était dégoulinant de provocation et de séduction. Elle laissa courir son regard en direction de Marise qui continuait de boire discrètement et lui fit un clin d’œil. Le rouge vint revêtir alors les joues de la jolie blonde, et Kida reposa son regard sur Raemilia, satisfaite.

« C’est sûr que si la soirée continue comme ça, tout semblera bien fade. En tout cas, on peut dire que je suis pour l’instant comblée. Hâte de voir la suite des événements… »

Un sourcil relevé, un demi-sourire, Kida jouait parfaitement le rôle de la provocation. Toute son attitude semblait être dirigée vers Marise qui gloussait à côté, le rouge aux joues. Et pourtant, Kida savait très bien qu’elle ne parlait pas du tout de Marise. Elle fixait Raemilia droit dans les yeux, attendant une ouverture quelconque. Et elle savait qu’elle l’aurait.

La musique changea de nouveau de Marise leva brusquement. Elle attrapa Kida par le bras et la supplia du regard en lui expliquant que c’était sa musique préférée et qu’elle devait l’accompagner sur la piste de dance. Quel genre de personne mal-élevée aurait été Kida si elle avait refusé ? Elle glissa sensuellement ses mains sur le bras de Marise et la laissa la traîner sur la piste de danse.

« Alors tu viens ? »

Demanda-t-elle en penchant la tête sur le côté, jouant pendant quelques secondes le rôle d’une enfant naïve en plantant son regard de braise dans celui de Raemilia. Puis Marise, trop impatiente, tira une nouvelle fois sur le bras de Kida qui détacha ses yeux de ceux de la rouquine.

Emilia avait une assurance et un sourire tels qu’elle semblait plus lumineuse que les projecteurs de la salle. Son sourire en lui-même éclipsa presque entièrement la présence de Marise, qui était prise au milieu d’un combat mortel et sensuel sans même s’en rendre compte. Elle n’avait de toutes façons d’yeux que pour Emilia en l’instant présent. Rae trouva cela aussi vexant que compréhensible mais s’assura de n’en laisser rien paraître.  

Comme pour prouver que Marise avait fait son choix pour la soirée, elle se leva d’un coup en entendant le changement de musique en prenant Emi par le bras, qui, non contente de se laisser faire, joua dans son jeu en se glissant sensuellement à elle. Quel culot. Rae adorait ça, tant chez l’une que chez l’autre. Aussi, quand Emilia l’invita à venir, elle fut incapable de refuser. Son regard magnétique semblait l’attirer irrévocablement en direction de la piste de danse et avant même d’avoir réellement pris une décision, ses jambes étaient déjà en route.

Sans prendre le temps de se sentir de trop entre ces deux jeunes femmes qui avaient vraisemblablement décidé de se séduire, Rae prit la décision de recentrer l’attention sur elle-même. D’un pas, elle se plaça entre les deux femmes qui s’étaient écartées dans un pas de danse, avant d’entamer sa propre chorégraphie. Elle faisait virevolter sa robe rouge dont les bords pailletés captaient la lumière pour faire briller Rae de mille feux. Visiblement, Marise avait enfin dirigé son attention vers elle et Rae en profita pour lui rappeler la raison de leur relation, lui prenant la main pour l’entraîner dans une danse sulfureuse.  

Finalement, elle laissa Marise tournoyer plus loin lorsqu’elle attrapa la main d’Emi. Sa peau était chaude et douce, bien que sa poigne trahît une certaine condition physique qui n’était pas évidente, à regarder ce corps. Ce fut au tour d’Emi de tourner autour de Rae, qui l’entraînait dans sa danse, tandis que Marise reprenait parfois sa place. Les trois femmes semblaient échanger leurs positions encore et encore, comme si chacune était désireuse de prendre la place centrale. La pauvre Marise fatigua, certainement à cause de tout l’alcool qu’elle eut ingéré et elle fut raccompagnée à une place assise par les deux jeunes femmes lorsque la chanson fut terminée.

Le regard de Marise, une fois assise, restait irrévocablement attiré par Emilia. Acceptant sa défaite pour cette fois, Rae la laissa s’asseoir avec elle, restant debout.

“Mesdames, cette danse était fantastique, mais je ne voudrais pas m’imposer plus longtemps. Emi, si jamais Marise ne se sent pas apte à rentrer chez elle, n’hésite pas à venir me voir, je libèrerai une chambre à l’étage.”

Rae laissa son regard planer quelques secondes de plus sur Emilia avant de se détourner. Malgré le jeu évident que semblait jouer Emi, Rae ne voulait pas se donner trop facilement et préférait de plus vérifier qu’elle fut bien sa cible ce soir. Si Emi souhaitait réellement l’attirer dans ses filets, elle allait devoir travailler un peu plus et ne pas se contenter de la rendre jalouse en attirant l’attention de Marise. Pendant ce temps, Rae prendrait simplement soin de ses convives. Elle ne pouvait après tout pas passer toute sa soirée à se focaliser sur une seule espionne présumée, elle avait une réputation à tenir.

Raemilia aimait être au cœur du spectacle. Peu importait tous les efforts de Marise, la rouquine l’éclipsait totalement. Kidaria, de son côté, faisait en sorte de rester juste assez discrète pour que Raemilia reste sous le feu des projecteurs, mais juste assez extravagante pour que des questions se posent à son égard. Qui est-elle ? Malheureusement, elle ne resterait pas assez longtemps aux États-Unis pour pouvoir être le prochain sujet à la mode. Elle s’éclipserait de la même façon qu’elle était arrivée : par la grande porte, dans la plus grande discrétion.

Après une longue parade s’approchant plus de la nuptiale que de celle du divertissement simple, les trois jeunes femmes se retrouvèrent de nouveau autour d’une table. Marise était visiblement éreintée et l’alcool dans son sang ne lui permettait pas d’enchaîner davantage. Un sourire satisfait sur les lèvres, Kidaria se pencha en avant pour effleurer de ses lèvres l’oreille de Marise alors que Rae avait le dos tourné, focalisée sur sa propre fête. Un sourire timide se dessina sur les lèvres de Marise alors que Kidaria retrouvait une distance raisonnable.

« Mesdames, cette danse était fantastique, mais je ne voudrais pas m’imposer plus longtemps. Emi, si jamais Marise ne se sent pas apte à rentrer chez elle, n’hésite pas à venir me voir, je libèrerai une chambre à l’étage. »

Telle une diva, Raemilia s’éloigna des deux jeunes femmes. Kidaria offrit un merveilleux clin d’œil à Marise qui s’empressa de se relever pour murmurer quelque chose au creux de l’oreille de l’hôtesse. Puis, quelques minutes plus tard, Emi et Marise se dirigeaient vers l’ascenseur pour atteindre une des chambres. Un sourire victorieux eu du mal à se dissimuler des lèvres de Kidaria qui mis ça sur le compte du reste de la soirée qu’elle prévoyait de passer avec Marise. La réalité était tout autre : elle avait réussi la moitié de son plan en ayant accès à l’étage, pourtant espace privé et réservé.

***

Marise était allongée sur le lit, des draps de soie peinant à cacher les courbes généreuses de son corps quasiment nu. Au grand désarroi de Kidaria, aucune des deux n’eut le luxe de profiter du corps de l’autre puisque l’alcool avait assommé Marise en moins de deux. Cela n’avait pas empêché Kidaria de faire le tour de la propriété. Cette chambre d’amie, bien que neutre, possédait un atout inégalable : il offrait à Kidaria la tranquillité qu’il lui fallait pour continuer la suite de son plan.

Se glissant hors de la pièce, Kidaria laissa ses jambes la traîner là où elles désiraient. L’espionne ne cherchait rien en particulier car elle savait déjà où se trouvait l’endroit qu’elle convoitait le plus. Néanmoins, elle ne pouvait décemment pas y aller tout de suite. Alors, elle s’autorisa une visite des lieux. Plusieurs pièces vides se dessinaient devant elle à mesure qu’elle ouvrait les portes. Puis, une lui résista. Une moue boudeuse, Kidaria observa autour d’elle et, d’un mouvement rapide, réussit à l’ouvrir.

Devant elle se dressa l’une des plus belles bibliothèques qui lui ait été donné de voir. Un sourire aux lèvres, une étincelle dans les yeux, Kidaria se glissa dans la pénombre de la pièce. De toute façon, à l’heure qu’il était, sa proie ne tarderait pas à revenir. Et quoi de mieux qu’une pièce soi-disant fermée pour se retrouver après tout ce jeu de tentation ?

Comme prévu, Marise était bien trop alcoolisée pour continuer la soirée et elle ne perdit pas une minute avant de rejoindre l’ascenseur, au bras d’Emilia. Rae les regarda partir, l’air de rien, puis continua d’animer sa soirée pendant une petite demi-heure avant de s’éclipser à son tour. Il fallait qu’elle se prépare pour la suite, ça ne pouvait plus attendre.

Rae passa donc premièrement par ses appartements, qui prenaient l’entièreté du dernier étage de son immeuble. Le seul moyen d’y accéder était avec le code que seul Rae connaissait, ce qui en faisait une forteresse de choix, le tout aidé par des vitres teintées et à l’épreuve des balles, pour un bonus de sécurité non négligeable. Une fois arrivée en haut, Rae ne perdit pas une seconde et se rendit dans sa salle d’eau, où elle y passa vingt minutes. Elle aurait préféré prendre un peu plus de temps, mais elle n’en avait pas réellement, son combat face à Emilia ne faisait que commencer. Qui sait ce que celle-ci faisait actuellement.

Une fois rafraîchie et changée, Raemilia se rendit dans sa penderie, écarta une boite à chaussure, entra un nouveau code, puis passa par la porte dérobée qui venait de s’ouvrir, pour se retrouver dans une salle pleine d’écrans de surveillance. Elle pouvait voir chacune des pièces de l’immeuble. Le problème étant que l’immeuble était immense. Retrouver Emilia sur toutes ces images n’était pas une tâche aisée. En commençant par l’étage auquel se trouvait la chambre assignée à Marise, cependant, Rae eut un coup de chance. Du mouvement attira son regard sur l’écran montrant une partie de sa bibliothèque privée. Bibliothèque qui était fermée à clef, clef qui était détenue par trois personnes seulement. Rae exultait. Elle avait raison, bien sûr, Emilia n’était pas une personne ordinaire.

Deux minutes plus tard, Rae était de nouveau dans l’ascenseur en direction du cinquième étage où se trouvait son invitée mystère. En pénétrant dans la bibliothèque, elle prit le soin de donner un coup de clé dans la serrure, pour s’assurer qu’elles ne seraient pas dérangées, puis arpenta les allées à la recherche de sa cible.

Emilia l’attendait assise sur un fauteuil en velours rouge, un livre rare dans ses mains, occupée à le feuilleter comme on le ferait avec un vieux journal : avec une nonchalance presque théâtrale.

“Il va falloir que je réprimande quelqu’un pour avoir laissé cette pièce ouverte. Normalement, l’accès y est restreint. J’espère que tu as trouvé ce que tu cherchais, au moins ?”

Raemilia reprit son précieux livre sans réellement y faire attention. Elle le feuilleta distraitement avant de le refermer pour le poser sur une étagère à côté d’elle.

“C’est marrant, je ne t’imaginais pas être le type à s’intéresser aux travaux de William Cunnington.”

Kidaria s’était installée confortablement dans un fauteuil en velours rouge, duquel elle avait une vue d’ensemble sur l’entrée et quelques allées de la bibliothèque. Elle avait pris un livre au hasard, décidant que n’importe quel ouvrage ferait l’affaire puisqu’ils étaient censés ne pas être accessible au grand public. Le concept même de fermer le savoir aux autres… très américain. Kidaria dû refréner une grimace de jugement et modula son visage pour y glisser une expression intéressée, vaguement innocente. Et enfin, le poisson mordit à l’hameçon.

Raemilia pénétra dans la bibliothèque sans essayer d’être discrète. Elle les enferma même à clé, ce que Kidaria feignit de ne pas remarquer, et le jeu repris de plus belle. Toujours dans son rôle de diva tentatrice, Raemilia s’approcha de Kidaria et se posa devant elle comme si elle était mille fois plus intéressante que ce que Kidaria était en train de lire. Ce qui était le cas. Alors la Russe leva les yeux de son ouvrage, avec nonchalance, pour croiser le regard de son hôtesse.

« Il va falloir que je réprimande quelqu’un pour avoir laissé cette pièce ouverte. Normalement, l’accès y est restreint. J’espère que tu as trouvé ce que tu cherchais, au moins ? »

Kidaria haussa les épaules avec indifférence, replongeant son regard dans le livre. Raemilia ne le voyait visiblement pas de cette oreille puisqu’elle reprit ce qui lui appartenait sans plus de sommation. Kidaria s’enfonça alors un peu plus dans son fauteuil, les coudes posés sur les accoudoirs, les jambes croisés. Kidaria était sur un trône.

« C’est marrant, je ne t’imaginais pas être le type à s’intéresser aux travaux de William Cunnington. »

Kidaria afficha un petit sourire prétentieux qui s’effaça vite au profit d’un air presque enfantin quand Raemilia reposa ses yeux sur elle. La bienséance aurait voulu que Kidaria se lève mais, comprenez, le fauteuil était bien trop confortable pour qu’elle daigne faire face à Raemilia. Dans tous les cas, la rouquine était plus grande, autant être confortable en croisant son regard, n’est-ce pas ?

« Et comment m’imaginait la grande Raemilia Adamson ? Je suis curieuse. »

La voix de Kidaria n’avait plus rien de naïf mais tout d’une séductrice. Elle se pencha alors en avant et récupéra un autre ouvrage quelconque qui se trouvait à portée de main. Elle le feuilleta mollement avant de le déposer sur ses cuisses. Encore une fois, un ouvrage décevant pour une bibliothèque secrète. Kidaria planta de nouveau ses yeux dans ceux de Raemilia, attendant avec excitation sa réponse.

Plus Emilia paraissait distante, plus Raemilia avait envie de se rapprocher. Mais elle connaissait ce jeu-là pour y avoir joué des dizaines de fois. Il fallait que tout semble naturel, presque logique, sans quoi elle ne pourrait gagner. Jouer à cela avec une personne aussi douée qu’elle rajoutait tant de sensations à ce qui n’était habituellement qu’une prestation savamment préparée. Il fallait tout revoir à chaque mouvement de l’autre et Rae s’en délectait. Elle risquait pour ainsi dire sa vie, il ne lui en fallait pas plus pour être complètement happée par le jeu.

Et comment m’imaginait la grande Raemilia Adamson ? Comme une espionne extrêmement douée, habituée à obtenir tout ce qu’elle désirait en jouant de ses charmes et de son intellect. Comme une femme sublime qui savait mettre tous ses talents au service de son art et se fondre dans la masse aussi facilement qu’elle pouvait resplendir au milieu d’un millier de personnes. Comme une personne bien trop intrigante et unique pour son propre bien. Il y avait un million de réponses, mais aucune ne paraissait être la bonne dans cette situation. Rae haussa les épaules tout en s’asseyant sur l’accoudoir du fauteuil.

“Ce n’est pas important, puisque je me trompais visiblement. Il est clair que tu es bien plus intrigante que ce à quoi j’aurais pu m’attendre.”

Emilia savait-elle que Rae était sur sa piste, qu’elle n’attendait qu’une erreur de sa part pour pouvoir la démasquer au grand jour ? Savait-elle, elle aussi, que la moindre erreur pourrait lui être fatale ? Son cœur battait-il aussi fort que celui de Rae à l’idée que ce jeu pourrait être leur dernier ? Rae ne put retenir un sourire qu’elle fit passer pour une simple expression bienveillante, quoiqu’elle ne pouvait que difficilement cacher l’excitation scintillant dans son regard.

“Tu disais être là pour le plaisir. J’ai imaginé à tort que tu parlais de la fête. Quel genre de plaisir recherches-tu exactement, Emilia ?”

Rae la détailla du regard, profitant de la hauteur qu’elle avait en étant assise sur cet accoudoir. Tout dans les mouvements d’Emilia semblait contrôlé. Ses mains ne laissaient paraître aucun malaise, sa tenue était totalement détendue, comme si elle n’avait rien à craindre mais tout à gagner en ce lieu. Rae était la propriétaire et la meneuse de jeu, mais Emilia aurait facilement pu faire croire à n’importe qui d’extérieur que c’était l’inverse.