L'été touchait à sa fin et le Club Mydh s'en apercevait doucement. Quelques demi-dieux des bungalows du Village Bellone avaient organisé, pour l'occasion, une dernière soirée en bord de mer, quelque chose de non officiel. Erwin avait donc délaissé le feu de camp, qu'il avait pas mal fréquenté durant ses vacances, pour se rendre sur la plage et célébrer la fin d'un été.

C'était étrange de se dire qu'il fêtait joyeusement la fermeture d'un doux chapitre. L'été revenait chaque année, mais celui-ci avait pris une couleur particulière. Peut-être parce que c'était le vingt-cinquième été du fils de Poseidon. Peut-être parce que c'était un été de réelles vacances, pour une fois. Peut-être parce que le demi-dieu avait eu l'impression de n'être qu'un humain parmi d'autres durant cet été. Alors, restant dans cette libération du monde divin, dans cet oubli de sa condition de sang-mêlé, Erwin avait dansé, chanté à tue-tête, ri encore et encore, et bu avec les amis qu'il s'était fait comme il l'aurait fait dans un camping banal.

La fin de la soirée avait été ponctuée de moments de baignade improvisée, de jeux en tout genre et de conversations probablement très spirituelle mais dont les rares souvenirs étaient flous dans l'esprit d'Erwin. Si le demi-dieu était dans un état d'ébriété évident au moment de rentrer dans son bungalow, il avait toutefois eu la lucidité de laisser ses vêtements trempés sur une chaise pour ne pas avoir l'impression de nager dans son lit aussi.

Les yeux d'Erwin s'ouvrirent difficilement, attaqués par la lumière dorée qui fusait du dehors jusqu'à sa rétine. Qui avait ouvert ce rideau ? Qui a-

Le regard du sang-mêlé croisa celui d'un jeune homme au visage empourpré, regardant ailleurs d'un air innocent que démentait son air extrêmement gêné. Erwin mit quelques secondes à mettre les éléments de la scène dans le bon ordre. La chemise typique du jeune homme, le charriot de produit qui se trouvait sur le seuil de la porte et le manche de serpillère qui trônait dans les mains gantées étaient des indices suffisants. Le service de nettoyage. La seconde suivante permit à Erwin de reporter son attention sur sa propre personne. Nu. Il était totalement à poil. Dans un mouvement parfaitement synchronisé, le jeune homme de ménage posa sa main en oeillère tandis que le fils de Poseidon tirait un coin de couverture sur lui.

Après s'être tortillé hors du lit tout en retenant la couverture autour de sa taille, Erwin mit la main sur les vêtements les plus proches, s'empressa de les enfiler dans la salle de bains et esquissa un signe d'excuse à destination du jeune homme d'entretien. Il s'éclipsa hors du bungalow, le temps de laisser l'homme de ménage faire son travail. En temps normal, les demi-dieux n'étaient pas obligés de quitter les lieux pendant le nettoyage, mais il était hors de question pour Erwin de rester là, face à ce type qui semblait déjà assez gêné comme ça, sans dire un mot.

D'un pas traînant, la tête encore alourdie de la veille, le fils de Poseidon erra un moment dans le village, observant distraitement autour de lui. Il alla finalement s'asseoir sur une balançoire abandonnée au milieu de la plaine de jeu commune. Il se balança légèrement, en silence, en se demandant dans combien de temps il pourrait retourner dans son lit. Un début de mal de crâne menaçait de pulser sous ses tempes d'ici une heure, à peu de choses près. Etonnamment, la balançoire ne lui retournait pas plus l'estomac. Non, ce qui était dérangeant, c'était plutôt les cris des deux enfants qui s'étaient levés de bien trop bonne heure pour venir jouer dans la plaine. Ils en avaient le droit, bien entendu, ils étaient même bien plus à leur place ici qu'Erwin. Mais tout de même, s'ils pouvaient pousser des cris moins stridents... Ou ne pas crier du tout, d'ailleurs.

Le fils de Poseidon regarda les deux enfants glisser d'un toboggan à un autre, courir dans les gravillons colorés et attraper les cordes du pont de singe pour se balancer de toutes leurs forces. Il lui semblait avoir été comme eux hier encore. Il se revoyait à leur place, glisser, courir, grimper, se balancer. Sa mère ne l'avait jamais limité lorsqu'il se trouvait dans un espace de jeu public. Il avait toujours pu s'y défouler comme un dingue. Et pourtant, bien souvent, il finissait caché derrière une paroi à escalader, à l'ombre, un carnet sur les genoux pour dessiner. Un carnet semblable à celui qu'il avait encore aujourd'hui.

Le temps filait, Erwin se souvenait si nettement de tous ces moments d'enfance - tandis que ceux de la veille étaient on ne peut plus flous - qu'il avait la sensation de ne pas réellement en être sorti. Plusieurs demi-dieux étaient plus âgés que lui, surtout à la Nouvelle-Rome où l'organisation était différente. Pourtant, il avait l'impression d'avoir franchi un nouvel âge cette année.

Son attention fut à nouveau attirée par les enfants qui quittaient la plaine en courant et en riant. Au loin, quelque part derrière les deux petites têtes qui s'éloignaient, Erwin reconnut le jeune homme qui était venu nettoyer son bungalow. Il allait pouvoir retourner dormir. Recharger ses batteries une dernière fois pour profiter encore des moments qu'il lui restait encore à vivre au Club Mydh avant que les portes ne se referment sur ces merveilleux souvenirs d'été.