Ava se fixait dans le miroir, les sourcils froncés. Cela faisait maintenant des mois qu’elle suivait les entraînements avec Priam. Elle avait l’impression d’avoir commencé seulement hier mais sa progression ne mentait pas. Elle avait été à deux reprises dehors, dans la vraie vie. Elle s’était battue auprès de légionnaires, elle avait vaincu trois monstres sans faillir. Priam avait été fier d’elle, à sa façon. Il avait corsé les entraînements et épuisé son élève jusqu’aux limites de son corps. Puis il lui avait offert une bière et une énorme tape dans le dos, sans dire un mot de plus.

Ava avait aussi connu des changements plus personnels. Trevor, son mentor, son ami, son frère, avait quitté son poste et avait été remplacé. Depuis, ils se voyaient moins. Et surtout, ils ne parlaient que très peu du Camp Jupiter. Pourquoi Ava l’aurait-elle embêté avec des questions administratives alors que son ami était en proie à de terribles séquelles du Labyrinthe ? À la place, Ava lui parlait du beau temps. De sa tante. Des chatons qui venaient souvent dans son jardin. Elle lui parlait parfois de Cramoisi, celui que personne ne pourrait remplacer. Elle parlait de ses rencontres à la Colonie, des plats affreux qu’elle mangeait là-bas, des faunes à qui elle donnait beaucoup trop d’argent (mais ce n’était pas grave parce que c’était techniquement celui de sa mère).

Un sourire nostalgique s’étira sur les lèvres de la jeune fille. Elle avait fait beaucoup de chemin depuis son élection au poste de Centurion. Elle avait toujours autant de difficulté à se lier d’amitié, mais elle avait moins de problème à se faire respecter en tant que Centurion. Ses plannings et instructions étaient plus clairs et assurés. Elle n’hésitait plus dans la distribution de corvées. Le fait qu’elle n’avait que très peu d’amis rendait ses décisions plus partielles, plus acceptées. Il n’y avait pas de favoritisme avec Ava-May Crimson.

Le bip d’une montre résonna dans la salle de bain et Ava sursauta. Perdue dans ses pensées, elle en avait oublié le produit qui posait sur son crâne. Elle regarda son reflet puis s’approcha de la baignoire pour nettoyer ses cheveux. Là, elle pouvait admirer le bleu de l’eau qui coulait le long de ses cheveux, salissant la baignoire. C’est ce moment-là que choisi sa tante pour rentrer dans la salle de bain.

« Oh, désolée ma chérie, je n’avais pas vu la lumière. »

Puis, regardant de plus près sa nièce, la jeune femme eut un sourire tendre. Elle retira ses chaussures, se lava les mains, et pris le relais pour aider sa nièce. Elle rinça les restes de coloration et lui sécha les cheveux en lui racontant sa journée. Elle avait toujours été comme ça, sa tante. Elle remarquait les changements chez Ava et s’assurait de toujours avoir l’énergie qui allait avec.

« Tu es magnifique Ava. On y va ? »

Un sourire ravi illumina le visage d’Ava avant qu’elle ne hoche la tête. Ce soir, c’était le pot de départ d’un collègue de sa tante et Ava avait promis à cette dernière qu’elles iraient ensemble. Pour une fois, Ava ne s’était pas dégonflée. Elle était prête. Elle enfila ses chaussures et suivit sa tante dans la Nouvelle-Rome jusqu’au bar où se trouvait ce pot de départ. Au début plutôt timide, Ava se laissa entraîner à plusieurs reprises par sa tante sur la piste de danse. De Britney Spears à BTS, en passant par Sharks d’Imagine Dragon, les deux jeunes femmes dansaient à en avoir mal aux jambes. Ava ne se sentait jamais aussi bien qu’avec sa tante. Le monde entier n’existait pas. Un dieu mégalomane fan de minitel et de téléphone portatif aurait pu sortir de nulle part qu’Ava ne l’aurait même pas remarqué.

***

Le lendemain, Ava se réveilla avec le crâne en chou-fleur. Tous ses sens lui faisaient mal : la lumière qui filtrait de ses rideaux lui brûlaient les yeux, l’odeur de poisson lui vrillait les narines, l’oreiller sur lequel elle dormait semblait fait de pierre, sa langue portait un goût poisseux désagréable dans sa bouche. Lorsque la porte s’ouvrit brutalement, Ava cru qu’elle allait défaillir. Un petit gloussement lui indiqua que sa tante s’amusait beaucoup de la situation.

« Oh ma chérie, t’y penseras à deux fois avant de t’enfiler autant de pina colada. Tiens, prends ce doliprane. »

Les souvenirs de la veille lui revenaient vaguement. Ava qui voulait tester des cocktails et qui les buvait trop vite. La musique qui continuait. Les conversations avec des inconnus. Ava enfoui sa tête dans l’oreiller et grogna. Elle n’irait plus jamais en soirée de toute son existence.